Tribunal de première instance, 23 janvier 1975, D. c/ S.A.M. Radio-Monte-Carlo
Abstract🔗
Compétence civile
Contrat de travail - Clause inhérente au contrat - Interprétation de contrat - Tribunal de Première Instance - Incompétence (oui)
Résumé🔗
Lorsqu'une demande s'analyse en une action en réparation du préjudice qui résulterait de l'inobservation ou de la violation d'une clause inhérente à un contrat de travail ou qui en aurait constitué un accessoire nécessaire, une telle action, qui implique l'interprétation du contrat, est de la compétence générale et exclusive du Tribunal du Travail ; le Tribunal de Première Instance est donc incompétent pour en connaître.
Motifs🔗
LE TRIBUNAL,
Attendu que R., H. D. a été engagé par la Société Radio-Monte-Carlo (ci-après R.M.C.) en qualité de chef de son service commercial à compter du 1er juin 1946 son contrat faisant l'objet de 7 révisions successives d'Avril 1949 à Novembre 1965 ; qu'il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite le 10 février 1967 ; qu'au mois d'Avril 1969 les services fiscaux français ont entrepris à son encontre le recouvrement d'un rappel d'imposition pour les années 1964, 1965, 1966 et 1967 d'un montant de 201.565, 10 francs ; qu'il a formé un recours en annulation contre la décision qui lui avait été notifiée et que par jugement du 26 octobre 1973 le Tribunal Administratif de Nice a rejeté sa réclamation ;
Attendu qu'il expose que R.M.C. lui a écrit à la date du 8 avril 1950 : « comme suite à votre note du 1e avril, nous vous informons qu'au cours des séances de la commission des traités des 15, 16 et 17 février 1946, la Délégation française a par une interprétation libérale de l'article 6 de la Convention du 14 avril 1945 concernant la répression des fraudes fiscales décidé d'étendre au personnel de la Société Radio-Monte-Carlo le bénéfice de l'exception prévue par ce texte en faveur des fonctionnaires, agents et employés des services publics de la Principauté. Il y aurait lieu d'écrire dans ce sens au Percepteur des Contributions Directes en indiquant que vous avez été engagé à Radio-Monte-Carlo le 1er juin 1946 », et, le 1er juillet 1969 : « je vous confirme que vous avez bien été engagé à Radio-Monte-Carlo en qualité de chef de service commercial depuis le 1er juin 1946 ; en raison de la nature du contrat vous liant à Radio-Monte-Carlo, vous avez bénéficié de l'assimilation aux cadres français détachés en Principauté de Monaco et des avantages fiscaux accordés par le Ministère des Finances à ces fonctionnaires ; d'ailleurs en application de l'accord donné par le Ministère des Finances, notre Société n'a pas eu à faire la déclaration de vos appointements » ; que l'affirmation à plusieurs reprises par l'employeur de l'exemption fiscale au regard de la législation française ne peut être considérée que comme un élément du contrat faisant partie intégrante de celui-ci et constituant une condition essentielle d'engagement sans laquelle il n'aurait pas traité ; que R.M.C., étroitement contrôlée par le Gouvernement français, a fait l'objet à son insu d'un redressement fiscal auquel elle ne paraît pas avoir résisté par voie contentieuse et semble s'être soumise avec complaisance, à la suite duquel des poursuites ont été engagées contre lui par les services fiscaux en dépit de sa domiciliation à Monaco dont il justifie ; qu'en vertu d'une saisie-arrêt pratiquée à leur requête, et compte tenu des impositions annuelles, ses ressources sont réduites, jusqu'à extinction de ses effets, à une somme de 5 200 francs par an ;
Que soutenant que la disparition a posteriori d'une clause essentielle du contrat de travail lui assurant l'exonération fiscale engage la responsabilité contractuelle de l'employeur qui doit, dès lors, être tenu à réparation du préjudice subi il a, par l'exploit susvisé, assigné R.M.C. pour s'entendre condamner à lui payer : 1° la somme de 201 565,10 francs pour remboursement des impôts mis à sa charge en violation du statut promis : 2° celle de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation des divers chefs du préjudice qui lui a été occasionné ;
Attendu que R.M.C. soulève l'incompétence du Tribunal pour connaître d'une demande mettant en cause aussi bien les conventions franco-monégasques en matière fiscale que son statut à l'égard du fisc français, subsidiairement, l'irrecevabilité d'une telle demande faute de qualité pour agir, les relations contractuelles ayant cessé depuis 1967, et en l'absence de justification par le demandeur à son égard d'un intérêt légitimement protégé, et demande au Tribunal, à titre très subsidiaire, de se déclarer incompétent pour statuer sur la responsabilité de l'employeur et de dire en tout cas le sieur D. mal fondé à invoquer tant sa responsabilité contractuelle que sa responsabilité quasi-délictuelle ; qu'elle conclut, en conséquence, à son débouté et sollicite reconventionnellement sa condamnation à lui payer la somme de 3 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure téméraire et malveillante ;
Attendu qu'elle fait valoir pour sa part, qu'il est constant que le demandeur, qui avait été engagé pour démarcher, à partir d'un bureau sis à Paris, la clientèle française d'annonceurs publicitaires, a bénéficié jusqu'en 1964 d'une interprétation libérale des conventions franco-monégasques aux termes desquelles son fisc national l'a dispensé de toute déclaration d'impôt ; que cependant son contrat de travail n'a été que l'occasion de bénéficier de ces avantages et n'a nullement comporté les garanties auxquelles il se réfère ; que par ailleurs le problème fiscal soulevé entre les services français et elle n'a pu avoir aucune incidence directe sur la situation personnelle du sieur D. et que, dès lors, celui-ci ne saurait fonder ses demandes sur une responsabilité contractuelle ou quasi-délictuelle ;
Attendu que dans ses conclusions du 12 décembre 1974 le sieur D. fonde juridiquement sa demande sur l' « application d'un contrat de travail » ;
Attendu que cette demande s'analyse ainsi en une action en réparation du préjudice qui résulterait de l'inobservation ou de la violation d'une clause inhérente au contrat de travail qui l'a lié à R.M.C., ou qui en aurait constitué un accessoire nécessaire ;
Attendu que les garanties invoquées par le demandeur devant être, aux termes de son argumentation, la conséquence nécessaire et directe du contrat de louage de services ayant existé entre les parties, une telle action, qui implique l'interprétation dudit contrat, ressortit à la compétence générale et exclusive du Tribunal du Travail définie par l'article 1er de la loi n° 446 modifiée du 16 mai 1946 ;
Attendu qu'il suit, sans qu'il y ait lieu d'avoir égard aux autres moyens soulevés par R.M.C., que le Tribunal doit se déclarer incompétent pour en connaître en laissant à la charge du demandeur les dépens de la présente procédure ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Dit et juge que la demande du sieur D. relève de la compétence d'attribution du Tribunal du Travail :
En conséquence se déclare incompétent pour en connaître ;
Composition🔗
M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Marquilly, Marquet av. déf. et Calvy (du barreau de Nice) av.
Note🔗
Ce jugement a été confirmé par arrêt de la Cour d'Appel en date du 16 juin 1975.