Tribunal de première instance, 29 avril 1976, Vve F. c/ S.A.M. R. J. R. et Cie l'Urbaine et la Seine.

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Abstract🔗

Accidents du travail

Employeur - Faute inexcusable - Caractère - Appréciation

Résumé🔗

Lorsqu'un employeur a été condamné pénalement à la suite d'un accident mortel du travail dont a été victime un de ses ouvriers, le caractère inexcusable de sa faute ne résulte pas du seul fait de cette condamnation ; l'accident ayant été la conséquence et la résultante d'une série de fautes tenant non pas seulement au défaut d'organisation du chantier mais à des initiatives imprudentes et difficilement prévisibles des préposés de l'employeur, celui-ci ne pouvait prévoir le danger couru par la victime ni même avoir conscience de l'existence d'un tel danger ; dès lors, la faute qu'il a commise ne présente plus le caractère d'une faute inexcusable.


Motifs🔗

Le Tribunal

Attendu que le 26 Août 1971, le sieur F., au service de la S.A.M. R., S.A. entreprise générale de bâtiment et travaux publics, dont l'assureur-loi est la Compagnie l'Urbaine et la Seine, a été victime d'un accident mortel du travail, à la suite de la chute d'un chargement de ferraille arrimé d'une manière défectueuse et qui s'est détaché d'une grue, maniée par un personnel non qualifié ;

Attendu que par arrêt du 21 Octobre 1974, la Cour d'Appel de Monaco a condamné, du chef d'homicide involontaire, R., pris en sa qualité de chef d'entreprise, G., chef de chantier, M. et C., ouvriers, qui avaient utilisé la grue ;

Attendu que par l'exploit susvisé, dame D. C. Veuve de F., a assigné les défenderesses aux fins de faire juger que cet accident a été dû à la faute inexcusable de l'employeur, au sens de l'article 30 de la loi 636 du 11 Janvier 1958, et d'obtenir paiement d'une rente annuelle et viagère égale au montant du salaire annuel réel que percevait son époux, soit la somme de 13 958,91 francs ;

Attendu que les défenderesses contestent le caractère de faute inexcusable de l'employeur et, subsidiairement, demandent que la rente à verser soit limitée à 50 % du salaire ;

Attendu que l'arrêt susvisé, en prononçant condamnation contre R., a établi à l'égard de ce dernier la preuve d'une faute, en sorte que seul demeure à juger le point de savoir si cette faute a présenté un caractère inexcusable, ce caractère ne résultant pas du seul fait d'une condamnation pénale ;

Attendu, d'autre part, que seule, doit être prise en considération la faute de R., la seconde hypothèse envisagée par l'article 30 de la loi 636, savoir la faute inexcusable de ceux que l'employeur s'est substitué dans la direction, ne pouvant être retenue en l'espèce parce qu'aux termes de cet arrêt, dont la motivation sur ce point à l'autorité de la chose jugée car elle est le soutien nécessaire du dispositif, la preuve n'est pas rapportée que R. ait délégué à un collaborateur qualifié le soin de veiller personnellement à la stricte exécution des prescriptions réglementaires destinées à assurer la protection et la sécurité du personnel, une telle délégation étant soumise à des conditions précises : être explicite, non ambiguë et portée à la connaissance de chacun des intéressés ;

Attendu que la faute inexcusable s'entend d'une faute d'une gravité exceptionnelle, dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur et de l'absence de toute cause justificative ;

Attendu que R. a été condamné pour s'être rendu coupable à tout le moins d'un défaut d'organisation de la délégation qu'il invoquait et qui a été en rapport avec le relâchement de la surveillance, lequel a facilité la commission, dans l'espace de quelques minutes, de multiples infractions, à l'origine de l'accident, soit en l'espèce : utilisation de la grue par des ouvriers n'ayant qu'une connaissance imparfaite de la manœuvre, utilisation de crochets de l'élingue non munis d'un dispositif s'opposant au décrochage accidentel de la charge, absence de consignes écrites interdisant l'utilisation de la grue et l'accès de la cabine à toute personne étrangère à la manœuvre et absence du port d'un casque protecteur par la victime, cette faute étant d'ailleurs commune à cette victime ;

Attendu que l'accident dont a été victime F. a été la conséquence et la résultante d'une série de fautes tenant non pas seulement au défaut d'organisation du chantier, mais à des initiatives imprudentes et difficilement prévisibles des préposés de R., toutes ces fautes ayant dû être nécessairement réunies pour que l'accident mortel se produise ; que R. ne pouvait donc prévoir le danger couru par la victime ni même avoir conscience qu'un tel danger existait ; que dès lors, la faute qu'il a commise ne présente pas le caractère d'une faute inexcusable ; qu'il suit de là que la demande de dame D. C. doit être rejetée ; que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Déboute la dame D. C. de ses demandes, fins et conclusions ;

Composition🔗

M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Sanita, Clerissi av. déf. et Wenzinger (du barreau de Nice) av.

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