Tribunal correctionnel, 29 janvier 2019, Le Ministère Public c/ AAA

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Abstract🔗

Blanchiment du produit d'une infraction - Dépôt d'espèces sur un compte bancaire - Délit de conséquence - Infractions primaires caractérisées - Origine illicite des capitaux - Fraude fiscale - Abus de confiance

Résumé🔗

Si le blanchiment est une infraction générale, distincte et autonome, c'est aussi un délit de conséquence, de sorte qu'il est nécessaire de caractériser le crime ou le délit principal ayant procuré à son auteur les biens ou capitaux d'origine. À cet égard, il importe peu que le prévenu n'ait pas été reconnu coupable du ou des délits primaires, il suffit de caractériser les éléments constitutifs de ces délits dans les pièces de la procédure. En l'espèce, il est reproché au prévenu d'avoir effectué cinq dépôts d'espèces, en coupure de 5 à 500 euros, sur un compte ouvert au sein d'une banque monégasque pour un total de 607.500 euros, espèces provenant d'infractions commises en Italie. Or, non seulement le prévenu a été condamné définitivement par une Cour d'appel italienne pour fraude fiscale par l'usage de fausses factures ou de documents fictifs relatifs à des opérations inexistantes, mais les pièces de la procédure font état d'une gestion douteuse de ses différentes sociétés, les cessions complexes et opaques de parts sociales associées à des déclarations de fiducies caractérisant des manœuvres frauduleuses manifestement réalisées aux fins d'évasion fiscale, et plus particulièrement de fraude sur les bénéfices ou de la taxe sur la valeur ajoutée, faits réprimés tant par le droit italien que par le droit monégasque. De même, il est établi que le prévenu, seul représentant légal d'un club de football et unique associé, opérant une confusion des patrimoines dans le cadre d'une comptabilité douteuse, a détourné des sommes issues du fonctionnement de ce club pour les déposer sur un compte personnel à Monaco. Il s'est rendu ainsi coupable d'un abus de confiance. En conséquence, les infractions primaires étant constituées, il convient de retenir la culpabilité du prévenu du chef de blanchiment du produit d'un abus de confiance et de fraude fiscale.


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

JUGEMENT DU 29 JANVIER 2019

En la cause du :

  • MINISTÈRE PUBLIC ;

Contre le nommé :

  • - AAA né le 9 juillet 1982 à POTENZA (Italie), de Bonaventura et de Palma Ida BBB de nationalité italienne, entrepreneur, demeurant Via X185100 (Italie) ;

Prévenu de :

  • BLANCHIMENT DU PRODUIT D'UNE INFRACTION ;

ABSENT, représenté par Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la Cour d'appel, commis d'office, chez lequel il a fait élection de domicile par application de l'article 377 du Code de procédure pénale, plaidant par ledit avocat-défenseur ;

LE TRIBUNAL,

jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 6 novembre 2018 ;

Vu la procédure enregistrée au Parquet Général sous le numéro 2010/000296.

Vu l'ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel du Magistrat instructeur en date du 19 janvier 2016 ;

Vu jugement contradictoirement rendu, conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénal par le Tribunal de Céans en date du 10 octobre 2017, ayant prononcé la nullité de la cote D183 et de toute la procédure ultérieure et renvoyé le Ministère Public à se pourvoir ;

Vu l'arrêt rendu par la Cour d'Appel en date du 19 février 2018, statuant en matière correctionnelle, publiquement et contradictoirement conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale, ayant reçu le Ministère Public en son appel, déclaré irrecevable la demande de rejet de pièces formée par AAA, confirmé le jugement rendu par le Tribunal correctionnel le 10 octobre 2017 sauf en ce qu'il a prononcé la nullité des cotes D183 à D194 du dossier d'information, et statuant à nouveau du chef réformé, débouté AAA de sa demande de nullité des cotes D183 à D194 du dossier d'information et dit que les frais de l'arrêt seront laissés à la charge du Trésor ;

Vu l'ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel du Magistrat instructeur en date du 12 juillet 2018 ;

Vu la citation signifiée suivant exploit, enregistré de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 25 juillet 2018 ;

Vu les conclusions de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, commis d'office, pour le prévenu en date du 2 novembre 2018 aux termes desquelles il sollicite la relaxe de son client ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, pour le prévenu, en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels il sollicite la relaxe de son client en ce que ce dernier n'a commis aucune infraction préalable génératrice des fonds déposés à MONACO et que ceux-ci sont parfaitement licites ;

Après en avoir délibéré, conformément à la loi ;

Aux termes d'une ordonnance de renvoi du Magistrat instructeur en date du 12 juillet 2018, AAA a été renvoyé par devant le Tribunal correctionnel, sous la prévention :

  • « D'avoir à MONACO, courant 2008 à 2010, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, sciemment détenu des biens ou capitaux dont il savait, au moment où il les recevait, qu'il s'agissait des biens ou capitaux d'origine illicite, en l'espèce la somme totale de 607.500 euros crédités en espèces sur le compte n° X intitulé « X1 » ouvert dans les livres de la Banque de Gestion F sise à Monaco,

  • DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 218, 218-1, 218-3 et 219 du Code pénal ».

AAA sollicite du Tribunal l'autorisation de se faire représenter par Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur ; la présence à l'audience de ce prévenu n'étant pas indispensable à l'instruction de l'affaire, il y a lieu de faire droit à cette demande et de statuer contradictoirement à son égard, en conformité de l'article 377 du Code de procédure pénale.

Attendu qu'il résulte de l'information et des débats à l'audience les faits suivants :

Le 4 février 2010, le Service d'Information et de Contrôle sur les Circuits Financiers (SICCFIN) adressait une fiche de renseignements au Procureur Général près la Principauté de Monaco portant sur des mouvements bancaires suspects sur un compte ouvert à la Banque de Gestion F par AAA.

Le 8 octobre 2010, une information judiciaire était ouverte contre X du chef de blanchiment commis courant 2008 à 2010 à Monaco et permettait de confirmer que AAA avait ouvert le 5 décembre 2008 un compte n° X intitulé « X1 » dans les livres de la BANQUE DE GESTION F. Il détenait également avec son épouse, CCC un coffre-fort au sein de ce même établissement.

Le compte « X1 » était exclusivement crédité par cinq dépôts d'espèces effectués par AAA pour un montant total de 607.500 euros en coupures de 5 à 500 euros soit :

  • - 14.500 euros déposés le 12/12/2008

  • - 290.000 euros déposés le 29/12/2008 ;

  • - 50.000 euros déposés le 21/01/2009 ;

  • - 113.000 euros déposés le 06/02/2009 ;

  • - 140.000 euros déposés le 01/09/2009 ;

AAA séjournait à huit reprises à Monaco entre le 13 août 2006 et le 22 septembre 2009, période coïncidant avec ces dépôts d'espèces. Il s'agissait majoritairement de courts séjours de 1 à 3 jours, seul ou accompagné de son épouse ou d'un ami.

À MONACO, le couple AAA CCC ne possédait aucun bien immobilier ni véhicule immatriculé dans la principauté.

Il résultait des comptes rendus du gestionnaire du compte que :

  • - le dépôt de 290.000 euros du 29 décembre était justifié par des retraits réguliers auprès d'une banque B en Italie. Quatorze bordereaux de retraits de cette banque étaient effectivement déposés dans le coffre-fort. Il s'agissait de retraits effectués par AAA mais aussi son frère Antonio AAA CCC ou encore DDD au nom des associations sportives D et C et, ce, entre le 3 et 23 décembre 2008, pour une somme globale de 255.000 euros.

  • - le dépôt de 113.000 euros en date du 06 février 2009 était la « partie non déclarée de son activité liée à l'équipe de football » ; aucune pièce n'était produite à l'appui de cette déclaration,

  • - le dépôt de 140.000 euros en date du 1er septembre 2009 provenait de « la vente des abonnements » pour l'année 2009 ; il était produit comme justificatif de l'origine de ces fonds un document faisant état pour septembre 2009 d'un encaissement de 154.715 euros pour la E Srl.

Aucun justificatif n'était apporté pour les versements de 14.500 et 50.000 euros, les montants inférieurs à 80.000 euros n'étant pas soumis à un examen particulier conformément à la législation en vigueur à l'époque.

Les fonds étaient investis immédiatement dans des opérations sur titres. Un retrait d'espèces de 200.000 euros intervenait le 23 septembre 2009 pour « le règlement amiable d'un litige » avec en annexe un document en italien.

À la date du 13 janvier 2010 le solde du compte s'élevait à 410.180,01 euros.

La perquisition dans le coffre-fort de AAA permettait la saisie des documents suivants :

  • - un compte rendu manuscrit de l'assemblée générale de la société H SRL datée du 1er décembre 2008, avec des annexes ;

  • - un chéquier délivré par la banque I, relatif au compte n° 286 150 326 renfermant dix chèques pré signés pour la société H SRL, portant les n° 0016272261-05 à 0016272270-01 ;

  • - 14 bordereaux de retrait d'espèces pour une somme de 255.003 euros à l'en-tête de la banque B, au nom de AAA CCC Antonio et AAA CCC Giuseppe, effectués dans le courant de décembre 2008 sur les comptes N° X et n° X ASD C ;

  • - des relevés d'opérations avec pièces justificatives effectués dans le courant du mois de décembre 2008 sur les comptes ouverts au nom de l'ASD D et l'ASD C auprès de la banque I ;

  • - des relevés d'opérations effectuées en décembre 2008, sur les comptes ouverts au nom de l'ASD C, AAA et ASD D, H Srl, E Srl auprès de la banque I ;

  • - une enveloppe jaune portant la mention manuscrite « ARLEO » contenant deux feuilles de papiers sur lesquelles figurent des colonnes de chiffres manuscrites ;

  • - un exemplaire des conditions générales applicables aux principales opérations de la clientèle de la BANQUE DE GESTION F ;

  • - quatre bordeaux de versement d'espèces effectués les 5 et 29 décembre 2008, 21 janvier 2009 et 6 février 2009, sur le compte n° X ouvert sous la dénomination « X1 » auprès de la banque F à MONACO ;

  • - des relevés de portefeuilles de ce même compte au 26 décembre 2008 et 5 février 2009 ainsi qu'une opération sur titre du 16 décembre 2008.

Une commission rogatoire internationale du 11 juin 2010 d'un juge d'instruction du Tribunal de POTENZA relative à une information suivie contre AAA des chefs d'association de malfaiteurs, corruption, violences, escroqueries, recel, fraude dans des compétitions sportives sollicitait le blocage du compte n° X sous l'intitulé « PALMA 01 ».

Ce magistrat italien étayait sa décision de séquestre des fonds déposés par AAA en Principauté de MONACO en les mettant en relation avec les infractions commises en Italie. L'exécution des commissions rogatoires en Italie permettait de détailler les faits dans lesquels AAA était impliqué.

AAA, président du club de football de POTENZA, était accusé d'être un membre important d'une association de malfaiteurs de type mafieux qui était intervenue illicitement dans des adjudications publiques avec l'appui d'un conseiller régional, qui avait exercé des violences et des pressions sur les collaborateurs et supporteurs de clubs de football et qui avait ouvert des agences clandestines de paris. Il était notamment reproché à AAA d'avoir parié d'importantes sommes d'argent sur des matchs dont il connaissait à l'avance le résultat et d'avoir ainsi bénéficié de gains importants. Faits commis selon les autorités italiennes du mois d'avril 2007 jusqu'au 20 mars 2009.

Le compte X1 était placé sous séquestre.

Lors de son inculpation à MONACO le 29 février 2012, AAA déclarait que les fonds déposés à MONACO étaient de l'argent disponible pour les vacances passées en Principauté. Il affirmait que ces fonds ne provenaient pas directement des revenus de ses sociétés mais d'accords conclus avec les autres membres de sa famille.

Il ajoutait qu'en 2006, il avait effectué une opération de vente d'une branche de son activité professionnelle lui ayant rapporté 4.169.731 euros. Il précisait que l'intégralité des pièces saisies dans le coffre-fort de la banque monégasque attestait de la licéité des fonds.

Par télécopie, AAA adressait au juge d'instruction la copie du dispositif d'un jugement de relaxe en date du 23 février 2012 sans qu'il soit précisé si cette décision était définitive et l'infraction sur laquelle elle portait. Il indiquait seulement qu'elle visait le service sécurité de l'équipe de football « le E ».

Il ajoutait qu'il avait bénéficié également d'un jugement de relaxe fondé sur la prescription de l'action publique concernant « les hypothétiques comportements illicites dans la gestion des équipes de basketball de la société « Potenza sport Club » » commis courant 2006 et 2007.

Pour justifier de la licéité des fonds déposés à MONACO, AAA versait au dossier la copie d'un contrat de cession de la société « H SRL » en date du 20 juillet 2006 à la société « J » d'un montant de 4.169.731 euros viré en une seule fois, déduction faite du montant de 140.000 euros déjà versés le 15 mars 2006 à titre d' option / acompte sur le prix, et déduction faite du montant de 410.000 euros.

Lors de son interrogatoire du 12 juin 2013, AAA déclarait avoir bénéficié d'un non-lieu pour trois chefs d'accusation : association de malfaiteurs à caractère mafieux, violences et dégradations de véhicule. En revanche il était renvoyé devant la juridiction correctionnelle pour l'infraction portant sur « des paris officiels sur des matchs de football truqués ». Il précisait également avoir été placé en détention provisoire dans le cas d'une autre enquête relative à une évasion fiscale réalisée par l'usage de fausses factures éditées par les sociétés qu'il contrôlait.

Enfin, il expliquait avoir déposé des espèces à MONACO parce qu'il disposait déjà de cet argent sous cette forme notamment de la somme de 290.000 euros. Il précisait ainsi que :

  • les fonds n'étaient en aucun cas le fruit d'activités illicites en Italie, les documents saisis dans le coffre-fort permettant de tracer précisément l'origine des fonds,

  • les fonds placés à MONACO provenaient d'une série d'opérations concernant l'achat et la vente de la société H SRL.

Il indiquait en outre :

« J'avais notamment reçu 150 à 160.000 euros en espèces dans le cadre de mes activités au sein de la société E Srl ; cet argent correspondait au prix de vente des abonnements de football pour la saison 2007 - 2008 que j'avais conservé dans un coffre à mon domicile en Italie. Je précise que nous percevions entre 70 et 80.000 euros en espèces par semaine correspondant au prix des places au stade.

J'aurais dû verser ces espèces provenant de la vente des abonnements sur le compte de la société qui m'aurait ensuite reversé ce qui me revenait en ma qualité d'administrateur puisque je percevais des indemnités d'administrateur et que j'avais aussi avancé quelques dépenses.

Je ne l'ai pas fait par souci de commodité en vous précisant que cette société E Srl était détenue à 100 % par la société G Srl dont 95 % des parts étaient détenues par EEE de manière fiduciaire pour mon compte et les 5 autre % m'appartenant en propre (vous avez au dossier le contrat de fiducie puisqu'il figurait dans le coffre). J'avais procédé de manière fiduciaire pour ces 95 % pour des questions de représentation sachant que ces 95 % appartenaient avant à la société H. Donc peut-être ai-je fait une erreur en gérant cette société comme une entreprise individuelle et en ne versant pas le prix des abonnements sur le compte de la société mais cela revenait en fait au même puisque tout m'appartenait ».

Ainsi, AAA déclarait percevoir chaque année des indemnités d'administrateur de ces sociétés et pouvoir justifier comptablement de leur réalité mais n'apportait aucun élément relatif auxdites indemnités au cours de l'instruction.

Il était de nouveau entendu sur commission rogatoire internationale par les carabiniers de SALERNE. Il déclarait :

« J'ai déposé environ 600.000 euros sur ce compte ; cette somme peut entièrement être reliée à des retraits faits sur des comptes courants italiens et des caisses de la société E et des espèces encaissées pour les abonnements vendus. Tous les justificatifs ont été saisis par l'Autorité Monégasque et se trouvent dans le coffre que l'Autorité italienne n'a en revanche pas saisi. Je précise que j'ai pu garder les espèces de la Société E relatives aux abonnements vendus parce que j'en étais le représentant légal, par conséquent je les ai prises au titre d'avances à l'administrateur et de remboursement de frais. L'argent que j'ai retiré en Italie, de mes comptes courants, vient de plusieurs opérations commerciales et d'un partage de biens entre ma famille et moi (...) Donc je précise que, concernant les 150/160.000 euros relatifs à la vente des abonnements de la société E, je ne faisais pas référence à un dépôt spécifique mais à une partie du total de l'argent déposé au fil du temps. ».

Il faisait également référence à l'opération réalisée avec la société « J » portant sur près de 5 millions d'euros et à la cession de ses actions dans la société « H Srl » portant sur la somme de 100.000 euros. Il mentionnait également une opération immobilière entre deux sociétés lui appartenant financée par un prêt de la banque I à hauteur de 600.000 euros. Puis il terminait en ajoutant que « tout cet argent a ensuite été partagé aux termes d'une convention stipulée avec ma famille, une partie a été déposée sur le compte dont il s'agit ». Il indiquait également que des dépôts d'espèces sur le compte de la BANQUE DE GESTION F provenaient de retraits opérés sur les comptes de la société « H SRL », de la société « E Srl » et des associations sportives « ASD D » et « ASD C ».

Or, les nouvelles investigations diligentées en Italie ne permettaient pas de confirmer les déclarations de AAA notamment quant au montant de ses rémunérations en sa qualité d'administrateur des sociétés « E Srl », « H SRL », « ASD C » et « ASD D ».

À l'audience, la défense a produit un procès-verbal d'une assemblée générale de la société « E » en date du 1er juillet 2009 mentionnant que AAA aurait perçu en espèces une somme de 272.518 euros au titre du remboursement de son compte courant et de frais de représentation. La défense a également communiqué un avis d'un expert juridique sur les caractéristiques juridiques et la responsabilité du représentant légal concernant les associations sportives d'amateurs en Italie. A l'appui de ces pièces, la défense sollicite la relaxe du prévenu.

SUR CE,

  • Sur la commission de l'infraction de blanchiment du produit d'une infraction :

Le délit de blanchiment reproché à AAA se définit aux termes de l'article 218 du Code pénal comme le fait d'avoir sciemment acquis, détenu, utilisé des capitaux dont il savait, au moment où il les a reçus, qu'il s'agissait de capitaux d'origine illicite.

L'article 218-3 du Code pénal précise qu'est qualifié de biens ou capitaux d'origine illicite, le produit des infractions punies, dans la Principauté, d'une peine d'emprisonnement supérieure à 3 ans.

Si le blanchiment est une infraction générale, distincte et autonome, c'est aussi un délit de conséquence de sorte qu'il est nécessaire de caractériser le crime ou le délit principal ayant procuré à son auteur les biens ou capitaux d'origine. À cet égard, il importe peu que le prévenu n'ait pas été reconnu coupable du ou des délits primaires, il suffit de caractériser les éléments constitutifs de ces délits dans les pièces de la procédure.

AAA est poursuivi pour avoir déposé en espèces la somme de 607.500 euros sur un compte ouvert à la BANQUE DE GESTION F, espèces provenant d'infractions commises en Italie. La période incriminée se situe entre les années 2008 et 2010.

  • Sur la connaissance de l'origine illicite des fonds :

AAA reconnait avoir lui-même réalisé ces dépôts. S'agissant de fonds provenant de comptes courants de sociétés, le prévenu justifie le choix de retraits et dépôts en espèces au lieu de virements pour des raisons de confidentialité car il ne voulait pas faire connaître en Italie ses affaires privées.

Il fait plusieurs déclarations contradictoires sur l'origine des fonds déposés. Il s'agit soit :

  • de sommes d'argent provenant de fonds à caractère privé (et non de sociétés) destinés à des dépenses personnelles lors de vacances à MONACO alors qu'il faut rappeler que, pendant la période incriminée, il n'a effectué que de très courts séjours à MONACO et que les fonds déposés ont aussitôt fait l'objet de placements. Un seul retrait de 200.000 euros pour règlement d'un litige commercial est à noter,

  • de sommes d'argent provenant de la société E Srl au titre d'avances sur ses fonctions d'administrateur. Affirmation démentie par les investigations effectuées (cf. développements ultérieurs).

Le prévenu ajoute que les bordereaux de retrait d'espèces saisis dans son coffre-fort attestent de la licéité des fonds s'agissant de dépôts directement rattachables aux retraits réalisés en Italie par des représentants légaux en exercice.

Il faut observer à cet égard que ces documents ne justifient pas l'intégralité des différents dépôts effectués :

  • le dépôt de 113.000 euros en date du 06 février 2009 était, selon la mention manuscrite de l'agent de la BANQUE F, la « partie non déclarée de son activité liée à l'équipe de football », aucune pièce n'était produite à l'appui de ce dépôt,

  • les quatorze bordereaux de retraits effectués entre le 3 et 23 décembre 2008 pour un montant total de 255.000 euros ne couvrent pas la somme de 290.000 euros déposée le 29 décembre,

  • la somme de 140.000 euros déposée au titre des abonnements 2009 ne correspond ni au document fourni comme pièce justificative ni aux investigations réalisées pendant l'instruction.

Ces déclarations contradictoires démenties par des éléments factuels font la démonstration que le prévenu avait connaissance de l'origine illicite des fonds.

  • Sur les infractions primaires :

À titre liminaire, la défense rappelle que AAA bénéficie toujours d'un casier judiciaire vierge. Elle ajoute que la décision de la Cour d'appel de SALERNE en date du 17 avril 2015 n'est pas définitive puisqu'un pourvoi devant la Cour de Cassation est toujours pendant.

Elle soutient qu'il n'existe pas d'infraction principale génératrice des fonds car il n'y a aucune pièce dans les enquêtes italiennes ou monégasques susceptible de caractériser les éléments constitutifs d'une infraction. Elle précise qu'aucun abus de confiance ne saurait être établi s'agissant des sommes retirées sur les comptes courants des associations sportives ASD D et ASD C, ces associations n'ayant pas de personnalité juridique et aucune autonomie patrimoniale. Concernant les sommes provenant de la société E, elle produit un procès-verbal d'une assemblée générale du 1er juillet 2009 où AAA aurait perçu la somme totale de 272.518 euros en liquidités entre juillet 2008 et juin 2009 à titre de remboursement de son compte courant et de ses frais de représentation.

La défense conclut donc à la parfaite licéité des fonds déposés.

AAA a fait l'objet de poursuites en Italie, notamment, pour des faits d'association de malfaiteurs de type mafieux, de fausses factures, de fraude à la TVA et d'évasion fiscale.

Un extrait du casier judiciaire italien en date du 17 septembre 2018 mentionne que l'arrêt de la Cour d'Appel de SALERNE en date du 17 avril 2015 est irrévocable, que le recours près la Cour de Cassation est irrecevable et que AAA est condamné à la peine principale de 7 mois d'emprisonnement du chef de fraude fiscale par l'usage de fausses factures ou de documents fictifs relatifs à des opérations inexistantes commis courant 2007 à septembre 2008. Parmi les peines accessoires, il lui est interdit d'exercer des charges de direction de personnalité morale ou d'entreprise.

  • Sur la réalisation de l'infraction relative à l'impôt sur les bénéfices et à la taxe sur la valeur ajoutée :

Outre cette condamnation définitive, l'ensemble des pièces de la procédure sur retour des commissions rogatoires internationales font état d'une gestion complexe et opaque des frères AAA CCC concernant leurs différentes sociétés.

Le procès-verbal d'assemblée Générale de la H Srl du 1er décembre 2008 et ses annexes, retrouvés dans le coffre-fort de la banque à MONACO, en est une illustration.

Dans ce document manuscrit réunissant les deux frères AAA CCC et un troisième associé, il est question de cession de parts concernant des sociétés (K Srl, H Srl...) avec des contreparties financières ou en nature. Au titre du solde de ces opérations, AAA est, notamment, déclaré seul et réel propriétaire des sociétés ASD C et ASD D y compris des comptes courants où il devrait trouver la somme d'environ 280.000 euros. Il est également déclaré unique propriétaire de la société E Srl.

Concomitamment à cet accord familial, AAA ouvre un compte à MONACO. Des espèces y sont déposées à partir de fin décembre. Contrairement aux allégations du prévenu, les documents saisis dans le coffre-fort de la banque ne permettent pas de tracer l'origine exacte de l'intégralité des fonds déposés à hauteur de 607.500 euros, ils attestent, en revanche, d'un mécanisme frauduleux concernant un important transfert de liquidités à MONACO provenant pour partie de sociétés italiennes détenues par les frères AAA CCC et qui ont fait l'objet, en toute confidentialité, de transfert ou d'opérations douteuses voire fictives dans une totale confusion des patrimoines.

Ces cessions complexes et opaques de parts sociales associées à des déclarations de fiducies sont des manœuvres frauduleuses manifestement réalisées aux fins d'évasion fiscale et plus particulièrement de fraude sur les bénéfices ou de la taxe sur la valeur ajoutée.

De tels faits sont réprimés en Italie sous la qualification de violation de la loi pénale fiscale italienne prévue par le décret-loi 74/2000. En droit monégasque, ces faits sont prévus et réprimés par les articles 1er et 3 de l'ordonnance n° 653 du 25 août 2006 relative à l'impôt sur les bénéfices et à la taxe sur la valeur ajoutée.

  • Sur la réalisation de l'infraction d'abus de confiance :

Malgré des déclarations imprécises et souvent contradictoires, AAA soutiendra toujours qu'une partie des fonds déposés proviennent de la société E.

En application de l'accord familial évoqué ci-dessus, cette société est détenue à 100 % par la société G Srl dont 95 % des parts appartiennent à EEE de manière fiduciaire pour le compte du prévenu, celui -ci possédant les 5 % restant. AAA est en réalité l'unique associé et représentant de la société E.

Au cours de l'instruction, AAA affirme qu'il aurait versé sur le compte à MONACO entre 150.000 et 160.000 euros issus du produit de la vente des abonnements aux matchs de football pour la saison 2007/2008, sommes qu'il avait gardé dans un coffre-fort à son domicile au titre de paiement de ses indemnités d'administrateur. Après plus de huit années d'instruction, il produit un procès-verbal d'assemblée générale du 1er juillet 2009 qui fait état d'une position débitrice envers l'unique associé gérant au 30 juin 2008 de 180.000 euros. Cette dette aurait été acquittée sur les retenues en liquidités de caisse entre juillet 2008 et juin 2009 et jusqu'à concurrence de 272.518 euros représentant les frais de représentation

Il faut observer que ni les écritures comptables saisies, ni les justificatifs apportés lors des dépôts d'espèces ne concordent avec ses affirmations :

  • Les écritures accessoires (journaux) et le grand livre ne comportent pas de versement de rémunération à l'administrateur pour les exercices du 1er juillet 2007 au 30 juin 2008 et du 1er juillet 2008 au 30 juin 2009 et l'on ne trouve pas d'enregistrement de rémunérations ou d'émoluments pour AAA,

  • Concernant les revenus de la société E : pour la saison 2007/2008 cette société a enregistré 145.594 euros de revenus ; pour la saison 2008/2009 ces revenus d'élèvent à un total de 25.330,22 euros,

  • Sur les 607 500 euros, 253.000 euros ont été officiellement déposés au titre du fonctionnement de la société E et non les 160.000 euros déclarés par le prévenu :

    • - 113.000 euros en date du 06/02/2009 « partie non déclarée de son activité liée à l'équipe de football »,

    • - 140.000 euros en date du 01/09/2009 provenant de « la vente des abonnements » pour l'année 2009. Il est produit comme justificatif un document faisant état pour septembre 2009 d'un encaissement de 154.715 euros pour la société E ce qui ne correspond pas aux écritures comptables exploitées par les autorités italiennes ni aux mentions contenues dans l'assemblée générale du 1er juillet 2009.

Il résulte de ces éléments que AAA, seul représentant légal de la société E et unique associé, opérant une confusion des patrimoines dans le cadre d'une comptabilité douteuse, a détourné des sommes issues du fonctionnement de cette société pour les déposer sur un compte personnel à MONACO.

Il s'est rendu ainsi coupable d'un abus de confiance fait prévu et réprimé en Italie et à MONACO à l'article 337 du Code Pénal.

AAA sera donc déclaré coupable du délit de blanchiment du produit d'un abus de confiance et de fraude fiscale concernant les bénéfices et la taxe sur la valeur ajoutée.

  • Personnalité :

Le prévenu n'a jamais été condamné à MONACO ni en France. L'extrait du casier judiciaire italien en date du 17 septembre 2018 mentionne que l'arrêt de la Cour d'Appel de SALERNE en date du 17 avril 2015 est irrévocable et que AAA est condamné à la peine principale de 7 mois d'emprisonnement du chef de fraude fiscale par l'usage de fausses factures ou de documents fictifs relatifs à des opérations inexistantes commis courant 2007 à septembre 2008.

Eu égard à la gravité des faits compte tenu de l'importance des sommes en cause, une peine de 12 mois d'emprisonnement, assortie d'un mandat d'arrêt, ainsi qu'une amende de 90.000 euros seront prononcées.

La confiscation des sommes présentes sur le compte n° X intitulé « X1 » ouvert dans les livres de la BANQUE DE GESTION F sise à MONACO présentant un solde de 417.265,45 euros à ce jour sera également ordonnée.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

statuant contradictoirement, conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale,

Déclare AAA coupable du délit qui lui est reproché ;

En répression, faisant application des articles visés par la prévention, ainsi que de l'article 12 du Code pénal et de l'article 395 du Code de procédure pénale,

Le condamne à la peine de UN AN D'EMPRISONNEMENT et à QUATRE-VINGT-DIX MILLE EUROS D'AMENDE ;

Décerne MANDAT D'ARRÊT à son encontre ;

Ordonne la confiscation des avoirs se trouvant sur le compte n° X intitulé « X1 » ouvert dans les livres de la BANQUE DE GESTION F sise à MONACO présentant un solde de 417.265,45 euros à ce jour ;

Condamne, enfin, AAA aux frais.

Composition🔗

Ainsi jugé après débats du six novembre deux mille dix-huit, en audience publique tenus devant le Tribunal Correctionnel, composé par Madame Françoise BARBIER-CHASSAING, Président du Tribunal de Première Instance, Monsieur Florestan BELLINZONA, Premier Juge, Madame Léa PARIENTI, Juge, le Ministère public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du vingt-neuf janvier deux mille dix-neuf par Monsieur Florestan BELLINZONA, en vertu de l'article 15 de la Loi numéro 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Isabel DELLERBA, Greffier.

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