Tribunal correctionnel, 5 mai 2015, Ministère public c/ Monsieur v. SH. et l'Ordre des avocats défenseurs et avocats
Abstract🔗
Activité commerciale - Exercice sans autorisation - Élément moral (non) - Relaxe
Usurpation de titres - Titre d'avocat - Condamnation
Résumé🔗
Le prévenu est poursuivi pour avoir exercé une activité commerciale ou professionnelle autre que celle autorisée. Jusqu'au 2 septembre 2011, il était autorisé à exercer une activité de « cabinet d'études, d'assistance et de conseil en matière de droit commercial international et de droit sportif, à l'exclusion de toute activité relevant de secteurs réglementés » et, à compter de cette date, son autorisation a été modifiée par « cabinet d'études, d'assistance et de conseil en matière de droit international privé et de droit sportif, à l'exclusion de toute activité relevant de secteurs réglementés ». Le prévenu considère que cette modification lui permet d'exercer des fonctions plus larges en ce qu'outre les matières commerciales et sportives, il peut également exercer ses fonctions sur les conflits de lois. L'expression « droit international privé » est communément admise comme concernant uniquement les conflits de lois internationaux mais pas le droit commercial ou civil international qui lui entre dans la définition usuelle du droit privé international. Le prévenu opère donc une légère confusion entre ces deux notions puisqu'il a manifestement restreint le champ de son autorisation en pensant l'étendre, confusion manifestement confortée par le responsable de la direction des finances et de l'économie qui, après discussion, a proposé cette terminologie. Si ces définitions sont celles habituellement utilisées par les professionnels du droit, elles ne sont pas définies par des corps de texte et n'ont donc pas un caractère normatif fort. Il n'est pas démontré que postérieurement au 2 septembre 2011, le prévenu serait intervenu dans un champ de droit excédant ladite autorisation et la confusion entre les deux expressions extrêmement similaires est manifestement involontaire, de sorte que l'élément moral de l'infraction n'est pas établi.
Le prévenu doit être condamné du chef d'usurpation du titre d'avocat. Il a usé, sur ses documents professionnels émanant de son bureau monégasque, du titre d'« attorney at law », suivi d'un astérisque renvoyant à une mention « admitted in italy » pour ses cartes de visite et de « Member of the italian bar » concernant son papier en-tête. La traduction littérale de la mention « Attorney at law » est « avocat ». Il est avocat en Italie, inscrit au barreau de Gênes, même s'il exerce peu en Italie, exerçant la profession de conseil juridique en Principauté de Monaco mais n'étant pas inscrit au barreau monégasque en tant qu'avocat. Même si une mention portée sur un document émanant de son bureau d'études monégasque, par astérisque, précise une admission en Italie, les éléments constitutifs de l'infraction d'usage sans droit d'un titre attaché à une profession réglementée sont réunis à l'égard du prévenu.
Motifs🔗
TRIBUNAL CORRECTIONNEL
2014/000463
JUGEMENT DU 5 MAI 2015
En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;
Contre le nommé :
- Monsieur m. CO., né le 17 septembre 1956 à MILAN (Italie), de nationalité italienne, avocat au barreau de Gênes et expert-comptable en Italie conseiller juridique à Monaco, demeurant X à MONACO (98000) ;
Prévenu de :
- USURPATION DE TITRE
- EXERCICE ILLÉGAL D'UNE ACTIVITÉ REGLEMENTÉE SANS AUTORISATION
- PRÉSENT, assisté de par Maître Jean-Pierre LICARI, avocat défenseur près la Cour d'Appel, plaidant par Maître Christian CHARRIÈRE-BOURNAZEL, avocat au barreau de Paris ;
En présence de :
- Monsieur v. SH., né le 27 avril 1960 à LASOURKA (Russie), de nationalité israélienne, sans profession, demeurant « X » X à MONACO (98000), constitué partie civile, ABSENT, représenté par Maître Richard MULLOT, avocat défenseur près la Cour d'Appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;
- L'ORDRE DES AVOCATS DÉFENSEURS ET AVOCATS, constitué partie civile, représenté par Maître Yann LAJOUX, avocat défenseur près la Cour d'Appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;
LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 10 mars 2015 ;
Vu la procédure enregistrée au Parquet Général sous le numéro 2014/000463 ;
Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 6 novembre 2014 ;
Ouï le prévenu en ses réponses ;
Ouï Maître Richard MULLOT, avocat défenseur pour v. SH., partie civile, en ses demandes, fins et conclusions en date du 10 mars 2015 ;
Ouï Maître Yann LAJOUX, avocat défenseur pour l'Ordre des avocats défenseurs et avocats, en ses demandes et déclarations ;
Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Christian CHARRIÈRE-BOURNAZEL, avocat au barreau de Paris, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à assister le prévenu, en ses moyens de défense, plaidoiries et conclusions en date du 3 mars 2015 par lesquels il sollicite la relaxe de son client ;
Ouï le prévenu, en dernier, en ses moyens de défense ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que m. CO. est poursuivi correctionnellement sous la prévention :
« D'avoir à MONACO, courant 2013 en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, fait usage ou s'être réclamé, sans remplir les conditions exigées, d'un titre attaché à une profession légalement réglementée, d'un diplôme officiel ou d'une qualité dont l'octroi relève d'une autorité publique, en l'espèce du titre et de la qualité d'avocat en violation des dispositions de la loi n° 1.047 du 28 juillet 1982 sur l'exercice des professions d'avocat défenseur et d'avocat en faisant mentionner :
- sur une correspondance du 4 mars 2013 adressée à v. SH. les informations suivantes :
en entête : m. CO.
INTERNATONAL CONSULTANT
X
X
MC 98000 MONACO
Tel. +X
Fu+X
Email X@X. com
et
en bas de page : « Attorney at law- Member of the italian Bar
Certifed Public Accountant - Admitted in Italy
Member ACB, AEA, CAS, IBA, ISLA, SIMED, SLA, STEP
Counsel to the ltalian Embassy in Monaco »
- sur une carte de visite :
« m. CO.
ATTORNEY AT LAW*
CERTIFIED PUBLIC ACCOUTANT
*admitted en Italy
Studio Legale Fiduciario dell'Ambasciata d'ltalia nel Principato di Monaco
X MONACO Tel. +377 X
«Les Floralies» Fax +37'7 X
X X@X. com
MC-98000 MONACO www.X.com » ;
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26 et 203 du Code pénal ;
2°) Pour avoir à Monaco, entre 2011 et 2014, exercé une activité commerciale ou professionnelle autre que celle autorisée ou qui excède les limites déterminées par l'autorisation ou qui n'est pas conforme aux conditions mentionnées par celle-ci, en l'espèce notamment en effectuant des prestations dépassant l'autorisation accordée d'exercer l'activité de « cabinet d'études, d'assistance et de conseil en matière de droit international privé et de droit sportif, à l'exclusion de toute activité relevant de secteurs réglementés. »,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 1, 5, 7 et 12 de la Loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques, 26 du Code pénal » ;
Attendu qu'à l'audience du 10 mars 2015 Maître Richard MULLOT a sollicité, pour v. SH., la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts, tandis que Maître Yann LAJOUX, a sollicité, pour le compte de l'Ordre des avocats défenseurs et avocats, celle de 1 euro symbolique ;
Sur l'action publique,
Attendu qu'il résulte des débats et des pièces qui y sont versées que les relations entre v. SH. et m. CO. ont perduré de l'année 2008 jusqu'au cours de l'année 2011, seules les dernières factures datant de l'année 2012, et le dernier mandat ayant été donné le 23 juin 2010 ;
Que jusqu'au 2 septembre 2011, m. CO. était autorisé à exercer une activité de « cabinet d'études, d'assistance et de conseil en matière de droit commercial international et de droit sportif, à l'exclusion de toute activité relevant de secteurs réglementés » et qu'à compter de cette date, son autorisation a été modifiée par « cabinet d'études, d'assistance et de conseil en matière de droit international privé et de droit sportif, à l'exclusion de toute activité relevant de secteurs réglementés » ;
Qu'il est résulté des débats que m. CO. considère que cette modification lui permet d'exercer des fonctions plus larges en ce qu'outre les matières commerciales et sportives, il peut également exercer ses fonctions sur les conflits de lois ;
Que l'expression « droit international privé » est communément admise comme concernant uniquement les conflits de lois internationaux mais pas le droit commercial ou civil international qui lui entre dans la définition usuelle du droit privé international ;
Qu'il résulte donc des débats que m. CO. entreprend une légère confusion entre ces deux notions puisqu'il a manifestement restreint le champ de son autorisation en pensant l'étendre, confusion manifestement confortée par le responsable de la direction des finances et de l'économie qui, après discussion, a proposé cette terminologie ;
Qu'en outre, il convient de rappeler que si ces définitions sont celles habituellement utilisées par les professionnels du droit, elles ne sont pas définies par des corps de texte et n'ont donc pas un caractère normatif fort ;
Attendu qu'aucun des éléments versés aux débats ne permet de constater que postérieurement au 2 septembre 2011, m. CO. serait intervenu dans un champ de droit excédant ladite autorisation et qu'en tout état de cause, la confusion entre les deux expressions extrêmement similaires est manifestement involontaire, de sorte qu'il ne peut être retenu l'élément moral de l'infraction reprochée ;
Qu'il convient donc de relaxer m. CO. de ce chef de prévention ;
Attendu que l'article 203 du Code pénal réprime le fait de faire usage ou de se réclamer d'un titre attaché à une profession légalement réglementée, sans droit ;
Qu'il est admis de manière constante que l'intention de nuire ou de tromper des tiers est sans incidence sur la constitution du délit ;
Qu'en l'espèce, il est reproché à m. CO. d'avoir usé, sur ses documents professionnels émanant de son bureau monégasque, du titre d'« attorney at law », suivi d'un astérisque renvoyant à une mention « admitted in italy » pour ses cartes de visite et de « Member of the italian bar » concernant son papier en-tête ;
Attendu que la traduction littérale de la mention « Attorney at law » est « avocat » ;
Qu'un individu ne peut s'exonérer de l'application de l'article 203 susvisé en changeant la langue dans laquelle le terme est utilisé, quand bien même il n'y aurait pas de consonance entre les deux expressions ;
Attendu qu'il est constant que m. CO. est véritablement avocat en Italie, inscrit au barreau de Gênes, même s'il n'exerce que peu, voire pas, en Italie, exerce la profession de conseil juridique en Principauté de Monaco mais n'est pas inscrit au barreau monégasque en tant qu'avocat ;
Qu'ainsi, même si une mention portée sur un document émanant de son bureau d'études monégasque, par astérisque, précise une admission en Italie, il doit être considéré que les éléments constitutifs de l'infraction d'usage sans droit d'un titre attaché à une profession réglementée sont réunis et qu'il convient donc de déclarer m. CO. coupable de ces faits ;
Attendu qu'il résulte encore de l'enquête, des débats et des pièces qui y sont versées qu'aucun élément ne permet de considérer que m. CO. aurait à un quelconque moment prétendu auprès de v. SH. être avocat en Principauté de Monaco ;
Que la mention « admis en Italie » ou « membre du barreau italien » permet dès leur lecture de comprendre, même pour un profane, que m. CO. n'est pas avocat monégasque ;
Que d'ailleurs, il est constant que lorsque v. SH. a intenté ou subi des actions devant les juridictions monégasques, il a eu recours à d'autres conseils, parfois directement monégasques, parfois d'un barreau étranger, sous la constitution d'un avocat défenseur monégasque ;
Qu'il n'est en outre pas soutenu que m. CO. aurait été sollicité par v. SH. pour le représenter en justice ;
Attendu qu'il en résulte que m. CO. n'a manifestement eu aucune intention de tromper ou nuire à qui que ce soit et qu'il n'est aucunement démontré qu'il se serait à une quelconque occasion présenté comme avocat monégasque ;
Qu'il convient donc de lui faire une application bienveillante de la loi pénale et le condamner à une peine de 500 euros d'amende avec sursis ;
Sur l'action civile,
Attendu qu'ainsi qu'il l'a été dit supra, l'enquête et les débats n'ont pas permis de démontrer que m. CO. se serait présenté comme avocat monégasque, aurait cherché à entretenir une confusion sur ses fonctions ou aurait exercé celles-ci dans des limites dépassant clairement les autorisations qui lui étaient accordées ;
Qu'ainsi, il ne peut être valablement soutenu qu'il aurait causé un quelconque préjudice à v. SH. du seul fait d'avoir indiqué sur sa carte de visite et son papier en-tête être avocat, admis en Italie ou inscrit au barreau italien ;
Que le fondement de l'ensemble des demandes formées par v. SH. repose uniquement sur des agissements qui, s'ils avaient été établis, relèveraient de la qualification d'escroquerie pour laquelle m. CO. n'est pas renvoyé et qui n'est en tout état de cause pas constituée ;
Qu'il convient donc de débouter v. SH. de ses demandes de dommages et intérêts ;
Attendu que de même, aucune intention de nuire, de tromper ses clients ou de se faire passer pour un avocat monégasque n'ayant été démontré par l'enquête, il convient de débouter l'Ordre des avocats défenseurs et des avocats de sa demande de dommages et intérêts ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,
Sur l'action publique,
Relaxe m. CO. des faits d'exercice illégal d'une activité réglementée sans autorisation ;
Le déclare en revanche coupable du surplus ;
En répression, faisant application des articles visés par la prévention, ainsi que de l'article 393 du Code pénal,
Le condamne à la peine de CINQ CENTS EUROS D'AMENDE AVEC SURSIS, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal ayant été adressé au condamné ;
Sur l'action civile,
Reçoit Monsieur v. SH. et l'Ordre des avocats défenseurs et des avocats en leur constitution de partie civile ;
Les déboute de leurs demandes respectives de dommages-intérêts ;
Condamne, en outre, m. CO. aux frais ;
Composition🔗
Ainsi jugé après débats du dix mars deux mille quinze en audience publique tenue devant le Tribunal correctionnel composé par Monsieur Florestan BELLINZONA, Premier Juge, Madame Sophie LEONARDI, Juge, Monsieur Morgan RAYMOND, Juge, le Ministère Public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du cinq mai deux mille quinze, par Monsieur Florestan BELLINZONA, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Laurie PANTANELLA, Greffier.