Tribunal de première instance, 24 juin 1976, II - S.C.I. Résidence Château d'Azur c/ S.A.M. Entreprise R. J. Richelmi et S.A. Intrafor-Cofort.

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Abstract🔗

Responsabilité civile

Troubles de voisinage - Travaux sur le fonds voisin - Maître de l'ouvrage - Responsabilité (oui)

Résumé🔗

Dans le cas d'une action fondée sur des troubles de voisinage causés par des travaux effectués par le propriétaire du fonds voisin, ce propriétaire ayant conservé la qualité de maître de l'ouvrage est responsable à l'égard des tiers et notamment de ses voisins de toutes les conséquences dommageables de ces travaux sans qu'il puisse prétendre obliger ces tiers à rechercher la responsabilité de l'entreprise avec qui il a traité car ces tiers n'ont aucun lien de droit avec ladite entreprise.


Motifs🔗

Le Tribunal

Attendu que les hoirs A., représentés par demoiselle J. A., propriétaires d'un immeuble à usage commercial et d'un pavillon d'habitation, sis ., ont assigné en référé le 27 mars 1974, la société civile immobilière « Résidence Château d'Azur », ci-dessous Château d'Azur, l'entreprise Richelmi (ci-dessous Richelmi) et l'U.A.P., assureur de cette dernière, aux fins que soit désigné un expert avec mission de décrire les dommages subis par leur propriété, à la suite d'importants travaux de terrassement et de construction entrepris depuis 1970 (en réalité décembre 1971) par Richelmi sur la propriété de Château d'Azur contiguë à la leur, d'indiquer les mesures à prendre pour remédier à cette situation et d'évaluer le coût des réparations ;

Attendu que le sieur Ancona était désigné par Ordonnance de référé du 10 avril 1974 et que par une seconde Ordonnance du 28 juin 1974, rendue à la requête de Château d'Azur, Richelmi et U.A.P., sa mission était étendue au contradictoire de la société intrafor Cofort, laquelle avait posé les tirants qui apparaissaient être à l'origine des troubles constatés ;

Attendu que l'expert a déposé son rapport, le 22 novembre 1974, et que par l'exploit susvisé du 27 février 1975, les hoirs A. ont assigné Château d'Azur aux fins que celui-ci soit déclaré responsable des dommages subis par leur propriété et condamné, en conséquence, à lui payer la somme de 131 006,40 francs, montant de la remise en état des immeubles endommagés, outre celle de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts, cette dernière somme, quoique non expressément reprise dans le dispositif de l'assignation, devant être considérée comme ayant été implicitement mais nécessairement demandée puisque, dans des conclusions ultérieures du 6 avril 1976, les hoirs A. sollicitent que ces dommages-intérêts soient augmentés de 5 000 francs ;

Attendu qu'à la suite d'un premier incident de procédure fondé sur l'exception tirée de la règle « nul ne plaide par procureur » et dont Château d'Azur avait excipé, incident devenu aujourd'hui sans objet à la suite de l'intervention à l'instance, par conclusions du 18 juin 1975, de M. dit M. A. et J. D. A., au vu de laquelle Château d'Azur a déclaré renoncer à son exception, par conclusions du 15 octobre 1975, ce défendeur a demandé, dans lesdites conclusions, qu'il soit sursis à statuer sur l'action dirigée contre lui, jusqu'à ce qu'aient été appelés aux débats l'entreprise Richelmi et la société Intrafor Cofort ;

Attendu que par le second exploit susvisé du 23 octobre 1975, Château d'Azur a assigné en intervention forcée l'entreprise Richelmi et la société Intrafor Cofort aux fins que celles-ci le relèvent et garantissent, dans la proportion de la part de responsabilité mise à la charge de chacune d'elles, de toutes les condamnations qui pourraient être éventuellement prononcées à son encontre ;

Attendu que l'instance principale et l'instance en intervention forcée et garantie sont connexes et qu'étant en état d'être jugées, elles doivent être jointes, afin qu'il soit statué, à leur sujet, par un seul jugement ;

Attendu que les hoirs A. qui ne poursuivent leur action que contre la seule S.C.I. Château d'Azur se fondent pour justifier leur demande sur le rapport Ancona, lequel, tout en relevant que les constructions datent de plusieurs années, ce qui explique leur vétusté, que les bâtiments en maçonnerie lourde n'ont subi qu'une légère aggravation des fissures déjà existantes avant les travaux et que les constructions légères, érigées quelques années plus tard, doivent être démolies et reconstruites, conclut que les causes principales des dégâts constatés étaient d'une part la décompression du sol, consécutive aux travaux de terrassement exécutés par Richelmi et, d'autre part, la mise en place de tirants exécutés par Intrafor Cofort, qui sont à l'origine d'un bouleversement des structures géologiques du sol « dû aux pressions, contre-pressions et claquages, etc... » et évalue le coût des travaux de remise en état a 131 006,40 francs, somme dont il déduit celle de 25 201,20 francs et qui doit, selon toute vraisemblance, correspondre à un abattement pour vétusté de 20 %, encore que l'expert n'ait pas cru devoir prendre la peine de le préciser, en sorte qu'il aboutit à une somme définitive de 104 805,12 francs ;

Attendu que le Château d'Azur n'a pas pris d'autres conclusions que celles du 15 octobre 1975, dans lesquelles il avait demandé qu'il soit sursis à statuer jusqu'à mise en cause de Richelmi et de Intrafor Cofort, se bornant à solliciter « qu'il lui soit, dès à présent, donné acte de ses réserves les plus formelles de contester le bien-fondé de la demande des hoirs A. » ; que dans son exploit d'assignation forcée et d'appel en garantie du 23 octobre 1975, tout en précisant que cette assignation ne pouvait être considérée comme constituant de sa part un acquiescement à la demande formulée par les hoirs A., mais intervenait au contraire sous les plus expresses réserves, de contester tant la recevabilité que le bien fondé de la demande, Château d'Azur s'est borné pour justifier le recours exercé contre Richelmi et Intrafort Cofort à faire référence aux conclusions du rapport Ancona aux termes desquelles les dégâts dont réparation était demandée avaient pour unique cause, d'une part, les travaux de terrassement effectués par Richelmi, ces travaux ayant en effet provoqué une décompression du sol, d'autre part, la mise en place des tirants effectuée par Intrafor Cofort, qui a entraîné un bouleversement de la structure géologique du sol ;

Attendu que Richelmi qui, dans ses conclusions du 6 janvier 1976, se présente comme le défendeur principal, anomalie procédurale trouvant vraisemblablement sa justification dans le fait, sur lequel il a été longuement insisté lors de l'audience des plaidoiries, que la compagnie l'U.A.P. mise en cause lors du référé du 10 avril 1974 est, à la fois, son propre assureur et l'assureur de Château d'Azur, conclut à sa mise hors de cause pure et simple, motif pris de ce que les dégâts constatés n'ont pu être provoqués, ni par son fait, ni par sa faute, car il a exécuté les travaux de terrassement dont il avait été chargé avec le maximum de soins et de précautions ; que, subsidiairement, il demande la désignation d'un nouvel expert afin de déterminer la part incombant, dans la réalisation des dommages, à chaque cause de désordre possible, y compris la vétusté et les vices de construction affectant les bâtiments appartenant aux hoirs A. ;

Attendu que la société Intrafor Cofort qui souligne que sa responsabilité ne peut avoir qu'une source contractuelle, conclut à sa mise hors de cause, aucune faute précise ne pouvant lui être imputée à l'occasion des travaux de pose de tirants qui lui avaient été commandés par Château d'Azur et elle-même ne pouvant répondre des responsabilités susceptibles de peser sur le constructeur en raison des dommages subis par les voisins du fait de construire ;

Attendu que dans cet état de la procédure et compte tenu de l'existence non déniée de dommages affectant la propriété des hoirs A., le problème à trancher consiste, d'une part, à déterminer au plan juridique, qui de Château d'Azur, Richelmi et Intrafor Cofort doit être considéré comme responsable de ces dommages et, d'autre part, à établir si les dommages constatés doivent être effectivement imputés à ce responsable théorique, et, dans l'affirmative, à en chiffrer le coût ;

1°/ Sur la détermination juridique de la responsabilité :

Attendu que bien que le fondement juridique de l'action des hoirs A. ne soit pas expressément énoncé, il apparaît que leur demande est fondée sur les troubles de voisinage qu'ils ont éprouvés à l'occasion de travaux effectués par Château d'Azur, propriétaire du fonds voisin ;

Attendu qu'il n'est pas contesté, qu'en l'espèce Château d'Azur, qui a fait effectuer ces travaux par Richelmi et Intrafor Cofort, a conservé la qualité de maître de l'ouvrage, en sorte qu'il était et est demeuré responsable à l'égard des tiers et notamment de ses voisins, de toutes les conséquences dommageables de ces travaux, sans qu'il puisse prétendre obliger ces tiers à rechercher et à mettre en cause la responsabilité de l'entreprise avec qui il avait traité, car ces tiers n'ont aucun lien de droit avec ladite entreprise ; que dès lors, c'est d'une manière parfaitement juridique que les hoirs A. n'ont assigné, lors de l'instance au fond, que le seul Château d'Azur qui demeure, à leur égard, leur débiteur unique, sans qu'ils aient à se préoccuper d'un éventuel recours en garantie dirigé par ce débiteur contre les exécutants des travaux, ni à connaître des moyens de défense dont le défendeur et les appelés en cause peuvent se prévaloir les uns envers les autres ; que Château d'Azur doit donc être déclaré, au plan juridique, et à l'égard des hoirs A., seul responsable du préjudice subi par ces derniers à l'occasion des travaux litigieux ;

Attendu en ce qui concerne le recours de Château d'Azur contre Richelmi que si, au plan du fait, la détermination de la responsabilité respective de ces deux parties apparaît être un pur jeu de l'esprit, puisqu'il n'est pas contesté qu'en fin de compte, c'est l'U.A.P., curieusement non présente aux débats, qui supportera les conséquences pécuniaires du préjudice causé, puisqu'elle est l'assureur commun desdites parties, il n'en est pas moins indispensable, au plan juridique, de procéder à cette détermination car ces deux défendeurs concluent tous deux à leur absence de responsabilité envers les hoirs A. et affirment ne rien avoir à payer à ces derniers, estimant que Richelmi est responsable parce que c'est lui qui a procédé aux travaux, et Richelmi estimant que c'est Château d'Azur qui est responsable car les travaux ont été commandés par ce dernier et effectués avec le maximum de soins et de précautions, en sorte qu'aucune faute ne peut lui être imputée ;

Attendu qu'il n'apparaît pas contesté que Château d'Azur et Richelmi aient été liés par un contrat de travaux, en sorte que Château d'Azur ne peut prétendre obtenir que Richelmi lui rembourse les dommages-intérêts versés aux hoirs A. que dans la mesure où il établit que cette entreprise a mal exécuté les travaux qui lui avaient été confiés ou les a exécutés dans des conditions non conformes aux règles de sa profession, et, d'une manière plus générale, n'a pas respecté les obligations contractuelles qu'il avait souscrites ;

Attendu que pour justifier son appel en garantie contre Richelmi, Château d'Azur se borne, dans son exploit du 23 octobre 1975, faisant siennes, sur ce point, les conclusions de l'expert Ancona, à indiquer que les dégâts constatés avaient eu pour cause les travaux de terrassement effectués par cette entreprise, et à l'origine d'une décompression du sol ; que, cependant, et alors que Richelmi soutient qu'il n'a fait que suivre les instructions qui lui avaient été données par le maître d'ouvrage et les architectes chargés de surveiller et de coordonner les travaux (architectes qui n'ont pas été appelés au procès) Château d'Azur n'explicite en rien dans ses écrits juridicaires, les motifs de fait et de droit sur lesquels il entend se fonder pour établir la responsabilité de Richelmi ; qu'en particulier, il ne précise pas en quoi le contrat passé avec celui-ci n'a pas été respecté, notamment en ce qui concerne les conditions dans lesquelles les travaux effectués ont entraîné une décompression du sol ; que Château d'Azur qui a la charge de la preuve sur ce point ne rapporte pas cette preuve et que son appel en garantie doit être rejeté ;

Attendu qu'au regard du recours de Château d'Azur contre Intrafor Cofort, la situation juridique est identique, ce défendeur soulignant fort judicieusement que sa responsabilité ne peut avoir qu'une source contractuelle ; que pour justifier son appel en garantie, Château d'Azur se borne, dans ce cas également, à faire siennes les conclusions du rapport Ancona et à indiquer que les dégâts allégués par les hoirs A. avaient eu pour cause la mise en place des tirants, à l'origine d'un bouleversement de la structure géologique du sol ; que, cependant, Château d'Azur n'explicite en rien, dans ses écrits judiciaires, les motifs de fait et de droit sur lesquels il entend se fonder pour mettre en cause la responsabilité de cette société ; qu'en particulier, il ne précise pas en quoi le contrat passé avec celle-ci a été violé, et notamment en ce qui concerne les fautes qui auraient pu être commises à l'occasion de l'implantation de ces tirants ; que Château d'Azur ayant la charge de la preuve, sur ce point, et aucune preuve n'étant rapportée, cet appel en garantie doit être rejeté ;

2°/ Sur l'évaluation des dommages

Attendu qu'en l'état du fait que Château d'Azur et Richelmi ont le même assureur, l'argumentation principale développée à l'encontre des hoirs A. figure dans les conclusions déposées par Richelmi, qui vient d'être mis hors de cause, alors que Château d'Azur se borne, ainsi qu'il a été dit, à une contestation de pur principe, tant dans ses conclusions de sursis à statuer que dans son appel en garantie du 23 octobre 1975 ; qu'en dépit de cette inconséquence procédurale, il apparaît conforme, à l'intérêt d'une bonne administration de la justice et au respect des droits des défendeurs, de faire bénéficier Château d'Azur des remarques formulées par Richelmi, d'autant que les hoirs A. ne tirent aucun argument de cette situation, non dépourvue de paradoxe ;

Attendu que ces conclusions se fondent essentiellement pour critiquer les conclusions du sieur Ancona sur un rapport établi le 10 mars 1975 par le Cabinet Seytre et Godard qui a assisté à l'expertise pour le compte de la compagnie U.A.P., et dont il reprend les remarques concernant,

  • d'une part, l'état de vétusté notoire de la propriété A., plus particulièrement celle du pavillon annexe qui, avant le début des travaux, présentait une fissure importante annonçant son descellement du bâtiment principal, la construction annexe au garage étant largement décollée, ainsi que cela est établi par un constat Marquet, huissier, du 7 juillet 1971, et,

  • d'autre part, le fait que les travaux de terrassement ont été conjugués avec la construction des murs de soutènement, laquelle a été réalisée par bandes à pleine fouille à partir du haut, de 2,50 m x 1,50 m, alors que les instructions prévoyaient des bandes de 5 m x 3, circonstance qui conduit le rédacteur de ce rapport à conclure qu'il ne partage pas le point de vue de l'expert sur l'origine des dommages subis ; qu'au demeurant, en ce qui concerne l'évaluation de ces derniers, ce rédacteur estime que le taux de vétusté de 20% retenu par Ancona est insuffisant et devrait être porté à 50% ;

Attendu cependant que l'expert au travers d'un rapport sérieux, fournit des explications techniques entièrement convaincantes sur les conditions dans lesquelles les garages, la suppression de la butte qui constituait le mur de soutènement de l'immeuble des hoirs A. puis la mise en place de tirants, techniquement sans défaut, ont entraîné des désordres dans le sol et une modification de celui-ci, modification qui s'est répercutée en surface et a atteint cet immeuble, en sorte que la réfection complète de la construction la plus légère s'est imposée ; qu'il y a donc lieu d'homologuer ce rapport et de rejeter la demande d'expertise sollicitée par Richelmi qui n'est pas justifiée ;

Attendu que le chiffre retenu par le rapport, soit 131 006,40 francs, n'appelle aucune critique de la part des contestants qui se bornent à souligner que l'expert a appliqué un taux de vétusté trop faible ; que cependant l'abattement de 26 201,28 francs proposé par le sieur Ancona apparaît justifié et doit être admis compte tenu des éléments suffisants d'appréciation dont le tribunal dispose en l'espèce ;

Attendu sur les dommages-intérêts que la résistance du Château d'Azur a été abusive dans la mesure où il a tenté d'éluder sa responsabilité en la rejetant sur deux entreprises à qui il avait confié les travaux, à l'origine du dommage causé, et dont il ne pouvait ignorer qu'elles étaient sans lien de droit avec les hoirs A. ; qu'il y a donc lieu d'allouer à ces derniers, compte tenu des éléments d'appréciation suffisants dont le Tribunal dispose pour évaluer le préjudice subi, la somme de 10 000 francs ;

Attendu que Château d'Azur qui succombe doit supporter les dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Joint les instances n° 272 de l'année 1974 - 1975 et 136 de l'année 1975 - 1976,

Dit et juge que la S.C.I. Résidence Château d'Azur est responsable du préjudice occasionné aux biens immobiliers des hoirs A.,

Met purement et simplement hors de cause l'entreprise Richelmi et la S.A. Intrafor Cofort,

Homologue le rapport Ancona déposé le 22 novembre 1974,

Condamne la Société civile immobilière Résidence d'Azur à payer aux hoirs A. la somme de 104 805,12 F ainsi que celle de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Composition🔗

M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Marquet, Clerissi, Marquilly av. déf. et Calvy (du barreau de Nice) av.

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