Tribunal correctionnel, 15 décembre 2020, Le Ministère Public c/ La société A et autres

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Abstract🔗

Blessures involontaires - Accident du travail - Responsabilité pénale des personnes morales (non) - Preuve d'une faute à l'origine du dommage (non) - Imprudence du salarié victime - Relaxe

Résumé🔗

Deux sociétés sont poursuivies du chef de blessures involontaires à la suite d'un accident du travail. Il est reproché à la première de n'avoir établi aucun contrat de mise à disposition d'un salarié avec la seconde et ainsi de ne pas avoir informé cette dernière que celui-ci détenait seulement un contrat de travail de coffreur et ne disposait pas de la formation et de l'expérience minimales et fondamentales requises en matière de fonctionnement d'une foreuse et principalement s'agissant des procédures d'arrêt d'urgence d'une telle machine. La seconde est poursuivie pour s'être abstenue de vérifier auprès de la première que le salarié détaché avait bien la formation et l'expérience nécessaires à son travail d'aide foreur. L'enquête n'a pas permis de démontrer que la première société, en sa qualité d'employeur d'une personne destinée à assurer des missions de « manœuvre » sur un chantier, à savoir de coffreur ou d'aide foreur et qui ne nécessitaient donc aucune qualification particulière, avait pour obligation d'établir un contrat de mise à disposition de ce salarié qu'elle détachait. Un défaut de formation ne peut être une négligence à l'origine des blessures occasionnées sur la personne du salarié dont les causes initiales ont été la maladresse et l'imprudence commises par lui-même ce jour-là malgré sa longue expérience et ce quelle que soient les procédures qui auraient été mises en place ou encore les compétences exigées en la matière. Les prévenues sont donc relaxées.


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2016/001770

JUGEMENT DU 15 DÉCEMBRE 2020

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  • En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;

Contre les nommées :

  • 1 - La société anonyme monégasque d'interventions en abrégé A, dont le siège social se trouve X1 - 98000 MONACO (Principauté de Monaco), prise en la personne de son président délégué Monsieur j c. M. de son administrateur délégué Madame c. P. et de son directeur administratif Monsieur j. A. domiciliés audit siège ;

- PRÉSENTE aux débats, assistée de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par Maître j. Louis DEPLANO, avocat au barreau de Nice ;

  • 2 - La société anonyme monégasque B, dont le siège se trouve X2 - 98000 MONACO (Principauté de Monaco), prise en la personne de son président délégué Monsieur a. B. et de son administrateur délégué Monsieur l. P. domiciliés audit siège ;

  • - PRÉSENTE aux débats, assistée de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat-défenseur ;

Prévenues de :

  • BLESSURES INVOLONTAIRES

LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 17 novembre 2020 ;

Vu la procédure enregistrée au Parquet Général sous le numéro 2016/001770 ;

Vu les citations signifiées, suivant exploits, enregistrés, de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date des 25 octobre et 8 novembre 2019 ;

Vu les citations et dénonciations à témoins, suivant exploits, enregistrés, de Maître Frédéric LEFEVRE, huissier, en date des 24 avril et 25 septembre 2020 ;

Ouï p. B. né le 27 septembre 1963 à LENDINARA (Italien), de nationalité italienne, chef de chantier, domicilié ès qualités S. A. M. B, X1- 98000 MONACO (Principauté de Monaco), cité ès qualités de témoin, serment préalablement prêté, en ses déclarations, et ce, avec l'assistance de Mme Laetitia ZWAANS-NOYON, faisant fonction d'interprète en langue italienne, serment préalablement prêté ;

Ouï c. P. en sa qualité d'administrateur délégué de la S. A. M. A, prévenue, en ses réponses ;

Ouï l. P. en sa qualité d'administrateur délégué de la S. A. M. B, prévenue, en ses réponses ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître j. Louis DEPLANO, avocat au barreau de Nice, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à plaider pour la S. A. M. A, en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels il sollicite la relaxe de sa cliente ;

Ouï Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur pour la S. A. M. B, en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels il sollicite la relaxe de sa cliente ;

Ouï les prévenues en dernier, dûment représentées, en leurs moyens de défense ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que la S. A. M. A et la S. A. M. B sont poursuivies correctionnellement sous les préventions :

La S. A. M. A :

« D'avoir, à MONACO, le 26 octobre 2015, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription,

  • - par maladresse, imprudence, négligence, inattention ou inobservation des règlements, être involontairement la cause de blessures involontaires sur la personne de M. O j. en l'espèce, en sa qualité de personne morale ayant procédé au recrutement de la victime, en qualité d'intérimaire, pour la mettre à disposition de la SAM B, sous la qualité d' « aide foreur» :

  • -en s'abstenant, notamment en n'établissant aucun contrat de mise à disposition avec la SAM B, de porter à connaissance de la SAM B :

  • - que la victime disposait d'un permis de travail exclusivement de « coffreur »

  • - les qualifications et compétences qu'elle exigeait et vérifiait, à tout le moins par un questionnaire sur le fonctionnement de la machine, les règles d'intervention à respecter et l'impossibilité d'utiliser le câble électro-sensible (arrêt d'urgence) en cas de rotation anti-horaire, pour le poste d'aide-foreur et particulièrement dans la mesure où ce poste n'existait dans aucune nomenclature de la profession, à tout le moins un questionnaire sur le fonctionnement de la machine, les règles d'intervention à respecter et l'inefficacité de l'utilisation du câble électro-sensible (arrêt d'urgence) en cas de rotation anti-horaire, et en s'abstenant le cas échéant de préconiser toute formation complémentaire ou utile par la société d'accueil.

Et, par cette abstention, permettait à la SAM B de croire raisonnablement qu'en tant qu' « aide-foreur », la victime disposait de la formation et des compétences minimales et fondamentales en matière de fonctionnement d'une foreuse et de la connaissance de son droit à se faire systématiquement expliquer les procédures pour chaque type de matériel, et notamment d'arrêt d'urgence de la machine en cause de marque MORI modelé M45R et les règles relatives au montage des sangles autour de la tige de forage ;

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 4-4, 26, 29-1 à 29-8, 250 et 251 du code pénal » ;

La S. A. M. B :

D'avoir à MONACO, le 26 octobre 2015, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription,

  • - par maladresse, imprudence, négligence, inattention ou inobservation des règlements, être involontairement la cause de blessures involontaires sur la personne de Monsieur M. O j. en l'espèce, en sa qualité de personne morale ayant accueilli la victime, dans le cadre de son détachement de salarié embauché par une société d'intérim, sous la qualité « d'aide foreur», en s'abstenant, de vérifier que la victime, au motif qu'il avait déjà travaillé avec la foreuse de marque MORI modelé M45R :

  • - disposait de la formation et des compétences minimales et fondamentales en matière de fonctionnement d'une foreuse, des dispositifs de sécurité sur la machine de marque MORI modèle M45R :

  • - avait connaissance de son droit à se faire systématiquement expliquer, dans le détail et avec la période d'apprentissage et d'expérimentation nécessaires, les procédures pour chaque type de matériel utilisé par le personnel de la SAM B sur le chantier, et notamment les procédures d'arrêt d'urgence des foreuses et la procédure de montage et démontage des tubes avec les sangles ;

et disposait des connaissances relatives :

  • - aux deux procédures d'arrêt d'urgence et de la préférence à donner au bouton poussoir rouge d'arrêt sur la commande à distance (dit « le champignon») en cas de rotation antihoraire de la machine laquelle pouvait rendre le système d'arrêt par le câble électro-sensible inutilisable ;

  • - aux règles relatives au montage des sangles autour de la tige de forage et de l'obligation d'attendre son complet arrêt de rotation avant d'intervenir et particulièrement en cas de rotation anti-horaire qui pouvait rendre le système d'arrêt par le câble électro-sensible inutilisable ;

et en s'abstenant de vérifier que son employé « foreur », en l'espèce m. V. disposait des connaissances suffisantes, par une formation régulière et répétée, relatives aux règles de montage des sangles autour de la tige de forage et à son obligation de faire respecter un périmètre de sécurité autour de la foreuse et d'interdire l'accès à tous jusqu'au complet arrêt de rotation avant de pouvoir donner les instructions à l'ouvrier concerné (« aide-foreur ») de pénétrer sur la zone et passer les sangles ;

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 4-4, 26, 29-1 à 29-8, 250 et 251 du code pénal » ;

  • Sur les faits :

Le 26 octobre 2015 vers 11h25, les services de police et de secours étaient informés de la survenance d'un accident au sein du chantier « C » sis X5 à MONACO dont le maître d'ouvrage était la société D.

Il ressortait des premières investigations que j f. M. O. aide foreur intérimaire pour le compte de la SAM A et qui avait été détaché auprès de la SAM B, s'était, au cours d'une phase de démontage d'une tige d'une foreuse « MORI M45 », enroulé autour de ladite tige après avoir été entrainé par une sangle qu'il avait voulu attacher afin de pouvoir l'extraire.

Après avoir été désincarcéré, j f. M. O. dont le casque et une partie des vêtements avaient été arrachés, a été conduit au CHU de Pasteur à Nice compte tenu de la gravité de son état.

Une enquête de police était alors diligentée pour connaître les circonstances exactes de cet accident de travail.

Il en ressortait, et notamment par l'audition des témoins directs, à savoir de m. V. qui était aux commandes de la foreuse, mais aussi de l'autre aide foreur intervenant ce jour-là, à savoir a. L. S. que j f. M. O. pour une raison qu'ils ne pouvaient expliquer et que l'intéressé lui-même ne contestait pas, n'avait pas attendu l'arrêt total de la tige de la foreuse pour y attacher des sangles permettant son extraction et avait donc été entrainé par la force d'inertie de cette tige.

Outre ce déroulement des faits, il était établi que j f. M. O. travaillait pour le compte de la SAM A depuis le 21 juillet 2014, avait occupé les fonctions de coffreur puis d'aide foreur, avait été détaché auprès de la SAM B en cette qualité et avait travaillé sur la foreuse « MORI M45 » depuis le mois d'avril 2015 à hauteur de 10 heures par jour environ.

À l'issue de l'enquête au cours de laquelle étaient également entendus les différents responsables légaux des sociétés concernées, ces dernières étaient renvoyées par devant le Tribunal correctionnel pour répondre des faits de blessures involontaires commis à l'encontre de j f. M. O. qui finalement ne se constituait pas partie civile.

SUR CE,

Il est ainsi reproché à la SAM A d'avoir commis, le 26 octobre 2015, une maladresse, une imprudence, une négligence, une inattention ou inobservation des règlements à l'origine des blessures commises sur son employé j f. M. O. pour s'être abstenue de n'avoir établi aucun contrat de mise à disposition avec la SAM B et ainsi de ne pas avoir informé cette dernière que celui-ci détenait seulement un contrat de travail de coffreur et ne disposait pas de la formation et de l'expérience minimales et fondamentales requises en matière de fonctionnement d'une foreuse et principalement s'agissant des procédures d'arrêt d'urgence d'une telle machine.

De même, la SAM B est quant à elle renvoyée pour répondre du même délit pour s'être abstenue de vérifier auprès de la SAM A, qui lui avait détaché j f. M. O. si ce dernier avait bien la formation et l'expérience nécessaires à son travail d'aide foreur rappelées ci-dessus et qu'il devait accomplir pour son compte.

Il convient dans un premier temps de relever que les maladresse et imprudence qui semblent reprochées à ces deux personnes morales ont été, le 26 octobre 2015, l'œuvre du seul j f. M. O. lequel, pour une raison encore inexpliquée et malgré son expérience depuis plusieurs mois de cette machine et de cette fonction, n'a pas attendu l'arrêt total de la tige pour y attacher des sangles.

Par ailleurs, les deux sociétés prévenues ont été poursuivies pour une inattention ou encore une inobservation des règlements qui auraient été à l'origine de l'accident mais sans que l'autorité de poursuite ait précisé les règlements qui auraient été enfreints en l'espèce et notamment en matière d'information et de formation.

En effet, l'enquête n'a pas permis de démontrer que la SAM A, en sa qualité d'employeur d'une personne destinée à assurer des missions de « manœuvre » sur un chantier, à savoir de coffreur ou d'aide foreur et qui ne nécessitaient donc aucune qualification particulière, avait pour obligation d'établir un contrat de mise à disposition de ce salarié qu'elle détachait auprès de la SAM B et ce afin que les compétences et formations de ce dernier puissent être vérifiées et le cas échéant dispensées.

Enfin, un défaut de formation qui s'avère de surcroît empirique dans le domaine des chantiers et plus particulièrement des métiers de « manœuvres » ne pourrait en tout état de cause être une négligence à l'origine des blessures occasionnées le 26 octobre 2015 sur la personne de j f. M. O. dont les causes initiales ont été la maladresse et l'imprudence commises par lui-même ce jour-là malgré sa longue expérience et ce quelle que soient les procédures qui auraient été mises en place ou encore les compétences exigées en la matière par les sociétés A et B.

Par conséquent, ces deux personnes morales devront être relaxées des faits qui leur sont respectivement reprochés.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,

Relaxe la société anonyme monégasque d'interventions en abrégé A et la société anonyme monégasque B des fins de la poursuite sans peine ni dépens ;

Et laisse les frais à la charge du Trésor ;

Composition🔗

Ainsi jugé après débats du dix-sept novembre deux mille vingt, en audience publique tenus devant le Tribunal Correctionnel, composé de Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Vice-Président, Monsieur Florestan BELLINZONA, Vice-Président, Madame Virginie HOFLACK, Juge, le Ministère public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du quinze décembre deux mille vingt, par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Vice-Président, en présence de Madame Cyrielle COLLE, Premier Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Marina MILLIAND, Greffier.

Jugement signé seulement par Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Vice-Président, Monsieur Florestan BELLINZONA, Vice-Président, et Madame Marina MILLIAND, Greffier, en l'état de l'empêchement de Madame Virginie HOFLACK, Juge, conformément à l'article 60 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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