Tribunal de première instance, 18 décembre 1975, IV - Trésorier Général des Finances et Administrateur des Domaines c/ S.A. Socea et S.A.M. Société Routière Colas de Monaco.

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Abstract🔗

Tierce-opposition

Exception au principe - Matière indivisible - Effets

Résumé🔗

Si la tierce opposition qui ne remet le jugement attaqué que dans les chefs préjudiciables au tiers opposant et ne profite qu'à celui-ci seul, ne remet pas en cause ce jugement à l'égard des parties entre lesquelles il a été rendu, il en va différemment en matière indivisible lorsque deux jugements ne peuvent pas s'exécuter simultanément, hypothèse dans laquelle le jugement annulé sur la tierce opposition est annulé non seulement à l'égard du tiers opposant mais aussi à l'égard des autres parties.


Motifs🔗

Le Tribunal

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance de Monaco, en date du 27 juin 1974,

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Attendu que par jugement du 27 juin 1974, le Tribunal de céans, statuant dans une instance diligentée par la société anonyme monégasque « Société Routière Colas de Monaco » , (ci-dessous Colas) à l'encontre de la société anonyme française Eau et Assainissement (ci-dessous S.O.C.E.A.), et tendant à obtenir paiement d'une somme de 159 281,73 francs, représentant le coût des travaux de revêtement effectués par Colas sur des tranchées ouvertes par Socea sur le territoire de la Principauté, a jugé que Colas ne disposait d'aucune action directe contre Socea, l'a renvoyée à appeler en cause les représentants légaux de l'Administration et lui a imparti, à cette fin, un délai de quatre mois, les dépens demeurant réservés ;

Attendu que par exploit du 30 juillet 1974, Colas a assigné le Directeur du Service de l'Urbanisme et de la Construction de la Principauté, aux fins d'obtenir condamnation de celui-ci au paiement de la somme susvisée de 159 281,73 francs et aux dépens, y compris ceux du jugement du 27 juin 1974 ;

Que par un second exploit du 8 octobre 1974, Colas a dénoncé à Socea l'assignation du 30 juillet 1974 susvisée, afin qu'il soit statué tant sur l'instance, objet du jugement du 27 juin 1974, que sur celle diligentée contre le Directeur du Service de l'Urbanisme et de la Construction ;

Attendu que par exploit du 5 novembre 1974, le Trésorier Général des Finances et, en tant que de besoin, l'Administrateur des Domaines de la Principauté de Monaco, ont assigné Colas et Socea, aux fins de former tierce opposition au jugement du 27 juin 1974, dont ils demandent la mise à néant, et de faire juger que Socea doit être condamnée à payer à Colas la somme de 159 281,73 francs que celle-ci est fondée à lui réclamer, conformément aux dispositions de l'article 91 de l'Ordonnance Souveraine n° 3647 du 9 septembre 1966 ;

Attendu que ces instances sont connexes et qu'il y a lieu de statuer à leur sujet par un seul et même jugement, après que leur jonction ait été ordonnée, ainsi que cela est demandé par la Société Colas dans ses conclusions du 18 juin 1975 ;

Attendu, au plan de la procédure, qu'ainsi que le soulignent le Trésorier Général des Finances et l'Administrateur des Domaines (ci-dessous les intervenants) dans leur exploit du 5 novembre 1974, le Directeur du Service de l'Urbanisme et de la Construction ne saurait avoir qualité juridique pour représenter l'Administration monégasque, que le jugement du 27 juin 1974 avait renvoyé Colas à saisir ; que ce défendeur doit donc d'office être mis purement et simplement hors de cause, ladite Administration étant valablement représentée à l'instance, en l'état de la tierce opposition diligentée par les intervenants ;

Attendu que cette tierce opposition est recevable en son principe, contrairement à ce que soutient Socea, qui, dans ses conclusions du 13 février 1975, conclut à son irrecevabilité, sans motiver, il est vrai, le fondement juridique de son exception ; qu'en effet, la présence aux débats des intervenants avait été jugée nécessaire par le Tribunal qui avait renvoyé Colas à appeler en cause les représentants légaux de l'Administration ; qu'en outre, les travaux effectués par Socea avaient été commandés par ladite Administration, en sorte que celle-ci pouvait être, éventuellement, poursuivie en paiement du coût desdits travaux et que d'ailleurs Socea conclut, subsidiairement, dans ses écrits judiciaires du 19 juin 1975, à la condamnation des intervenants au paiement de la somme de 159 281,73 francs ; qu'il est ainsi démontré que les intervenants ont un intérêt à agir, dans une instance sur laquelle il a été statué hors leur contradictoire, car ils n'y étaient pas partie et n'y étaient pas représentés, conditions indispensables, à la recevabilité d'une tierce opposition ;

Attendu en fait que Socea a été chargée, en qualité d'adjudicataire, selon procès-verbal d'adjudication du 19 septembre 1970 approuvé le 26 novembre 1970, et pour le compte du syndicat intercommunal du canal de la Moyenne-Corniche (ci-dessous le syndicat) chargé de la réalimentation en eau des communes du littoral, d'effectuer un certain nombre de travaux sur le territoire de la Principauté de Monaco, correspondant à ceux désignés dans le cahier des prescriptions spéciales du projet général, daté du 2 mars 1970, sous le chiffre 1° : « Renforcement et extension des conduites d'adduction entre le réservoir de la Madone Noire et la Commune de Menton » , aux troisième et quatrième parties, savoir :

« 3e partie :  Renforcement d'un tuyau de conduite existante par une nouvelle conduite de diamètre et de pression de service supérieure, sur le territoire de la commune de Cap d'Ail et de la Principauté de Monaco, au lieu-dit » Les Salines « ;

» 4e partie :  Renforcement et prolongement de la conduite jusqu'aux réservoirs des Moneghetti sur le territoire de la Principauté de Monaco, entre les réservoirs des Jardins Exotiques et des Moneghetti « ;

Attendu que l'article 30 du cahier des prescriptions spéciales, relatif à la » Réfection provisoire et définitive des chaussées et trottoirs « précisait que l'entrepreneur (Socea) avait » l'entretien des réfections provisoires sur l'emplacement des voies empruntées jusqu'à l'exécution de la réfection définitive « et que cette dernière » devait être exécutée par l'entrepreneur dans le cadre des travaux, sur l'ensemble des voies empruntées « ; que cet article définissait les conditions dans lesquelles la réfection définitive devait intervenir et ajoutait, dans un dernier alinéa : » l'entrepreneur doit, en outre, se conformer aux prescriptions particulières des services intéressés, contenues dans les autorisations de voirie « ;

Attendu que le 11 octobre 1971, une réunion avait lieu, au centre administratif de Monaco, afin que soient déterminées, en présence des représentants de Socea, et par les services administratifs compétents français et monégasques, les conditions dans lesquelles seraient exécutés les travaux à effectuer sur le territoire de la Principauté et qui consistaient d'une part (2e partie) dans l'établissement d'une conduite de 450 mètres depuis la frontière de Cap d'Ail, bord de mer jusqu'à la galerie d'accès reliant le poste vertical (en passant par le boulevard Charles III le Pont Wurtemberg et le boulevard Rainier III) et, d'autre part (4e partie), dans la pose d'une conduite entre le réservoir du Jardin Exotique et le réservoir des Moneghetti ; qu'il était notamment décidé que Socea disposerait de 115 jours ouvrables pour exécuter ces travaux, savoir :

  • du 18.10.1971 au 15.11.1971

  • du 22.11.1971 au 14.12.1971

  • du 3.01.1972 au 25.03.1972

Que les tranchées qui n'étaient, en principe, autorisées que sur une longueur de 30 mètres à la fois, pouvaient être portées à 50 mètres, mais devaient être remblayées de 50 mètres en 50 mètres et recevoir un revêtement provisoire ; qu'il était enfin précisé que Socea devait demander au plus vite les autorisations nécessaires pour travailler en Principauté (sic) ;

Attendu que le 13 octobre 1971, Socea adressait à la Direction de l'Urbanisme à Monaco une demande d'ouverture des deux chantiers susvisés, pour le 18 octobre suivant ; que l'autorisation sollicitée était accordée le 5 novembre 1971, sous forme d'une lettre signée par le Directeur du Service de l'Urbanisme et de la Construction, laquelle précisait notamment : » Cette autorisation est accordée sous réserve des conditions imposées par l'Ordonnance (Souveraine n° 3647 du 9 septembre 1966, concernant l'Urbanisme, la construction et la voirie) et notamment des articles 77 - 90 - 91 - 113... ; elle est donnée en outre sous réserve... des conditions particulières suivantes :

« 3. - Tous les travaux... devant être arrêtés et les tranchées ouvertes devront être entièrement remblayées et pourvues d'un revêtement provisoire en matériaux enrobés à froid pendant les périodes d'interruption des travaux, soit :

  • du 15 novembre au 20 novembre 1971, inclus,

  • du 14 décembre 1971 au 2 janvier 1972, inclus,

» 4. - Ces tranchées devront être remblayées de 50 mètres en 50 mètres avec du tout venant de carrière et recevoir un revêtement provisoire en matériaux enrobés à froid... « ;

Attendu que Socea exécutait les travaux qui lui incombaient ; que ceux correspondant à la troisième partie faisaient l'objet d'un procès-verbal de réception provisoire du 14 février 1972, qui était signé par les représentants du syndicat intercommunal du canal de la moyenne-corniche, le représentant de la Compagnie générale des eaux de Nice et un technicien du service du génie rural, et qui constatait que les travaux avaient été achevés le 5 février 1972 ; que le procès-verbal de réception définitive était signé, dans les mêmes conditions, le 5 février 1973 ; que les travaux correspondant à la quatrième partie, ont fait l'objet d'un procès-verbal de réception provisoire du 22 mars 1972, la date d'achèvement étant fixée au 18 mars 1972 et que le procès-verbal de réception définitive est intervenu le 18 mars 1973 ;

Attendu d'autre part que Colas est titulaire d'un marché de travaux général passé avec la Principauté de Monaco, à une date non précisée, à la suite d'un appel d'offres portant sur les travaux de construction et d'entretien du réseau routier monégasque, ledit marché lui conférant l'exclusivité des travaux à exécuter sur le domaine public de l'État, savoir :

1° travaux d'entretien de l'ensemble des voies et places publiques...

2° travaux neufs intéressant ces voies et places lorsqu'ils constituent l'accessoire de marchés de T.P. dont le montant total n'excède pas 500 000 francs (pour les sommes supérieures Colas conservant l'exclusivité des travaux ci-après : binder, couche de roulement, revêtement de trottoirs),

3° travaux visés au chiffre 1 ci-dessus, à exécuter sur la voie publique sur ordre de l'Administration pour le compte des services publics, des sociétés concessionnaires et des propriétaires riverains ;

Attendu que Colas recevait, concernant les travaux effectués par Socea, trois ordres de service, aux fins de réfection de tranchées :

  • ordre 1065 du 11.1.1972, reçu le même jour, les travaux à exécuter devant avoir lieu sur le boulevard de Belgique / Boulevard Charles III sur les tronçons désignés par le service ;

  • ordre 1107 du 13.3.1972, reçu le même jour, pour des travaux à effectuer boulevard Rainier III (du Pont Wurtemberg à l'avenue Pasteur),

  • ordre 1108, du 8.3.1972, reçu le 13.3.1972, pour des travaux à effectuer boulevard de Belgique, du Granada à la rue Bosio, y compris, et Place des Moneghetti ;

Attendu que ces travaux ont été exécutés par Colas et ont donné lieu à l'établissement d'une facture du 14 décembre 1972 d'un montant total de 159 281,73 francs, qui mentionne notamment ;

  • boulevard de Belgique - attachement n° 40 du 18 novembre 1971 - Régie pour réfection provisoire,

  • boulevard de Belgique entre Eden Tower et Musée de l'Homme - métrés n° 6 et 7 du 28 janvier 1972,

  • boulevard Charles III entre la frontière et le Pont Wurtemberg - attachement n° 44 du 23 décembre 1971 - Régie pour réfection provisoire - Métrés n° 8 - 10 - 11 du 23 février 1972,

  • boulevard de Belgique entre l'Eden Tower et le Garage Granada - métré n° 12 du 24 février 1972,

  • boulevard Rainier III au Pont Wurtemberg - métré n° 16 du 27 mars 1972,

  • boulevard de Belgique entre l'escalier du Musée de l'Homme et le tunnel de l'Hôpital - métré n° 17 et 18 du 27 mars 1972,

  • boulevard Charles III entre la frontière et le Pont Wurtemberg - métré n° 9 du 23 février 1972,

  • boulevard de Belgique, face le n° 23 - métré n° 19 du 27 mars 1972,

  • rue de Vourette - tronçon Monaco - métré n° 20 du 27 mars 1972,

  • boulevard Jardin Exotique entre rue Vourette et Bosio, place des Moneghetti - métré n° 21 du 27 mars 1972,

  • rue Bosio - métré n° 27 et 28 du 28 avril 1972,

  • boulevard de Belgique entre rue Bosio et n° 28 - métré n° 29 et 30 du 23 mai 1972,

  • rue Vourette - tronçon Beausoleil - métré n° 31 du 23 mai 1972 ;

Attendu que cette facture, adressée à Socea, était refusée par cette dernière ; que Colas l'assignait en paiement le 4 février 1974 et que le Tribunal rendait le 27 juin suivant le jugement ci-dessus rapporté ;

a) Attendu que Colas maintient, au principal, sa demande à l'encontre de Socea, et, à titre subsidiaire, et pour le cas où Socea ne serait pas condamnée, réclame paiement de la somme de 159 281,73 francs aux intervenants, qui lui ont donné l'ordre d'effectuer les travaux auxquels elle a procédé, lesquels doivent, en tout état de cause, lui être payés ;

b) Attendu que Socea conteste la demande dirigée contre elle en se fondant sur plusieurs moyens :

1er moyen :

Le jugement du 27 juin 1974, non frappé d'appel par Colas, est devenu définitif dans les rapports entre celle-ci et Socea, en sorte que la demande de paiement résultant de l'assignation du 8 octobre 1974 doit être rejetée ;

2e moyen :

L'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966 concernant l'Urbanisme, la Construction et la Voirie et spécialement l'article 91 dont le dernier alinéa est ainsi rédigé : » La date de réception coïncidera avec la date de réfection au compte du permissionnaire par une entreprise spécialisée désignée par le service des travaux publics « , ne s'appliquent pas aux » travaux qui sont exécutés sur le sol des voies publiques, non dans un intérêt particulier, mais (à ceux qui sont exécutés) dans l'intérêt même de la Principauté « , ce qui était le cas de l'espèce, les canalisations établies par Socea pour le compte du syndicat étant destinées également à la Principauté ; que Socea en déduit, d'une part, que l'exécution de ces travaux devait être exclusivement régie par les dispositions du marché qu'elle avait passé avec le syndicat, et, d'autre part, que la lettre du 5 novembre 1971 à elle adressée par le directeur de l'Urbanisme en réponse à sa demande d'autorisation du 13 octobre, ne constituait pas une autorisation de voirie mais une autorisation d'ouverture d'un chantier de travaux publics, prévue lors de la réunion du 11 octobre 1971 ;

3e moyen :

Socea ne pouvait, dès lors, être tenue de supporter des travaux qu'elle n'avait pas commandés et demeurait seule chargée, aux termes de son marché, de la réfection définitive de la voie publique après remblaiement de la tranchée, opération à laquelle elle a procédé et qu'elle n'a donc pas à payer une seconde fois ;

4e moyen :

Dans l'hypothèse où l'article 91 serait applicable à des travaux exécutés non dans un intérêt particulier, mais pour le compte de la Principauté, Socea soutient que dans sa lettre du 13 octobre 1971 elle n'a pas demandé une autorisation pour son propre compte mais pour le compte du syndicat, lequel devait être appelé en cause par les intervenants ;

Que Socea conclut donc au rejet des demandes dirigées contre elle ;

c) Attendu que les intervenants soutiennent les moyens suivants :

1er moyen :

Socea, qui a la qualité juridique de permissionnaire au sens de l'article 91 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966 - laquelle, contrairement à ce que soutient Socea dans son deuxième moyen, s'applique aussi bien aux travaux effectués pour le compte de l'État monégasque que pour celui de simples particuliers - avait l'obligation en vertu du principe que nul n'est censé ignorer la loi, de se soumettre au dernier alinéa de cet article 91 qui prévoit que la réfection doit être effectuée par une entreprise spécialisée, désignée par le service des travaux publics, et devait donc payer le coût de cette réfection à la société Colas, dont elle a parfaitement connu et admis l'existence, le rôle et les conditions d'intervention, puisque les attachements de métrés de travaux ont été établis à son contradictoire et qu'elle les a signés ;

2e moyen ;

En conséquence, l'obligation où se trouve Socea de payer Colas présente un caractère légal et réglementaire, puisqu'elle était la condition de l'ouverture du chantier et que c'est à bon droit que Colas l'a assignée directement sans le contradictoire de l'administration qui est sans lien de droit avec Socea ;

3e moyen :

La thèse de Socea, qui soutient avoir elle-même procédé à la réfection définitive, aboutit à soutenir que cette réfection a été effectuée à deux reprises successives, la première par Socea, la seconde par Colas ; que cette thèse ne peut être admise car Socea n'a pas protesté, alors qu'elle se trouvait encore sur le chantier, lorsque Colas est intervenu et qu'elle a signé les attachements de métrés de ces travaux ;

Attendu qu'en réponse à ce dernier moyen, Socea a conclu le 19 septembre 1975 qu'elle a effectivement procédé tant à la réfection provisoire qu'à la réfection définitive de la voie publique, ainsi qu'il résulte du procès-verbal de réception provisoire des 14 février et 22 mars 1972, et que si Colas a effectué, de son côté, la réfection définitive, il ne pouvait s'agir que du renouvellement des travaux qu'elle avait elle-même effectués ; que Socea indique, par ailleurs, que le décompte de Colas fait mention de travaux provisoires, alors que ces derniers n'incombaient pas à cette société mais à Socea ;

Attendu en ce qui concerne la demande principale de Colas qu'il ne saurait être contesté que cette société a bien effectué les travaux qui font l'objet de son décompte du 14 décembre 1972 et qu'elle a agi sur instructions de l'Administration monégasque, dans le cadre du marché de travaux général dont elle bénéficie à titre exclusif ; qu'elle est donc en droit de prétendre au paiement de la somme qu'elle réclame, la question à résoudre étant de savoir qui, de Socea, contre laquelle elle conclut à titre principal, ou de l'Administration, à qui elle réclame paiement à titre subsidiaire, sera tenue de lui verser cette somme ;

Attendu, sur le premier moyen soulevé par Socea, que si la tierce opposition, qui ne remet en question le jugement attaqué que dans les chefs préjudiciables au tiers opposant et ne profite qu'à lui seul, ne remet pas en cause ledit jugement lequel conserve, en principe, ses effets et produit l'autorité de la chose jugée entre les parties à l'égard de qui il a été rendu, il en va différemment en matière indivisible, lorsque les deux jugements ne peuvent pas s'exécuter simultanément, hypothèses dans laquelle le jugement annulé sur la tierce opposition est annulé non seulement à l'égard du tiers opposant, mais aussi à l'égard des autres parties ; qu'ainsi, Socea ne peut, en l'état, soutenir qu'il a été définitivement jugé qu'il n'y a aucun lien de droit entre Colas et elle, cette disposition pouvant être annulée, au cas où le Tribunal jugerait indivisible le litige opposant Colas, Socea et les intervenants, à la suite de la tierce opposition de ces derniers ;

Attendu sur le second et le troisième moyen soulevés par Socea et les deux premiers moyens des intervenants :

Attendu qu'aucune disposition de l'Ordonnance Souveraine 3647 du 9 septembre 1966 ne permet de soutenir que la réglementation édictée par ce texte ne s'impose qu'aux seuls particuliers et, spécialement en ce qui concerne l'article 91 qui traite du remblaiement (provisoire) et de la réfection (définitive) des tranchées, que ces prescriptions ne s'appliquent pas aux travaux qui sont exécutés sur le sol des voies publiques ; que cette ordonnance, de caractère réglementaire, a pour objet de définir les mesures d'application de l'Ordonnance-Loi 674 du 3 novembre 1959, concernant l'urbanisme, la construction et la voirie, et que l'article 91 ne fait aucune différence entre les remblaiement et réfection de tranchées, que celles-ci aient été creusées sur des voies publiques ou des voies privées, dès l'instant que les travaux ont été effectués par des permissionnaires, c'est-à-dire par des entreprises ayant été autorisées à cette fin par le service administratif compétent ;

Attendu dès lors que SOCEA ne peut soutenir qu'elle n'avait d'autre obligation que celle de respecter le cahier des charges l'unissant au syndicat, et cela, d'autant que, dûment informée à la suite de la réunion du 11 octobre 1971, elle savait qu'elle était tenue, pour des travaux à effectuer sur un territoire indépendant de la France, de se soumettre à la réglementation instaurée en la matière dans la Principauté, obligation qui lui était rappelée dans le dernier alinéa de l'article 32 de son cahier des charges ; qu'elle n'a d'ailleurs pas manqué d'adresser au Directeur de l'Urbanisme la demande qu'elle devait lui transmettre sans retard, le procès-verbal de cette réunion précisant en effet : » l'Entreprise est invitée à demander au plus vite les autorisations nécessaires pour travailler en Principauté « et » Monsieur V. (chef du service de l'Urbanisme) ... lui rappelle qu'elle devra lui adresser une demande pour l'ouverture du chantier " ; que, d'autre part, Socea ne peut davantage soutenir que la lettre du 5 novembre 1971 ne constitue pas une permission de voirie, mais une autorisation d'ouverture d'un chantier de travaux publics, puisque celui-ci comportait essentiellement des travaux à exécuter sur les voies publiques de la Principauté et qu'il était soumis à une réglementation très stricte quant aux conditions dans lesquelles il devait être conduit ;

Attendu, cependant, que contrairement à ce que soutiennent les intervenants ni l'article 91 de l'Ordonnance susvisée, ni la permission de voirie du 5 novembre 1971 ne suffisent à eux seuls à créer à la charge de Socea une obligation légale et réglementaire de faire exécuter les travaux de réfection par la société Colas ; qu'en effet, si le dernier alinéa de l'article 91 indique bien que la réfection doit être effectuée par une entreprise spécialisée, désignée par le service des travaux, ce texte ne fait aucune référence à la société Colas, ni au marché d'exclusivité dont cette société bénéficie en la matière, en sorte qu'il n'était pas interdit à Socea de penser qu'elle-même pouvait être désignée en qualité d'entreprise spécialisée, et cela d'autant plus, d'une part, que l'article 32 du cahier des prescriptions spéciales du 2 mars 1970 prévoyait qu'elle devait effectuer les réfections provisoires et la réfection définitive des chaussées, et, d'autre part, que la permission de voirie, qui avait cependant précisé les conditions dans lesquelles devait être réalisé le revêtement provisoire, ne faisait aucune allusion à la réfection définitive, ni aucune mention de la société Colas ;

Attendu qu'en l'état, les parties, savoir Colas et les intervenants, d'une part, et Socea, d'autre part, se trouvent séparées par un problème de pur fait, celui de savoir si les travaux de réfection définitive ont été effectués à deux reprises, une première fois par Socea et une deuxième fois par Colas ; que Socea soutient pour sa part qu'en application de l'article 32 de son cahier des charges, elle a effectué les travaux de réfection définitive, lesquels ont fait l'objet d'un procès-verbal de réception provisoire et définitive, en sorte que si Colas a effectué ces travaux, ce que Socea ne soutient d'ailleurs pas d'une manière formelle, Colas n'a fait que recommencer des travaux qu'elle-même avait déjà exécutés et qu'elle n'a donc pas à payer ; que de leur côté, les intervenants affirment que la réfection définitive a été l'œuvre de Colas seule et que les travaux ont été effectués non seulement sans que Socea proteste, mais encore au contradictoire du représentant de cette société, lequel à contresigné les attachements mentionnant les métrés des surfaces refaites et ci-dessus rapportés ;

Attendu qu'en l'état des communications faites par les parties et notamment du décompte des travaux établi par Colas le 14 décembre 1972, il apparaît tout d'abord que Colas a été conduit à effectuer, aux lieu et place de Socea, des travaux de réfection provisoire qui incombaient à cette société, en l'état du cahier des charges et de la permission de voirie ; que les dates auxquelles ils ont eu lieu, les premiers effectués boulevard de Belgique, le 18 novembre 1971, c'est-à-dire la veille de la Fête Nationale, les seconds, boulevard Charles III, le 23 décembre 1971, c'est-à-dire la veille des Fêtes de la Noël, démontrent que ces travaux correspondaient à l'interruption des chantiers imposée par la permission de voirie, du 15 au 20 novembre 1971 et du 14 décembre 1971 au 2 janvier 1972, et à la nécessité de remblayer provisoirement les tranchées ouvertes ; qu'il apparaît qu'en l'espèce, Socea, qui, relevant ce fait dans ses conclusions du 19 septembre 1975, se borne à le qualifier d'anomalie, non pas parce qu'elle conteste que ces travaux aient bien été réalisés par Colas mais parce que l'Administration avait rappelé dans ses conclusions que la réfection provisoire n'incombait pas à cette société, a, à tout le moins, accepté que le remblaiement provisoire soit effectué par la société Colas, soit qu'elle ait été hors d'état d'y procéder elle-même, soit qu'elle ait préféré s'adresser à cette société ; qu'ainsi, elle ne peut contester devoir supporter le coût des travaux ainsi effectués en régie ;

Attendu en ce qui concerne la réfection définitive que, pour la 3e partie (boulevard Charles III - Pont Wurtemberg et boulevard Rainier III) ces travaux ont donné lieu aux attachements suivants :

  • n° 9 : du 23.2.1972

  • n° 8 - 10 - 11 : du 23.7.1972

  • n° 16 : du 23.3.1972

et pour la 4e partie (du Jardin Exotique au Réservoir des Moneghetti) aux attachements suivants :

  • n° 6 et 7 : du 28.1.1972

  • n° 12 : du 24.2.1972

  • n° 17 et 18 : du 27.3.1972

  • n° 19 : du 27.3.1972

  • n° 20 : du 27.3.1972

  • n° 21 : du 27.3.1972

  • n° 27 et 28 : du 28.4.1972

  • n° 29 et 30 : du 23.5.1972

  • n° 31 : du 23.5.1972

sans que le décompte du 14 décembre 1972 établisse la date exacte à laquelle lesdits travaux ont été effectués, mais pouvant être présumé qu'ils ont été terminés au plus tard, à la date indiquée par chaque attachement ;

Attendu que Socea se fonde sur le procès-verbal de réception provisoire pour la 3e partie, qui fait état d'un achèvement des travaux à la date du 5 février 1972, pour soutenir que Colas n'a pu intervenir qu'après qu'elle-même ait effectué la réfection définitive, puisque les deux premiers en date de ses attachements (9 et 8, 10 et 11) sont datés du 23 février suivant ;

Attendu cependant en ce qui concerne la quatrième partie qu'il apparaît que la réception provisoire fixe au 18 mars 1972 la date d'achèvement des travaux, alors que Colas avait déjà établi les attachements n° 6 et 7, du 28 janvier 1972 et n° 12 du 24 février suivant, ce qui prouve que Colas est intervenu sur un chantier en cours d'exécution et en présence de Socea ;

Attendu dès lors que compte tenu, d'une part, de ce que Socea n'a pas réalisé la totalité de la réfection définitive, puisque les deux séries de travaux effectués les 28 janvier et 24 février 1972 l'ont été par Colas et ont été réalisés à sa connaissance car le chantier n'était pas terminé, la réception provisoire ayant fixé au 22 mars suivant la date de terminaison et, d'autre part, de ce que l'ensemble des attachements relatifs aux travaux visés au décompte du 14 décembre 1971 a été signé par les représentants de Socea, affirmation soutenue par les intervenants dans leurs conclusions du 18 juin 1975 et reprise dans leurs conclusions du 20 octobre suivant, et qui, n'ayant jamais été démentie par Socea dans ses écrits judiciaires, doit être considérée comme admise par cette société, il n'apparaît pas possible d'admettre la thèse de cette dernière, selon laquelle Colas aurait recommencé des travaux qu'elle-même venait, et pour partie seulement, de terminer ; qu'en effet la circonstance que les attachements aient été signés par Socea ne peut s'expliquer que parce que cette société reconnaissait que Colas avait travaillé pour son compte, étant observé qu'aucun argument déterminant ne peut être tiré des deux procès-verbaux de réception provisoire des travaux car ceux-ci ont été établis par des autorités ou fonctionnaires français qui n'avaient pas compétence pour apprécier si la réfection définitive avait été réalisée conformément à la réglementation monégasque, seule applicable en la matière ; qu'ainsi le coût de ces travaux doit être pris en charge par Socea, car ceux-ci ont été réalisés à la connaissance et pour le compte de cette société ;

Attendu en ce qui concerne le quatrième moyen développé par Socea, que celle-ci ne saurait être admise à soutenir que les intervenants avaient l'obligation d'appeler en cause le syndicat pour le compte duquel elle effectuait les travaux, une telle obligation ne reposant sur aucun fondement légal ou conventionnel, alors qu'elle-même, à qui l'opportunité et l'éventualité d'un tel appel en cause étaient offerts, n'a pas estimé devoir y procéder ; que ce moyen doit donc être rejeté ;

Attendu en conséquence, qu'il y a lieu de faire droit à la tierce opposition des intervenants qui a permis d'établir que les travaux litigieux ont été effectués par Colas à la connaissance et pour le compte de Socea ; que le jugement du 27 juin 1974 doit, en conséquence et à raison de l'indivisibilité des instances, être annulé dans la partie où il a décidé que Colas ne disposait d'aucune action directe contre Socea ; que Socea doit être condamnée à payer à Colas la somme de 159 281,73 francs qui n'est l'objet d'aucune discussion ; que Colas doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts car elle ne rapporte pas la preuve que la résistance de Socea a été abusive ; que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Joint à l'instance 274/1974, les instances 32, 97 et 136/1974, et statuant à leur sujet par un seul et même jugement,

Met purement et simplement hors de cause Monsieur le Directeur de l'Urbanisme et de la Construction,

Déclare recevable la tierce opposition du Trésorier Général des Finances et de l'Administrateur des Domaines de la Principauté de Monaco,

Annule la partie du jugement du 27 juin 1974 qui a dit que la société Routière Colas de Monaco ne disposait d'aucune action directe contre la société anonyme française Eau et Assainissement,

Condamne la société française des eaux et assainissement à payer à la société Routière Colas de Monaco la somme de cent cinquante-neuf mille cent quatre-vingt un francs soixante-treize centimes (159 281,73 F) avec intérêts de droit du 30 juillet 1974 ;

Déboute la Société Routière Colas de Monaco de sa demande de dommages-intérêts contre la société anonyme française Eau et Assainissement,

Dit n'y avoir lieu à prononcer condamnation contre le Trésorier Général des Finances et Monsieur l'Administrateur des Domaines de la Principauté de Monaco,

Composition🔗

M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Marquilly, Lorenzi, Marquet av. déf., Casanova (du barreau de Draguignan) et de Font-Réaulx (du barreau de Paris) av.

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