Tribunal de première instance, 24 janvier 1974, Administrateur des Domaines et Trésorier Général des Finances c/ S.

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Abstract🔗

Avocats

Avocats-défenseurs - Droits et émoluments - Litige - Intérêt - Question de principe - Succession - Dévolution - Droit proportionnel - Calcul

Résumé🔗

Lorsque l'enjeu du procès, qui ne peut être différent de l'intérêt du litige, ne consiste pas en la simple détermination de la loi applicable à la pétition d'hérédité faisant l'objet de l'instance mais bien en l'attribution de la succession en cause, la détermination du droit proportionnel doit se faire en fonction des forces de cette succession.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu qu'à la suite du décès, à Coutrai (Belgique), le 28 février 1966, d'une demoiselle K. G., une demoiselle H. a obtenu la désignation de dame R., en qualité d'administrateur provisoire de cette succession, suivant jugement du 13 mai 1966 ; que par exploit du 27 novembre 1968, la dame J. épouse B., a assigné demoiselle H. et dame R. aux fins de voir reconnaître sa qualité d'héritière et d'entendre mettre fin à la mission de l'administrateur provisoire ;

Attendu que par conclusions du 16 janvier et 19 février 1969, l'administrateur des Domaines et le Trésorier Général des Finances de la Principauté sont intervenus aux débats pour voir attribuer au Domaine de l'État la partie mobilière de cette succession, en vertu de l'article 651 du Code civil qui dispose qu'à défaut de personne appelée à la recueillir, la succession est acquise au Domaine du Prince ;

Attendu que par jugement du 12 novembre 1970, confirmé par un arrêt de la Cour d'Appel du 17 avril 1972, le Tribunal a reconnu la vocation héréditaire de dame B. pour les meubles dépendant de cette succession et a rejeté, en conséquence, la prétention des intervenants de voir déclarer acquise au Domaine la succession mobilière à défaut de personne appelée à la recueillir ; que les dépens, tant de la décision en première instance que de l'arrêt confirmatif ont été mis à la charge des intervenants ;

Attendu que Maître S., avocat-défenseur, au bénéfice de qui la distraction des dépens a été prononcée, a fait taxer son état de frais en première instance, à la somme de 6 717,35 F. suivant ordonnance en date du 4 avril 1973, et, en appel, à la somme de 9 373,50 F., suivant ordonnance du 10 avril 1973 ; que ces deux ordonnances ont été signifiées, par acte de Me Marquet, Huissier, du 3 mai 1973, à l'Administration des Domaines et du Trésorier Général des Finances ;

Attendu que suivant exploit de Me Marquet, du 9 mai 1973, l'Administrateur des Domaines et le Trésorier Général des Finances ont formé opposition à l'ordonnance de taxe du 4 avril 1973 ; qu'ils estiment, à titre principal qu'aucun émolument proportionnel ne peut être réclamé pour Maître S. ; que subsidiairement, ils concluent que, si le Tribunal admettait le droit pour cet avocat-défenseur de bénéficier de cet émolument, celui-ci ne devrait pas être calculé sur les forces de la succession mobilière ;

Attendu que Maître S. s'oppose à cette action ; qu'il estime que le droit proportionnel qui a été calculé à partir d'une évaluation, faite avec beaucoup de modération, de la succession mobilière lui était bien dû et conclut au rejet de cette opposition ;

I.- Sur la demande principale tendant à faire juger qu'aucun droit proportionnel n'est dû en l'espèce :

Attendu que les opposants fondent leur argumentation sur le moyen tiré de ce que le jugement intervenu, qui ne portait pas et n'était pas susceptible de porter condamnation, collocation ou liquidation en principal des sommes ou valeurs mobilières pouvant constituer la base de la liquidation du droit proportionnel d'enregistrement prévu par l'article 10 de la loi n° 580 du 29 juillet 1953, ne pouvait donc donner lieu à enregistrement au droit proportionnel, et qu'en fait, le droit proportionnel visé par l'article 85 de l'Ordonnance Souveraine du 6 janvier 1972 n'a pas été perçu, ce jugement ayant été enregistré au droit fixe de 10 F. ; que dès lors, aucun émolument proportionnel ne peut être réclamé par Maître S. et que la somme de 6 070 F. doit être retranchée de l'état de frais que cet avocat-défenseur a présenté à la suite de la distraction des dépens prononcée à son profit ;

Attendu que l'article 85 de l'Ordonnance susvisée du 6 janvier 1972, dispose :

« Article 85 - Paragraphe Premier -

Le montant des droits de toute nature alloués par le présent tarif, que les avocats-défenseurs en cause sont autorisés à prélever, ne doit jamais être supérieur à 15 % devant chaque juridiction :

1° du chiffre sur lequel sont liquidés les droits d'enregistrement... »

Attendu que les articles 7 et 10 de la loi n° 580 du 29 juillet 1953 disposent :

Article 7 -

A dater de la promulgation de la présente loi... les actes et mutations soumis au droit proportionnel acquitteront ces droits d'après les quotités suivantes :

A 2 F. pour 100 F.

Article 10 -

« Les jugements contradictoires ou par défaut des Tribunaux de la Principauté portant condamnation, collocation, ou liquidation des sommes et valeurs mobilières, intérêts et dépens entre particuliers. »

Attendu que les opposants apparaissent se fonder sur la combinaison de ces deux textes, pour déduire de la circonstance que le jugement dont s'agit a été enregistré au droit fixe, que Maître S. ne peut prétendre à un droit proportionnel puisque l'article 85 susvisé prend comme base de calcul le chiffre sur lequel sont liquidés les droits d'enregistrement ; qu'en l'absence de ce chiffre, les droits visés par cet article 85 ne peuvent être calculés et l'avocat-défenseur perd le droit à un émolument proportionnel ;

Attendu cependant que le Tribunal ne saurait suivre ce raisonnement ;

Attendu tout d'abord que les opposants font référence à l'article 85 alors que celui-ci est étranger à la matière du droit proportionnel ; qu'en effet, cet article n'a pas pour objet de définir le mode de calcul du droit proportionnel lequel fait l'objet des articles 8 et suivants du tarif des avocats-défenseurs, mais qu'il a pour objet de fixer un plafond au montant des droits cumulés qui peuvent revenir aux avocats-défenseurs de la cause, cette limite étant fixée à un pourcentage du chiffre sur lequel sont liquidés les droits d'enregistrement ;

Attendu d'autre part que la référence à l'article 10 de la loi n° 850 ne peut avoir la portée que les opposants lui attribuent ; qu'en effet, si le jugement du 12 novembre 1970 n'a pas été enregistré au droit proportionnel, ce n'est pas parce qu'il ne portait pas condamnation, liquidation ou collocation, mais bien parce que les dépens avaient été mis à la charge des Domaines et que dès lors, l'enregistrement devait être effectué, non pas au droit fixe, mais gratis, conformément à l'article 67, paragraphe 2, 3°, de l'Ordonnance du 29 avril 1828 sur l'enregistrement, le timbre, les droits de greffe et les hypothèques, lequel dispose que sont à enregistrer gratis : « ... tous les actes dont les droits sont dans le cas d'être supportés par le Trésor du Prince » ;

Qu'il est évident, qu'en pareille hypothèse, l'Administration des Domaines n'a pas à payer des droits d'enregistrement qui seraient encaissés, en fin de compte, par la personne qui les expose ;

Attendu qu'en l'espèce, le jugement dont s'agit portait bien condamnation aux dépens et aurait donné lieu, pour toute autre personne que l'Administrateur des Domaines et le Trésorier Général des Finances, dispensés en raison du texte susvisé, à paiement d'un droit calculé conformément à l'article 10 de la loi n° 850 ; que dès lors, aucun argument ne peut être tiré des conditions dans lesquelles l'enregistrement est intervenu, pour en déduire que Maître S. ne peut prétendre à un émolument proportionnel ; que le principe du droit à cet émolument doit être admis et que la demande principale des opposants doit être rejetée ;

II. - Sur la demande des opposants tendant à faire juger qu'à la rubrique droit proportionnel, l'état de frais aurait dû faire figurer une somme de principe :

Attendu que les opposants fondent leur argumentation sur le moyen tiré de ce que dans le litige ayant abouti au jugement du 12 novembre 1970, l'intérêt en cause sur lequel doit être calculé le droit proportionnel était une question de principe, savoir la détermination de la loi applicable à la dévolution successorale en matière de meubles ; que si les décisions de justice avaient fait droit à leur intervention, elles n'auraient pas eu à prononcer condamnation au paiement de quelque somme que ce soit, susceptible d'entraîner la liquidation des droits d'enregistrement visés notamment à l'article 85 du tarif, alors surtout qu'en pareil cas, l'État monégasque aurait recueilli la succession mobilière, non en vertu de ces décisions, mais par application de l'article 651 du Code civil ; qu'à leur intervention comportant une revendication elle ne contenait aucune demande de liquidation de sommes quelconques ; qu'ils s'en remettent, en fin de compte, à la sagesse du Tribunal pour apprécier ex æquo et bono, le montant du droit proportionnel ;

Attendu qu'il résulte des articles 4, 7, 8, 9 et 11 de l'Ordonnance n° 4849 du 6 janvier 1972, que les avocats-défenseurs ont droit, dans toute instance, à l'allocation d'un droit proportionnel à l'intérêt du litige et que lorsque ce droit ne peut être calculé selon les règles posées par les articles 8 et 9, il est, pour les demandes portant sur un intérêt pécuniaire, évalué provisoirement par une déclaration que font les avocats-défenseurs de la cause ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'article 85 est étranger au mode de calcul de ce droit, alors que pour les demandes dont l'objet principal n'a pas pour but des intérêts pécuniaires, l'évaluation est faite eu égard aux difficultés de l'affaire ; qu'en cas de divergence entre les avocats-défenseurs, le Conseil de l'Ordre évalue le droit proportionnel ;

Attendu qu'il résulte du jugement du 12 novembre 1970, que dans leur intervention des 16 janvier et 19 février 1969, les opposants ont demandé que soit attribué au Domaine de l'État la partie mobilière de la succession de la dame K. G. ; que certes, pour justifier leur intervention, ils ont été conduits à demander au Tribunal de juger une question de principe, en l'espèce la détermination de la loi applicable à la dévolution successorale en matière de meubles ; mais qu'il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce, le problème soumis à l'appréciation du Tribunal était de savoir à qui devait revenir cette succession mobilière ; que l'enjeu du procès, qui ne pouvait être différent de l'intérêt du litige, n'était donc pas une pure recherche intellectuelle, mais bien une question exclusivement matérielle ; que, s'agissant d'une demande portant sur un intérêt pécuniaire l'évaluation devait bien être faite par Maître S. qui a opportunément pris pour base de calcul une évaluation de cet actif mobilier qui apparaît raisonnable, et qui n'est d'ailleurs, quant à son montant chiffré, l'objet d'aucune contestation de la part des opposants ; qu'il n'y a donc pas lieu de faire droit à cette demande et que la somme de 6 070 F. doit être retenue au titre du droit proportionnel ;

III. - Sur la demande tendant à contester que la totalité de la succession mobilière puisse être recueillie par l'État monégasque :

Attendu que les opposants fondent leur argumentation sur le moyen tiré de ce que l'État belge a officiellement manifesté sa propre revendication sur les biens mobiliers dépendant de la succession, en sorte que Maître S. ne peut prétendre calculer son droit proportionnel que sur la seule part de cette succession qui sera effectivement attribuée à l'État monégasque ;

Mais attendu qu'il est de principe incontesté qu'une nation étrangère, à laquelle appartenait l'auteur d'une succession en déshérence, ne saurait en aucun cas être admise à faire acte de souveraineté au delà des limites de son territoire et qu'elle ne peut par suite revendiquer à l'étranger les biens abandonnés qui proviennent de ses nationaux ; que dès lors, une éventuelle revendication de l'État belge aurait été inéluctablement vouée à l'échec ; qu'il suit de là que le moyen invoqué ne saurait être accueilli ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Rejetant comme inopérants en tout cas mal fondés, tous moyens des parties contraires au présent jugement ou simplement plus amples, les en déboute ;

Dit et juge que Maître S. a droit à un émolument proportionnel de 6 070 F. ;

Déboute en conséquence l'Administrateur des Domaines et le Trésorier Général des Finances de leurs demandes, fins et conclusions ;

Composition🔗

M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Marquet et Lorenzi av. déf.

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