Tribunal de première instance, 27 juin 1974, Dame Vve N. c/ dame J.

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Abstract🔗

Action en Justice

Fondement juridique - Nécessité

Résumé🔗

Tout demandeur est tenu de préciser, au moins implicitement, le fondement juridique de son action. Ainsi une femme ne saurait prétendre assigner la maîtresse de son mari en paiement de dommages-intérêts au seul prétexte que son mari s'est ruiné au profit de celle-ci ; faute par elle de donner à sa demande une base juridique, sa carence ne saurait être suppléée par les juges.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que par l'assignation susvisée, la demanderesse a assigné la dame E. J. dont les pièces de la procédure établissent qu'elle a eu comme qualités :

a) celle d'épouse putative du sieur R. N., époux de la demanderesse, cette putativité ayant duré du 2 février 1946, date du mariage N. - J., jusqu'au 28 janvier 1961, date du jugement ayant déclaré nu ! ce mariage et ayant été admise par un arrêt de la Cour d'Appel de Bruxelles du 8 octobre 1963 ;

b) celle d'exécutrice testamentaire de R. N., décédé le 5 juin 1972, en l'état d'un testament en date du 19 août 1970, la défenderesse ayant renoncé, suivant déclaration du greffe du 3 août 1972, à tous les droits dont elle pouvait bénéficier dans la succession de R. N. ;

aux fins pour ladite dame J. d'entendre :

1° constater que la demanderesse est bien l'épouse légitime de R. N. ;

2° constater que le divorce entre la demanderesse et N., obtenu à Reno (U.S.A.) le 25 janvier 1946 et le remariage de N. avec la défenderesse ont été successivement déclarés inopposables et nuls par deux jugements du Tribunal de Bruxelles, en date du 28 novembre 1958 et du 4 février 1969 ;

3° constater que par jugement du 9 janvier 1970, confirmé par une décision rendue le 29 mars 1972 par le Tribunal de première instance de Bruxelles, la demanderesse s'est vue attribuer une pension alimentaire liquidée à :

  • 14 000 F belges par mois, soit environ 1 500 F français, pour la période du 19 juillet 1965 au 25 juillet 1967,

  • 10 000 F belges par mois, soit environ 1 100 F français, à partir du 26 juillet 1967,

le tout avec intérêts de droit, jusqu'au décès de N. ;

4° constater que les arriérés liquidés de cette pension s'élèvent, à l'heure actuelle, à 130 000 F français :

5° s'entendre, en conséquence condamner à payer cette somme, sauf à parfaire ladite somme selon le cours du change, motif pris, d'une part, de ce que pendant les 32 années où s'est poursuivi le concubinage entre la défenderesse et N., celle-ci a bénéficié de la fortune du de cujus, qu'elle a transférée à son nom, et, d'autre part, de l'existence de manœuvres frauduleuses intervenues entre dame J. et N. ayant permis à ce dernier d'organiser son insolvabilité au profit de sa concubine ;

Attendu que dame J. conclut au déboutement de dame P. ;

Attendu que, sans qu'il y ait lieu pour le Tribunal de reprendre l'argumentation juridique dont les parties ont fait état dans leurs conclusions et qui est sans portée dans le débat, il importe de constater que dame P., qui ne demande pas formellement que soient déclarées exécutoires à Monaco les diverses décisions rendues en Belgique sur lesquelles elle appuie sa demande, sollicite essentiellement la condamnation de dame J. au paiement d'arriérés de pension alimentaire à elles dues par N. ;

Attendu qu'il n'existe aucun lien de droit entre la demanderesse et dame J. ; qu'en effet, c'est erronément que dame P. soutient que les décisions prononçant condamnation contre N. ont été rendues « au contradictoire » de dame J. ; qu'en réalité, le jugement du Tribunal de Bruxelles du 4 février 1961 a condamné le défendeur, c'est-à-dire N., le jugement du Tribunal de paix du canton de Saint-Josseten-Noode, du 9 janvier 1970, a prononcé condamnation contre N. et contre R. N. et Maître N. épouse P., respectivement fils et fille des époux N.-P. ; qu'enfin le jugement rendu le 29 mars 1972 par le Tribunal de première instance de Bruxelles, statuant sur appel de la décision précédente, a prononcé condamnation contre ces trois défendeurs tout en modifiant le quantum et la pension allouée ;

Attendu en conséquence que dame P. ne peut se fonder sur ces trois décisions de justice pour obtenir condamnation de dame J. au paiement d'arrérages de pension qui n'ont pas été mises à la charge de celle-ci ;

Attendu d'autre part que dame P. n'appuie sur aucun fondement juridique sa demande tendant à obtenir de dame J. le paiement de sommes qui sont dues par d'autres que celle-ci ; qu'elle se borne à affirmer que la défenderesse a bénéficié de la fortune du de cujus, sans cependant assortir ses affirmations d'aucune preuve sérieuse ni offre d'établir une telle preuve ; qu'il en va de même de l'allégation de manœuvres frauduleuses ayant permis à son mari d'organiser son insolvabilité au profit de sa concubine ; que la fraude ne se présume pas et doit être prouvée par celui qui l'allègue ; que dame P. n'offre pas davantage d'établir cette preuve ; qu'il importe d'ailleurs de constater que même s'il était établi que dame J. ait bénéficié de la fortune de N. et que celui-ci ait organisé son insolvabilité à la suite de manœuvres frauduleuses avec sa concubine, cela ne dispenserait pas dame P. de préciser sur quel principe de droit elle se fonde pour obtenir de dame J., à titre principal, et directement paiement d'une somme qui n'est pas due par celle-ci ;

Attendu qu'il n'appartient pas au Tribunal de suppléer à la carence d'un demandeur ; qu'il suit de là que dame P. doit être déboutée de son action et condamnée aux dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Déboute dame P. Veuve N. de ses demandes, fins et conclusions ;

Composition🔗

M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Clérissi, Sanita av. déf., de Gubernatis (du barreau de Nice) av.

Note🔗

Ce jugement a été confirmé par arrêt de la Cour d'Appel en date du 3 juin 1975.

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