Tribunal de première instance, 30 novembre 1972, G. c/ Sté B.

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Abstract🔗

Preuve en matière commerciale

Acte mixte - Preuve - Livres de commerce - Recevabilité - Conditions.

Résumé🔗

La production de livres de commerce en preuve est admissible lorsque l'acte litigieux revêt un caractère mixte et que la preuve par présomption est recevable à raison de l'impossibilité matérielle ou morale du commerçant de se ménager une preuve écrite.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que G. R. a remis à la Société Générale Automobile Monégasque, en abrégé GAM représentée par son gérant G., une somme de cinquante mille francs à titre de prêt, sous la forme d'un chèque tiré par une dame C., sur la B.N.P., en date du quatorze avril mil neuf cent soixante-neuf à l'ordre dudit G. et endossé par ce dernier à la GAM sous la date du deux avril mil neuf cent soixante-dix ; que la Société B. dont le gérant est le sieur S. s'est porté caution à l'égard de G. du remboursement de ladite somme, les intérêts étant stipulés au taux de un pour cent par mois à compter du quatorze avril mil neuf cent soixante-neuf ; que la GAM ayant été déclarée en faillite par jugement de ce tribunal, du onze août mil neuf cent soixante-neuf, G. a produit à titre chirographaire au passif de ladite faillite dont l'actif suffirait à peine au règlement des créanciers privilégiés ;

Attendu qu'en cet état et suivant exploit du quatorze mars mil neuf cent soixante-douze, G. a assigné la Société B. prise en qualité de caution, en remboursement de la somme de cinquante mille francs augmentée des intérêts au taux de un pour cent par mois à compter du quatorze avril mil neuf cent soixante-neuf, jusqu'au jour du règlement ;

Attendu qu'en des conclusions du dix mai mil neuf cent soixante-douze, la Société B. soutient que la demande formée à son encontre est sans objet dès lors que le remboursement de la somme dont s'agit est intervenu au moyen d'un chèque n° 68910 de cinquante mille francs par elle adressé à G. ensemble avec une lettre en date du vingt-huit août mil neuf cent soixante-dix, ce chèque ayant été émis par la Société Méditerranéenne d'Études et de Travaux, en abrégé SMET dont S. assure également la gérance, sur la Banque de l'Union Parisienne, pour le compte de la Société B., et les intérêts de ladite somme ayant été réglés en espèces au demandeur conformément à la volonté de ce dernier ;

Que pour conforter ses dires, elle verse aux débats les écritures comptables passées dans ses livres et ceux de la société SMET, et desquelles il ressortirait qu'en dépit des apparences du titre, elle a seule supporté le coût de l'opération qui y figure ;

Qu'elle conclut en conséquence au déboutement de G. de sa demande et recourant à la voie reconventionnelle, à sa condamnation au paiement de la somme de cinq mille francs à titre de dommages-intérêts pour procédure malicieuse et abusive ;

Attendu que G. répond le vingt-deux juin mil neuf cent soixante-douze, qu'il n'a jamais été réglé desdits intérêts, lesquels s'ils avaient été payés auraient dû être passés en comptabilité par la société B. ; qu'en outre, il n'a jamais reçu la lettre que cette dernière société prétend lui avoir adressée le vingt-huit août mil neuf cent soixante-dix en même temps que le chèque de cinquante mille francs ; que si cette dernière somme lui a été effectivement réglée par chèque, elle ne saurait éteindre la dette de la société B. à son égard puisqu'elle constitue un règlement partiel de la dette contractée envers elle par la SMET, le chèque litigieux ayant été tiré par cette dernière société, à son ordre, et lui-même ayant, à l'occasion d'un litige qui l'oppose directement à la société précitée, admis l'imputation de la somme de cinquante mille francs sur sa créance à l'égard de celle-ci ; qu'enfin les écritures comptables produites par la Société B. revêtent un caractère interne et ne sauraient donc lui être opposables ;

Attendu que répliquant le cinq octobre mil neuf cent soixante-douze, la Société B. fait valoir que la somme de six mille sept cent cinquante francs représentant les intérêts contractuellement convenus a été payée dans le cadre d'un règlement de comptes complexes entre les parties et que s'agissant d'un règlement en espèces, elle ne pouvait porter en comptabilité une telle opération de débit non justifiée par un document comptable, en sorte que G. est mal venu à exciper de l'absence d'une telle pièce dont il a exprimé le désir qu'elle ne fût pas établie ; qu'au demeurant le règlement desdits intérêts s'évince de la L.R.A.R. en date du premier juin mil neuf cent soixante-dix adressée à son gérant S. par G. par laquelle ce dernier rappelait la promesse de règlement du capital, sans chiffrer les intérêts restant dus ; que l'insistance de G. à obtenir le remboursement de la somme réclamée a cessé à partir de la date où le règlement de celle-ci est intervenu puisque sa nouvelle démarche, d'ailleurs ambiguë, car ne comportant aucune réclamation de somme, se situe le vingt-cinq mai mil neuf cent soixante et onze, soit un an environ après sa lettre recommandée précitée ; qu'enfin, sur la réponse par elle expédiée par retour du courrier à G. et lui rappelant le règlement intervenu en août mil neuf cent soixante-dix, celui-ci ne s'est décidé à agir judiciairement que près d'un an plus tard, circonstance reflétant l'incohérence du comportement du demandeur supplémentairement démontrée d'une part, par son abstention d'accuser réception du chèque de cinquante mille francs, somme correspondant à celle réclamée par lui peu de temps avant en remboursement des fonds remis à la GAM, d'autre part, par son mutisme quant aux circonstances dans lesquelles il aurait reçu ledit chèque non assorti, selon lui, d'une lettre d'accompagnement en date du vingt-huit août mil neuf cent soixante-dix ;

Qu'elle soutient encore que les pièces comptables par elle produites doivent être considérées comme faisant foi contre le demandeur dès lors que ce dernier se trouve dans l'impossibilité d'en administrer la preuve contraire ;

Qu'elle demande en conséquence qu'il soit fait droit aux fins de ses précédentes conclusions ;

Attendu que pour établir la véracité du remboursement par elle cautionné à l'égard de G., la Société B. produit la photocopie d'une lettre en date du vingt-huit août mil neuf cent soixante-dix adressée par son gérant S. au demandeur ainsi libellée : « en conformité des accords entre la société B. que je représente et vous-même, et ce relativement à votre prêt à la société GAM, je vous prie de trouver ci-joint et pour solde, chèque BUP n° 68910 de Francs cinquante mille. En vous souhaitant bonne réception du chèque précité, je vous prie... etc. » ;

Qu'eu égard au fait que G. nie avoir reçu une telle lettre, elle verse encore aux débats aux fins de démontrer l'existence de ladite opération à son débit, photocopie de son livre-journal de l'année mil neuf cent soixante-dix, de son bilan au trente et un décembre mil neuf cent soixante-dix, d'un relevé de compte de la société SMET à la Banque de l'Union Parisienne, agence de Monaco, et d'autres documents comptables comportant mention de ladite opération ;

Attendu que s'il est de principe que nul ne peut se créer un titre à soi-même, il doit être rappelé que la jurisprudence admet en preuve la production de livres de commerce lorsque l'acte litigieux revêt un caractère mixte et que la preuve par présomption est recevable à raison de l'impossibilité matérielle ou morale du commerçant de se ménager une preuve écrite ;

Attendu qu'en l'espèce, le remboursement que la société B. soutient avoir effectué en sa qualité de caution de la société GAM, société commerciale avec laquelle G. a contracté constitue un acte mixte au sens jurisprudentiel, puisque tendant au règlement d'une dette commerciale de la GAM à l'égard d'un non-commerçant ; que de surcroît, la nature de l'opération réalisée par B., société civile immobilière, permet de considérer, au vœu de la jurisprudence, l'acte de cette société à l'égard de G. comme relevant de la commercialité par accessoire ;

Qu'il suit que dès l'instant où l'existence de la lettre prétendument adressée par la Société B. en même temps que le chèque de cinquante mille francs pour solde de tout compte au demandeur, le vingt-huit août mil neuf cent soixante-dix, est niée par ce dernier et que la société précitée se trouve dans l'impossibilité matérielle ou morale de se ménager une autre preuve écrite, la société Civile Immobilière dont s'agit est recevable à produire ses livres et autres documents sociaux notamment d'ordre comptable même si ces livres et documents n'ont que la valeur d'une présomption ;

Attendu que le Tribunal ne saurait, dans ces conditions rejeter le moyen probatoire invoqué par B. à l'appui de sa thèse ;

Qu'il ne pourrait cependant en tirer des conclusions pour asseoir sa conviction que dans la mesure où l'authenticité des extraits produits en photocopie soit établie ;

Attendu qu'à cet égard il échet, avant dire droit, de commettre un expert en comptabilité aux fins de vérifier si les documents photocopiés dont s'agit sont la reproduction fidèle quant à leur date et à leur texte des livres régulièrement tenus par la Société B., et de fournir au tribunal toutes indications utiles sur la matérialité et les circonstances de l'opération au moyen de laquelle G. a été réglé par chèque en août mil neuf cent soixante-dix d'une somme de cinquante mille francs ;

Attendu que les dépens doivent être réservés en fin de cause ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Accueille le sieur G. en sa demande ;

Avant dire droit au fond, tous moyens et conclusions des parties demeurant réservés ainsi que les dépens, commet Monsieur A., comptable agréé à Monaco, lequel serment préalablement prêté sauf dispense régulière des parties, aura pour mission de vérifier si les documents comptables produits en photocopie par la Société B. sont la reproduction fidèle, quant à leur date et à leur texte, des livres régulièrement tenus par cette société, et de fournir au tribunal toutes indications utiles sur la matérialité et les circonstances de l'opération au moyen de laquelle G. a été réglé par chèque, en août mil neuf cent soixante-dix, d'une somme de cinquante mille francs ; dit que l'expert qui pourra consulter tous documents dont il indiquera l'origine et entendra tous sachants, instruira tous dires des parties, conciliera celles-ci si faire se peut et dans la négative déposera rapport de ses opérations et avis dans les trois mois de sa saisine pour être ensuite par lesdites parties conclu comme elles aviseront et par le Tribunal statué comme il appartiendra ;

Composition🔗

MM. Rossi, vice-prés. ; François, prem. subst. proc. gén. ; MMe Lorenzi et Marquet, av. déf. ; Régnier (du barreau de Grasse), av.

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