Tribunal de première instance, 20 juin 1974, J., V. c/ L. F. et autres

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Abstract🔗

Contrats et obligations

Action en résolution - Exercice - Tiers - Impossibilité

Résumé🔗

En matière contractuelle, l'action en résolution n'est ouverte qu'aux seuls cocontractants, les tiers pouvant soit considérer que le contrat leur est inopposable, soit, s'il a été fait en fraude de leurs droits, en demander la nullité par le biais de l'action paulienne.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que le sieur J. et le sieur V., qui se déclarent unis d'intérêt, exposent qu'ils sont créanciers du sieur J. F. pour une somme de 280 000 F, montant de divers prêts consentis à celui-ci depuis le 15 juillet 1954 et dont leur débiteur est dans l'incapacité d'effectuer le remboursement ;

Attendu que pour tenter d'obtenir ce remboursement, J. et V. ont saisi le tribunal par l'assignation susvisée du 25 janvier 1973, aux fins de faire prononcer la résiliation judiciaire de trois actes notariés, enregistrés respectivement les 22 octobre 1962, 23 décembre 1970 et 17 avril 1972, et relatifs à des mutations immobilières, actes dans lesquels F. a été partie et dont ils soutiennent qu'ils ne correspondent pas à la réalité en sorte que les biens concernés par ces actes doivent faire retour dans le patrimoine de leur débiteur afin d'être affectés à la garantie de leur créance ; que cette assignation est globalement dirigée contre un ensemble de défendeurs, savoir :

  • L. F.,

  • A. G. épouse F.,

  • S. F., fille des précédents, épouse P.,

  • J. P., époux de cette dernière,

  • V. Z. et dame B. M., son épouse,

mais qu'à part F. et son épouse, les autres défendeurs ne sont pas concernés par l'ensemble des trois actes ; qu'il appartient donc au tribunal, puisque les demandeurs n'ont pas cru devoir prendre cette peine, de délimiter avec précision chacune des trois actions qui figurent en réalité dans cette assignation unique, et d'indiquer les parties qu'elles mettent en cause ;

1° Attendu que la première action est relative à un acte d'achat transcrit le 22 octobre 1962, par lequel la Société Jarric a vendu aux époux F. la nue propriété, et aux époux P. l'usufruit d'un appartement sis au 3e étage du ., ainsi que le garage n° 14 et la cave n° 12, (le prix de cette vente, traitée conjointement avec celle d'un appartement n° 9 au 4e étage, le garage n° 16 et de la cave 32 dont il sera parlé ci-dessous, étant globalement de 200 000 F) ;

Attendu que les demandeurs, qui avaient prêté le 3 novembre 1960, une somme de 30 000 F à F., ce dernier s'étant engagé à leur remettre trois grosses au porteur de 10 000 F chacune, à créer sur l'appartement susvisé, sans qu'il soit précisé que l'achat ne porterait que sur la nue-propriété, entendent démontrer que la constitution d'usufruit figurant dans l'acte au profit des époux P. n'était qu'une précaution destinée à réduire la valeur du gage et ne correspondant pas en réalité, aux énonciations de l'acte ; qu'ils se fondent, pour justifier leurs affirmations, sur le fait qu'au moment de cette acquisition, les époux F. disposaient des fonds suivants :

  • 185 000 F, provenant de la vente au Domaine privé de l'État de leur appartement sis ., cette vente ayant été réalisée le 31 août 1962 ;

  • 70 000 F montant de grosses au porteur émises le jour même de l'acquisition de l'appartement susvisé ;

  • 30 000 F montant d'un prêt consenti par V., soit au total 285 000 F ; que cette somme était donc très largement suffisante pour régler l'achat de cet appartement (dont il a été dit qu'il avait été traité conjointement avec l'achat de l'appartement n° 9 pour un prix global de 200 000 F), alors surtout que devant ses créanciers, le 8 mai 1972, F. évaluait la valeur de l'appartement n° 7 à 250 000 F ;

Attendu que les demandeurs s'estiment dès lors fondés à obtenir à l'encontre des époux F. et des époux P. la résiliation parte in qua de l'acte d'achat susvisé transcrit le 22 octobre 1962, et ce, avec toutes les conséquences de droit ; que J. et V. qui ne prennent pas la peine d'expliciter ce qu'ils entendent par cette formule ambiguë demandent, selon toute vraisemblance, que les époux F. soient considérés comme propriétaires uniques, nue propriété et usufruit réunis, de cet appartement ;

2° Attendu que la seconde de ces actions est relative à un acte d'achat transcrit le même jour que le précédent, soit le 22 octobre 1962, et portant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, sur un appartement n° 9 au 4e étage outre le garage n° 16 et la cave n° 33, cet appartement ayant été acquis en pleine propriété par les époux F. seuls ;

Attendu que cet appartement a été vendu aux époux Z. par acte transcrit le 17 avril 1972, pour le prix de 100 000 F ;

Attendu que J. et V. entendent démontrer que cette vente ne correspond pas à la réalité et demandent, par une action dirigée contre les époux F. et les époux Z., que soit prononcée la résiliation judiciaire de l'acte dont s'agit ; qu'ils se fondent, pour justifier leurs prétentions, sur le fait que le prix de 100 000 F, pour un appartement composé de deux pièces au 4e étage, semble peu sincère, alors que les époux P. et F. avaient acquis l'année précédente un studio situé à l'étage supérieur, pour 80 000 F (le même studio ayant été acquis 130 000 F en 1960) et alors que F. évalue à 250 000 F le prix d'un trois pièces au 3e étage ; que d'autre part J. et V. font valoir que le 8 mai 1972, F. leur déclarait qu'il disposait, après purge, de 40 000 F de grosses sur cet appartement n° 9, ce qui leur paraît être une contradiction (sic) puisque les deux appartements 7 et 9 ; étaient grevés d'une charge hypothécaire conjointe de 150 000 F, ce qui correspondrait à « environ » (sic) 75 000 F pour chacun d'eux, l'appartement 9 étant en outre grevé d'une hypothèque de 50 000 F ; qu'il aurait alors supporté une charge hypothécaire de 75 000 F + 50 000 F + 40 000 F = 165 000 F, que dès lors, après vente de cet appartement au prix de 100 000 F, et purge de 125 000 F d'hypothèque, les demandeurs comprennent mal que F. puisse encore proposer un solde de 40 000 F ; qu'ils s'estiment donc fondés à voir prononcer la résiliation de l'acte de vente de cet appartement par les époux F. aux époux Z., et ce avec toutes les conséquences de droit, sans qu'ils s'estiment tenus d'indiquer ce qu'ils entendent par cette formule imprécise, mais qui doit, selon toute vraisemblance, aboutir à la restitution de l'appartement à F., contre remboursement du prix, encore que les demandeurs demeurent fort discrets sur ce point ;

3° Attendu que la troisième de ces actions est relative à un acte transcrit le 23 décembre 1970, par lequel le sieur J. B. a vendu aux époux F., l'usufruit, et aux époux P., la nue-propriété de l'appartement n° 6, au 3e étage du . et la cave n° 32, pour un prix déclaré de 80 000 F que J. et V., par une action dirigée contre les époux F. et les époux P. entendent obtenir la résiliation parte in qua de cet acte, en ce qui concerne l'acquisition de la nue-propriété ; qu'ils tirent argument de ce que cet appartement a été acquis le 27 octobre 1960 par le sieur G. B., pour le prix de 130 000 F, et transféré, au décès de celui-ci à J. B. ; que le prix de 80 000 F étant stipulé payable par la remise de 8 grosses ; que les demandeurs trouvent étrange que l'appartement dont s'agit ait perdu 50 000 F en dix ans ; que d'autre part F., ayant perdu le 1er septembre 1970, la somme de 537 000 F dans une opération immobilière à Lyon, J. et V. en déduisent que leur débiteur a voulu, en faisant acquérir, apparemment, aux époux P. la nue-propriété de l'appartement n° 6, se préserver à l'encontre de ses créanciers, les époux P. n'apparaissant que pour préserver la nue-propriété, d'une action de ces créanciers, l'usufruit étant beaucoup moins menacé ; que les demandeurs s'estiment donc fondés à voir prononcer la résiliation parte in qua de cet acte en ce qui concerne la nue-propriété, et ce, avec toutes les conséquences de droit, sans qu'ils explicitent ce qu'ils entendent par cette formule incertaine, laquelle doit, selon toute vraisemblance, vouloir dire que la pleine propriété de cet appartement n° 6 devra être reconnue appartenir aux époux F., seuls ;

Attendu qu'à l'appui de ces trois actions, J. et V. déclarent fonder leur demande, au plan du droit, sur les principes juridiques classiques en matière d'actes notariés authentiques, principes en vertu desquels, comme il ne s'agit pas de démontrer la fausseté des déclarations personnelles de l'officier public qui a reçu ces actes, hypothèse dans laquelle la procédure d'inscription de faux devrait être obligatoirement suivie, mais qu'il s'agit de prouver que de telles déclarations, tenues pour matériellement exactes, dissimulent une stipulation occulte, extérieure à la bonne foi de cet officier public et qu'il est dès lors permis aux créanciers d'en rapporter la preuve par tous moyens, les juges étant souverains pour apprécier la qualité de l'acte ;

Attendu que les demandeurs estiment que la démonstration est faite que les actes dont s'agit ne correspondent pas à la réalité, mais qu'au cas où le tribunal ne s'estimerait pas suffisamment éclairé, un mandataire de justice devrait être désigné aux fins de contrôler la véritable nature de chaque opération, avec les pouvoirs les plus étendus ;

Attendu que les défendeurs s'opposent aux demandes de J. et V., qu'au principal, ils estiment irrecevables parce que la procédure ne pouvait être introduite que sur le fondement du faux principal, prévu par l'article 299 du Code de Procédure Civile et subsidiairement estiment que les demandeurs n'apportent pas la preuve écrite de leurs allégations, contrairement aux dispositions de l'article 1188 du Code civil, qui édicte qu'il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes ;

Attendu que dans leurs conclusions ultimes, les parties instaurent un débat sur la nature de l'action intentée par J. et V., ceux-ci soutenant agir par la voie de l'action oblique alors que les défendeurs estiment qu'ils utilisent l'action paulienne ;

Sur l'action dirigée contre les époux F. et les époux P. et relative à l'appartement n° 7

Attendu que J. et V. agissent en l'espèce en qualité de créanciers de F. et prétendent faire prononcer la résolution judiciaire de la partie du contrat attaqué qui a reconnu aux époux P. la propriété de l'usufruit, alors qu'ils estiment que ce sont les époux F. qui ont fourni les fonds nécessaires à cet achat et donc doivent être considérés comme les véritables et uniques propriétaires de cet appartement ;

Attendu que même si l'on admet que les époux F. aient en fait, payé l'intégralité du prix de cet appartement et aient voulu reconnaître aux époux P. la propriété de l'usufruit, cette opération qui s'analyse juridiquement en une donation de n'a en elle-même aucun caractère illégal mais est au contraire considérée comme parfaitement régulière et orthodoxe au plan jurisprudentiel ; qu'une telle libéralité ne pourrait être attaquée que s'il était démontré par ceux qui l'attaquent, qu'elle a été faite en fraude de leurs droits et dans l'intention de porter atteinte de leurs légitimes intérêts ; que c'est donc par la voie de l'action paulienne que les créanciers peuvent attaquer un tel acte, la voie de l'action résolutoire n'étant ouverte qu'aux seuls co-contractants et qu'ils ont, en qualité de demandeurs, la charge de prouver la fraude qui ne peut jamais se présumer ;

Attendu qu'en l'espèce, J. et V. se bornent à indiquer que F. disposait, au moment où il a passé l'acte dont s'agit, de fonds très largement insuffisants pour payer l'intégralité de cette acquisition ;

Attendu qu'en admettant même pour établie cette affirmation, les demandeurs ne prouvent pas que F. ait, de ses propres deniers, intégralement payé l'appartement dont s'agit et n'établissent donc pas la preuve de la donation déguisée qu'il aurait ainsi consentie aux époux P., en ce qui concerne l'usufruit ;

Attendu que même en tenant pour établie la réalité de cette donation déguisée, les demandeurs ne prouvent pas que les époux F. et les époux P. aient agi frauduleusement, avec la volonté de les léser ;

Attendu qu'il suit de là que cette première action doit être rejetée, aucune mesure d'instruction ne pouvant établir la réalité d'une fraude qui n'est même pas invoquée par les demandeurs ;

Sur l'action dirigée contre les époux F. et Z. et portant sur l'appartement n° 9

Attendu que J. et V. qui agissent en qualité de créanciers de F. prétendent faire prononcer la résolution judiciaire du contrat de vente passé entre les époux F. et les époux Z. et transcrit le 17 avril 1972, motif pris de ce que cet appartement a été vendu pour la somme de 100 000 F ce prix « semblant » (sic) peu sincère et ne correspondant pas à la réalité ; qu'ils se fondent également, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, sur des comparaisons avec le prix d'autres appartements comparables sis dans le même immeuble, ainsi que sur une exégèse, au demeurant peu claire, de déclarations imputées à F. ;

Attendu que dans ce cas également, J. et V. ne peuvent prétendre obtenir la résolution de l'acte dont s'agit, car cette action est réservée aux seuls cocontractants, qu'ils doivent agir par la voie de l'action paulienne, en démontrant que cet acte a été fait dans l'intention de frauder leurs droits ; qu'ils ont l'obligation, comme demandeurs à l'action, de prouver cette fraude ; qu'ils ne peuvent, en l'espèce, se fonder sur l'action oblique, celle-ci ne se concevant que dans la mesure où F., ayant la possibilité d'exercer une action en justice (telle par exemple qu'une action en rescision pour lésion) s'abstiendrait, même sans intention de fraude, d'agir en justice ;

Attendu qu'en l'espèce, la vileté du prix, en la supposant même démontrée, ne peut, à elle seule, établir la fraude commune aux époux F. et aux époux Z. ; que les demandeurs n'articulent aucun argument ni élément de preuve, de nature à justifier des investigations par un expert, en une matière où la détermination de la volonté de frauder doit résulter de circonstances précises et indiscutables ;

Attendu qu'il suit de là que cette action doit être rejetée ;

En ce qui concerne l'action dirigée contre les époux F. et les époux P. et relative à l'appartement n° 6

Attendu que J. et V. agissent en l'espèce en qualité de créanciers de F. et prétendent faire prononcer la résolution judiciaire de la partie du contrat attaquée qui a reconnu aux époux P. la nue-propriété de l'appartement, alors qu'ils estiment que ce sont les époux F. qui ont payé cet appartement et qui, en conséquence, devraient être considérés comme uniques propriétaires de ce dernier ;

Attendu cependant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus en ce qui concerne la première action, relative à l'appartement n° 7, cette opération, qui s'analyserait, si elle était prouvée, comme une donation déguisée est parfaitement orthodoxe et ne peut être attaquée que si les créanciers du donateur établissent, par la voie de l'action paulienne et non par celle de l'action en résolution, que cette donation a été faite en fraude de leurs droits, J. et V. étant demandeurs et devant prouver cette fraude ;

Attendu qu'en l'espèce, les demandeurs non seulement n'établissent pas que l'acquisition ait été faite exclusivement avec des fonds appartenant aux époux F., et donc ne prouvent pas qu'il y ait eu donation déguisée, mais ne prouvent pas davantage qu'il y ait eu fraude des époux F. et des époux P., ladite fraude n'étant même pas invoquée par J. et V. :

Attendu qu'il suit de là que cette troisième action doit également être rejetée ;

Attendu que les demandeurs qui succombent doivent être condamnés aux dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Déboute A. J. et R. V. de leurs demandes, fins et conclusions,

Composition🔗

M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Marquilly Clérissi, Sanita av. déf., Blot et Prat (du barreau de Nice) av.

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