Tribunal de première instance, 29 novembre 1973, société anonyme Olympic Maritime c/ sieur P.

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Abstract🔗

Contrat de travail

Fin du contrat - Initiative - Appréciation - Question de fait - Licenciement - Motif fallacieux - Légèreté blâmable - Renvoi abusif

Enquête

Éléments de preuve - Parties - Discussion - Juge - Appréciation - Obligation d'ordonner une enquête (non)

Résumé🔗

Le point de savoir comment il peut être mis fin à un contrat de travail, soit à l'initiative de l'employé, en cas de démission, soit à l'initiative de l'employeur, en cas de licenciement est une question de fait.

Constitue un renvoi abusif, justifiant la condamnation de l'employeur à des dommages et intérêts, le fait par cet employeur d'avoir invoqué un motif fallacieux de renvoi et d'avoir agi avec une légèreté blâmable, compte tenu des formes dans lesquelles le renvoi est intervenu.

Les juges du fait doivent se déterminer en fonction des éléments de preuve qui leur sont soumis, à condition que ceux-ci aient été librement débattus et discutés par les parties et n'ont à ordonner de mesure d'instruction que dans la mesure où ils s'estiment insuffisamment éclairés.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que suivant exploit du 14 avril 1973, la société anonyme Olympic Maritime a relevé appel d'un jugement rendu le 1er mars 1973 par le bureau de jugement du Tribunal du Travail, qui l'avait condamnée à payer au sieur P., son ancien employé, les sommes suivantes :

1° 4 047,76 F., à titre de complément d'indemnité de préavis ;

2° 20 014,49 F., montant de l'indemnité de licenciement ;

3° 150,50 F. et 2 250 F., au titre des congés payés ;

4° 290 000 F., à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par son licenciement abusif ;

le tout, avec intérêts de droit, à dater de la demande et du prononcé du jugement en ce qui concerne les dommages-intérêts ; que la société Olympic Maritime était également condamnée à délivrer à P. un certificat de travail faisant mention des fonctions qu'il a effectivement occupées à son service ;

Attendu que cet appel est recevable en la forme ;

Attendu que la situation de fait a été exposée avec une grande précision par les premiers juges et que, cette partie du jugement ne faisant l'objet d'aucune contestation de la part tant de l'appelant que de l'intimé, il y a lieu, pour le tribunal, de faire sienne, sur ce point, la motivation du jugement dont appel ;

Attendu qu'il résulte de l'exploit introductif d'instance et des conclusions d'Olympic Maritime en date du 4 octobre 1973, que l'appel est fondé sur trois moyens :

1° Que selon son premier moyen, Olympic Maritime fait grief au jugement attaqué d'avoir admis qu'elle avait licencié P., alors qu'elle soutient qu'il n'y a pas eu licenciement de sa part et qu'elle s'est bornée, par la lettre du 30 novembre 1971, à prendre acte de l'intention de son employé de mettre fin à son contrat de travail ;

2° Que dans son second moyen, Olympic Maritime soutient que, même s'il y a eu licenciement de sa part, le jugement attaqué :

  • d'une part, a méconnu les principes selon lequel l'employeur a le droit de réorganiser son entreprise pour le meilleur fonctionnement de celle-ci sans que cette réorganisation, même si elle ne paraît pas rationnelle, puisse lui être imputée à faute et sans que le juge prud'homal puisse se substituer à l'employeur dans cette appréciation,

selon lequel il appartient dès lors à l'employé de prouver la faute commise à l'occasion du licenciement et génératrice de dommages-intérêts, et cela, même en l'absence de juste motif de licenciement, et selon lequel il appartient aux juges du fond, pour apprécier le bien-fondé des prétentions d'un salarié congédié, de rétablir les motifs véritables du licenciement ;

  • d'autre part, en statuant de plano et en ne l'autorisant pas à prouver, par une enquête, qu'il demandait expressément, bien que la charge de la preuve ne lui incombât pas sur ce point, que P. avait manifesté son intention de quitter Olympic Maritime pour retourner en Grèce, en sorte qu'elle avait dû réorganiser son planning de personnel, a méconnu les principes juridiques selon lesquels :

  • si les juges du fait ont pouvoir souverain d'appréciation, quant à la pertinence des faits offerts en preuve, il en est autrement lorsque les faits invoqués justifieraient, s'ils étaient établis, les prétentions de la partie qui les articule,

  • la nécessité de s'éclairer par une mesure d'instruction constitue un devoir pour le juge prud'homal,

  • enfin, contient une contrariété de motifs, dans la mesure où ce jugement a retenu que P. avait bien manifesté son intention de quitter son emploi, tout en décidant que le licenciement relevait d'une légèreté blâmable ;

3° Que, dans un troisième moyen, qui n'est invoqué que dans l'hypothèse où l'action de P. serait accueillie en son principe, Olympic Maritime fait grief à la décision attaquée d'avoir admis que P. avait la qualité de cadre alors que son salaire, justifié quant à son montant par les sujétions particulières de son emploi, n'était pas celui d'un cadre et alors que P. s'est lui-même qualifié d'employé de bureau, dans sa demande d'autorisation d'embauchage du 2 août 1971 ;

Attendu que P. conclut à la confirmation de la décision entreprise ;

Sur le premier moyen

Attendu qu'il peut être mis fin à un contrat de travail, soit à l'initiative de l'employé, en cas de démission, soit à l'initiative de l'employeur, en cas de licenciement ; qu'il s'agit là d'une question de fait ;

Attendu qu'en l'espèce, la lettre adressée par Olympic Maritime à P., le 30 novembre 1971, comporte l'alinéa suivant : « En conséquence, nous vous informons par la présente, qu'à partir de ce jour, vous ne faites plus partie de notre personnel » ;

Attendu que cette rédaction qui ne saurait prêter à équivoque ni à interprétation, dément l'allégation de Olympic Maritime selon laquelle elle se serait bornée à prendre acte de l'intention de P. et établit que cette société, qui a pris l'initiative de mettre fin au contrat de travail et qui a imposé la date de prise à effet de cette mesure, a effectivement licencié son employé ;

Attendu que Olympic Maritime a d'ailleurs reconnu cet état de fait puisqu'elle a offert et payé, en cours d'instance, devant les premiers juges, l'indemnité de congédiement prévue par la loi n° 845 du 27 juin 1968 qui n'est due que dans le cas où il a été mis fin au contrat de travail pour l'employeur ;

Qu'il suit de là que ce moyen doit être rejeté ;

Sur le second moyen

Attendu qu'en matière de rupture de contrat du travail, l'auteur du congédiement ne peut être condamné à des dommages-intérêts pour renvoi abusif que si l'autre partie prouve contre lui, outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail ; que cette faute peut consister, notamment, dans l'allégation d'un faux motif ou dans la légèreté blâmable avec laquelle le congédiement a été donné ; que P. est donc, en la cause, demandeur à la preuve ;

Attendu que pour accueillir l'action de ce dernier, les premiers juges ont admis que P. avait établi :

  • d'une part, que Olympic Maritime avait fait état d'un motif fallacieux de renvoi, dans la mesure où, alors que cette société avait entendu justifier ce renvoi, par la nécessité où elle se trouvait d'organiser son planning de personnel en l'état du désir de son employé de retourner en Grèce où se trouvait son épouse, et par l'impossibilité où elle était de rester indéfiniment dans l'expectative, il avait démontré qu'il avait pris toutes dispositions utiles pour s'installer à Monaco, et donc, qu'il n'avait jamais décidé de rentrer en Grèce ;

  • d'autre part, que Olympic Maritime avait agi avec une légèreté blâmable, compte tenu des formes dans lesquelles le renvoi était intervenu ;

Attendu que, ce faisant, les premiers juges ont fait une exacte appréciation, tant des principes juridiques applicables en l'espèce que des faits de la cause ;

Attendu, en effet, au plan du droit, qu'ils n'ont en rien méconnu la règle selon laquelle la charge de la preuve incombait au demandeur puisqu'ils ont établi leur conviction sur le fondement des éléments de preuve soumis à leur examen par P. ; que d'autre part, le principe invoqué par Olympic Maritime, selon lequel l'employeur a le droit de réorganiser son entreprise, sans qu'aucune autorité puisse, en cette matière, se superposer ou se substituer à la sienne, n'a pas été remis en cause, en l'espèce, le problème posé ayant été celui de savoir si l'allégation de ce droit constituait un faux motif de la part de l'employeur ; qu'enfin, le principe de l'obligation au juge du fait de rechercher le véritable motif de licenciement est étranger à la cause ; qu'une telle recherche n'est imposée que dans l'hypothèse où le renvoi n'est assorti d'aucun motif et où il est alors nécessaire, pour établir la faute, de déterminer l'intention, mais qu'elle n'a pas a être envisagée lorsque le renvoi est assorti d'un motif et que les parties discutent, comme cela était le cas en l'espèce, du caractère fallacieux ou non de ce motif ; que les premiers juges n'avaient donc, en l'état des conclusions des parties, qu'à apprécier la réalité et la valeur de ce dernier ;

Attendu, au plan du fait, que les premiers juges ont, par une motivation sans faille que le Tribunal fait sienne, établi le caractère fallacieux du motif invoqué par Olympic Maritime pour mettre fin au contrat de travail, en reconnaissant, sur le fondement des preuves produites par P., que celui-ci avait pris toutes dispositions utiles pour s'installer à Monaco et continuer à exercer son activité dans cette résidence ; qu'ils ont justement relevé que, pendant la période d'août à octobre 1971, il avait recherché, dans la Principauté, un appartement convenant à ses besoins et que, faute d'y parvenir, il avait décidé de faire remettre en état l'appartement dont il était propriétaire, au ., faisant établir un devis à cette fin ; que la circonstance que sa mère ait résidé dans ce local ne contredit en rien cette intention ; qu'en effet, P. résidait à cette époque-là, dans un hôtel, avec son épouse et que rien ne lui interdisait, pendant ce temps, de mettre cet appartement à la disposition de sa mère non plus que, dès remise en état de celui-ci, de cohabiter avec elle, temporairement ou non ; qu'il doit en outre être retenu que, dès le 1er février 1971, P. avait fait inscrire l'un des fils de son épouse, en qualité de pensionnaire dans un établissement scolaire d'Athènes ; que, dès lors, la volonté bien arrêtée de P. étant ainsi établie par celui-ci, il doit en être nécessairement déduit que Olympic Maritime, en prétendant fonder son licenciement sur son désir de retourner en Grèce, a invoqué un faux motif ;

Attendu, au surplus, qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, ce licenciement a été effectué avec une légèreté blâmable, car Olympic Maritime a prétendu tirer argument d'un désir, mais non pas de la volonté et, encore moins de la décision de son employé, de rentrer en Grèce ; qu'un employeur se comporte avec une légèreté blâmable, lorsqu'il affirme être dans l'obligation de réorganiser son service, désorganisé par le départ de cet employé et qu'il s'abstient de vérifier d'une manière positive, par exemple une lettre, lui demandant de préciser ses projets, la réalité de ses intentions ;

Attendu que, vainement, Olympic Maritime fait grief au jugement attaqué d'avoir statué de plano et d'avoir refusé l'enquête qu'elle sollicitait et qu'elle demande à nouveau en cause d'appel ;

Attendu en effet que Olympic Maritime se méprend sur la portée des décisions de jurisprudence qu'elle invoque à l'appui de sa prétention selon laquelle il est fait obligation aux juges du fait d'ordonner une enquête, quand celle-ci est sollicitée ;

Attendu que, les juges du fait doivent se déterminer en fonction des éléments de preuve qui leur sont soumis, à condition que ceux-ci aient été librement débattus et discutés par les parties, et qu'ils n'ont à ordonner de mesure d'instruction que dans la mesure où ils s'estiment insuffisamment éclairés ;

Attendu que, contrairement à ce que pourrait laisser croire la rédaction, critiquable, de l'extrait du JurisClasseur civil « louage d'ouvrage et d'industrie », invoqué par Olympic Maritime, l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation du 25 mars 1954, ne modifie pas le principe ci-dessus rappelé et, en particulier, ne pose pas en règle de portée générale que la juridiction prud'homale a, en toute circonstance, le devoir de s'éclairer par une mesure d'instruction ; que cet arrêt se borne, au contraire, à appliquer ce principe, dans une motivation, au demeurant traditionnelle, qui s'achève ainsi : « ... et que si le tribunal était insuffisamment renseigné sur les faits de la cause, il lui appartenait d'avoir recours à une mesure d'instruction » ;

Attendu, d'autre part, que l'arrêt de la deuxième chambre civile du 29 juin 1973, également invoqué par Olympic Maritime et qui énonce un principe indiscuté, ne saurait avoir la portée que lui attribue l'appelant ; qu'en effet, la pertinence est un problème qui est soumis à l'appréciation des juges du fait, mais dont la Cour de Cassation se réserve le contrôle, ainsi que le rappelle cet arrêt ;

Que, dans le présent procès, pour autant que Olympic Maritime puisse être autorisée à rapporter une preuve qu'elle n'a pas à faire, et en admettant même qu'elle ait prouvé que P. avait manifesté son intention de quitter la société pour retourner en Grèce, devant être ici observé que la lettre du 30 novembre 1971, utilise le terme « désir », Olympic Maritime n'aurait cependant pu échapper à la démonstration faite par P., de la faute commise à l'occasion du licenciement ; qu'en effet, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'obligation de réorganiser un service, à la suite de la décision prise par un employé de quitter son emploi, ne peut être alléguée comme motif de licenciement lorsque la preuve du caractère certain de ce départ n'est pas rapportée, et qu'elle ne porte que sur un simple désir ; qu'il suit de là que le fait allégué n'est pas pertinent, car il n'est pas de nature, même s'il était prouvé, à exonérer l'appelant de la responsabilité mise à sa charge ;

Attendu qu'en l'état de la faute ainsi démontrée à la charge de Olympic Maritime, celle-ci ne peut tirer aucun argument du comportement adopté par P. postérieurement à son licenciement, et qui, du fait même de cette postériorité, n'a pu exercer aucune influence sur cette faute ;

Attendu enfin que c'est erronément que l'appelant soutient que la décision attaquée contient une contradiction de motifs ; qu'à aucun moment les premiers juges n'ont retenu que P. avait bien manifesté son intention de quitter son emploi, et que, dès lors, en décidant que le licenciement relevait d'une légèreté blâmable, ceux-ci n'ont pu se contredire :

Attendu que la note en délibéré, déposée par l'appelant le 21 novembre 1973, contrevient aux dispositions de l'article 187 du Code de procédure civile et n'a pas à être examinée ;

Sur le troisième moyen

Attendu que ce moyen doit être examiné en l'état de la succombance de Olympic Maritime, dans ses deux moyens principaux ; que les premiers juges ont parfaitement motivé la partie de leur décision qui établit que P. avait bien la qualité de cadre, dans la mesure notamment où il exerçait une activité de haut niveau jointe à des responsabilités importantes ; qu'il y a donc lieu d'adopter la motivation de la décision attaquée et de la confirmer sur ce point ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal, statuant à titre de juridiction d'appel,

Reçoit en la forme l'appel de Olympic Maritime contre le jugement rendu le 1er mars 1973 par le bureau de jugement du Tribunal du Travail ;

Au fond, rejette cet appel ;

Confirme ce jugement qui sortira son plein et entier effet ;

Composition🔗

M. François, pr., Mme Picco-Margossian, subst. gén., MMe Mar-quilly et Sanita. av. déf.

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