Tribunal de première instance, 28 février 1974, Financière Segimo S.A. c/ K. et hoirs S.

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Abstract🔗

Contrats et obligations

Promesse de vente - Acquéreur - Subrogation - Obligation conditionnelle - Non respect

Résumé🔗

A la différence du terme qui suspend l'exigibilité d'une obligation, la condition suspend la formation même du droit, ainsi en est-il au cas de promesse de vente lorsqu'est intervenue une subrogation de l'acquéreur, subordonnée à une condition et que cette condition a défailli.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que les dames F. S., divorcée D., M.-H. S. épouse D. et M.-R. S. épouse L., (ci-dessous désignées les hoirs S.), co-propriétaires d'une villa sise ., dénommée « L. C. », répondant à une lettre, en date du 12 septembre 1972, dans laquelle le sieur K. leur proposait d'acheter leur propriété au prix de 4 500 000 F. et de verser un acompte de 10 % lors de la signature d'un compromis chez un notaire de Monaco, sous réserve d'une clause suspensive relative à l'obtention du permis de construire, ont accepté cette pollicitation, en précisant que leur accord était subordonné à trois conditions, savoir :

1° les 450 000 F. représentant l'acompte de 10 % devaient rester acquis aux vendeurs après le délai de six mois envisagé comme délai pour obtenir le permis de construire, après dépôt des plans et de la maquette de la nouvelle construction ;

2° l'accord ne devait prendre effet que du jour de la signature du compromis notarié et du versement de la somme de 450 000 F. ;

3° le prix de 4 500 000 F. s'entendait net de tout frais ;

Attendu que le 17 janvier 1973, le compromis envisagé dans la lettre du 12 septembre 1972 était signé en l'étude de Maître Rey, notaire à Monaco, par K., dame S. épouse L., dame S. épouse D., tandis que dame S. divorcée D. ne se présentait pas ; que cependant K. justifiait par une lettre de la Lloyds Bank Europe Limited, adressée à Maître Rey, le même jour, que la somme de 450 000 F., représentant l'acompte qu'il s'était engagé à verser, était à la disposition des hoirs S. ;

Attendu que suivant exploits de MMe Marquet, Huissier à Monaco, du 18 janvier 1973 et Karsenti, Huissier à Paris, du 2 février 1973, K. faisait sommation à dame S. divorcée D. d'avoir à se présenter en l'étude de Maître Rey, le 24 janvier, pour le premier acte et le 7 février, pour le second aux fins de régulariser le compromis prévu entre les parties et qui constate que K. avait rempli toutes ses obligations (et non allégations comme répété par erreur dans chacun de ces actes) ; que la sommation Marquet était dénoncée à dame S. épouse D. dont le domicile était à . (U.S.A.) ;

Attendu que, dame S. épouse divorcée D. et dame S. épouse D. ne s'étant pas manifestées, K., agissant en vertu d'une autorisation présidentielle du 23 février 1973 l'autorisant à assigner à bref délai, faisait assigner le 27 février, pour le 3 mai suivant, les hoirs S. aux fins de faire constater que la vente de la villa « L. C. » était devenue parfaite par l'accord des parties sur la chose et sur le prix, sous la seule condition suspensive de l'obtention du permis de construire ; qu'en conséquence les hoirs S. étaient tenus de régulariser ledit acte de vente en l'étude de Maître Rey, et qu'à défaut, le jugement à intervenir tiendrait lieu de vente et serait transcrit comme tel au Bureau des Hypothèques à Monaco ; le tout sous réserve de dommages-intérêts ;

Attendu que le 9 mars 1973, K. recevait du Président directeur général de la société anonyme française Financière Segimo (ci-dessous désignée Segimo), une lettre lui faisant connaître que cette société était vivement intéressée par l'achat de la propriété Villa « L. C. » ; que cette lettre faisait état de la correspondance adressée le 12 septembre 1972 par K. aux hoirs S. et des conditions dont celles-ci avaient assorti leur acceptation ; qu'elle concluait que Segimo était disposée à se subroger à K. dans le bénéfice et les charges des accords qui venaient d'être rappelés et faisait état des conditions ainsi précisées :

« 1° Signature dans le délai d'un mois à compter du jour de l'acceptation par vous des termes de la présente au profit de notre société de la villa » L. C. «, pour un prix de 4 500 000 F. ; Cette promesse sera assortie de la condition suspensive... Au cas où la condition serait défaillie, aucune indemnité ne serait due de part ni d'autre. En revanche, au cas où la condition serait réalisée, nous serons tenus de passer l'acte authentique de vente et de payer le solde du prix dans un délai d'un mois, faute de quoi, une indemnité de 450 000 F. serait due aux hoirs S. Cette indemnité ferait l'objet d'une caution bancaire au profit des hoirs S. ;

2° Vous interviendriez comme partie à la promesse de vente et d'achat pour subroger notre société dans les droits que vous teniez des hoirs S. Ceux-ci autorisaient immédiatement la restitution, nette de toute charge, à votre profit, de la somme de 450 000 F. constituant la garantie ci-dessus énoncée ;

En outre, une somme de 350 000 F. vous serait versée à titre d'indemnité par notre société, dans les cas suivants :

...

Cette indemnité ferait l'objet, à votre profit, d'une caution bancaire ».

Attendu que par lettre du 16 mars 1973, K. répondait à Segimo lui accusant réception de sa lettre du 9 mars précédent, dont les termes étaient entièrement reproduits, conformément à la demande de Segimo, et lui indiquait qu'il lui donnait son accord sur les termes de cette lettre et joignait une copie certifiée conforme de l'accord signé avec les hoirs S. ;

Attendu que le 21 mai 1973, Segimo faisait sommation aux hoirs S. d'avoir à se présenter le 24 mai suivant en l'étude de Maître Rey, aux fins de signer la promesse de vente, conformément aux engagements pris par eux, le 12 septembre 1972 ; que le même jour, sommation était faite à K. aux mêmes fins ; que le 24 mai 1973, Maître Rey, donnant acte à K., qui était présent, de sa réquisition de constater l'absence de tout représentant de Segimo, établissait un procès-verbal de carence ;

Attendu que le 5 juin 1973, Segimo assignait K. et les hoirs S. aux fins de s'entendre condamner, chacun en ce qui le concerne, à réitérer sous astreinte la promesse de vente litigieuse en l'étude de Maître Rey et que, faute de ce faire dans le délai d'un mois, le jugement à intervenir vaudrait acte de vente au profit de Segimo de la villa  « L. C. », sous la seule condition suspensive relative au permis de construire ; le tout sous réserve de dommages-intérêts ; que le même jour Segimo déposait des conclusions d'intervention dans l'instance pendante entre K. et les hoirs S., à la suite de l'assignation susvisée du 27 février 1973, demandant la jonction de ces deux instances ;

Attendu que ces deux instances sont connexes et qu'il y a lieu de statuer à leur sujet par un seul et même jugement ;

Attendu qu'en ce qui concerne l'instance K. contre hoirs S., il y a lieu de constater que, par déclaration faite à l'audience du 15 février 1974, et consignée régulièrement au plumitif, les parties ont reconnu qu'il n'existait plus de différend entre elles, en sorte que K., rempli de ses droits, demande qu'il lui soit donné acte qu'il se désiste de son instance et que les hoirs S. lui donnent leur accord sur ce point ; qu'il doit être fait droit à cette demande de donner acte ;

Attendu que demeure seule à juger la demande de Segimo dirigée tant à titre principal que sous forme d'intervention, à l'encontre de K. et des hoirs S. ;

Attendu que Segimo conclut qu'en l'état de l'échange des lettres susvisées, des 9 et 16 mars 1973, elle a été subrogée par K. dans la promesse de vente que celui-ci tenait des hoirs S. à la suite de l'offre d'achat du 12 septembre 1972 ; qu'ayant rempli les obligations qui lui incombaient, en l'espèce obtention d'une double caution bancaire, elle était fondée à obtenir que la signature du compromis intervienne à la date du 24 mai 1973, pour laquelle elle avait sommé K. et les hoirs S. de comparaître en l'étude de Maître Rey ; que son mandataire, victime d'un accident automobile sur la route Nice-Monte-Carlo, n'avait pu se présenter devant le notaire à la date prévue mais qu'en toute hypothèse la signature du compromis n'aurait pu intervenir car les hoirs S., de leur côté, étaient absents ;

Attendu que K. et les hoirs S. concluent au déboutement de Segimo en se fondant sur le moyen tiré de la caducité de la convention résultant de l'échange de lettres susvisé ; qu'en effet Segimo n'a pas respecté le délai d'un mois prévu pour la signature du compromis authentique et d'autre part n'a pas constitué la caution de 450 000 F. qui devait être versée entre les mains de Maître Rey lors de cette signature ; qu'ils s'estiment fondés à obtenir paiement de dommages-intérêts, en réparation du préjudice que leur a causé la procédure abusive de Segimo ;

Attendu que Segimo répond qu'il s'agissait, en l'espèce, de conditions résolutoires tacites, pour lesquelles la résolution ne peut intervenir que sous la forme judiciaire, et qu'aucune demande tendant à une telle fin n'a jamais été présentée au tribunal ; que d'autre part, en ce qui concerne la caducité, il résulte des articles 1040 - 1044 et 994 du Code civil que le débiteur n'est constitué en demeure que par une sommation inexistante en la cause à moins que la convention n'ait prévu la mise en demeure par la simple échéance du terme, ce qui n'est pas le cas de l'espèce ;

Attendu qu'en l'état de l'échange des lettres des 9 et 16 mars 1973, K. s'est engagé à subroger Segimo dans les droits qu'il tenait des hoirs S., mais que cet engagement était subordonné à un certain nombre de conditions, dont la première était que la signature de la promesse de vente intervint dans le délai d'un mois à compter de l'acceptation de K., soit à partir du 16 mars 1973 ;

Attendu que cette condition a été défaillante puisque, l'engagement ayant été contracté sous la condition qu'un évènement arrive dans un temps fixé, le temps est expiré le 16 avril 1973, sans que l'évènement soit arrivé, la signature en l'étude de Maître Rey n'ayant pas eu lieu ;

Attendu qu'au regard de l'article 1030 du Code civil, cette condition avait un caractère déterminant en ce qui concerne l'engagement de K. ; qu'en effet, compte tenu de ce que Segimo n'avait versé aucun acompte lors de l'échange des lettres des 9 et 16 mars 1973, K. qui avait lui-même versé la somme de 450 000 F. aux hoirs S., ne pouvait s'engager pour une durée incertaine, dès l'instant que la récupération de cette somme était subordonnée pour lui à la signature de la convention de subrogation devant le notaire choisi ;

Attendu que cette condition a défailli sans que la responsabilité de K. puisse être mise en cause ; qu'en effet, non seulement Segimo n'a fait sommation de comparaître en l'étude Rey que le 21 mai 1973, c'est-à-dire après l'expiration du délai conventionnellement adopté par les parties, mais encore Segimo ne s'est même pas présenté ce jour là, sans fournir, hormis la simple allégation d'un accident survenu à son mandataire, aucune explication de sa carence ;

Attendu que le concept juridique du terme ne saurait être invoqué par Segimo, le terme suspendant l'exigibilité d'une obligation alors que la condition suspend la formation même du droit, et qu'il n'est pas dénié que l'engagement ait eu, en l'espèce, un caractère conditionnel ;

Attendu que Segimo doit donc être débouté de sa demande ;

Attendu sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts formée par les hoirs S. et le sieur K. qu'il apparaît que Segimo n'a pu se méprendre sur la valeur de ses droits alors surtout qu'elle ne s'est pas présentée devant le notaire Rey pour signer le compromis après avoir sommé K. et les hoirs S. de s'y présenter ; que sa procédure présente un caractère malicieux et abusif qui justifie le principe de la demande présentée par les défendeurs ; que compte tenu des éléments suffisants d'appréciation dont dispose le Tribunal, il y a lieu de fixer à la somme de 5 000 F. pour chacun des défendeurs les dommages-intérêts qui devraient être supportés par Segimo ;

Attendu que les dépens suivent la succombance :

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Joint les instances numéros 295 et 385,

Donne acte à K. de se qu'il se désiste de son instance contre les hoirs S. et à ceux-ci de leur accord sur ce point,

Statuant sur la demande de Segimo, tant à titre principal que sous forme d'intervention, déboute Segimo de ses demandes, fins et conclusions ;

Faisant droit à la demande reconventionnelle des défendeurs, condamne Segimo à payer à K. la somme de 5 000 F. et aux hoirs S. la somme de 5 000 F. à titre de dommages-intérêts ;

Composition🔗

M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Marquet, Marquilly av. déf., Sbarrato, Lénard et Adder (ces deux derniers du barreau de Paris) av.

Note🔗

Sur appel cf. infra C.A. 4 juin 1974.

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