Tribunal correctionnel, 15 mars 2016, Ministère public c/ r. CO. et o. CO.
Abstract🔗
Procédure pénale - Instruction - Convocation de l'inculpé par le juge d'instruction (non) - Mandat d'arrêt - Violation du principe du contradictoire (oui) - Nullité (oui)
Résumé🔗
Les prévenus, avant leur renvoi devant la juridiction de jugement, n'ont fait l'objet d'aucune convocation par le magistrat instructeur qui disposait pourtant de leur adresse en Israël. S'il est acquis que la décision d'inculpation et le moyen d'y procéder relève de l'appréciation du juge d'instruction selon les indices qu'il a pu recueillir, il appartient néanmoins à ce magistrat d'offrir la possibilité à toute personne sur laquelle portent de tels indices puis des charges pouvant ensuite justifier son renvoi devant une juridiction répressive de s'expliquer sur les faits la mettant en cause, d'en discuter le bien-fondé et ce afin de lui permettre de rendre une décision en disposant des éléments à charge et à décharge. En l'espèce, le juge d'instruction, bien qu'ayant respecté les dispositions de l'article 162 du Code de procédure pénale qui lui permettaient de décerner un mandat d'arrêt à l'encontre des intéressés, compte tenu de leur adresse située à l'étranger, aurait dû, pour ne pas contrevenir au principe posé notamment par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme au regard de l'égalité des armes et du nécessaire respect du contradictoire pendant le déroulement de la procédure garantissant un procès équitable, convoquer à l'adresse apparaissant dans le dossier ces derniers dont seule une non comparution lui aurait permis de délivrer le mandat d'arrêt puis de préciser, dans son ordonnance de renvoi, que les intéressés ne pouvaient être entendus. En l'état de cette violation manifeste des droits de la défense, il convient de prononcer la nullité des actes de procédure mais seulement à compter de l'ordonnance de soit-communiqué au Ministère public et de renvoyer, conformément aux dispositions de l'article 212 du Code de procédure pénale, le Ministère public à se pourvoir.
Motifs🔗
TRIBUNAL CORRECTIONNEL
2013/000384
INF. CAB II-2013/000004
JUGEMENT DU 15 MARS 2016
___
En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;
Contre les nommés :
1 - r. CO., né le 9 juillet 1970 à TUNIS (Tunisie), de nationalité israélienne, demeurant X1 X2, n° 448, X3 à JÉRUSALEM (ISRAEL) ;
Prévenu de :
BANQUEROUTE FRAUDULEUSE
2 - o. CO., née le 1er décembre 1971 à JÉRUSALEM (ISRAEL), de nationalité israélienne, demeurant X1 X2, n° 448, X3 à JÉRUSALEM (ISRAEL) ;
Prévenue de :
BANQUEROUTE FRAUDULEUSE
- ABSENTS aux débats, représentés par Maître Frank m., avocat défenseur près la Cour d'appel, chez lequel ils doivent être considérés comme ayant fait élection de domicile par application de l'article 377 du Code de procédure pénale, plaidant par Maîtres Thierry HERZOG, avocat au barreau de Paris, et Bernard GINEZ, avocat au barreau de Nice ;
En présence de :
- La banque A., société anonyme coopérative de la banque C. à capital variable, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Nice sous le numéro X, ayant son siège social X1 06200 NICE, France, agissant poursuites et diligences de son Directeur général en exercice Monsieur Jean-François COMAS, domicilié en cette qualité audit siège, constituée partie civile, comparaissant par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par Maître Gilbert MANCEAU, avocat au barreau de Paris ;
La SAM B., représentée par M. Jean-Paul SAMBA, né le 27 mai 1946 à Monaco, de nationalité monégasque, demeurant Stade Louis II, Entrée F, 9 avenue des Castelans à MONACO, agissant ès qualités de syndic à la cessation des paiements, désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de Première Instance de Monaco en date du 22 novembre 2012, constituée partie civile, comparaissant en personne ;
LE TRIBUNAL,
Jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 23 février 2016 ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel de Monsieur le magistrat instructeur, en date du 3 juin 2015 ;
Vu les citations signifiées, suivant exploits, enregistrés, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 15 juin 2015 ;
Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat défenseur au nom de la société anonyme A., en date du 22 février 2016 ;
Vu les conclusions de M. Jean-Paul SAMBA, ès qualités de syndic de la SAM B., partie civile, en date du 23 février 2016 ;
Ouï Maître Gilbert MANCEAU, avocat au barreau de Paris, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à assister la banque A., partie civile, en ses demandes, fins et conclusions en date du 22 février 2016 ;
Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;
Ouï Maîtres Thierry HERZOG, avocat au barreau de Paris et Bernard GINEZ, avocat au barreau de Nice, régulièrement autorisés par Monsieur le Président à assister o. CO. et r. CO., prévenus, en leurs demandes, fins et conclusions en date des 25 novembre 2015 et 19 février 2016 ;
r. CO. et o. CO. sont poursuivis correctionnellement sous les préventions :
1 - r. CO.
« D'avoir à Monaco, courant 2011 et 2012, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, étant dirigeant d'une personne morale exerçant, même en fait, une activité commerciale et se trouvant en état de cessation des paiements, en l'espèce étant Président administrateur délégué de la SAM « B. » en état de cessation des paiements depuis le 3 mai 2012 selon jugement du Tribunal de Première Instance du 22 novembre 2012, de mauvaise foi, détourné ou dissipé une partie de son actif, en l'espèce pour avoir perçu, après avoir voté son allocation en conseil d'administration, des indemnités d'administrateur à son profit et à celui de son épouse, o. CO., d'un montant de 3.807.000 euros, soit respectivement une somme de 1.903.500 euros chacun, au préjudice de la SAM « B. » et de la banque A.,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 327, 328-1 et 328-2 du Code Pénal » ;
2 - o. CO.
« D'avoir à Monaco, courant 2011 et 2012, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, étant dirigeant d'une personne morale exerçant, même en fait, une activité commerciale et se trouvant en état de cessation des paiements, en l'espèce étant Président administrateur délégué de la SAM « B. » en état de cessation des paiements depuis le 3 mai 2012 selon jugement du Tribunal de Première Instance du 22 novembre 2012, de mauvaise foi, détourné ou dissipé une partie de son actif, en l'espèce pour avoir perçu, après avoir voté son allocation en conseil d'administration, des indemnités d'administrateur à son profit et à celui de son époux, r. CO., d'un montant de 3.807.000 euros, soit respectivement une somme de 1.903.500 euros chacun, au préjudice de la SAM « B. » et de la banque A.,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 327, 328-1 et 328-2 du Code Pénal » ;
r. CO. et o. CO. sollicitent du Tribunal l'autorisation de se faire représenter par Maître Frank m., avocat défenseur ; la présence de ces prévenus n'étant pas indispensable à l'instruction de l'affaire, il y a lieu de faire droit à cette demande et de statuer contradictoirement à leur égard, en conformité de l'article 377 du Code de procédure pénale ;
Sur les faits,
Le 5 février 2013, la banque A. (A.) déposait plainte avec constitution de partie civile à l'encontre d' o. CO., r. CO. et m. SE. du chef d'abus de confiance commis dans le cadre de la gestion de la SAM « B. », entreprise monégasque spécialisée dans l'édition d'ouvrages d'art à destination du public dirigée par m. SE. et o. CO., administrateurs délégués, et r. CO., président administrateur délégué.
Le 21 février 2013, une information judiciaire était ouverte contre X du chef de banqueroute frauduleuse.
La banque A. exposait avoir accordé les 4 et 9 août 1993 à la SAM « B. » un prêt sur quinze ans d'un montant de 4.700.000 francs en principal « destiné à financer la restructuration de la trésorerie de l'entreprise à l'effet notamment et en priorité de supprimer les concours à durée indéterminée existants (facilité de caisse de 750.000 francs et crédit spot de 3.500.000 francs) » et que cette société, défaillante dès mai 1995, ne remboursait que très partiellement.
Dans ce contexte, la SAM « B. » introduisait un contentieux contre la banque A. en 1999 en prétendant que celle-ci avait pratiqué des taux usuraires dans le cadre de précédents escomptes de billets financiers et que le prêt d'août 1993 était sans cause.
Ainsi, par actes du 26 octobre 200l et du 22 février 2002, la SAM « B. » assignait la banque A. devant le Tribunal de Première Instance de Monaco aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 101.000.000 francs.
Par jugement du 9 janvier 2003, le Tribunal de Première Instance jugeait que la banque A. avait gravement manqué à ses obligations de conseil et de prudence envers la SAM B. au cours des années 1988 et 1993, déclarait la banque A. tenue de réparer le préjudice subi de 1988 à 1993 à hauteur de 1.200.000 euros, jugeait la banque créancière de la société d'une somme de 1.357.794,58 euros et ordonnait la compensation entre ses créances. La banque A. était condamnée avec exécution provisoire à payer à la société le solde de la compensation dégagé en sa faveur augmenté des intérêts au taux légal à compter du jugement.
Suite à un appel de la banque A., la Cour d'appel de Monaco par arrêt du 5 avril 2011 réformait le jugement en ce qu'il avait évalué à 1.900.000 euros le préjudice occasionné par la banque A. à la société et, statuant à nouveau, évaluait à 6.000.000 euros l'entier préjudice subi.
Elle condamnait ainsi la banque A. au paiement de la somme de 6.000.000 euros et confirmait pour le surplus le jugement entrepris en toutes ses dispositions compris en ce qu'il avait condamné la SAM « B. » à payer au titre du solde débiteur de son prêt de 1993 à la banque A. la somme de 1.357.794,58 euros assortie des intérêts au taux conventionnel ayant couru du 12 avril 2002 au 9 janvier 2003. La cour ordonnait la compensation entre ces deux créances.
Mais par arrêt en date du 23 mars 2012, la Cour de révision cassait l'arrêt de la Cour d'appel en date du 5 avril 2011 en ce qu'il condamnait la banque A. au paiement d'une somme de 6.000.000 euros à la SAM « B. » en réparation du préjudice subi et ordonnait la compensation entre cette somme et la créance de la banque A. au titre du solde débiteur du prêt.
Enfin, par arrêt du 9 octobre 2012, la Cour de révision, statuant au fond après cassation, réformait le jugement du Tribunal de Première Instance du 9 janvier 2003 et ordonnait la restitution par la SAM « B. » de la somme de 1.900.000 euros perçue à titre de dommages-intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de règlement.
Par conséquent, suite à l'arrêt du 23 mars 2012 de la Cour de révision, la banque A. délivrait un commandement de payer le 3 mai 2012 à la SAM « B. » portant notamment sur la somme de 4.125.994,63 euros aux fins d'obtenir sa restitution. Ce commandement demeurait sans effet. La créance de la banque A. s'élevait en principal à la somme de 6.016.056,14 euros soit au total avec les différents frais et intérêts dus à une somme de 6.465.757,48 euros.
Dans l'incapacité d'honorer sa dette envers la banque A., la SAM « B. » était déclarée en état de cessation des paiements à une date provisoirement fixée au 3 mai 2012 par jugement du Tribunal de Première Instance du 22 novembre 2012 relevant : « qu'il apparaît que deux indemnités d'administrateur ont été versées au titre de l'exercice 2011 à o. CO. et r. CO. pour des montants de 1.903.500 euros (soit un total de 3.807.000 euros) représentant environ huit fois le chiffre d'affaires ; qu'aux termes du rapport des commissaires aux comptes du 12 octobre 2012, ceux-ci ont refusé de certifier les comptes présentés pour l'exercice clos le 31 décembre 2011 ; qu'il y a lieu de relever que si au plan comptable une provision pour risque d'un montant de 5.425.049 euros apparaît au bilan, au plan financier, la trésorerie n'a pu nullement faire face à la créance de la banque A. ;
Que l'actif disponible (trésorerie, le stock ayant en outre fait l'objet d'une provision pour dépréciation de 90 % depuis plusieurs années, pourcentage ramené à 50 % pour l'exercice 2011 apparaît de 26.140 euros au 3l décembre 2011 et de 69.835 euros au 30 juin 2012 ».
En effet, lors d'un conseil d'administration en date du 14 septembre 1011, r. CO. était nommé président administrateur délégué puis était voté le versement d'indemnités à deux administrateurs délégués, o. et r. CO., à hauteur de 1.903.500 euros chacun soit au total 3.807.000 euros, dont le paiement intervenait le 6 octobre 2011.
Le versement de ces indemnités d'administrateur intervenait alors que la société avait perdu plus des trois quarts de son capital social.
Dans ces circonstances, le syndic, Jean-Paul SAMBA, dans un rapport en date du 21 décembre 2012 mettait en exergue le cas de banqueroute frauduleuse commis par les consorts CO. en soulignant la disproportion entre le chiffre d'affaires réalisé et les indemnités d'administrateurs versées.
o. et r. CO. étaient inculpés sur mandat d'arrêt puis renvoyés devant le Tribunal correctionnel par ordonnance en date du 3 juin 2015 du chef de banqueroute frauduleuse.
À l'audience qui s'est tenue devant le Tribunal correctionnel, o. et r. CO. ont soulevé, par l'intermédiaire de leurs conseils, une exception au motif que le magistrat instructeur, bien que disposant de leur adresse située en Israël, ne les avait pas convoqués avant de les inculper puis de les renvoyer devant la juridiction répressive.
Ainsi, o. et r. CO. ont sollicité, sur le fondement de l'article 162 du Code de procédure pénale, de l'article 14 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques de New York du 16 décembre 1966 et de l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde et des Droits de l'homme et des Libertés Fondamentales le prononcé de la nullité de l'ensemble des actes de la procédure pénale dont le Tribunal de céans était saisi et plus particulièrement des mandats d'arrêt valant inculpation.
Le Ministère Public ne s'est pas opposé, après avoir rappelé une jurisprudence constante en cette matière, à l'annulation desdits mandats d'arrêt et le renvoi de la procédure devant le magistrat instructeur précédemment saisi.
Les conseils de la banque A. ont contesté l'exception soulevée par les prévenus considérant, en application du second alinéa de l'article 218 du Code de procédure pénale, que toutes les nullités avaient été couvertes par l'ordonnance de renvoi devenue définitive.
Egalement présent et entendu, le syndic de la SAM B. s'est associé aux réquisitions du Procureur Général.
SUR CE,
Il ressort des éléments de la procédure que o. et r. CO., avant leur renvoi devant la présente juridiction de jugement, n'ont fait l'objet d'aucune convocation par le magistrat instructeur qui disposait pourtant de leur adresse située en Israël.
S'il est acquis que la décision d'inculpation et le moyen d'y procéder relève de l'appréciation du juge d'instruction selon les indices qu'il a pu recueillir, il appartient néanmoins à ce magistrat d'offrir la possibilité à toute personne sur laquelle portent de tels indices puis des charges pouvant ensuite justifier son renvoi devant une juridiction répressive de s'expliquer sur les faits la mettant en cause, d'en discuter le bien-fondé et ce afin de lui permettre de rendre une décision en disposant des éléments à charge et à décharge.
En l'espèce, le juge d'instruction, bien qu'ayant respecté les dispositions de l'article 162 du Code de procédure pénale qui lui permettaient de décerner un mandat d'arrêt à l'encontre d' o. et r. CO. compte tenu de leur adresse située à l'étranger, aurait dû, pour ne pas contrevenir au principe posé notamment par la Convention européenne des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales en son article 6 au regard de l'égalité des armes et du nécessaire respect du contradictoire pendant le déroulement de la procédure garantissant un procès équitable, convoquer à l'adresse apparaissant dans le dossier ces derniers dont seule une non comparution lui aurait permis de délivrer le mandat d'arrêt puis de préciser, dans son ordonnance de renvoi, que « o. et r. CO. ne pouvaient être entendus ».
Par conséquent, il convient, en l'état de cette violation manifeste des droits de la défense, de prononcer la nullité des actes de procédure mais seulement à compter de l'ordonnance de soit-communiqué au Ministère Public cotée D40 et de renvoyer, conformément aux dispositions de l'article 212 du Code de procédure pénale, le Ministère Public à se pourvoir.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
statuant contradictoirement, conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale,
Prononce l'annulation de la cote D40 et de toute la procédure ultérieure ;
Renvoie le Ministère Public à se pourvoir ;
Et laisse les frais à la charge du Trésor.
Composition🔗
Ainsi jugé après débats du vingt-trois février deux mille seize en audience publique tenus devant le Tribunal Correctionnel, au Palais de Justice, à Monaco, composé par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Premier Juge chargé des fonctions de Président du Tribunal correctionnel, Madame Rose-Marie PLAKSINE, Premier Juge, Madame Sophie LEONARDI, Juge, le Ministère Public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du quinze mars deux mille seize par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, assistés de Monsieur Thierry DALMASSO, Greffier.