Tribunal correctionnel, 14 juillet 2015, r. GA. c/ Ministère public
Abstract🔗
Blanchiment d'argent - Principe non bis in idem - Condamnation à l'étranger pour les mêmes faits - Caractère indifférent - Connaissance de l'origine frauduleuse des fonds (oui) - Condamnation
Résumé🔗
La prévenue doit être condamnée du chef de blanchiment du produit d'une infraction. Il est de jurisprudence constante que l'interdiction de nouvelles poursuites à raison du même fait ne concerne que les personnes déjà poursuivies et condamnées dans le même État de sorte que la poursuite à Monaco de la prévenue ne constitue aucunement une violation du principe « non bis in idem » même si la prévenue a été condamnée en Italie pour les mêmes faits. Il est acquis que la prévenue a bien détenu dans un établissement bancaire de la Principauté de Monaco un compte sur lequel et à partir duquel ont été réalisés des virements de fonds provenant et étant destinés à des personnes physiques ou morales ayant un lien avec une personne, mise en cause dans des procédures judiciaires italiennes. Ces mouvements de fonds ont été très importants et la prévenue avait parfaitement connaissance du caractère frauduleux de leur origine. Elle n'a produit aucun élément venant corroborer ses dires selon lesquels ses apports de fonds et les virements qui ont succédé provenaient d'opérations effectuées dans des conditions licites.
Motifs🔗
Operator: Service Informatique
Company: Arobase
TRIBUNAL CORRECTIONNEL
2009/001071INF. J. I. B20/09
R.
JUGEMENT DU 14 JUILLET 2015
En la cause de la nommée :
- r. GA. épouse AB., née le 22 janvier 1945 à ZERBOLO (Pavie - Italie), de C. ; et de feue E.TI., de nationalité italienne, retraitée, demeurant X 27043 BRONI (Pavie - Italie) ;
Prévenue de :
BLANCHIMENT DU PRODUIT D'UNE INFRACTION
- PRÉSENTE aux débats, assistée de Maître Régis BERGONZI, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;
- Opposante à l'encontre d'un jugement rendu par défaut par le Tribunal de céans le 6 janvier 2015, signifié à Parquet le 10 février 2015 ;
CONTRE :
LE MINISTÈRE PUBLIC ;
LE TRIBUNAL,
jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 23 juin 2015 ;
Vu le jugement rendu par défaut par le Tribunal de céans en date du 6 janvier 2015, signifié à Parquet le 10 février 2015 ;
Vu l'acte de notification d'opposition de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET en date du 20 février 2015 ;
Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 24 mars 2015 ;
Ouï la prévenue en ses réponses et ce, avec l'assistance de Marie-Dominique MERLINO, demeurant X, faisant fonction d'interprète en langue italienne, serment préalablement prêté ;
Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Régis BERGONZI, avocat défenseur pour la prévenue, ses demandes, fins et conclusions en date du 23 juin 2015 ;
Ouï la prévenue, en dernier, en ses moyens de défense ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par acte en date du 20 février 2015, r. GA. épouse AB. a déclaré former opposition à l'encontre d'un jugement rendu par défaut par le Tribunal de première instance jugeant correctionnellement le 6 janvier 2015, lequel l'a condamnée à la peine de UN AN D'EMPRISONNEMENT et a ordonné la confiscation à hauteur de la somme de 782.280 euros du compte n° X, sous la prévention :
« D'avoir à Monaco, courant 2007 à 2009 et jusqu'au 25 mai 2009, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription,- sciemment détenu des biens ou capitaux dont elle savait, au moment où elle les a reçus, qu'ils étaient d'origine illicite et sciemment apporté son concours à la conversion ou au transfert des biens ou capitaux dont elle savait qu'ils étaient d'origine illicite tel que le relève la décision du Tribunal de Milan du 12 janvier 2010, dans le but de dissimuler ou de déguiser l'origine desdits biens ou capitaux ou d'aider toutes personnes impliquées dans la commission de l'infraction principale à échapper aux conséquences juridiques de leurs actes, DÉLIT prévu et réprimé par les articles 218 et suivants du Code Pénal ».
Sur l'opposition
L'opposition formée le 20 février 2015 par r. GA. épouse AB. à l'encontre du jugement la condamnant à la peine d'un an d'emprisonnement du chef du blanchiment du produit dune infraction rendu le 6 janvier 2015 et dont elle a eu connaissance le 17 févier 2015 est régulière en la forme et il y a donc lieu de la recevoir.
Sur les faits
Le 8 mai 2009, le directeur du Service d'Information et de Contrôle sur les Circuits financiers (SICCFIN) a adressé au Parquet général un signalement visant principalement un dénommé f. PE.. Ce dernier était présenté comme un «lawyer» de nationalité suisse faisant l'objet dune enquête diligentée par le Parquet de Milan pour des faits de blanchiment ainsi que de fraude et par ailleurs titulaire ou mandataire de plusieurs comptes auprès de l'établissement bancaire A à Monaco. Une information judiciaire a alors été ouverte en Principauté de Monaco le 25 mai 2009 pour des faits de blanchiment commis durant les années 2007 à 2009. Les investigations alors menées ont permis d'effectuer un rapprochement entre les faits dénoncés par le SICCFIN et des poursuites entreprises en Italie à l'encontre de plusieurs instigateurs d'une fraude à hauteur de 22 millions d'euros caractérisée par la conclusion, dans le cadre de la réalisation dune opération immobilière, de contrats d'assainissement à coût majoré. Il est ensuite résulté de l'enquête que les fonds détournés avaient été transférés sur des comptes suisses ouverts au nom de g. GR. dont f. PE. était le mandataire fiduciaire. Ainsi, dans le cadre de cette procédure, les autorités judiciaires italiennes ont sollicité, par commission rogatoire internationale en date du 27 mai 2009, la saisie conservatoire à hauteur de 632.000 euros du compte bancaire ouvert dans les livres de la banque A à Monaco apparaissant sous l'intitulé «B» dont le bénéficiaire économique était une dénommée r. GA. et épouse d'un parlementaire italien lié à g. GR.. Il était en effet ressorti des éléments d'information portés à la connaissance des autorités judiciaires italiennes que des sommes de 332.000 euros et 300.000 euros avaient été transférées les 17 mars 2008 et 6 octobre 2008 sur ce compte «B» depuis celui détenu par f. PE. auprès de la société C de Chiasso. Ainsi, selon un jugement définitif du Tribunal de Milan en date du 12 janvier 2010 et prononcé selon la procédure de «Parteggiamento», r. GA. épouse AB. a été déclarée coupable du délit de blanchiment commis en Italie et à MONACO et condamnée à la peine de deux ans d'emprisonnement avec sursis et à celle de 3.000 euros d'amende. Par ailleurs, la somme se trouvant sur le compte «B» lors de son blocage par le Juge d'instruction monégasque dans le cadre de sa propre procédure, à savoir celle de 1.124.877,80 euros, a été confisquée. r. GA. épouse AB. a alors été inculpée à Monaco le 21 janvier 2014 pour des faits de blanchiment mais na pas déféré par la suite aux convocations du magistrat instructeur de sorte quelle na pas au cours de l'information judiciaire démontré la licéité des fonds transférés sur ou depuis le compte «B» et présentés par la décision susvisée en date du 12 janvier 2010 comme étant d'origine frauduleuse. En revanche, son ancien conseil italien avait adressé des écrits par lesquels il sollicitait la relaxe de sa cliente aux motifs que les faits dont le Tribunal correctionnel de Monaco avait été saisi avaient été définitivement jugés et réprimés en Italie et ne pouvaient en conséquence faire l'objet de nouvelles poursuites à Monaco.
À l'audience qui s'est tenue le 23 juin 2015 et à laquelle r. GA. épouse AB. suite à son opposition a comparu, cette prévenue a indiqué quelle ignorait l'origine frauduleuse des différents fonds ayant transité sur le compte bancaire «B» quelle avait personnellement et initialement ouvert dans l'optique d'acquérir un bien immobilier en France. Par ailleurs, son nouveau conseil a encore fait valoir qu'une condamnation de sa cliente en Principauté de Monaco constituerait une violation du principe « non bis in idem » et que la procédure italienne dite de « Parteggiamento » ne signifiait aucunement que r. GA. épouse AB. avait été déclarée coupable des faits de blanchiment pour lesquels elle avait été finalement condamnée qu'à une peine d'emprisonnement assortie du sursis.
Sur l'action publique
Il y a lieu de rappeler qu'il est de jurisprudence constante que l'interdiction de nouvelles poursuites à raison du même fait ne concerne que les personnes déjà poursuivies et condamnées dans le même État de sorte que la poursuite à Monaco de r. GA. épouse AB. ne constitue aucunement une violation du principe « non bis in idem ».
Par ailleurs il est acquis que cette prévenue a bien détenu en Principauté de Monaco et plus précisément dans l'établissement A avec lequel elle a été mise en relation par g. GR. selon les documents d'ouverture bancaire versés à la procédure d'information un compte sur lequel et à partir duquel ont été réalisés des virements de fonds provenant et étant destinés à des personnes physiques ou morales ayant un lien avec le dénommé g. GR.. La nature des relations amicales que ce dernier, mis en cause dans des procédures judiciaires italiennes dont la presse a fait l'écho, entretenait avec la prévenue ainsi que la multitude et les montants desdits virements, à savoir durant la période de prévention retenue, soit de l'année 2007 au 25 mai 2009, la somme de 782.280 euros en crédit et celle de 1.294.027,34 euros en débit opéré sur le compte bancaire dont elle le bénéficiaire économique permettent de considérer que r. GA. épouse AB. avait parfaitement connaissance du caractère frauduleux de l'origine de ces biens et capitaux. Enfin, cette prévenue na produit au Tribunal aucun élément venant corroborer ses dires selon lesquels ses apports de fonds et les virements qui ont succédé provenaient d'opérations effectuées dans des conditions licites et que la justice italienne a considéré illégales. Par conséquent, l'infraction poursuivie, caractérisée dans tous ses éléments constitutifs, peut être valablement imputée à r. GA. épouse AB. qui doit en être déclarée coupable. Eu égard à la gravité des faits compte tenu de l'importance des sommes en cause et du mode opératoire utilisé qui se relève de la délinquance financière internationale astucieuse et organisée mais dans lequel le rôle de r. GA. épouse AB. n'était que secondaire ainsi que les débats ont permis de le révéler, une peine de 8 mois d'emprisonnement sera prononcée.
Il y a lieu enfin d'ordonner la confiscation à hauteur de la somme de 782.280 euros du compte n° 0017964 «B» dont est titulaire à la banque A à Monaco r. GA. épouse AB..
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
statuant contradictoirement,
Déclare l'opposition de r. GA. épouse AB. recevable.
Met à néant le jugement du 6 janvier 2015.
Et statuant à nouveau,
Déclare r. GA. épouse AB. coupable du délit qui lui est reproché.
En répression, faisant application des articles visés par la prévention ainsi que de l'article 12 du code pénal,
La condamne à la peine de HUIT MOIS DEMPRISONNEMENT ;
Ordonne la confiscation à hauteur de la somme de 782.280 euros du compte n° 0017964 apparaissant sous l'intitulé «B» dont est titulaire à la banque A à Monaco r. GA. épouse AB. ;
Condamne, en outre, r. GA. épouse AB. aux frais ;
Composition🔗
Ainsi jugé après débats du vingt-trois juin deux mille quinze en audience publique tenus devant le Tribunal Correctionnel, composé par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Premier Juge chargé des fonctions de Président du Tribunal correctionnel, Madame Emmanuelle CASINI-BACHELET, Juge, Madame Léa PARIENTI, Magistrat référendaire, le Ministère public dûment représenté, et prononcé à laudience publique du quatorze juillet deux mille quinze par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Laurie PANTANELLA, Greffier.