Tribunal de première instance, 23 juillet 1976, Dame M.-C. c/ consorts M.
Abstract🔗
Domicile
Critères - Principal établissement - Centre des affaires - Notion d'unicité de domicile - Portée
Résumé🔗
Une personne qui au regard de la loi monégasque a son principal établissement et le centre de ses affaires à Monaco, est bien domiciliée en Principauté, la notion d'unicité de domicile ne se conçoit qu'en droit interne et ne peut être retenue en droit international privé car rien n'interdit à une personne déterminée d'avoir des domiciles définis différemment dans les divers pays où elle a des intérêts.
Motifs🔗
Le Tribunal
Attendu que le 8 août 1974 est décédé à Casablanca (Maroc), le sieur R. M. qui laissait pour lui succéder :
son frère, G. M.,
sa sœur, Y. M. épouse A.,
et, venant en représentation de son frère A. M., décédé le 29 octobre 1973, sa nièce J. M. épouse P. et son neveu A. M. ;
Attendu que par son testament olographe, daté du 30 juillet 1974, déposé le 9 septembre 1974 en l'étude de Maître Auréglia, substituant Me Crovetto, Notaire à Monaco, R. M. a disposé de ses biens sous forme d'une série de legs particuliers concernant son neveu A., l'institut pour la recherche du cancer à Paris, l'Association des vieux de la ville de Saint-Dié et celle de Tantreux, sa nièce J., sa sœur Y. et le sieur B. M., ainsi que la dame M.-C. qui recevront :
un appartement au 3e étage de l'immeuble . à Monaco ;
une voiture Mercédès, immatriculée 6746 MC ;
30 % des parts de la S. C. I. Les Alyscampes, propriétaire d'un terrain sis aux Saintes-Maries de la Mer ;
50 % d'un compte bancaire du Crédit Suisse, à Genève, sous le n° 425 142, le testateur précisant que cette part devait représenter environ 150 000 F, que ce compte était au nom de son frère G. et qu'il y avait lieu de s'adresser au sous-directeur, M. R. ;
le solde d'un compte au Crédit Foncier de Monaco, après les prélèvements indiqués en fin du testament ;
tous les biens situés en Espagne, mentionnés à l'annexe I du testament, avec les soldes bancaires, sous réserve d'un pourcentage de 10 % attribué au sieur A. C., chargé de s'occuper de la gestion de ces biens ;
tous les biens situés au Maroc, ainsi que les soldes bancaires, sous réserve d'un pourcentage de 10 % sur les revenus des immeubles, attribué au sieur A., chargé de la gestion desdits immeubles ;
Qu'en ce qui concerne son frère G., le de cujus se bornait à faire état des difficultés qui l'avaient opposé à celui-ci ;
Attendu que le 7 janvier 1975, Me Crovetto requérait la publication de deux annexes, dites annexe I et annexe II, qui, jointes au testament susvisé, contenaient le texte des biens de R. M. et que les parties, qui n'avaient pas jugé utile de le faire jusqu'à ce jour, demandaient de faire publier ces annexes à la suite du désaccord qui les opposait ; que ce dépôt est intervenu le 22 janvier 1975 ;
Attendu que par l'exploit susvisé, dame M.-C. a assigné les héritiers du sang, Y. M. épouse A., G. M., J. M. épouse P. et A. M., aux fins d'obtenir, en exécution du testament du 30 juillet 1974, que lui soient délivrés les legs particuliers dont elle avait été gratifiée et dont elle précisait la liste, à partir du testament et des annexes susvisées ;
Attendu que les défendeurs ont adopté des positions différentes et qu'il est, dès lors, nécessaire de réunir leurs conclusions, chacun en ce qui le concerne, et dans l'ordre où celles-ci ont été déposées ;
1° Attendu que G. M. déclare, dans des conclusions du 2 juillet 1975, qu'il avait accepté la succession de son frère, sous bénéfice d'inventaire et qu'il acceptait la demande de délivrance de legs de dame M.-C. ;
2° Attendu que dans ses conclusions du 12 février 1976, dame J. M. épouse P. et A. M. demandaient qu'il leur soit donné acte qu'ils ont accepté la succession de leur oncle, sous bénéfice d'inventaire et acte de leurs réserves concernant les legs à eux consentis et concluent à ce qu'il soit sursis à statuer jusqu'à ce qu'ait été diligentée une expertise qu'ils sollicitent et qui aurait pour but :
de recueillir tous renseignements permettant de déterminer le domicile de R. M., car, s'ils admettent que pour les biens meubles, la loi applicable à la succession est celle du domicile du de cujus, ils estiment que l'hésitation est permise sur le point de savoir quel est le Tribunal compétent, le de cujus ayant un domicile au Maroc et un domicile à Monaco ;
de dresser un inventaire complet des biens de la succession, tant mobiliers qu'immobiliers, d'établir la participation de R. M. dans les Sociétés de fait existant en Suisse, au Maroc et en Espagne, avec son frère G., de rechercher si celui-ci ou toute autre personne n'a pas vendu partie de ces biens, et faire les comptes entre G. et R. M. ;
de déterminer le passif de la succession, compte tenu notamment des éventuelles impositions pouvant être dues par le de cujus, en Suisse, en Espagne et au Maroc ;
de prendre toutes mesures conservatoires sur l'ensemble des biens de la succession ;
d'informer les légataires particuliers des legs faits en leur faveur ;
Attendu que pour justifier leur demande, J. M. épouse P. et A. M. font en effet valoir que si la loi applicable à une succession, en ce qui concerne les meubles, est la loi du domicile du défunt, celle concernant les immeubles est la loi du pays où ils sont situés et qu'ils sont en droit, la succession comprenant des biens en Suisse, au Maroc et en Espagne, de faire toutes réserves sur les droits qu'ils pourraient tirer de chacune de ces législations, tant sur le problème de la validité du testament que sur celui des règles de dévolution des biens immobiliers ; que, d'autre part, le testament de R. M. établit que celui-ci a exclu de la succession son frère G., avec qui il était cependant en société de fait pour des biens mobiliers ou immobiliers qui étaient au nom de G. M., ladite Société de fait ayant existé avec leur auteur commun, A., prédécédé ; qu'ils s'étonnent que G. M. accepte sans discussion une délivrance de legs dans une succession dont il est exclu et qu'ils demandent que les accords intervenus entre G. M. et dame C., dont ils affirment avoir connaissance, soient versés aux débats ; qu'ils estiment que l'éparpillement de la succession dans différents pays justifie un inventaire qui n'a pas encore été fait et qu'ils réclament car ils ne peuvent, en l'état, exercer leur option ; qu'ils s'opposent enfin à la délivrance des legs demandés car ces derniers consistent soit en immeubles ou en participation dans des sociétés de fait, soit en sommes d'argent existant dans des comptes en banque ou résultant de créances de R. M. contre G. M., circonstance qui justifie, de plus fort, l'établissement de l'inventaire sollicité, d'une part, parce que G. M. a continué à gérer ces biens à sa guise et d'autre part parce que seul l'inventaire peut révéler si l'énumération des biens figurant dans les annexes I et II recouvrent effectivement la totalité des biens situés en Suisse, au Maroc ou en Espagne, le problème demeurant à résoudre dans la négative, du point de savoir si les biens ne figurant pas dans l'inventaire devait revenir à dame C. ou au contraire aux héritiers ab intestat, et si dame C. devait être considérée comme une légataire à titre particulier ou une légataire universelle ;
3° Attendu que par conclusions non datées, dame M. épouse A. soulève l'incompétence du Tribunal de Monaco, motif pris de ce que le de cujus était décédé au Maroc et qu'il avait le centre de ses affaires à Casablanca, et demande subsidiairement une expertise pour rechercher où se trouvait le centre des affaires de R. M. ;
4° Attendu que par conclusions du 7 avril 1976, la dame M.-C. qui s'oppose aux conclusions tant de J. M. épouse P. et de son frère A., qu'à celles de dame M. épouse A., soutient qu'aucun des héritiers ne peut être habilité à demander la désignation d'un expert pour déterminer le contenu d'une succession dont cet héritier a été partiellement exclu, qu'en toute hypothèse, si une partie des biens situés en Espagne et au Maroc ne sont pas compris dans les annexes I et II, les défendeurs, qui sont tous des légataires particuliers, n'ont aucune vocation à ces biens, que la demande d'inventaire présente un aspect dilatoire et, que le Tribunal compétent est bien celui de Monaco, c'est-à-dire du domicile du de cujus ; que, toutefois, dame M.-C. admet que ce Tribunal n'est compétent qu'en ce qui concerne les biens mobiliers et immobiliers situés dans la Principauté et les biens mobiliers situés à l'étranger ; que pour les biens situés en Suisse, en Espagne et au Maroc, elle réduit donc sa demande aux seuls comptes bancaires, tels qu'ils sont énumérés dans les annexes I et II ;
5° Attendu que par conclusions du 29 avril 1976, dame M. épouse A. maintient des conclusions d'incompétence en se fondant sur des considérations de fait qui établiraient que le domicile de son frère était au Maroc ;
6° Attendu que par conclusions du 20 mai 1976, dame M.-C. réfute les arguments de fait contenus dans les conclusions susvisées du 29 avril 1976, en se fondant sur des éléments de fait et qui établissent que le domicile de R. M. était . à Monaco ;
7° Attendu que par conclusions du Ier juin 1976, G. M. demande le rejet des conclusions de sa sœur, dame A., de son neveu, A. et de sa nièce, dame P., affirmant que le Tribunal est compétent pour statuer sur la demande de la dame M.-C., car le domicile de son frère R. M. n'était pas au Maroc mais était . à Monaco, et maintient son offre d'accepter la délivrance des legs sollicités ;
8° Attendu que par conclusions du 29 juin 1976, dame J. M. épouse P. et son frère A. demandent que le jugement à intervenir soit assorti de l'exécution provisoire ;
Attendu qu'il résulte des conclusions ci-dessus énumérées et compte tenu de ce que dame M.-C. ne demande plus délivrance que des legs de biens mobiliers et immobiliers situés à Monaco et des seuls legs de biens mobiliers situés en Suisse, au Maroc et en Espagne, que les points sur lesquels le Tribunal doit se prononcer sont les suivants :
1° domicile du de cujus :
Attendu que les parties admettent que la succession est régie par la loi du lieu d'ouverture de la succession, tant en ce qui concerne les biens mobiliers et immobiliers situés dans le pays où s'est ouverte cette succession qu'en ce qui concerne les biens mobiliers situés hors de ce pays ; qu'ainsi, s'il est établi que le domicile de R. M. était à Monaco, la demande de dame M.-C. devra, du même coup, être admise dans son principe ;
Attendu qu'il résulte des pièces produites par dame M.-C. que R. M. était porteur d'un passeport délivré par le Consulat Général de France où il était immatriculé depuis le 17 juillet 1957 ; que ces documents donnent comme adresse ., puis . ; qu'il était également en possession d'une carte d'identité de résident privilégié et d'un permis de conduire délivré par les Autorités monégasques, ainsi que d'une carte nationale d'identité française, ces deux cartes d'identité le domiciliant au . ; qu'enfin, un certificat de domicile lui a été délivré par le Ministre d'État, le 14 février 1966 ; qu'il était propriétaire d'un appartement où il résidait avec la demanderesse, immeuble . et l'inventaire qui a été dressé par Me Crovetto, Notaire, le 29 août 1975, établit que cet appartement était normalement meublé pour une occupation bourgeoise et professionnelle ;
Attendu qu'il est ainsi démontré que R. M. avait, au regard de la loi monégasque, son principal établissement et le centre de ses affaires à Monaco et qu'il était donc bien domicilié dans la Principauté ; qu'il doit d'ailleurs être observé que rien n'interdisait à R. M. de remplir, au regard de la loi nationale marocaine ou espagnole, les conditions posées par les législations internes de ces pays pour y posséder un domicile, mais que, la notion d'unicité de domicile ne se concevant qu'en droit interne et ne pouvant être retenue en droit international privé, car rien n'interdit à une personne déterminée d'avoir des domiciles définis différemment dans les divers pays où elle a des intérêts, le Tribunal de Monaco doit se reconnaître compétent dès l'instant qu'un domicile existe dans la Principauté ; qu'il suit de là que l'exception d'incompétence doit être rejetée et que le principe de la demande de dame M.-C. doit être admis ;
2° Demande d'expertise pour établir la participation de R. M. dans les Sociétés de fait ayant existé avec son frère G., et sur la demande de sursis à statuer ;
Attendu qu'une telle demande est sans objet en l'espèce, car J. M. épouse B. et son frère A. n'ont aucune qualité pour agir en justice, sur ce point ; qu'en effet, dame M.-C. sollicitant son envoi en possession pour des legs particuliers, elle seule était recevable à agir, à partir du moment où elle aurait obtenu cet envoi en possession, pour critiquer l'état dans lesquels les biens légués lui ont été remis et pour se plaindre éventuellement des conditions dans lesquelles M. G. aurait géré ces biens, en qualité d'associé de fait de son frère R. ; qu'il suit de là que ces demandes sont irrecevables ;
3° Sur le point de savoir si les bien légués à dame M.-C. sont effectivement tous énumérés dans les annexes I et II du testament ;
Attendu que le testament démontre, à l'évidence, par sa simple lecture, qu'il ne comporte que des légataires particuliers et que personne ne peut exciper et ne prétend d'ailleurs exciper de la qualité de légataire universel ou à titre universel ; que dame M.-C. se borne à demander l'envoi en possession des biens situés à Monaco et des biens meubles se trouvant en Espagne, en Suisse et au Maroc, tels qu'ils sont énumérés aux annexes I et II ; que si certains de ces biens meubles avaient été mis dans le testament ou dans ses annexes, ils seraient tout naturellement dévolus aux héritiers du sang, puisque dame M.-C. ne pourrait revendiquer sur eux aucun droit ; que les biens légués sont définis avec une précision suffisante pour qu'il n'y ait aucun risque d'erreur et que dès lors rien n'interdit d'accueillir la demande de délivrance dont s'agit ;
4° Sur la demande tendant à ce que les accords entre G. M. et dame M.-C. soient versés aux débats ;
Attendu que l'existence de tels accords n'est pas établie ; que, d'autre part, les communications de pièces ne peuvent être exigées qu'en ce qui concerne des documents sur lesquels une partie entend se fonder pour conclure et faire valoir ses droits ; que tel n'est pas le cas de l'espèce ; que cette demande doit être rejetée ;
Attendu, en conséquence, qu'il y a lieu de faire droit à la demande de dame M.-C., à l'exception toutefois de la demande d'un million à titre de dommages-intérêts, en cas de non-délivrance, une condamnation à des dommages-intérêts ne pouvant être prononcée sous condition ; que les défendeurs doivent être condamnés aux dépens, à l'exception de G. M. qui accepte ladite demande ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Rejette l'exception d'incompétence soulevée par Y. M. épouse A. ; déclare irrecevable la demande de sursis à statuer formée par J. M. épouse P. et A. M. ;
Dit et juge qu'il sera fait délivrance à dame M.-C. dans la huitaine de la signification du jugement à intervenir des legs dont celle-ci a été gratifiée par le testament du 20 juillet 1974 du sieur R. M., tels que ces legs ont été énumérés dans les conclusions du 7 avril 1976, savoir :
A Monaco : un appartement sis ., 3e étage, déjà en possession de ladite dame M.-C. ;
une voiture Mercédès, numéro d'immatriculation 6746 MC :
le solde du compte en banque de feu R. M., au Crédit Foncier de Monaco ;
En Suisse : - cinquante pour cent du solde d'un compte bancaire au Crédit Suisse, Agence Place Bel Air, à Genève, sous le numéro 425142 ;
En Espagne : - le solde des comptes bancaires ci-après :
n° 207005 au Banco de Santander à Toeremolinos ;
n° 1, au Banco Iberico à Malaga ;
n° 55000/00 au Banco Iberico à Malaga ;
n° 57536, au Monte de Piedad à Malaga ;
n° 916300 au Banco de Viscaya à Malaga ;
n° 16193 au Banco Hispano Americano à Malaga ;
cinquante pour cent des comptes bancaires ci-après :
n° 207001 au Banco de Santander Agence I à Malaga ;
n° 2745 au Banco de Santander Agence I à Malaga ;
vingt-cinq pour cent des comptes bancaires ci-après :
n° 2799 au Banco de Santander, Agence I à Malaga ;
du compte ouvert à la même banque au nom de Puertosol ;
Au Maroc : - le solde d'un compte au nom de M. R. M. ouvert auprès de la C.M.C.B. (Compagnie Marocaine de Crédit et Banque) ;
le solde d'un compte au nom de M. R. M., à la Bank of America ;
tous deux à Casablanca ;
cinquante pour cent d'un compte n° 12494 dit Antinea et 12009 à la C.M.C.B. et d'un compte 59956 à la Société Générale à Casablanca ;
Rejette la demande de un million de dommages-intérêts présentée par dame M.-C. ;
Donne acte à G. M. qu'il accepte de faire droit à la demande de dame M.-C. ;
Composition🔗
M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Boéri, Marquilly, Clerissi av. def., Tassi, Bonello (tous deux du barreau de Nice), Dominici (du barreau de Marseille) et Brossellet (du barreau de Paris) av.