Tribunal correctionnel, 24 janvier 2020, y. B. c/ t. B.

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Abstract🔗

Procédure pénale - Nullité de la procédure - Étendue de la nullité - Diffamation publique et injure publique - Nullité du réquisitoire introductif et de la poursuite

Résumé🔗

La partie civile a déposé plainte des chefs d'injure publique et de diffamation publique. La cour d'appel, statuant en chambre du conseil comme juridiction d'instruction, a prononcé la nullité du réquisitoire introductif et la nullité de la poursuite, en application des dispositions de l'article 47 de la loi n° 1.299 sur la liberté d'expression publique selon lesquelles « si le ministère public requiert l'ouverture d'une information, il est tenu dans son réquisitoire, d'articuler et de qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels la poursuite est intentée, à peine de nullité du réquisitoire et de la poursuite ». En l'espèce, qu'en l'état de l'absence de définition ou de précision par la chambre du conseil de la cour d'appel concernant le terme « poursuite » ou encore les conséquences de sa nullité, la « poursuite » doit s'entendre comme l'ensemble des actes établis postérieurement à ce réquisitoire introductif. Il en découle que l'ordonnance de renvoi rendue par le magistrat instructeur mais aussi la cédule de citation sont nulles. Il y a donc lieu, en application des dispositions de l'article 212 du Code de procédure pénale, de prononcer la nullité desdites ordonnance de renvoi et cédule de citation qui doivent être écartées expressément des débats et de renvoyer le dossier au ministère public pour être requis par lui ce qu'il appartiendra.


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2016/000676

JUGEMENT DU 24 JANVIER 2020

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En la cause du nommé ;

  • - y. B., né le 8 septembre 1963 à CHANCY (Genève-Suisse), de nationalité helvétique, marchand d'art, demeurant X1229330 SINGAPOUR et ayant élu domicile en l'étude de Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur près la Cour d'appel, y demeurant en cette qualité 6 Bd Rainier III - 98000 MONACO (Principauté de Monaco) ;

- partie civile poursuivante, PRÉSENT, assisté par Maîtres Charles LECUYER et Frank MICHEL, avocats défenseurs près la Cour d'appel, et plaidant également par Maître Luc BROSSOLET, avocat au barreau de Paris ;

CONTRE :

  • t. B., née le 24 avril 1984 à KIEV (Ukraine), de y. et de o. V. de nationalités ukrainienne et helvétique, avocate, ayant demeuré X2- 98000 MONACO (Principauté de Monaco) et ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat défenseur près la Cour d'appel, y demeurant en cette qualité 16 rue du Gabian - Les Flots Bleus - 98000 MONACO (Principauté de Monaco) ;

- ABSENTE, représentée par Maître Thomas GIACCARDI, avocat défenseur près la Cour d'appel, chez laquelle elle a fait élection de domicile par application de l'article 377 du Code de procédure pénale, et plaidant par Maître Martin REYNAUD substituant Maître Hervé TEMIME, avocat au barreau de Paris ;

Poursuivie pour :

  • - INJURE PUBLIQUE ENVERS UN PARTICULIER

  • - DIFFAMATION COMMISE PAR UN MOYEN D'EXPRESSION PUBLIQUE

En présence du MINISTÈRE PUBLIC ;

LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 07 janvier 2020 ;

Vu la procédure enregistrée au Parquet Général sous le numéro 2016/000676 ;

Vu l'ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel du Magistrat instructeur en date du 22 mars 2018 ;

Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 25 juillet 2019 ;

Vu les conclusions aux fins de nullité, d'incompétence et de relaxe de Maître Thomas GIACCARDI, avocat défenseur, pour la prévenue, en date du 20 décembre 2019 ;

Vu les conclusions de Maître Charles LECUYER, avocat défenseur, pour la partie civile, en date du 27 décembre 2019 ;

Ouï Maître Thomas GIACCARDI, avocat défenseur pour la prévenue qui soulève, in limine litis, des exceptions de nullité ;

Ouï Maître Martin REYNAUD, avocat au barreau de Paris, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à représenter et à plaider pour la prévenue, qui s'associe aux exceptions de nullité soulevées ;

Ouï Maître Frank MICHEL, avocat défenseur pour la partie civile, en réponse ;

Ouï Maître Luc BROSSOLET, avocat pour la partie civile, en réponse ;

Ouï le Ministère Public en ses observations ;

Le Président, après avoir pris l'avis de ses assesseurs, décide de joindre l'incident au fond ;

Ouï Monsieur le Président en son rappel des faits ;

Ouï y. B. partie civile, en ses demandes et déclarations ;

Ouï Maître Frank MICHEL, avocat défenseur, pour la partie civile, en ses demandes et déclarations ;

Ouï Maître Luc BROSSOLET, avocat, pour la partie civile, en ses demandes et déclarations ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Thomas GIACCARDI, avocat défenseur pour la prévenue en ses conclusions aux fins de relaxe ;

Ouï Maître Martin REYNAUD, avocat au barreau de Paris, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à représenter et à plaider pour la prévenue, en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels il sollicite la relaxe de sa cliente ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Aux termes d'une ordonnance de renvoi du Magistrat instructeur en date du 22 mars 2018, t. B. a été renvoyée par devant le Tribunal correctionnel, sous la prévention :

« D'avoir à Monaco, le 1er octobre 2015 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, par un moyen audiovisuel, en l'espèce, lors d'une interview donnée à une émission diffusée via le site Internet «www. A. com», sous la catégorie «FT news» et sous l'intitulé «Dispute over Picassos rocks art market », comportant une expression outrageante, terme de mépris ou invective, injurié y. B. en l'espèce en déclarant qu'il était «l'un des prédateurs les plus agressifs sur le marché de l'art depuis de nombreuses années »,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 15, 16, 21 alinéa 3 et 25 alinéa 2, 35, 36, 37, 39 et 58 de la Loi n° 1299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique et par l'article 26 du Code pénal,

D'avoir à Monaco, le 1er octobre 2015 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, par un moyen audiovisuel, en l'espèce, lors d'une interview donnée à une émission diffusée via le site Internet «www. A. ft. com», sous la catégorie «FT news» et sous l'intitulé «Dispute over Picassos rocks art market», porté des allégations ou imputations d'un fait portant atteinte à l'honneur ou à la considération d y. B. en l'espèce en faisant état de sa «malhonnêteté sans scrupules et absolument démontrée sur une période prolongée»,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 15, 16, 21 alinéa 3 et 25 alinéa 2, 35, 36, 37, 39 et 58 de la Loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique et par l'article 26 du Code pénal » ;

À l'audience, y. B. s'est constitué partie civile et a sollicité, par conclusions et oralement, la condamnation de la prévenue à payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Sur les faits,

Le 31 mars 2016, y. B. déposait plainte à l'encontre de t. B. des chefs d'injure publique et de diffamation publique et se constituait partie civile. Il lui reprochait d'avoir, au cours d'une émission diffusée le 1er octobre 2015 par le Financial Times, via le site internet www. postcast. ft. com, présentée par j. P. ayant pour sujet le litige opposant « le milliardaire et collectionneur russe d. R. au marchand d'art suisse et homme d'affaires y. B. », tenus les propos suivants :

« pour le trust familial de R. qui est propriétaire de la collection ainsi que pour M. R. lui-même, cela repose sur un principe plus large et ceci ne concerne évidemment pas que la perte financière subie. Premièrement, il est question de rendre compte de la malhonnêteté sans scrupules et crasse démontrée sur une période durable par une personne que l'on peut classer parmi les prédateurs les plus agressifs sur le marché de l'art pendant de nombreuses années. En second lieu, il est question de mettre en lumière le manque de transparence et des pratiques douteuses qui affectent l'ensemble du marché ».

Il estimait que la « personne » évoquée par t. B. était lui-même et qualifiait d'injurieux les propos suivants : « une personne que l'on peut classer parmi les prédateurs les plus agressifs sur le marché de l'art pendant de nombreuses années » et de diffamatoires les propos suivants : « rendre compte de la malhonnêteté sans scrupules et crasse démontrée sur une période durable par une personne ».

Le 29 avril 2016, le Procureur général prenait des réquisitions aux fins d'informer de ces chefs commis courant 2015, à Monaco.

L'émission, support des propos dénoncés comme injurieux et calomnieux, était téléchargée sur une clé USB, laquelle était versée à la procédure. Ces propos étaient ensuite retranscrits puis traduits en langue française.

t. B. était inculpée le 14 juillet 2016 des chefs d'injure publique, pour avoir déclaré « l'un des prédateurs les plus agressifs sur le marché de l'art depuis de nombreuses années » et de diffamation publique, pour avoir déclaré « sa malhonnêteté sans scrupules et absolument démontrée sur une période prolongée » commis à Monaco le 1er octobre 2015. Elle était interrogée le 4 octobre 2016. Elle reconnaissait avoir tenu publiquement de tels propos mais en contestait le caractère injurieux et diffamatoire.

Le dossier était déposé au greffe suivant acte du 13 décembre 2016.

Suivant ordonnance en date du 3 février 2017, la procédure était communiquée au Ministère public pour ses réquisitions définitives. Un mémoire aux fins de non-lieu était déposé par les conseils de t. B. le 17 février 2017.

Parallèlement, une requête en nullité était déposée devant la Chambre du conseil de la Cour d'appel le 27 février 2017. Les conseils de t. B. sollicitaient la nullité du réquisitoire introductif et de la plainte initiale en ce qu'ils n'avaient pas respecté les dispositions de l'article 47 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique.

La Cour d'appel, statuant en chambre du conseil, rendait son arrêt le 22 juin 2017. Elle déboutait t. B. de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de la plainte avec constitution de partie civile déposée par y. B. et prononçait d'une part la nullité du réquisitoire introductif du 29 avril 2016 et d'autre part la nullité des poursuites.

Aux termes de l'acte de dépôt de pièces en date du 4 août 2017, seul le réquisitoire introductif du Procureur général était retiré de la procédure par Madame le Greffier en chef.

La procédure était à nouveau déposée au greffe suivant acte en date du 14 septembre 2017.

Le 5 octobre 2017, suivant ordonnance de soit-communiqué, la procédure était communiquée, aux fins de règlement, au Ministère public. Le Procureur général requérait le 19 octobre 2017 le non-lieu en soutenant que « aucun acte interruptif de prescription n'était intervenu entre la date de la plainte de M. B. le 31 mars 2016 et l'arrêt de la cour d'appel en date du 22 juin 2017 en raison de l'annulation du réquisitoire introductif ». Il y avait donc lieu de constater la prescription de l'action publique.

Par ordonnance en date du 22 mars 2018, le magistrat instructeur, considérant que la nullité de la poursuite devait être cantonnée à la seule poursuite du Ministère Public dont les réquisitions étaient considérées comme nulles, s'est estimé comme étant valablement saisi par la plainte avec constitution de partie civile d y. B. a constaté que la prescription n'était pas acquise et a renvoyé t. B. par devant la présente juridiction pour répondre des faits d'injure publique envers un particulier et diffamation commise par un moyen d'expression publique qui étaient selon lui caractérisés ;

À l'audience qui s'est tenue le 07 janvier 2020, les conseils de t. B. ont soulevé des exceptions de nullités, d'incompétence de la juridiction monégasque et à titre subsidiaire la relaxe de leur cliente ;

Le Ministère Public a demandé au Tribunal de prononcer la nullité de l'ordonnance de renvoi par laquelle il avait été saisi alors que y. B. a maintenu sa plainte et s'est opposé aux différentes demandes formées par la prévenue ;

SUR CE,

Attendu que selon un arrêt en date 22 juin 2017, la Cour d'appel, statuant en chambre du conseil comme juridiction d'instruction, a notamment prononcé la nullité du réquisitoire introductif du 29 avril 2016 et la nullité de la poursuite et ce en application des dispositions de l'article 47 de la loi 1.299 sur la liberté d'expression publique selon lesquelles « si le ministère public requiert l'ouverture d'une information, il est tenu dans son réquisitoire, d'articuler et de qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels la poursuite est intentée, à peine de nullité du réquisitoire et de la poursuite » ;

Attendu que l'emploi de la conjonction de coordination « et » par le législateur permet d'en déduire que la conséquence du non-respect des dispositions susvisées est double à savoir la nullité du réquisitoire mais aussi de la poursuite ;

Attendu, en l'espèce, qu'en l'état de l'absence de définition ou de précision par la Chambre du Conseil de la Cour d'appel concernant le terme « poursuite » ou encore les conséquences de sa nullité et nonobstant l'acte de dépôt des pièces dressé le 04 août 2017 par Madame le Greffier en chef Adjoint qui a retiré du dossier d'information le seul réquisitoire introductif du 29 avril 2016, il appartient à la juridiction de fond saisie d'affirmer que la « poursuite » doit s'entendre comme l'ensemble des actes qui ont été établis postérieurement à ce réquisitoire introductif ;

Attendu qu'il en découle que l'ordonnance de renvoi rendue le 22 mars 2018 par le Magistrat instructeur mais aussi la cédule de citation du 17 juillet 2019 prises sur le fondement de ces actes de procédures qui sont nuls et par lesquels le Tribunal correctionnel a été saisi doivent donc connaître le même sort juridique ;

Attendu qu'il y a donc lieu, en application des dispositions de l'article 212 du Code de procédure pénale, de prononcer la nullité desdites ordonnance de renvoi et cédule de citation qui doivent être écartées expressément des débats et de renvoyer le dossier au Ministère Public pour être requis par lui ce qu'il appartiendra ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement, conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale,

Prononce la nullité de l'ordonnance de renvoi du Juge d'instruction en date du 22 mars 2018 et de la cédule de citation en date du 17 juillet 2019 ;

Dit que les actes annulés doivent être expressément écartés des débats ;

Renvoie le dossier au Ministère Public pour être requis par ce qu'il appartiendra ;

Et laisse les frais à la charge du Trésor ;

Composition🔗

Ainsi jugé après débats du sept janvier deux mille vingt, en audience publique tenus devant le Tribunal Correctionnel, composé par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Vice-Président, Monsieur Florestan BELLINZONA, Premier Juge, Madame Françoise DORNIER, Premier Juge, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Premier Substitut du Procureur général, et prononcé à l'audience publique du vingt-quatre janvier deux mille vingt par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Vice-Président, en présence du Ministère Public dûment représenté, assistés de Madame Laurie PANTANELLA, Greffier.

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