Tribunal de première instance, 5 juillet 1973, M. G. c/ J. G. et E.

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Abstract🔗

Prescription civile

Reddition de comptes de tutelle - Patrimoine du pupille - Administration par le tuteur ès qualités (non) - Gestion d'affaire - Prescription

Résumé🔗

L'article 402 du Code civil prévoit que toute action du pupille relative aux faits de la tutelle et exercée contre le tuteur, le subrogé-tuteur, les membres du conseil de famille et l'État se prescrit par 5 ans à compter de la majorité lors même qu'il y aurait eu émancipation. Bien qu'il soit admis par la jurisprudence que la prescription ne commence point à courir à compter de la fin de la tutelle lorsque le tuteur a conservé, en fait, l'administration du patrimoine du pupille devenu majeur, la gestion par un père, avec l'accord au moins tacite de ses enfants, de l'indivision dont il est pour la plus grande part bénéficiaire ne peut être considérée comme étant celle d'un tuteur, tenant ses pouvoirs de la loi, sur un patrimoine appartenant au pupille. La demande de reddition de comptes de tutelle, présentée onze ans après la majorité du requérant, doit être rejetée comme prescrite.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu qu'à la suite du décès, survenu le 8 février 1941, de son épouse née M. E., le sieur J. G. est devenu tuteur naturel et légal de ses deux enfants mineurs R. et M. ; que le sieur J. E. a été désigné en qualité de subrogé-tuteur de ceux-ci par délibération du conseil de famille du 29 mai 1941 ;

Attendu que né le 16 février 1940 et devenu majeur le 16 février 1961, M. G. a, suivant exploit du 13 octobre 1972, assigné son père J. G., docteur en médecine, et le sieur E., ès qualités de subrogé-tuteur en reddition de comptes de tutelle ;

Qu'il demande au tribunal de dire et juger que la prescription de l'ancien article 370 du Code civil monégasque ne peut s'appliquer puisque les défendeurs continuent à administrer en fait son patrimoine, de désigner tel expert qu'il appartiendra afin de déterminer si les règles légales relatives à la gestion des biens ont été respectées, de l'autoriser d'ores et déjà à prendre par mesure de sauvegarde une hypothèque provisoire d'un montant de 100 000 F. sur la part indivise de J. G. dans la villa D., sise ., et de condamner les défendeurs à lui payer une provision de 30 000 F. représentant le montant d'interventions chirurgicales que nécessite son état de santé, à valoir sur les biens qui lui reviendront en suite du partage des biens de sa mère Dame E. épouse G. ;

Attendu qu'en des conclusions du 10 janvier 1973, J. G. répond que depuis la majorité de ses fils, il n'a géré qu'une indivision successorale dans laquelle les droits du demandeur et de son frère ne pouvaient résulter que des dispositions du contrat de mariage des époux E.-G. et du testament de feue Dame E., circonstance en l'état de laquelle il a estimé ne pas avoir de comptes à rendre ; que dès lors qu'il a, compte tenu du contrat de mariage dont s'agit, la propriété ou l'usufruit de tous les biens communs, sans possibilité de rapport puisqu'il ne s'agit pas de libéralités imputables sur la quotité disponible et susceptibles de réduction, le patrimoine dont le demandeur ne justifie d'ailleurs ni de l'existence ni de la consistance et qui aurait donné lieu à une gestion irrégulière n'a pu comprendre que des biens d'une valeur insignifiante, sans commune mesure avec les sommes considérables exposées pour l'établissement de M. et R. G., que ce n'est qu'une fois terminées les opérations de comptes, liquidation et partage que pourront être connus les biens ayant pu faire l'objet de la gestion dont s'agit et que pourra être apprécié le droit du demandeur et de son frère - qui n'est pas aux débats - de demander des comptes ;

Qu'invoquant la prescription de l'article 370 du Code civil, il relève que le demandeur admet lui-même qu'une interversion s'est produite, à sa majorité, dans les qualités en vertu desquelles son père a géré ceux des droits que lui et son frère auraient pu recueillir dans la succession de leur mère ;

Qu'il soutient que la jurisprudence de la Cour de Cassation que M. G. entend opposer à l'applicabilité en l'espèce de ladite prescription n'est nullement topique à cause précisément de cette interversion de qualités, et que, sauf à surseoir à statuer jusqu'à la fin des opérations de partage, l'action en reddition de compte de tutelle doit être déclarée prescrite ;

Qu'il fait valoir enfin que le demandeur ne saurait réclamer réparation d'un préjudice dont il n'établit pas l'existence ;

Qu'il demande en conséquence de dire n'y avoir lieu, en l'état, à condamnation contre lui à des dommages-intérêts ni à autorisation à prendre des mesures conservatoires sur son patrimoine immobilier, de déclarer irrecevable et mal fondée la demande de provision sur partage dans le cadre de la présente instance et, recevant sa demande reconventionnelle, de condamner M. G., à raison de ses allégations malveillantes, à lui payer la somme de 1 F. à titre de dommages-intérêts ;

Attendu qu'en des écrits du 31 janvier 1973, le subrogé-tuteur E. objecte qu'avant d'accepter de remplir ses fonctions, il a veillé à ce que soit dressé un inventaire ; qu'il lui est apparu qu'aux termes des dispositions testamentaire de sa sœur feue épouse G. et du contrat de mariage des époux E.-G., le patrimoine des mineurs G. était pratiquement inexistant lors dudit inventaire ; que le demandeur est d'autant plus mal venu à lui réclamer des dommages-intérêts qu'il n'a jamais sollicité son intervention ni formulé à son encontre la moindre critique jusqu'à l'assignation dont le tribunal est saisi ;

Qu'il conclut en conséquence au déboutement de M. G. des fins de son assignation à son endroit et qu'il demande qu'il lui soit donné acte de ses réserves de réclamer ultérieurement, paiement de tels dommages-intérêts qu'il appartiendra pour procédure abusive et vexatoire ;

Attendu que concluant le 30 mai 1973, M. G. expose que son action est motivée par le refus opposé par son père de procéder au partage de la succession de feue dame G.-E. et de prendre en charge les nombreux frais médicaux et de clinique occasionnés par un accident et la maladie dont il est atteint ;

Qu'il estime que l'interversion de qualités alléguée par le défenseur G. pour faire échec à la jurisprudence par lui invoquée contre l'applicabilité en l'espèce de la prescription de l'article 370 du Code civil ne peut résulter que d'un accord des parties, et que son existence relève, en tout état de cause, de l'appréciation du tribunal ;

Qu'il demande à ce dernier de faire droit aux fins de son exploit introductif d'instance ;

Attendu qu'aux termes de l'article 402 actuel du Code civil tel que modifié par la loi 892 du 21 juillet 1970, toute action du pupille relative aux faits de la tutelle et exercée contre le tuteur, le subrogé-tuteur, les membres du conseil de famille et l'État se prescrit par 5 ans à compter de la majorité lors même qu'il y aurait eu émancipation ;

Qu'étant identique à celui prescrit par l'article 475 du Code civil français, ce délai se trouve largement écoulé dans le cas de l'espèce puisque M. G. a atteint sa majorité le 16 février 1961 et ce, que l'on applique la législation française en raison de la nationalité des parties ou la législation monégasque à raison de leur domiciliation à Monaco et de la situation des biens pupillaires et successoraux en Principauté ;

Attendu que pour faire échec au moyen tiré de la prescription prévue par les textes précités, le demandeur invoque un arrêt de la Cour de Cassation du 16 décembre 1913 aux termes duquel ladite prescription ne commence point à courir à compter de la fin de la tutelle lorsque le tuteur a conservé, en fait, l'administration du patrimoine du pupille devenu majeur ;

Or attendu que cette jurisprudence n'interdit pas au Tribunal d'apprécier en fait, si le tuteur a conservé l'administration du patrimoine de son pupille en vertu des pouvoirs qu'il tenait de la loi, en sa qualité de tuteur ou s'il a continué à gérer ce patrimoine par suite d'un accord qui l'a constitué soit mandataire soit négotiorum gestor des parties intéressés ;

Qu'il a été d'ailleurs jugé que lorsque le père continue à administrer les biens de ses enfants mineurs, devenus majeurs en conservant la gérance de la fortune existant au décès de sa femme, dont une partie lui revenait à son double titre d'époux commun en biens et de donataire - ce qui est le cas de l'espèce - l'a fait avec le consentement de chacun des enfants et s'est ainsi trouvé être leur gérant d'affaires, de sorte que la demande en reddition de comptes formée longtemps après, présente un caractère vexatoire et ne saurait être accueillie (Trib. civ. Seine 7 mai 1921 - D.P. 1921-2-147) ;

Qu'il a été encore décidé que si la prescription ne court au profit du tuteur qu'à partir du jour où l'administration des biens pupillaires a cessé, il y a lieu de distinguer les actes qui sont la suite nécessaire d'actes accomplis pendant la tutelle et ceux qui ont un caractère indépendant, les premiers étant soumis aux obligations dérivant de la tutelle et les autres devant être considérés comme une gestion d'affaires (Trib. Civ. Seine - 10 janvier 1936 - Gaz. Pal. 1936-1-632) ;

Attendu qu'il est constant en l'espèce que le Docteur G. qui recueillait non seulement sa part de moitié dans la communauté mais encore l'usufruit de l'autre moitié en vertu du contrat de mariage outre les biens propres de son épouse prédécédée en l'état du testament de celle-ci, au moins à concurrence de la plus large quotité disponible, a continué en fait à gérer, de l'accord au moins tacite de ses enfants, l'indivision dont il était pour la plus grande part bénéficiaire, une telle gestion ne pouvant être considérée comme ayant été celle d'un tuteur, tenant ses pouvoirs de la loi, sur un patrimoine appartenant au pupille ;

Attendu qu'il y a lieu, en conséquence et sans qu'il soit besoin d'avoir égard aux autres moyens développés par le Docteur G., de rejeter comme prescrite, la demande de reddition de comptes de tutelle formée par M. G. ;

Attendu que ce dernier n'établissant nullement l'existence des faits préjudiciables imputés au tuteur et au subrogé-tuteur, il échet, en l'état, de rejeter également ses demandes aux fins d'expertise et de mesure conservatoire à concurrence de la somme de 100 000 F, ainsi que sa demande tendant à l'allocation d'une provision de 30 000 F qui apparaît irrecevable dans le cadre de la présente instance ;

Attendu qu'il y a lieu, en revanche, de faire droit à la demande reconventionnelle du Docteur G. et de condamner M. G. à lui payer la somme de un franc à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant pour lui de ses imputations malveillantes ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Rejetant comme inopérantes ou mal fondées toutes demandes, fins ou conclusions contraires ou plus amples des parties,

Déclare irrecevable, comme prescrite en application de l'article 402 nouveau du Code civil, la demande en reddition de comptes de tutelle de M. G. ;

Dit n'y avoir lieu, en l'état, de condamner le Docteur J. G. et le sieur E., subrogé-tuteur, à des dommages-intérêts ni d'autoriser les mesures conservatoires sollicitées par le demandeur ;

Déclare irrecevable la demande de provision sur partage, dans le cadre de la présente instance ;

Reçoit J. G. en sa demande reconventionnelle et y faisant droit, condamne M. G. à lui payer la somme de un franc à titre de dommages-intérêts pour les causes énoncées aux motifs ;

Décerne au sieur E., ex-subrogé-tuteur, le donné acte par lui sollicité et visé aux motifs ;

Composition🔗

M. de Monseignat, pr., Mme Margossian, subst. gén., MMe Sanita, Marquet, Clerissi, av. déf., Rey et Magagli (du barreau de Nice) av.

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