Tribunal correctionnel, 26 mars 2019, Le Ministère Public c/ v. M. épouse F.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Violation du secret des correspondances - Interception par la prévenue d'un relevé de compte bancaire destiné à son mari - Présomption d'autorisation entre époux (non) – Procédure de divorce - Absence de vie commune - Violation justifiée (oui) - Préservation des droits de la prévenue dans l'instance de divorce - Volonté du mari de minimiser son patrimoine - Relaxe

Violation du secret des correspondances - Captation d'une conversation téléphonique entre le mari de la prévenue et sa fille - Production de la conversation dans l'instance de divorce - Nécessité de préserver ses droits (non) - Condamnation

Résumé🔗

La violation du secret des correspondances est constituée dès lors qu'une personne prend connaissance d'une correspondance qui ne lui est pas adressée, alors qu'elle n'ignore pas qu'elle est destinée à une autre personne et qu'elle ne dispose pas de l'accord du véritable destinataire.

S'il peut être présumé que, durant le temps de la vie commune, deux personnes vivant sous le même toit, et gérant leurs courriers électroniques par le biais d'appareils informatiques auxquels chacun à un accès permanent, tolèrent que l'autre accède à sa correspondance, cette présomption cesse dès lors que le couple se sépare. Or, en l'espèce, il est établi qu'au moment des faits poursuivis, la prévenue était en instance de divorce et que son mari avait quitté le domicile conjugal. Elle ne conteste pas avoir intercepté, conservé, puis transmis à son conseil un relevé de compte de la société A destiné à son époux. S'il est acquis qu'elle n'aurait pas dû accéder à la correspondance bancaire qui était adressée à son époux avec lequel la vie commune avait cessé, il n'en demeure pas moins qu'une telle violation peut être justifiée dans certains cas, notamment si elle concerne deux conjoints qui sont en instance de divorce cherchant à préserver leurs droits. Or, il résulte des éléments produits que le mari de la prévenue a tenté de minimiser l'étendue de son patrimoine. Ainsi, le délit de violation du secret des correspondances poursuivi n'est pas constitué.

En revanche, s'agissant de la captation par la prévenue d'une conversation téléphonique intervenue sur le réseau M entre son mari et sa fille, sa production dans la procédure de divorce ne semble pas nécessaire à la préservation de ses droits. Il convient donc de retenir sa culpabilité de ce chef.


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

JUGEMENT DU 26 MARS 2019

En la cause du :

  • MINISTÈRE PUBLIC ;

Contre la nommée :

  • - v. M. épouse F., née le 12 juin 1959 à FRANKENBERG (Allemagne), de r. S. et de r. D. de nationalité allemande, analyste, demeurant X1, Apt. X1- 98000 MONACO (Principauté de Monaco) ;

Prévenue de :

  • - VIOLATION DU SECRET DES CORRESPONDANCES ;

  • - ATTEINTES FRAUDULEUSES À DES DONNÉES INFORMATIQUES ;

PRÉSENTE aux débats, assistée de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat-défenseur ;

En présence de :

  • - h. F., né le 26 juin 1955 à WILRIJK (Belgique), de nationalité belge, sans profession, demeurant X2 - 98000 MONACO (Principauté de Monaco), constitué partie civile, assisté de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat-défenseur ;

LE TRIBUNAL,

jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 5 mars 2019 ;

Vu la procédure enregistrée au Parquet Général sous le numéro 2018/000748 ;

Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 14 novembre 2018 ;

Ouï la prévenue en ses réponses ;

Ouï h. F. partie civile, en ses demandes et observations ;

Ouï Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur pour la partie civile, en ses demandes ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur pour la prévenue en ses moyens de défense et plaidoiries aux termes desquels il sollicite la relaxe de sa cliente ;

Ouï la prévenue, en dernier, en ses moyens de défense ;Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que v. M. épouse F. est poursuivie correctionnellement sous les préventions :

  • « D'avoir, à MONACO, entre courant février et courant mai 2016, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, sciemment supprimé une lettre ou un télégramme ou ouvert une lettre ou un télégramme ou par quelque moyen que ce soit violé le secret d'une correspondance ou d'avoir sciemment capté une communication téléphonique, en l'espèce, en captant une conversation sur le réseau « M » entre h. F. et sa fille et en interceptant son relevé de compte de la société A en date du 31 mars 2016 pour ensuite la divulguer dans le cadre de la procédure de divorce,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 341, 342 et 344 du Code pénal ;

  • D'avoir, à MONACO, courant mars 2016, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, frauduleusement introduit, endommagé, effacé, détérioré, modifié, altéré, supprimé, extrait, détenu, reproduit, transmis ou rendu accessible des données informatiques ou avoir agi frauduleusement de manière à modifier ou à supprimer leur mode de traitement ou de transmission, en l'espèce en en copiant sur un support USB les documents d'h. F. enregistré sur son ordinateur de type B pour ensuite les produire dans le cadre de la procédure de divorce,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26 et 389-3 du Code pénal » ;

Attendu qu'à l'audience, h. F. s'est constitué partie civile et a demandé au Tribunal la condamnation de v. M. épouse F. à lui payer la somme symbolique de un euro à titre de dommages-intérêts ;

  • Sur l'action publique :

Attendu que les faits pouvant être qualifiés d'atteintes frauduleuses à des données informatiques reprochés à v. M. épouse F. auraient été commis au mois de mars 2016 alors que l'article 389-3 du Code pénal qui les prévoit et les réprime est issu de la loi n° 1.435 en date du 8 novembre 2016 qui est donc postérieure ;

Attendu que v. M. épouse F. ne peut donc qu'être relaxée de ce chef ;

Attendu qu'il est admis que la violation du secret des correspondances est constituée dès lors qu'une personne prend connaissance d'une correspondance qui ne lui est pas adressée, alors quelle n'ignore pas qu'elle est destinée à une autre personne, et alors quelle ne dispose nullement de l'accord du véritable destinataire ;

Que s'il peut être présumé que durant le temps de la vie commune, deux personnes vivant sous le même toit, et gérant leurs courriers électroniques par le biais d'appareils informatiques auxquels chacun à un accès permanent tolèrent que l'autre accède à sa correspondance, cette présomption cesse dès lors que le couple se sépare ;

Attendu, en l'espèce, qu'il est établi qu'au moment des faits, les parties étaient en instance de divorce et que h. F. avait quitté le domicile conjugal ;

Attendu que v. M. épouse F. ne conteste pas avoir intercepté, conservé puis transmis à son conseil le relevé de compte de la société A en date du 31 mars 2016 destiné à son époux ainsi que la conversation téléphonique intervenue sur le réseau M entre h. F. et sa belle-fille ;

Attendu que s'il est acquis que v. M. épouse F. n'aurait pas dû accéder à de la correspondance bancaire qui était adressée à son époux avec lequel la vie commune avait cessée, il n'en demeure pas moins qu'une telle violation peut être dans certains cas justifiée, notamment si elle concerne deux conjoints qui sont en instance de divorce et dans l'optique de préserver leurs droits ;

Attendu qu'il ressort des éléments d'information soumis à l'appréciation du Tribunal que h. F. a tenté de minimiser l'étendue de son patrimoine de sorte que l'interception du relevé du compte de la société A afin de le produire au juge du divorce par v. M. épouse F. qui se trouvait ainsi dans la nécessité d'agir en conséquence ne peut constituer, en l'espèce, le délit de violation du secret des correspondances ;

Attendu, en revanche, que la captation d'une conversation sur le site M et sa production dans la procédure de divorce ne semblait aucunement nécessaire à la préservation des droits dans celle-ci de la prévenue qui sera donc déclarée coupable de ce chef ;

Attendu qu'il y a lieu, compte tenu du contexte dans lequel les faits s'inscrivent, de condamner v. M. épouse F. à une peine d'amende à hauteur de 150 euros, assortie du sursis ;

  • Sur l'action civile :

Attendu qu'il y a lieu de recevoir h. F. en sa constitution de partie civile ;

Qu'il convient de faire droit à sa demande en condamnant v. M. épouse F. à lui payer la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

statuant contradictoirement,

  • Sur l'action publique :

Relaxe v. M. épouse F. des faits d'atteintes frauduleuses à des données informatiques et de violation du secret des correspondances pour le relevé de compte de la société A en date du 31 mars 2016 ;

Déclare v. M. épouse F. coupable du surplus ;

En répression, faisant application des articles 26, 341, 342, 344 et 393 du Code pénal,

La condamne à la peine de CENT CINQUANTE EUROS D'AMENDE AVEC SURSIS, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal ayant été adressé à la condamnée ;

  • Sur l'action civile :

Reçoit h. F. en sa constitution de partie civile ;

Le déclarant fondé en sa demande, condamne v. M. épouse F. à lui payer la somme de un euro à titre de dommages-intérêts ;

Condamne enfin v. M. épouse F. aux frais qui comprendront les droits prévus par l'article 63 de l'ordonnance souveraine n° 15.173 du 8 janvier 2002, avec distraction au profit de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, dont la présence est reconnue effective et nécessaire aux débats ;

Composition🔗

Ainsi jugé après débats du cinq mars deux mille dix-neuf, en audience publique tenus devant le Tribunal Correctionnel, composé par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Vice-Président, Monsieur Florestan BELLINZONA, Premier Juge, Madame Séverine LASCH, Juge, le Ministère Public dument représenté, et prononcé à l'audience publique du vingt-six mars deux mille dix-neuf, par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Premier Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Isabel DELLERBA, Greffier.

  • Consulter le PDF