Tribunal correctionnel, 11 juillet 2017, Le Ministère Public c/ La Société A. et la société B.

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Abstract🔗

Homicide involontaire - Éléments constitutifs - Personnes morales - Responsabilité pénale - Accident du travail - Responsabilité de la société employeur de la victime (non) - Responsabilité de la société en charge du chantier (oui) - Fautes de négligence (oui) - Victime salarié d'une autre société - Utilisation par la victime d'une échelle en mauvais état - Condamnation  

Résumé🔗

Le salarié d'une société est décédé à la suite d'une chute sur un chantier, alors qu'il utilisait une échelle pour accéder à un échafaudage. La société employeur doit être relaxée du chef d'homicide involontaire dès lors que le salarié ne devait en aucun cas accéder à l'échafaudage installé par une autre société pour le compte de laquelle il devait, en sa qualité de métreur, prendre des mesures à l'aide d'un laser et donc depuis le sol et de surcroît à l'arrière du bâtiment en rénovation. Cette mission devait être réalisée en présence d'un employé de cette société pour le compte de laquelle la société employeur devait établir un devis suite à l'intervention de son salarié, qui était donc, au jour des faits, une personne étrangère au chantier en cours. La société employeur n'a donc pas commis une négligence ou d'inobservation des règlements pouvant être à l'origine du décès.

La société qui était en charge du chantier doit également être relaxée du chef d'homicide involontaire. Il ne peut lui être reproché de ne pas avoir veillé à l'accueil du salarié victime dont la tâche ne nécessitait en aucun cas qu'il accède à l'échafaudage depuis lequel il a chuté et donc qu'il respecte des conditions particulières pour assurer sa sécurité. En revanche, il est incontestable que l'échelle utilisée était en mauvais état et ne répondait pas aux exigences prévues par les textes réglementaires. Néanmoins, l'enquête n'a pas établi qu'il appartenait à la prévenue de sécuriser davantage l'accès au chantier qui se trouvait sur une voie publique, libre d'accès. Par ailleurs, ladite échelle, de par son mauvais état, n'était aucunement utilisée par des ouvriers présents sur le chantier pour accéder à l'échafaudage mais permettait à ces derniers de faire glisser des objets lourds de sorte qu'elle n'avait pas, n'étant pas un moyen d'accès, à être fixée. Il convient de rappeler que la négligence et l'imprudence ne doivent pas s'apprécier d'après leur résultat mais au regard de la prévisibilité raisonnable, compte tenu du comportement usuel des personnes. En l'espèce, l'enquête n'a pas permis d'expliquer les raisons pour lesquelles la victime, professionnel aguerri, a voulu accéder, au moyen d'un objet en mauvais état et manifestement aucunement destiné à cet effet, à l'échafaudage qui répondait par ailleurs à toutes les exigences de sécurité. La présence de cette échelle sur le chantier en activité au moment des faits et donc occupé par des ouvriers qui l'utilisaient comme un outil ne peut à elle seule, malgré son état, caractériser une négligence ou une imprudence de la part de la prévenue.


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2015/002098

JUGEMENT DU 11 JUILLET 2017

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  • En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;

Contre les nommées :

  • 1°- La Société Anonyme Monégasque dénommée A., dont le siège social se trouve X1 à MONACO (98000), prise en la personne de son directeur général en exercice, é. SO., demeurant en cette qualité audit siège ;

- PRÉSENTE aux débats, assistée de Maître Bernard BENSA, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur, assistée également de Maître Juliette BARRÉ, avocat au barreau de Paris et plaidant par ledit avocat ;

  • 2°- La Société à Responsabilité Limitée B., dont le siège social se trouve X2 MONACO (98000), prise en la personne de son gérant en exercice, f. DE OL. RI., demeurant en cette qualité audit siège ;

- PRÉSENTE aux débats, assistée de Maître Thomas GIACCARDI, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;

Prévenues de :

  • HOMICIDE INVOLONTAIRE

En présence de :

  • - b. GU-RI. veuve SM., née le 23 mars 1957 à LE PONT DE BEAUVOISIN (38), de nationalité française, demeurant X1 à NICE (06000), constituée partie civile, bénéficiaire de l'assistance judiciaire par décision en date du 21 avril 2016 portant le numéro 313 BAJ 16, PRÉSENTE aux débats, assistée de Maître Frank MICHEL, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;

  • - La société de droit français dénommée « C. », dont le siège social est X3 à NANTERRE (92727), agissant poursuites et diligences de son Directeur Particulier, demeurant en cette qualité audit siège, représentée en Principauté de Monaco par la SAM ASCOMA JUTHEAU HUSSON, assureur-loi de la SARL B., partie intervenante volontaire, absente, représentée par Maître Deborah LORENZI-MARTARELLO, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;

LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 13 juin 2017 ;

Vu la procédure enregistrée au Parquet Général sous le numéro 2015/002098 ;

Vu les citations signifiées, suivant exploits, enregistrés, de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 12 mai 2016 ;

Vu la dénonciation de témoin et la citation à témoin signifiées, suivant exploits, enregistrés, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date des 16 et 19 décembre 2016 à la requête de la société A., pour faire entendre j. CH. ;

Vu le jugement avant-dire-droit au fond en date du 10 janvier 2017 ;

Ouï les prévenues en leurs réponses ;

Ouï j. CH., né le 26 janvier 1980 à CARVIN (62), de nationalité française, responsable coordinateur de travaux, demeurant X2 « X2 » Bloc C à MENTON (06500), cité ès qualités de témoin, en ses déclarations, serment préalablement prêté ;

Ouï b. GU-RI. veuve SM., partie civile, en ses déclarations ;

Ouï Maître Frank MICHEL, avocat défenseur pour la partie civile, en ses demandes, fins et conclusions en date du 13 juin 2017 ;

Ouï Maître Deborah LORENZI-MARTARELLO, avocat défenseur pour la société C., partie intervenante volontaire, en ses demandes, fins et et conclusions en date du 13 juin 2017 ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Thomas GIACCARDI, avocat défenseur pour la SARL B., prévenue, en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels il sollicite la relaxe de sa cliente ;

Ouï Maître Bernard BENSA, avocat défenseur, et Maître Juliette BARRÉ, avocat au Barreau de Paris, régulièrement autorisée par Monsieur le Président à assister la SAM A., prévenue, en leurs moyens de défense et plaidoiries par lesquels ils sollicitent la relaxe de leur cliente ;

Ouï les prévenues, en dernier, en leurs moyens de défense ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que la SAM A. et la SARL B.sont poursuivies correctionnellement sous les préventions :

La SAM A. :

« D'avoir à MONACO, le 20 octobre 2015, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription,

- par maladresse, imprudence, négligence, inattention ou inobservation des règlements, été involontairement la cause d'un homicide sur la personne d y. SM., en l'espèce, notamment, en n'assurant pas à suffisance la sécurité du chantier et plus particulièrement de l'accès à l'échafaudage, en laissant une échelle inadaptée, en mauvais état et non fixée en libre accès, en ne veillant pas à l'accueil de cet intervenant sur le chantier afin de l'informer des dispositifs de sécurité à adopter, et ce en violation des dispositions des arrêtés ministériels n° 66-009 du 4 janvier 1966 portant réglementation des mesures particulières de protection et de salubrité applicables aux établissements dont le personnel exécute des travaux de bâtiment, des travaux publics et tous autres travaux concernant les immeubles, n° 63-284 du 21 novembre 1963 concernant les mesures de sécurité relatives à la construction, l'emploi et le contrôle des échelles en bois d'usage courant dans les professions du bâtiment et des travaux publics,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26 et 250 du Code Pénal » ;

La SARL B.:

« D'avoir à MONACO, le 20 octobre 2015, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription,

- par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, été involontairement la cause d'un homicide sur la personne d y. SM., en l'espèce notamment en ne s'assurant pas que l'échafaudage sur lequel son employé devait intervenir répondait aux exigences de l'arrêté ministériel n° 66-009 du 4 janvier 1966 portant réglementation des mesures particulières de protection et de salubrité applicables aux établissements dont le personnel exécute des travaux du bâtiment, des travaux publics et tous autres travaux concernant les immeubles, et ce en violation des dispositions de l'article 166 dudit arrêté, et de ce que son employé était reçu sur le chantier dans des conditions permettant d'assurer sa sécurité,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26 et 250 du Code Pénal » ;

À l'audience, b. GU-RI. veuve SM. s'est constituée partie civile et a demandé au Tribunal, par l'intermédiaire de son conseil, la condamnation in solidum des prévenues à lui payer la somme de 200.000 euros à titre de dommages-intérêts forfaitaires en réparation du préjudice subi ;

La SA C., en sa qualité d'assureur-loi de l'employeur de y. SM., est intervenue volontairement aux débats, ce dernier étant dans l'exercice de ses fonctions lorsque les faits se sont déroulés, et a déposé par l'intermédiaire de son conseil des conclusions tendant à :

  • - lui donner acte de son intervention volontaire,

  • - condamner in solidum la SAM A. et la SARL B. à lui rembourser les sommes, indemnités et prestations versées à la partie civile à hauteur de 90.499,82 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du jugement à venir, ainsi que celles à venir au titre de la rente accident du travail au fur et à mesure de leurs échéances et sur justification de leur versement à l'ayant-droit de feu y. SM., b. GU-RI. veuve SM. ;

  • Sur l'action publique,

  • I - Sur les faits

y. SM., salarié de l'entreprise SARL B. en qualité de métreur, s'est rendu le 20 octobre 2015, afin d'établir un devis, sur un chantier de rénovation d'un immeuble confié à la SAM A. qui avait à cet effet installé un échafaudage ;

Pour des raisons que l'enquête n'a pu déterminer, y. SM. a utilisé, sans attendre l'employé de la SAM A. avec lequel il avait convenu d'un rendez-vous, une échelle qui se trouvait sur ledit chantier afin d'accéder à cet échafaudage installé sur la façade située à l'avant alors qu'il devait prendre les mesures de l'arrière du bâtiment en rénovation ;

y. SM. a chuté au moment de sa progression sur ladite échelle provoquant sur sa personne des blessures graves qui ont entraîné son transport en urgence à l'Hôpital Pasteur de Nice ;

Le 25 novembre 2015, y. SM. est décédé à l'Hôpital de l'Archet de Nice et l'expert en médecine légale désigné par le jugement avant-dire-droit du 10 janvier 2017 a conclu que ce décès était consécutif à un grave traumatisme crânien provoqué par la chute du 20 octobre 2015 ;

Les sociétés A. et f. qui ont été poursuivies du chef d'homicide involontaire devant la présente juridiction ont plaidé leur relaxe ;

  • II - Sur la responsabilité pénale de la SARL B.

La SARL B. a été renvoyée en sa qualité d'employeur de y. SM. pour ne pas s'être assurée que l'échafaudage sur lequel devait intervenir y. SM. répondait aux exigences prévues par l'arrêté ministériel n° 66.009 en date du 4 janvier 1966 mais aussi que ce dernier allait être reçu dans des conditions permettant d'assurer sa sécurité ;

Or, il ressort de l'enquête mais aussi des débats à l'audience que y. SM. ne devait en aucun cas accéder à l'échafaudage installé par la SAM A. pour le compte de laquelle il devait, en sa qualité de métreur, prendre des mesures à l'aide d'un laser et donc depuis le sol et de surcroît à l'arrière du bâtiment en rénovation ;

Par ailleurs, cette mission devait, ainsi que cela a été relevé par différentes personnes ayant été entendues et que les éléments de l'enquête n'ont aucunement permis de contredire, être réalisée en présence d'un employé de la SAM A. pour le compte de laquelle la SARL B. devait établir un devis suite à l'intervention de y. SM. qui était donc, au jour des faits, une personne étrangère au chantier en cours ;

Il ne résulte donc aucunement que la SARL B. ait commis une négligence ou une inobservation des règlements pouvant être à l'origine du décès de y. SM. ;

Par conséquent, elle devra être relaxée du délit d'homicide involontaire qui lui a été reproché ;

  • III - Sur la responsabilité pénale de la SAM A.

La SAM A. a quant à elle été renvoyée pour ne pas avoir assuré à suffisance la sécurité du chantier dont elle avait la charge en laissant une échelle inadaptée en mauvais état et non fixée en libre accès et en ne veillant pas à l'accueil de y. SM. afin de l'informer des dispositifs de sécurité à adopter ;

Il convient à cet égard de rappeler que y. SM. devait le 20 octobre 2015 prendre, en présence d'un membre de la SAM A., des mesures depuis le sol de la façade arrière et avait ainsi rendez-vous avec j. CH., chef de chantier le jour des faits, qu'il n'a, pour des raisons inexpliquées, pas attendu alors qu'il avait été prévenu de son retard ;

Il ne peut ainsi être reproché à la SAM A. de ne pas avoir veillé à l'accueil de y. SM. qui devait bien accomplir en présence d'un de ses salariés sa mission qui ne nécessitait en aucun cas qu'il accède à l'échafaudage depuis lequel il a chuté et donc qu'il respecte des conditions particulières pour assurer sa sécurité ;

En revanche, il est incontestable que l'échelle que y. SM. a utilisé était en mauvais état et ne répondait pas aux exigences prévues par les arrêtés ministériels n° 66.009 du 4 janvier 1966 et 63.284 du 21 août 1963 ;

Néanmoins, l'enquête que le Parquet général a souhaité mener sans avoir à ouvrir une information judiciaire n'a pas démontré qu'il appartenait à la SAM A. de sécuriser davantage l'accès au chantier qui se trouvait sur une voie publique, libre d'accès ;

Par ailleurs, ladite échelle, de par son mauvais état, n'était aucunement utilisée par des ouvriers présents sur le chantier pour accéder à l'échafaudage mais permettait à ces derniers de faire glisser des objets lourds de sorte qu'elle n'avait pas, n'étant pas un moyen d'accès, à être fixée ;

Il convient de rappeler que la négligence et l'imprudence ne doivent pas s'apprécier d'après leur résultat mais au regard de la prévisibilité raisonnable, compte tenu du comportement usuel des personnes ;

En l'espèce, l'enquête n'a pas permis d'expliquer les raisons pour lesquelles y. SM., professionnel aguerri, a voulu accéder, au moyen d'un objet en mauvais état et manifestement aucunement destiné à cet effet, à l'échafaudage qui répondait par ailleurs à toutes les exigences de sécurité ;

Ainsi, la présence de cette échelle sur le chantier en activité au moment des faits et donc occupé par des ouvriers qui l'utilisaient comme un outil ne peut à elle seule, malgré son état, caractériser une négligence ou une imprudence de la part de la SAM A. à l'origine du décès de y. SM. ;

Par conséquent, la SAM A. devra être relaxée du délit d'homicide involontaire qui lui a été reproché ;

  • Sur l'action civile,

Il y a lieu de recevoir b. GU-RI. épouse SM. et la SA C. en leur constitution de partie civile et intervention volontaire mais de les débouter de leurs demandes en l'état des relaxes prononcées ci-dessus ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,

Sur l'action publique,

Relaxe la SARL B.et la SAM A. des fins de la poursuite ;

Sur l'action civile,

Reçoit b. GU-RI. épouse SM. en sa constitution de partie civile, mais au fond la déboute de ses demandes ;

Reçoit la SA C., ès qualités d'assureur-loi de l'employeur de y. SM., partie civile, en son intervention volontaire, mais au fond la déboute de ses demandes ;

Et laisse les frais, y compris ceux réservés par le jugement du 10 janvier 2017, à la charge du Trésor.

Composition🔗

Ainsi jugé après débats du treize juin deux mille dix-sept en audience publique tenus devant le Tribunal Correctionnel, composé de Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Premier Juge chargé des fonctions de Président du Tribunal correctionnel, Monsieur Florestan BELLINZONA, Premier Juge, Madame Françoise DORNIER, Premier Juge, le Ministère Public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du onze juillet deux mille dix-sept par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, assistés de Catherine DUCAS LANGEVIN, Greffier.

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