Tribunal de première instance, 18 octobre 1973, J. c/ S. A.M. « S.A.R.E.P. T., Société Civile Audach, Banque de Financement Industriel.

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Abstract🔗

Sociétés anonymes

Assemblées Générales - Annulation (non) - 1° Dol : Preuve rapportée par le demandeur (non) - 2° Vote à l'unanimité : Abus de majorité (non) - 3° Réduction de capital portant sur des actions d'apport : Vote par le porteur des actions (oui)

Résumé🔗

La demande tend à l'annulation de trois assemblées générales d'une société anonyme qui ont voté à l'unanimité la suppression de 100 actions d'apport appartenant au requérant.

Le dol ne se présumant pas, le demandeur doit rapporter la preuve d'une intervention positive faite sur l'initiative des défendeurs qui aurait pu, en raison de son caractère frauduleux, avoir une influence déterminante sur les décisions qu'il a été amené à prendre. Ni l'état de santé de l'intéressé, ni une menace de dépôt de plainte au Parquet Général ne sont à eux seuls suffisants pour caractériser le dol. Il ne saurait non plus établir l'existence d'un dol par le fait qu'ayant rempli ses obligations contractuelles et n'ayant aucune raison d'accepter la suppression de ses actions d'apport, il a néanmoins voté une résolution en ce sens.

Le moyen tiré de l'abus de majorité, supposant nécessairement l'existence d'une majorité, ne peut être soulevé lorsqu'il y a unanimité.

Aucune disposition de l'ordonnance du 5 mars 1895 sur les sociétés anonymes n'interdit à une assemblée générale, appelée à se prononcer sur une réduction de capital de faire porter celle-ci sur les actions d'apport alors surtout que le porteur de ces actions a émis un vote favorable à cette résolution.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que le sieur J. a fondé, en 1968, la société anonyme monégasque de recherches, d'études de la promotion (en abrégé S.A.R.E.P.) au capital de 500 000 F, représenté par 500 actions de 1 000 F chacune, dont l'objet était essentiellement l'étude et la promotion immobilière et dans laquelle il était propriétaire de 100 actions en numéraires et de 100 actions d'apport rémunérant une convention qui devait être signée entre la S.A.R.E.P. et une société civile immobilière française Allard, dont J. était le gérant ; que cette convention à intervenir ne pouvait, selon le rapport du commissaire aux apports M., en date du 5 août 1968, être approuvée avec exactitude et sûreté, compte tenu de son caractère incorporel, mais que son estimation ne paraissait pas exagérée, en considération des profits que la société pouvait raisonnablement escompter des opérations afférentes à la construction immobilière projetée ;

Attendu que le 7 novembre 1968, J. remettait au sieur T., Président du conseil d'administration de S.A.R.E.P., une convention signée entre S.A.R.E.P. et la société Allard, mais que cette convention n'était pas acceptée par les représentants de S.A.R.E.P., car elle n'était pas identique à celle qui avait été décrite dans le rapport M. susvisé ; que le conseil d'administration tenu par S.A.R.E.P., le 25 février 1969, décidait que trois modifications devaient être apportées mais que l'assemblée générale de la société Allard, du 7 mai suivant, n'acceptait qu'une seule de ces modifications ;

Attendu que le 12 juin 1969, J. adressait à T. une lettre dans laquelle il lui demandait de prendre acte, d'une part, qu'en vertu du mandat qui lui avait été donné par une société civile immobilière « Société azuréenne de réalisation immobilière » (en abrégé S.A.R.I.), l'apport effectué à son nom devait être attribué à cette société S.A.R.I. et, d'autre part, que bien qu'il demeure actionnaire en vertu de ses actions en numéraires, il lui notifiait sa démission d'administrateur de S.A.R.E.P. ;

Attendu que le 25 juin 1969, l'assemblée générale de S.A.R.E.P. acceptait à l'unanimité des présents, dont J., la démission de ce dernier, tout en réservant le quitus de sa gestion (4e résolution) ; qu'acte était pris de la déclaration de J. selon laquelle s'il n'était pas en état de rapporter, le 20 juillet suivant, la convention promise, il acceptait de faire abandon de ses cent actions d'apport et de voter, lors de l'assemblée générale extraordinaire convoquée pour cette date, la réduction du capital de 500 000 à 400 000 F., que J. s'engageait, en outre, en sa qualité de fondé de pouvoir de la société Allard, à faire prendre en charge par celle-ci une somme de 62 679,41 F. représentant des frais d'architecte avancés par S.A.R.E.P., si, à la date du 30 septembre 1969, S.A.R.E.P. n'avait pas obtenu de la société Allard la signature d'une convention identique à celle qu'il devait apporter ; que l'assemblée générale acceptait, à l'unanimité des présents dont J., d'accorder à celui-ci un délai jusqu'au 20 juillet 1969 et convoquait pour le 25 juillet suivant une assemblée générale extraordinaire ;

Attendu que cette assemblée générale extraordinaire était tenue à 15 heures, à la date prévue ; qu'elle prenait acte de la reconnaissance par J. qu'il n'était pas en état d'apporter la convention promise et décidait, à l'unanimité des présents dont J., l'annulation des 100 actions d'apport et la réduction du capital social a 400 000 F. qu'une assemblée générale ordinaire, tenue le même jour à 16 h. 30, ratifiait en temps que de besoin la démission de J. et renvoyait à l'assemblée appelée à statuer sur les comptes de l'exercice 1969, le quitus à donner, prorata temporis, à J. au titre de cet exercice 1969 ;

Attendu que, J. n'ayant pu apporter, le 30 décembre 1969, la convention promise, S.A.R.E.P. l'a assigné devant le tribunal de céans qui a jugé, le 13 mai 1971, que l'engagement pris par J. lors de l'assemblée générale du 25 juin 1969 l'obligeait personnellement et l'a condamné à lui payer la somme de 62 679,41 F. ; que J. a relevé appel de cette décision le 23 juillet 1971 ;

Attendu que suivant exploit de Marquet, huissier, du 11 octobre 1971, J. a assigné devant le tribunal de céans, la société anonyme monégasque S.A.R.E.P., le sieur T. pris tant en son nom personnel que comme président du conseil d'administration de cette société, la société civile Audach et la Banque de Financement Industriel aux fins de faire prononcer l'annulation des délibérations prises par les trois assemblées générales de la S.A.R.E.P. tenues les 25 juin et 25 juillet 1969, de voir ordonner sa réintégration en qualité d'administrateur, voir dire et juger que, l'abandon de ses actions d'apport étant nul, non avenu et inexistant, lesdites actions devaient lui être restituées ;

Attendu que par arrêt du 30 octobre 1972, la Cour d'Appel de Monaco, se fondant sur la connexité de l'appel dont elle était saisie et de la présente instance, a sursis à statuer jusqu'à jugement de cette dernière ;

Attendu qu'aux termes de l'exploit d'assignation et de ses conclusions postérieures, J. fonde sa demande sur trois moyens ; le premier tiré du dol dont il prétend avoir été victime à l'occasion des délibérations des trois assemblées, dont il sollicite l'annulation ; le second fondé sur l'abus de majorité caractérisé qui a présidé à ces délibérations ; le troisième sur l'impossibilité juridique de revenir sur le vote des assemblées constitutives qui se sont prononcées sur l'apport des associés et d'annuler les actions créées pour rémunérer cet apport ;

Attendu que les défendeurs concluent au rejet de cette demande, le dol n'étant pas prouvé, aucun abus de majorité n'étant établi et l'assemblée générale extraordinaire du 25 juillet 1969 s'étant régulièrement prononcée ;

1° Attendu sur le premier moyen qu'aux termes de l'article 971 du Code civil le dol ne se présume pas et doit être prouvé ; que J. doit donc établir que les manœuvres pratiquées par les défendeurs ont été telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, lui-même n'aurait pas contracté ;

Attendu qu'il doit tout d'abord être constaté que la démission de J. résulte d'une lettre adressée à T. le 12 juin 1969, et dont la valeur n'est pas mise en cause par le demandeur qui n'en sollicite pas l'annulation ; que l'assemblée générale ordinaire du 25 juin n'ayant fait qu'entériner la décision de J. sur ce point, la demande de réintégration en qualité d'administrateur présentée par celui-ci doit être purement et simplement rejetée ;

Attendu d'autre part, qu'en ce qui concerne les trois assemblées dont l'annulation des délibérations est demandée, J. ne vise, dans ses écrits judiciaires, aucune manœuvre, au sens de l'article 971 susvisé, c'est-à-dire aucune intervention positive, prise à l'initiative des défendeurs, qui aurait pu, en raison de son caractère frauduleux, avoir une influence déterminante sur les décisions qu'il a été amené à prendre ;

Attendu qu'en fait J. entend déduire ces manœuvres à partir de trois éléments :

a) qu'il affirme qu'au moment des faits, c'est-à-dire courant juin et juillet 1969, il se trouvait dans un état de santé des plus critiques ; qu'il produit, à titre de justification, un certificat médical délivré le 7 août 1970 par le Docteur P., qui atteste qu'il a fait un infarctus du myocarde grave, le 9 novembre 1967, lequel lui interdit tout surmenage physique ou intellectuel, toute discussion contradictoire et toute émotion ;

Attendu cependant que s'il est admis qu'en nature de dol, l'état de faiblesse physique ou mental de la victime peut être pris en considération pour apprécier le caractère déterminant de l'influence des manœuvres de l'auteur du dol sur la décision de cette victime, l'argumentation invoquée par J. ne saurait être retenue, en l'espèce ; que son état de santé n'était nullement critique puisque, postérieurement à cet accident cardiaque, il avait repris ses activités, créant la S.A.R.E.P. dont il était l'administrateur, assistant régulièrement aux diverses assemblées de cette société et assurant la gestion de la société Allard ; que les lettres qu'il produit établissent seulement que certaines précautions de santé devaient être observées mais qu'il apparaît que J. était parfaitement en état, tant au point de vue physique que mental, de gérer ses intérêts dans des conditions normales ;

b) que le demandeur entend également tirer argument de l'allocution prononcée par T., lors de l'assemblée générale ordinaire du 25 juin 1969, qu'il considère comme un véritable réquisitoire et de la menace, figurant in fine, de porter à la connaissance du Procureur Général à Monaco, les faits qui lui étaient reprochés ; que cependant, une telle déclaration, qui ne faisait que rappeler les difficultés existant entre les parties, ne pouvaient avoir pour effet, même si elle était assortie d'une menace de déposer plainte en justice, d'amener une partie, sûre de son bon droit, à prendre des décisions préjudiciant à ses intérêts, le recours à la justice étant, au contraire, l'occasion de faire valoir ces droits ;

c) que l'essentiel de la démonstration de J. consiste en un raisonnement qui peut être ainsi résumé : comme il avait apporté, contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, la convention promise, il n'avait aucune raison d'accepter la suppression de ses 100 actions d'apport, et s'il a accepté cette suppression, cela ne peut être que parce qu'il a été victime de manœuvres dolosives ; que cependant une telle démonstration fondée, à l'évidence, sur une pétition de principe ne saurait être admise par le Tribunal, car aucun raisonnement subjectif n'est susceptible de remplacer la preuve objective de manœuvres dolosives positives qui doit être rapportée par le demandeur agissant sur le fondement de l'article 971 du Code civil ;

Attendu que J. ne rapporte pas la preuve du dol qu'il allègue et que sa demande doit être rejetée sur ce point ;

2° Attendu sur le deuxième moyen qu'il doit être constaté que les trois assemblées générales de S.A.R.E.P., critiquées par J., ont été tenues dans des conditions régulières ; que J. qui a assisté à ces assemblées, a régulièrement voté dans le sens des propositions présentées, puisque les votes ont toujours été acquis à l'unanimité ; que l'abus de majorité ne se conçoit que dans la mesure où il y a majorité et non pas en cas d'unanimité ; et qu'un associé n'est recevable à invoquer un tel abus que dans la mesure où il a personnellement voté contre la proposition qu'il conteste ; que la demande de J. doit également être rejetée sur ce point ;

3° Attendu sur le troisième moyen que l'ordonnance du 5 mars 1895 sur les sociétés anonymes n'interdit nullement qu'à l'occasion d'une modification des statuts, qui est rendue possible par l'article 16, une réduction du capital intervienne et que cette réduction porte sur des actions d'apport ; que cet article 16 exige uniquement qu'un nombre minimum d'actionnaires ou de titres soit réuni ; qu'il apparaît que, lors de l'assemblée générale exceptionnelle tenue par S.A.R.E.P. le 25 juillet 1969, la totalité des actionnaires et des parts sociales étaient présentes et que le vote a été acquis à l'unanimité ; que, dès lors, la réduction de capital intervenue n'a rien eu de contraire à l'ordonnance susvisée ; que J. doit donc être débouté sur ce point ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal rejetant comme inopérantes ou mal fondées toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déboute J. de ses demandes, fins et conclusions ;

Composition🔗

M. François, pr., Mme Margossian, subst. gén., MMe Marquilly, Lorenzi, av. déf., Berdah (du barreau de Nice) av.

Note🔗

La Cour d'Appel a, par arrêt du 8 avril 1975, débouté J. de son appel.

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