Tribunal correctionnel, 6 février 2018, p. PE. c/ Le Ministère public

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Abstract🔗

Procédure pénale - Banqueroute frauduleuse - Exception de nullité - Peine d'emprisonnement - Droit à un procès équitable - Article 6 de la Convention Européenne des droits de l'Homme

Résumé🔗

En vertu de l'article 377 du Code de procédure pénale : « Dans les affaires relatives à des délits qui n'entraînent pas la peine d'emprisonnement, le prévenu peut se faire représenter par un avocat-défenseur ou un avocat ; néanmoins, le tribunal peut ordonner sa comparution en personne. Dans ce cas, le prévenu qui ne comparaît pas est jugé par défaut ». L'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales consacre le droit à un procès équitable en énonçant que toute personne accusée d'une infraction pénale a le droit à être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre elle.

En l'espèce, le requérant a formé opposition à l'encontre d'un jugement rendu par le Tribunal de première instance jugeant correctionnellement, lequel l'a condamné à une peine de six mois d'emprisonnement pour avoir à Monaco, détourné ou dissimulé, de mauvaise foi, une partie de l'actif d'une société se trouvant en état de cessation des paiements, viré ces sommes sur un compte et détourné plusieurs véhicules. Le requérant se fait représenter par son avocat et le Tribunal accède à cette demande, conformément aux dispositions du Code de procédure pénale.

Le Tribunal met à néant les dispositions portant tant sur l'action publique, que sur l'action civile du jugement du Tribunal de première instance concernant le requérant, et prononce la nullité des exploits de citation qui lui ont été délivrés. En effet, le requérant n'a été informé des faits qui lui sont reprochés que par la citation d'avoir à comparaître devant le Tribunal correctionnel, délivrée à l'issue d'une enquête, au cours de laquelle il n'a jamais été entendu, ni même convoqué, encore moins recherché. Par ailleurs, son départ de la Principauté de Monaco ne pouvait le priver de son droit à être informé et à être entendu sur les faits qui lui sont reprochés. Aucun élément du dossier ou produit aux débats ne démontre qu'il l'a été durant le temps de l'enquête le mettant en cause. Le tribunal annule donc la citation délivrée à le requérant par laquelle il a été invité à comparaître à l'audience ayant abouti au prononcé du jugement du Tribunal de Première Instance et celle par laquelle il a été cité par devant la présente juridiction à la suite de son opposition.


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2014/000209

JUGEMENT DU 6 FÉVRIER 2018

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En la cause du nommé

  • - p. PE., né le 29 janvier 1967 à GENTOFTE (Danemark), de Kurt ST. et de Lis PE., de nationalité danoise, gérant de société, demeurant X1 - 4690 HASLEV (Danemark) ;

Prévenu de :

BANQUEROUTE FRAUDULEUSE

  • - opposant à l'encontre d'un jugement rendu par défaut par le Tribunal de céans en date du 28 février 2017, signifié à Parquet le 17 mars 2017 ;

  • - ABSENT, représenté par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat défenseur près la Cour d'Appel, chez lequel il doit être considéré comme ayant fait élection de domicile par application de l'article 377 du Code de procédure pénale, substitué et plaidant par Maître Arnaud CHEYNUT, avocat ;

CONTRE

  • LE MINISTÈRE PUBLIC ;

En présence de :

  • - a. GA., ès qualités de syndic de la cessation des paiements de la SARL A., demeurant en cette qualité X2 à MONACO (98000), constitué partie civile, bénéficiaire de l'assistance judiciaire par décision en date du 17 août 2016 portant le numéro X, ABSENT aux débats, représenté par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;

LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 23 janvier 2018 ;

Vu la procédure enregistrée au Parquet Général sous le numéro 2014/000209 ;

Vu le jugement rendu par défaut à l'encontre de p. PE. par le Tribunal de céans en date du 28 février 2017, signifié à Parquet le 17 mars 2017 ;

Vu l'opposition signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 6 avril 2017 formée par p. PE. à l'encontre du jugement de défaut susvisé, dont il a eu connaissance ;

Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 19 octobre 2017 et tendant à ce qu'il soit statué sur l'opposition formée par p. PE. ;

Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat défenseur pour p. PE., en date du 22 janvier 2018 ;

Ouï Maître Arnaud CHEYNUT, avocat, pour p. PE., qui soulève in limine litis des exceptions de nullité ;

Ouï Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat défenseur, pour a. GA., ès qualités de syndic de la cessation des paiements de la SARL A., partie civile, en ses observations ;

Ouï le Ministère Public en ses observations ;

  • Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Le 6 avril 2017, p. PE. a formé opposition à l'encontre d'un jugement rendu par défaut par le Tribunal de première instance jugeant correctionnellement le 28 février 2017, lequel l'a condamné, sur l'action publique à une peine de six mois d'emprisonnement sous la prévention :

« Pour avoir, à Monaco, courant 2012 et 2013,

  • - étant dirigeant de droit de la SARL A., laquelle se trouvait en état de cessation des paiements, détourné ou dissimulé, de mauvaise foi, une partie de l'actif de ladite société au préjudice de créanciers de la société dont John et Rodele HA., Michaël CL. et Tunde MA., M. HU. WI., M. BU., Benoît MA., M VE, M. William RAE SM., en l'espèce :

  • - viré au débit du compte n° 04960-12772200200 de la SARL A. détenu à la banque B. sur un compte bancaire n° 04960-11789100300 ouvert à la banque B. au nom de p. PE. les sommes suivantes :

    • - 50.000 euros le 26 juillet 2012,

    • - 100.000 euros le 14 décembre 2012,

    • - 100.000 euros le 12 avril 2013,

  • - détourné les véhicules suivants de de la SARL A. : un véhicule PEUGEOT immatriculé T472 (MC) ; un véhicule PEUGEOT immatriculé T504 (MC) ; un véhicule PEUGEOT immatriculé T426 (MC) ; un véhicule PEUGEOT immatriculé H743 (MC) ; un véhicule IVECO immatriculé 2642 (MC) ; un véhicule NISSAN immatriculé 2099 (MC) ; un véhicule VOLVO immatriculé 2871 (MC) ; un véhicule PEUGEOT immatriculé H967 (MC) ; un véhicule CITROËN immatriculé J867 (MC) ; un véhicule PEUGEOT immatriculé 8544 (MC),

DÉLITS prévus et réprimés par les articles 327, 328-1 et 328-2 du Code pénal » ;

et, sur l'action civile, notamment,

  • - a reçu la SARL C., la SARL D., la SARL E., John HA. et Rodele VAN WO. épouse HA., Allan FENWICK et Claire GORMAN épouse FENWICK et a. GA., en leur constitution de partie civile ;

  • - a fait droit aux demandes d'a. GA., en sa qualité de syndic de la cessation des paiements de la SARL A., et condamné solidairement John Steen OL. et p. PE. à lui payer la somme de 923.032,80 euros à titre de dommages-intérêts ;

  • - a débouté les autres parties civiles de leurs demandes ;

p. PE. a sollicité du Tribunal l'autorisation de se faire représenter par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat défenseur ; la présence de ce prévenu n'étant pas indispensable à l'instruction de l'affaire à l'audience, il y a lieu de faire droit à cette demande et de statuer contradictoirement à son égard, en conformité de l'article 377 du Code de procédure pénale ;

L'opposition formée par p. PE. est régulière en la forme et il y a donc lieu de l'accueillir ;

  • Sur les faits,

Par requête du 16 janvier 2014, le conseil de la SARL « A. », représentée par ses gérants John Steen OL. et p. PE., a sollicité Madame le Président du Tribunal de Première Instance aux fins de constater l'état de cessation des paiements de cette personne morale.

Par un jugement en date du 6 février 2014, le Tribunal de Première Instance a constaté cet état de cessation des paiements à compter de la date fixée provisoirement au 1er novembre 2013 et désigné en qualité de syndic a. GA..

Ce dernier a adressé son rapport daté du 12 mars 2014 quant à la situation apparente de la SARL A. au juge commissaire qui le transmettait à Monsieur le Procureur Général car des éléments d'information y figurant pouvaient utilement compléter une enquête pénale en cours.

En effet, dès le mois de décembre 2013, des informations étaient parvenues à la connaissance des services de la Sûreté Publique et du Parquet général concernant les difficultés rencontrées par certains clients de cette société dont les deux gérants avaient quitté la Principauté de Monaco.

Ainsi, John HA. a déposé plainte le 12 décembre 2013 du chef d'abus de confiance contre John Steen OL. avec lequel il avait signé le 23 janvier 2013 un contrat aux fins de rénover sa propriété.

Il expliquait avoir ainsi versé un acompte pour un montant de 52.026 euros à cette société nonobstant lequel aucun travaux n'avait été entrepris.

Le Parquet général a alors diligenté une enquête des chefs d'abus de confiance et de banqueroute frauduleuse aux fins de procéder principalement à la saisie au siège de ladite SARL de documents comptables, de requérir auprès de la banque B. les relevés bancaires des comptes de la société mais aussi de ses deux gérants, de procéder à la saisie des avoirs de John Steen OL. sur le compte ouvert à son nom auprès de cet établissement bancaire et enfin de recueillir des plaintes des différentes personnes qui auraient signé des contrats avec la SARL A. et versé à celle-ci en vain des acomptes.

John Steen OL. et p. PE., à l'issue des investigations ainsi menées et lors desquelles ils n'ont été ni entendus ni recherchés, ont été renvoyés par devant la présente juridiction pour avoir commis des faits de banqueroute frauduleuse en ayant détourné ou dissimulé une partie des actifs de la SARL A. qui se trouvait en état de cessation des paiement et au préjudice des créanciers de cette personne morale dont John et Rodele HA., Michaël CL. et Tunde MA., HU. WI., Karl BU., Benoît MA., Stanislas VE, William RAE SM..

Par ce jugement en date du 28 février 2017, John Steen OL. et p. PE. ont été déclaré coupables des délits qui leur étaient respectivement reprochés et, en répression, condamnés aux peines de un an d'emprisonnement en ce qui concerne John Steen OL. et de six mois d'emprisonnement s'agissant de p. PE..

  • Sur les exceptions de nullité soulevées,

Attendu que, ainsi que la Cour d'appel l'a indiqué dans un arrêt en date du 12 juin 2017 concernant John Steen OL. et qu'il n'y a pas lieu de contredire, pour assurer le droit à un procès équitable que la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales consacre, l'article 6 de ladite Convention énonce que toute personne accusée d'une infraction pénale a droit à être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre elle ;

Attendu qu'en l'espèce, p. PE. n'a été informé des faits qui lui sont reprochés que par la citation d'avoir à comparaître devant le Tribunal correctionnel ;

Que cette citation a été délivrée à l'issue d'une enquête, au cours de laquelle p. PE. n'a jamais été entendu, ni même convoqué, encore moins recherché ;

Attendu qu'il ne résulte pas des éléments du dossier, ni des débats, que ce dernier a été informé durant le temps de l'enquête de l'existence de la procédure le mettant en cause ;

Qu'en toute hypothèse, son départ de la Principauté de Monaco ne pouvait le priver de son droit à être informé ;

Que la délivrance de la citation à l'issue de l'enquête, sans que p. PE. en ait été informé et sans avoir été entendu sur les faits reprochés, ne lui a pas permis de se défendre dans le cadre de ladite enquête ;

Qu'il s'ensuit que doivent être annulées, en raison de la violation du texte conventionnel susvisé, la citation délivrée à p. PE. le 20 décembre 2016 par laquelle il a été invité à comparaître à l'audience ayant abouti au prononcé du jugement en date du 28 février 2017 mais aussi celle du 19 octobre 2017 par laquelle il a été cité par devant la présente juridiction suite à son opposition ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale à l'encontre de p. PE.,

Reçoit p. PE. en son opposition, régulière en la forme ;

Met à néant les dispositions portant tant sur l'action publique que sur l'action civile du jugement en date du 28 février 2017 le concernant ;

Et jugeant à nouveau,

Prononce la nullité des exploits de citation des 20 décembre 2016 et 19 octobre 2017 délivrés à p. PE.,

Et laisse les frais à la charge du Trésor ;

Composition🔗

Ainsi jugé après débats du vingt-trois janvier deux mille dix-huit en audience publique tenus devant le Tribunal Correctionnel, composé de Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Premier Juge chargé des fonctions de Président du Tribunal correctionnel, Monsieur Florestan BELLINZONA, Premier Juge, Madame Carole DELORME-LEFLOCH', Juge, le Ministère Public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du six février deux mille dix-huit par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Catherine DUCAS LANGEVIN, Greffier.

Jugement signé seulement par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Premier Juge chargé des fonctions de Président du Tribunal correctionnel, Monsieur Florestan BELLINZONA, Premier Juge, et Madame Catherine DUCAS LANGEVIN, Greffier, en l'état de l'empêchement de Madame Carole DELORME-LEFLOCH', Juge, conformément à l'article 60 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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