Tribunal de première instance, 11 mai 1973, II. - dame Veuve C. c/ G. et M. S. L.

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Abstract🔗

Contrats et obligation

Contrat synallagmatique - Portefort - Société obligée - Société fictive - Actes passés - Nullité (non) - Maître de l'affaire tenu personnellement

Résumé🔗

La convention, par laquelle une des parties s'engage à demander une licitation en justice tandis que l'autre s'oblige et oblige les personnes ou sociétés qu'elle se serait substituées à pousser les enchères jusqu'à une somme donnée, s'analyse en un contrat synallagmatique comportant une promesse de porte-fort au cas où l'adjudicataire serait la société substituée au contractant. S'il est établi que la Société que celui-ci s'est substituée est purement fictive, le créancier peut agir directement contre le maître de l'affaire, l'inexistence de la société n'entraînant pas la nullité des actes qu'elle a passés mais conduisant à rattacher ces actes à leur véritable auteur qui devient aussi personnellement débiteur des obligations contractées par ladite société.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que le 11 octobre 1953 décédait à Paris le sieur C. (L., Gênes) à la survivance de la dame A. veuve C., sa seconde épouse avec qui il était marié sous le régime de la séparation de biens, laissant pour héritiers deux enfants majeurs G., L. A. et L. A. L., issus de sa première union avec dame L., d'une part, et deux enfants mineurs issus de son second mariage avec ladite dame C., R. L. A. né le 7 novembre 1938 et R. B., née le 16 novembre 1940 ; qu'en suite de ce décès, Vve C. devenait propriétaire indivise avec lesdits héritiers des biens dépendant de la succession de feu C., en ce compris une villa sise à Oran (Algérie) ., qu'aux termes d'un testament olographe en date du 1er février 1952 le de cujus lui avait léguée en totalité ensemble avec d'autres biens meubles et immeubles ;

Attendu qu'antérieurement à la liquidation et le partage de la succession dont s'agit et l'exécution dudit testament qui ne pourraient intervenir qu'à la majorité de la mineure R. B., les hoirs C. concluaient un accord avec la société S.O.G.E.P. Maroc représentée par son administrateur unique, le sieur P. P., et ayant son siège social à Oran, . ; qu'aux termes de cette convention, sans date, mais nécessairement antérieure au 15 juillet 1959, date à laquelle le Tribunal de Grande Instance d'Oran ordonnait la licitation dudit immeuble, les hoirs C. s'engageaient à demander cette licitation en justice dans les formes des articles 465 et 822 du Code civil français, tandis que, de son côté, la société S.O.G.E.P. s'obligeait et obligeait les personnes ou sociétés qu'elle se serait substituées, à pousser les enchères jusqu'à la somme principale de 450 000 F., des engagements et accords supplémentaires étant pris par les parties au cas où lesdites enchères excéderaient la somme ci-dessus ;

Que cette convention réservant à la S.O.G.E.P le droit de se substituer dans le bénéfice du compromis de vente ainsi convenu telle personne physique ou morale de son choix, ladite société substituait en ses lieu et place, suivant mention portée in fine dans l'acte, suivie de la date du 8 octobre 1959 et de la signature de P., une société civile dénommée Bretagne, constituée le jour même de cette substitution entre un sieur M. S. L. et un sieur G. et ayant son siège social chez la société S.O.G.E.P., . à Oran ;

Que le 15 octobre 1959, ladite société Bretagne se portait adjudicataire de la villa C. pour la somme de 450 000 F. dont 200 000 étaient payables et ont été payés le jour même de l'adjudication, le solde de 250 000 F. portant intérêt à 8 % devant, tant aux termes de la convention passée entre S.O.G.E.P. et l'hoirie C. que du cahier des charges, être payé dans un délai de trois mois, ladite convention spécifiant « à ce sujet » qu'au cas où la société S.O.G.E.P. ou ses substituées seraient déclarées adjudicataires, elles devraient remettre aux consorts C. d'ores et déjà d'accord, à titre de dation en paiement dudit solde en principal et intérêts ou par tout autre moyen, des appartements ou locaux dépendant d'un immeuble que la S.O.G.E.P. se proposait de construire en co-propriété sur l'emplacement de la villa licitée et destinée à être démolie ;

Attendu que le 15 novembre 1961, la société civile Bretagne modifiait ses statuts et opérait une augmentation de capital par incorporation du compte créditeur de P. dans les livres de cette société, d'un montant de 290 000 F., en sorte que le nouveau capital, social s'élevait à la somme de 300 000 F. divisé en 3 000 parts, savoir 5 parts à M. S. L., 5 parts à G. et 2 990 parts à P. qui était nommé gérant statutaire pour une durée indéterminée ;

Que P. démissionnait de ces fonctions le 26 février 1962 et y était remplacé par une société SOARI domiciliée chez S.O.G.E.P., . à Oran, les sieurs M. S. L. et G. ayant, le 5 février précédent, cédé leurs 5 parts respectives à une société civile dénommée « Résidence », ayant également son siège social à l'adresse précitée de la société S.O.G.E.P. ;

Attendu qu'en cet état et motif pris que le solde de 250 000 F. n'a jamais été payé par la société Bretagne et que P., qui a refusé de répondre à la sommation interpellative du 24 octobre 1969 lui enjoignant d'indiquer le siège social de cette société, est tenu de contribuer au paiement de la dette pour sa part virile dans celle-ci dont il possède 90 % des parts, Vve C. assignait P., par exploit du 19 décembre 1969, en paiement de la moitié de cette dette, augmentée des intérêts à 8 % à compter du 15 octobre 1959 date de l'adjudication de l'immeuble litigieux ;

Attendu qu'après avoir objecté que la demanderesse ne justifiait ni de sa qualité ni de son intérêt à agir en l'état de la seule production du testament olographe de feu C. L. dont rien n'établissait que les héritiers réservataires aient consenti à l'exécution, P. répondait le 3 mai 1971, que n'étant devenu membre de la société civile Bretagne que le 15 septembre 1961, il ne pouvait, en vertu des dispositions de l'article 1701 du Code civil, être recherché pour sa part virile dans une dette contractée par ladite société le 15 octobre 1959, soit antérieurement à son entrée dans celle-ci en qualité d'associé ;

Qu'il concluait en conséquence au rejet de la demande formée contre lui ;

Attendu que se référant aux dispositions testamentaires l'instituant légataire de la villa licitée et à des attestations par lesquelles les héritiers réservataires se considèrent entièrement remplis de leurs droits et si besoin lui donnent pouvoir pour agir en leur nom et pour leur compte, Vve C. exposait, le 15 novembre 1971, qu'en acquérant les parts détenues par les sieurs M. S. L. et G. dans la société Bretagne, P. avait par là-même pris à sa charge la part correspondant au passif social et se trouvait en vertu des dispositions de l'article 1702 in fine du Code civil, soit la moitié du solde du prix d'adjudication augmentée des intérêts contractuellement convenus ; que son action à l'encontre du seul P. procédait de l'impossibilité dans laquelle elle était, en l'état du refus de ce dernier de communiquer les renseignements demandés sur l'adresse et la constitution actuelle de la société Bretagne, de poursuivre également les autres associés du défendeur ;

Qu'estimant que P. ne pouvait se soustraire à ses obligations, elle demandait au Tribunal de faire droit aux fins de son assignation ;

Attendu que réitérant ses précédentes conclusions tendant à l'irrecevabilité de la demande par application des dispositions de l'article 1701 du Code civil, P. rétorquait, le 22 mars 1972 qu'à supposer qu'un cessionnaire de parts sociales puisse être tenu des dettes contractées pour le compte de la société antérieurement à la cession, son entrée dans la société civile Bretagne s'est faite non point à l'occasion d'une cession de parts mais par le truchement d'une augmentation du capital social ;

Qu'il faisait valoir subsidiairement que les justifications produites par Vve C. quant à son droit à agir seule pour la totalité des droits et actions relatifs à l'immeuble licité étaient équivoques eu égard aux termes des attestations établies par les héritiers réservataires et qu'il rappelait que nul ne plaide par procureur, la demande de dame C. étant de surcroît irrecevable parce que non introduite préalablement ou en tout cas en même temps contre la S.C.I. Bretagne ;

Qu'il soutenait enfin que cette société qu'il s'était substituée dans le bénéfice du compromis de vente postérieurement à l'établissement et au dépôt du cahier des charges prévoyant le seul paiement du solde du prix d'adjudication sous forme de versement de la somme de 250 000 F. dans le délai de trois mois avec intérêts à 8 %, devait de l'accord des parties, régler ce solde au moyen d'une dation en paiement ou tout autre moyen consistant en l'attribution à concurrence de la somme sus-indiquée d'appartements dépendant d'un immeuble à construire sur l'emplacement de la villa, laquelle a été démolie par la société adjudicataire qui ne s'est jamais vu réclamer par les hoirs C. le paiement du solde dont s'agit ; que cette obligation de livrer des appartements n'a pu être exécutée par suite d'un cas de force majeure résultant de l'impossibilité de construire inhérente aux évènements d'Algérie et aux mesures de dépossession prises par le Gouvernement Algérien en vertu du décret du 18 mars 1963 et de l'ordonnance du 6 mai 1966, que la S.C.I. Bretagne s'est ainsi trouvée libérée de son obligation sans indemnité, cette société comprenant d'ailleurs lors de la réunion de l'Assemblée du 26 février 1962 qui a constaté sa démission de gérant et désigné pour remplir ces fonctions la S.A.R.L. SOARI, 27 associés représentant la totalité du capital social, circonstance infirmant les allégations de la dame C. quant à la limitation à deux du nombre des associés de ladite société et rendant de plus fort irrecevable l'action de la demanderesse ;

Attendu qu'invoquant trois lettres écrites par P. en avril, juin et juillet 1965 à un sieur P. F., conseil de dame C., celle-ci répliquait, le 3 mai 1972 que l'engagement pris par P. dans la dernière de ces correspondances de lui régler le montant de sa créance augmentée des intérêts exigibles, sous réserve d'un quitus définitif confirme sa thèse selon laquelle la société Bretagne n'était qu'une société fictive dissimulant les activités à but purement personnel de P. ; que la contre-lettre substituant au règlement du solde du prix d'adjudication dans un délai de trois mois une dation en paiement est nulle parce que relative à des biens immeubles appartenant en indivis à des mineurs et ne revêt pas une forme solennelle prescrite dans ce cas ; qu'elle demandait partant que P. soit déclaré tenu au paiement de la totalité de la dette, soit 250 000 F outre 200 000 F d'intérêts, sauf si le tribunal l'estimait, à ne le retenir que pour sa part virile en l'état de la constitution de la S.C.I. Bretagne après cession des parts M. S. L. et G. à la société Résidence ;

Que très subsidiairement et en l'état de l'assignation délivrée à sa requête aux dits sieurs M. S. L. et G. suivant exploit du 27 avril 1972, elle concluait à la condamnation de ces défendeurs, au demeurant défaillants, au paiement du solde du prix d'adjudication, à concurrence de moitié chacune en leur qualité d'adjudicataires de l'immeuble litigieux, et ce, après jonction des instances demandées par conclusions du 18 janvier 1973 ;

Attendu qu'au motif que Vve C. n'a assigné les sieurs M. S. L. et G. que pour le cas où le tribunal ne le déclarerait en aucune façon responsable de la dette alléguée, P. déclare s'opposer à la jonction sollicitée et en d'ultimes écritures du 14 février 1973, réplique que la correspondance invoquée par la demanderesse se réfère à des pourparlers qui n'ont pas abouti ; que celle-ci est mal fondée à contester le sens et la validité de la contre-lettre substituant au paiement du solde du prix d'adjudication une dation en paiement, dès lors que majeure et maîtresse de ses droits elle a signé l'acte et ne saurait par là-même en soulever la nullité au demeurant relative ; que l'attribution d'appartements en paiement du solde dont s'agit ne constituait pas une faculté mais une obligation imposée et acceptée par les parties ; que le procès-verbal de réunion de l'assemblée générale de février 1962 de la S.C.I. Bretagne, signé par tous les associés présents et dont copie est versée aux débats est opposable aux tiers au même titre qu'une feuille de présence qu'il remplace ; qu'enfin, son entrée dans la S.C.I. précitée postérieurement à l'adjudication et à la faveur d'une augmentation de capital réduit à néant les prétentions de dame C. quant à ses prétendues obligations à l'égard des tiers ayant contracté avec ladite société ;

Qu'il conclut de plus fort au déboutement de la demanderesse des tins de son assignation et de ses conclusions ampliatives ;

Attendu d'une part, que si jusqu'au 3 mai 1972, les conclusions de Vve C. ont tendu à les condamnation de P. au paiement du solde du prix d'adjudication de la villa C. à concurrence de sa part virile dans la S.C.I. Bretagne, celles prises par la demanderesse à la date précitée, et tendant à voir retenir le défendeur pour la totalité de la dette au motif de la prétendue fictivité de ladite société, ont été suivies d'une discussion entre les parties liant le débat au-delà de la demande telle que formée dans l'exploit introductif d'instance ;

Attendu d'autre part, que l'assignation délivrée le 27 avril 1972 aux sieurs M. S. L. et G. à la requête de Vve C. s'analysant en une demande subsidiaire dirigée contre ces deux ex-associés de la société Bretagne et adjudicataires pour le compte de celle-ci de l'immeuble litigieux, il y a lieu, compte tenu de la connexité de cette demande avec celle formée à l'encontre de P., également associé de ladite société et nonobstant le défaut desdits M. S. L. et G., de joindre les instances et de statuer sur le tout par un seul et même jugement ;

Attendu que si au jour de la convention sans date intervenue entre l'hoirie C. et la société S.O.G.E.P. représentée par son administrateur unique P., la liquidation et le partage de la succession de feu L. C. ainsi que l'exécution du testament par lequel ce dernier instituait la Vve C. légataire de la villa sise . à Oran, n'avaient pas encore eu lieu en raison du fait que l'héritière indivise C. R. B., née le 16 novembre 1940 était encore mineure, les droits et actions dévolues à ladite Vve C. par voie testamentaire, y compris notamment la propriété exclusive de l'immeuble précité doivent être, faute de preuve contraire et spécialement de l'opposition des héritiers à l'exécution du testament, considérés comme acquis et conférant à la demanderesse ladite propriété, au jour des assignations dont le tribunal est saisi, rien n'établissant que ces droits et actions aient excédé la quotité disponible et porté atteinte à la réserve des héritiers du testateur dont il n'est pas contesté qu'ils se sont déclarés entièrement remplis de leurs droits ;

Qu'il suit que Vve C. avait bien qualité pour agir du chef des droits immobiliers dont s'agit ;

Attendu qu'il ressort de la convention sans date précitée passée entre l'hoirie C. et la société S.O.G.E.P. représentée par P., qu'après s'être obligée et avoir obligé les personnes ou sociétés qu'elle se serait substituées, à pousser, le jour de l'adjudication de la villa léguée à la demanderesse, les enchères jusqu'à la somme principale de 45 millions d'anciens francs, ladite société s'est substituée dans l'acte même par une mention placée in fine, datée du 8 octobre 1959 et souscrite par P., une société civile dite Bretagne qui, le 15 octobre suivant et par le truchement de ses 2 seuls membres M. S. L. et G., se portait adjudicataire dudit immeuble pour la somme précitée et, après versement convenu dans la convention dont s'agit d'un acompte de 20 millions d'anciens francs, s'engageait conformément aux autres stipulations souscrites par S.O.G.E.P. à payer le solde soit 25 millions d'anciens francs dans un délai de 3 mois avec intérêts au taux de 8 % l'an payables en même temps que le solde principal ;

Qu'il apparaît que cette convention s'analysait bien qu'assujettie à une procédure d'adjudication en raison de la présence de mineurs à l'acte sous-seing privé, en une vente conditionnelle c'est-à-dire un contrat synallagmatique comportant une promesse de porte fort au cas où l'adjudicataire serait la société substituée à la S.O.G.E.P. puisque celle-ci promettait expressément le fait de ladite société ;

Attendu qu'en obligeant ainsi à l'égard des vendeurs la société Bretagne qui s'est portée adjudicataire aux conditions telles que convenues par la S.O.G.E.P., celle-ci s'est comportée, en réalité et par personne interposée, comme le véritable acquéreur de la villa C. ;

Attendu qu'il doit être retenu à cet égard que la société Bretagne domiciliée au siège social de la S.O.G.E.P. a été constituée, comme il appert du procès-verbal d'adjudication dressé par Maître Seban, notaire à Oran, le 15 octobre 1959, le jour même où P. se l'est substituée, c'est-à-dire pour les besoins de la cause ; que le capital de cette société fixé à 100 000 anciens francs apparaît singulièrement dérisoire à côté du montant des enchères jusqu'auquel elle a poussé, et de l'acompte de 20 millions d'anciens francs payé le jour même de l'adjudication ; qu'en outre, si l'on considère l'importance du compte créditeur de P. dans les livres de ladite société qui lui a valu d'y entrer 2 ans après comme associé majoritaire détenant 2 990 parts sur 3 000, à la faveur d'une augmentation de capital dû au seul fait dudit P. puisque ses 2 autres co-associés ont conservé sous forme de parts, la partie du capital social initial qu'ils détenaient, l'activité sociale de la société substituée dans le bénéfice du compromis de vente apparaît comme ayant été financée par P. ; que bien qu'aux termes dudit procès-verbal d'adjudication, la société Bretagne ait été apparemment acquéreuse de la villa C., la S.O.G.E.P. s'est réservée la construction de l'immeuble à édifier sur l'emplacement de ladite villa et dont des appartements devaient être attribués aux vendeurs à concurrence du solde du prix d'adjudication ; qu'enfin, dans une lettre en date du 5 juillet 1965 adressée à un sieur P. F. conseil de la Vve C., P. écrivait : « suite à votre lettre du 3 juillet, je pense que le projet de compromis que vous m'avez adressé ne correspond pas exactement à ce que nous avions convenu et qui pourrait être une transaction définitive avec votre cliente. Je suis prêt à abandonner à celle-ci la pleine propriété des billets à ordre que je possède pour un montant égal à sa créance et les intérêts exigibles, et pour un montant également destiné à vous couvrir de vos peines et soins (pour une somme que vous m'indiquerez). Contre cet abandon, je désire obtenir un quitus entier et définitif. C'est de cette formule que nous avons parlé qui permettrait à votre cliente avec un peu de patience d'obtenir une somme de beaucoup supérieure à celle qu'elle peut attendre et qui vous permettrait également d'être rémunéré de votre intervention suivant les bases que vous m'indiquerez ».

Attendu que les faits et circonstances sus-énoncés établissent que la société Bretagne que P. s'est substituée le 8 octobre 1959 et dont l'existence réelle ne saurait être contestée avait, lors de l'adjudication du 15 octobre 1959, une apparence ne correspondant à aucune réalité, constituant autrement dit, une société de façade ou, selon l'expression de Abeille (« La simulation dans les actes juridiques et particulièrement dans le droit des sociétés » - Aix - 1938), un « fantôme juridique », dépourvu d'affectio societatis et dissimulant l'activité d'une autre personne, en l'espèce celle de P. agissant, notamment à l'occasion de l'acquisition de la villa C., en qualité de maître de l'affaire, à l'abri du paravent que constituait ladite société fictive ;

Attendu que la doctrine et la jurisprudence considèrent à cet égard que la fictivité résulte, entre autres procédés, de l'inféodation de la société de façade à une autre société au siège social de laquelle elle établit le sien et aux directives et décisions de laquelle elle demeure assujettie, cette fictivité n'existant pas nécessairement le jour de sa constitution mais s'affirmant avec la mainmise progressive d'un de ses associés sur celle-ci ;

Or attendu qu'outre le fait que dès son origine la S.C.I. Bretagne a été la chose de la S.O.G.E.P., c'est-à-dire de son administrateur unique P. qui s'est porté fort pour elle et a imposé à ses associés certaines obligations à l'égard des hoirs C., l'entrée du défendeur dans ladite société en décembre 1961 par voie d'augmentation du capital et attribution à son profit de 99,6 % des parts sociales confirme la maîtrise de P. sur la société Bretagne sous le couvert de laquelle s'est réalisée l'acquisition de la villa léguée à Vve C. ;

Attendu qu'en semblable situation la doctrine et la jurisprudence admettent l'action d'un créancier tendant à écarter le voile de l'apparence pour agir directement contre le maître de l'affaire et considèrent que l'inexistence de la société n'entraîne pas la nullité des actes qu'elle a passés mais conduit à rattacher ces actes à leur véritable auteur qui devient ainsi personnellement débiteur des obligations contractées par ladite société ; qu'il suit, en l'espèce, que nonobstant la composition de la société Bretagne telle qu'elle résulte de la copie certifiée conforme du procès-verbal de réunion de son assemblée générale du 26 février 1962 et dont il n'est pas sans intérêt d'observer qu'il fait état de la désignation aux fonctions de gérant statutaire d'une S.A.R.L. SOARI domiciliée au siège social de la S.O.G.E.P. aux lieu et place de P. démissionnaire mais demeurant principal actionnaire, l'acte d'acquisition de la villa C. doit être rattaché audit P. qui du 8 octobre 1959 jusqu'à la date précitée au moins a été le véritable auteur des actes passés par la société Bretagne ;

Que cela résulte supplémentairement du fait que P. entend se prévaloir, pour s'exonérer de toute obligation de paiement, de la convention sous seing privé passée entre la S.O.G.E.P. et l'hoirie C. et qui prévoyait la substitution obligatoire au paiement en espèces du solde du prix d'adjudication dans le délai de 3 mois, d'une dation en paiement pour une valeur équivalente d'appartements ou locaux d'un immeuble à construire par la même S.O.G.E.P. sur l'emplacement de la villa C., ladite substitution ne figurant plus dans le procès-verbal d'adjudication du 15 juillet 1959 postérieur à la convention dont s'agit et qui constatait le seul engagement des deux associés de la société Bretagne agissant pour le compte de celle-ci de payer ledit solde dans le délai de 3 mois avec intérêts à 8 %, conformément d'ailleurs à l'article 9 du cahier des charges déposé le 24 septembre précédent ; que, dans la mesure où P. fait plaider que la convention sous seing privé modifie entre les parties les dispositions du cahier des charges relatives au paiement du solde du prix d'adjudication, sa thèse revient à considérer ledit cahier des charges comme l'acte ostensible liant les adjudicataires et les co-licitants, tandis que la convention sous-seing privé, passée entre ces derniers et la S.O.G.E.P., constituerait une contre-lettre, qui, il est à peine besoin de le rappeler, n'est valable qu'autant qu'elle soit passée entre les parties à ce que P. appelle, en l'espèce « l'acte officiel » ; qu'une telle prétention de P. de voir s'imposer à la société Bretagne, non partie à la convention sous-seing privé antérieure à l'adjudication prononcée apparemment au profit de cette société, le respect des conditions de ladite convention relatives à la dation en paiement prévue dans les conditions sus-énoncées en dépit du silence à cet égard du cahier des charges et notamment du procès-verbal d'adjudication, atteste en effet de l'abus par P. de la personnalité morale de la société qu'il s'est substituée le jour même de l'adjudication et dont il soutient qu'elle ne peut être aujourd'hui recherchée par suite des événements d'Algérie constitutifs à son sens de la force majeure qui a empêché la construction de l'immeuble et l'exécution de la dation en paiement sous forme d'attribution d'appartements dépendant de ce dernier à concurrence du solde restant dû de 25 000 000 d'anciens francs du prix d'adjudication ;

Or attendu qu'en admettant comme le soutient P. dans ses conclusions que la convention passée par la S.O.G.E.P. avec l'hoirie C. soit une contre-lettre parfaitement valable dans les rapports des parties - ce qui conduit logiquement à déduire que P., par l'intermédiaire de ladite S.O.G.E.P. était en réalité le co-contractant des co-licitants et, par l'interposition de la société fictive Bretagne, l'acquéreur réel de la ville licitée - il ne saurait être sérieusement soutenu que l'obligation d'exécuter ladite dation en paiement n'a pu être exécutée par suite d'un cas de force majeure ;

Qu'il a été jugé à cet égard que les événements d'Algérie ne constituaient pas un cas de force majeure permettant au débiteur de se soustraire au règlement de ses dettes (Aix, 19 mai et 3 juin 1965 ; Grenoble, 20 avril 1965 ; Pau, 23 juin 1965 ; Paris, 10 juillet 1965 ; Toulouse, 24 janvier 1966 - D. 1966, 609) ;

Que s'agissant, en l'espèce, du règlement d'une dette, peu importe le moyen par lequel ce règlement avait été stipulé, l'impossibilité alléguée par P. d'y recourir ne pouvant être considérée comme résultant de la force majeure ;

Qu'il suit que P. demeure tenu personnellement du règlement de la somme à concurrence de laquelle la dation en paiement non exécutée avait été stipulée, et ce, tant en raison de sa maîtrise sur la société qu'il s'est substituée le 8 octobre 1959 que par application des dispositions de l'article 1 120 du Code civil français identiques à celles de l'article 1 175 du Code civil monégasque, aux termes desquelles celui qui s'est porté fort pour autrui doit indemnité à celui à qui la promesse a été faite si le tiers - en l'espèce la société Bretagne - refuse de tenir l'engagement ;

Attendu qu'il y a lieu, dans ces conditions, de condamner P. à payer à la Vve C. la somme de 250 000 F augmentée des intérêts conventionnels à 8 % à compter du 15 octobre 1959 soit au total la somme de 460 000 F ;

Attendu qu'il y a lieu de mettre les sieurs G. et M. S. L. défaillants, purement et simplement hors de cause et de condamner P. aux dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Rejetant comme inopérantes ou mal fondées toutes demandes, fins et conclusions contraires ou plus amples des parties, et joignant les instances introduites par assignation des 19 décembre 1969 et 27 avril 1972 ;

Accueille Vve C. en ses actions respectivement contre P. et contre G. et M. S. L. ;

Statuant contradictoirement à l'égard de P. accueille, en la forme, Vve C. en sa demande et l'y déclarant fondée ;

Condamne P. à lui payer la somme de 460 000 F pour les causes énoncées aux motifs ;

Statuant par défaut à l'égard de G. et M. S. L., met ces derniers purement et simplement hors de cause ;

Composition🔗

MM. Rossi v. pr., François prem. subst. gén., MMe Marquilly, Marquet av. déf., Michel et Magagli (tous deux du barreau de Nice) av.

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