Tribunal de première instance, 15 janvier 1976, Dame D. et Cie La Concorde c/ Cie Assurances Nationales.
Abstract🔗
Responsabilité civile
Accident - Sauveteur - Préjudice - Faute lourde (non) - Indemnisation (oui)
Résumé🔗
La faute commise par un sauveteur, lorsqu'elle n'a pas le caractère d'une faute lourde, ne peut priver le sauveteur du droit à l'indemnisation, au moins partielle, de son préjudice.
Motifs🔗
Le Tribunal
Attendu que le 7 juin 1973, à la Station Service Fina, sise avenue de la Madone, stationnait sur l'aire de distribution de carburant, placée au sommet de deux pistes déclives opposées, la voiture Mercédès 220 D, appartenant à la dame C. (assurée à la compagnie Les Assurances Nationales), mais confiée au sieur V. ; que vint se ranger parallèlement et assez près du premier, le véhicule automobile de marque Morris, propriété de la dame D., ayant pour assureur la compagnie La Concorde, conduit par le sieur T. ;
Qu'alors que le sieur V., précédemment sorti, voulut prendre son portefeuille dans le vide-poche en ouvrant la portière de gauche, la Mercédès, en raison du desserrage de son frein, se mit en mouvement dans le sens de la pente, coinçant son utilisateur entre le montant et l'extrémité du battant qui s'était encastrée dans l'aile avant droite de l'autre véhicule ;
Que sur les appels à l'aide du sieur V. accoururent les employés de la station et le sieur T., lequel s'était précédemment éloigné de sa voiture ; que pour dégager le sieur V., il fallut non seulement reculer la Mercédès mais encore la Morris dont le frein fut débloqué par le sieur T., lequel rejoignit aussitôt après les autres sauveteurs s'employant à immobiliser le premier véhicule qui, par son poids, tendait à reprendre la descente ;
Que la Morris libérée commença à dévaler la déclivité de la piste, malgré les efforts de T., qui fut renversé, légèrement blessé aux genoux et eut son pantalon déchiré, allant percuter et endommager un coupé Porsche, appartenant au sieur B. M., et la grille de clôture du jardin voisin, propriété de la S.B.M. ;
Attendu qu'après avoir réglé contre quittances subrogatives les dommages occasionnés au sieur B. et à la S.B.M. (1 492,84 francs), ainsi qu'au sieur T. la valeur de remplacement de son pantalon (145 francs) et assumé les frais de réparation de la Morris (2 530,80 francs - outre 45 francs d'indemnité d'immobilisation), ne pouvant obtenir remboursement des dépenses exposées, la dame D. agissant de concert avec sa compagnie d'assurances, la Concorde a, par l'exploit susvisé, fait assigner Les Assurances Nationales aux fins de s'entendre condamner à leur payer la somme de 4 213,64 francs en principal et celle de 1 000 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, outre les dépens ;
Attendu que les demanderesses fondent leur action en responsabilité, à titre principal, sur la convention d'assistance ayant existé entre le sauveteur, sieur T., et l'assistée, dame C., laquelle a l'obligation de réparer le préjudice subi par le premier (en réalité dame D.) à l'occasion de l'aide qu'il lui a apportée, dans des circonstances de péril qu'elle avait contribué à créer, de surcroît, et, subsidiairement, sur les règles de la gestion d'affaires ;
Attendu que la compagnie défenderesse écarte l'hypothèse de la gestion d'affaire qu'elle estime ne pas s'appliquer à la présente espèce ;
Attendu qu'en admettant l'application des principes généraux de la convention d'assistance, elle objecte que la situation dangereuse qui a existé est imputable à deux événements qui ont été le fait de l'apparent sauveteur - en premier lieu le stationnement trop rapproché de la Morris par rapport à la Mercédès sans lequel le sieur V. n'eût pas été coincé et dans l'obligation d'appeler à l'aide, et, en second lieu, l'oubli par le sieur T. d'assurer l'immobilisation de la Morris, après le déplacement de celle-ci, imprudence ou inattention qui doit être considérée comme la véritable cause du dommage global occasionné et mettre à sa charge sinon l'intégralité du moins la plus grande part de responsabilité ;
Que, faisant état des pourparlers noués avec les demanderesses postérieurement au sinistre et dans la vue de la réparation de celui-ci, la compagnie les Assurances Nationales repousse le reproche de résistance abusive et conclut au débouté de la demande de dommages-intérêts ;
Attendu qu'envisagée tant au point de vue de la gestion d'affaire que de celui de la convention d'assistance le présent litige doit trouver sa solution dans la recherche de la responsabilité du préjudice invoqué, que l'argumentation des deux parties place sur le terrain des articles 1229 et 1230 du Code civil ;
Attendu que l'examen des conditions de la réalisation du dommage fait apparaître que la cause première de la situation dangereuse ayant provoqué l'intervention de T. réside dans la négligence de V. n'ayant pas assuré l'immobilisation de la Mercédès stationnant à l'amorce d'une forte déclivité par le blocage efficace du frein ; qu'à la création de ladite situation a également contribué la décision du même conducteur d'ouvrir la portière avant gauche, qu'il pouvait constater « serrée » par la Morris, alors qu'il lui était facile d'atteindre le vide-poche par l'autre issue latérale avant, entièrement dégagée ;
Attendu, cependant, qu'à l'évidence le véhicule de la dame D. n'aurait pas été accidenté ni l'instrument du préjudice respectivement subi par le sieur T., le sieur B. et la S.B.M. si le premier avait pris garde de bloquer le frein à main de la Morris qu'il avait déplacée ;
Que ce comportement inattentif et imprudent a indéniablement concouru à la production du dommage ;
Mais attendu que cette faute, appréciée dans la chronologie des faits, nécessitant l'action du plus grand nombre de sauveteurs dans le temps le plus court pour reculer les deux véhicules et immobiliser celui que sa masse la plus grande ramenait dangereusement sur la pente de la piste, n'a pas le caractère de la faute lourde, celle qu'un homme de sens moyen ne commet pas, pouvant priver le sauveteur ou ses substitués du droit à l'indemnisation - au moins partielle ;
Attendu que l'analyse qui précède fait apparaître que la responsabilité du dommage, justement chiffré et non contesté par les parties, incombe dans la proportion des 4/5 au sieur V., substitué par la compagnie Les Assurances Nationales relevant dame C. et, pour 1/5 au conducteur de la Morris et à la dame D., assurée par la compagnie La Concorde ;
Attendu qu'il y a lieu, en conséquence, de condamner la compagnie Les Assurances Nationales à payer aux demanderesses la somme de 3 370,92 francs, en réparation du préjudice résultant pour elles des faits du 7 juin 1793 ;
Que, toutefois doit être rejetée leur demande complémentaire des dommages-intérêts car ne saurait être tenue pour une résistance abusive la contestation opposée par la compagnie défenderesse ;
Attendu qu'il convient de faire masse des dépens et de les partager à proportion des 4/5 à la charge de la défenderesse et de 1/5 à celle des demanderesses ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Reçoit l'action en responsabilité de la dame D. et de la compagnie d'assurances La Concorde ;
Déclare la compagnie Les Assurances Nationales substituée à la dame C., obligée par le sieur V., responsable à proportion des 4/5 du dommage occasionné consécutivement à l'accident survenu le 7 juin 1973, l'autre 1/5 restant à la charge de la dame D. et de la compagnie La Concorde ;
Condamne la compagnie Les Assurances Nationales à payer à ladite dame et à la compagnie d'assurances sus-désignée la somme de trois mille trois cent soixante-dix francs quatre vingt douze centimes (3 370,92 F),
Rejette la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
Composition🔗
M. François, pr., Mme Margossian, subst. gén., MMe Lorenzi et Marquet, av. déf.