Tribunal correctionnel, 10 juin 2014, Ministère public c/ Société O

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Abstract🔗

Responsabilité pénale – Blessures involontaires – Personne morale – Certitude du lien de causalité (non) – Faute d'imprudence (non)

Résumé🔗

Des employés d'un centre hospitalier ont été victimes d'une intoxication au monoxyde de carbone, qui est la conséquence probable de l'entrée de gaz d'échappements dégagés par un véhicule d'une société, chargé de nettoyer des bacs, mission réalisée en faisant tourner le moteur à un régime élevé, et qui était positionné quelques mètres sous une bouche d'entrée d'air. Si l'une des causes est connue, la conjonction exacte des causes ayant entraîné cette intoxication reste néanmoins indéterminée. De plus, il n'existe pas de réglementation particulière pour l'action réalisée par la société. Dès lors, outre l'incertitude quant au lien de causalité, aucune réglementation n'imposait des mesures de sécurité et il n'est démontré aucune faute d'imprudence ou de négligence de la société, qui est donc relaxée du chef de blessures involontaires.


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2013/002151

JUGEMENT DU 10 JUIN 2014

________________

  • En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;

Contre la nommée :

  • - La Société Anonyme Monégasque dénommée O, dont le siège social est X1 à MONACO (98000), prise en la personne de son administrateur délégué en exercice, l. GU., demeurant en cette qualité audit siège ;

Prévenue de :

  • BLESSURES INVOLONTAIRES

  • PRÉSENTE aux débats, assistée de Maître Olivier MARQUET, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;

En présence de :

  • Monsieur h. BA. né le 28 août 1974 à FES (Maroc) de nationalité marocaine, agent d'entretien, demeurant X à BEAUSOLEIL (06240), constitué partie civile, comparaissant en personne ;

  • Monsieur n. BE. né le 27 novembre 1988 à MONACO (98000), de nationalité tunisienne, agent d'entretien, demeurant X à BEAUSOLEIL (06240), constitué partie civile, comparaissant en personne ;

  • Monsieur n. DE. né le 26 mars 1968 à ROCROY, de nationalité française, agent d'entretien, demeurant X à MENTON(06500), constitué partie civile, comparaissant en personne ;

  • Madame n. GU. née le 7 avril 1956 à STRASBOURG (France), de nationalité française, praticien hospitalier, demeurant et domiciliée X à CAP D'AIL (06320), constituée partie civile, assistée de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat défenseur, substitué par Maître Sarah FILIPPI, avocat ;

  • Madame v. SA. épouse BO., née le 12 novembre 1978 à MONACO (98000), de nationalité française, secrétaire médicale, demeurant et domiciliée « X », X à MONACO (98000), constituée partie civile, assistée de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat défenseur, substitué par Maître Sarah FILIPPI, avocat ;

  • L'Établissement public L, dont le siège social est X à MONACO (98000), pris en la personne de son Président du Conseil d'Administration en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, partie intervenante forcée ès qualités d'employeur des parties civiles, REPRÉSENTÉ par Maître Alexis MARQUET, avocat défenseur près la Cour d'appel et plaidant par ledit avocat défenseur ;

  • La Société Anonyme K, dont le siège social est sis X à LYON (69003), prise en la personne de son Directeur de succursale ou agent responsable à Monaco, domicilié en cette qualité 33 boulevard Princesse Charlotte à MONACO (98000), partie intervenante forcée et volontaire ès qualités d'assureur-loi de l'employeur des parties civiles, REPRÉSENTÉE par Maître Christophe SOSSO, avocat défenseur près la Cour d'appel et plaidant par ledit avocat défenseur ;

LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 27 mai 2014 ;

Vu la procédure enregistrée au Parquet Général sous le numéro 2013/002151 ;

Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 15 janvier 2014 ;

Vu l'acte d'assignation en intervention forcée suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, en date du 12 mai 2014, à la requête de n. GU. et v. SA. épouse BO., parties civiles, pour mise en cause de l'établissement public L et de la société anonyme K, en leur qualité respective d'employeur des parties civiles et d'assureur-loi de l'employeur des parties civiles ;

Vu les conclusions de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat défenseur pour les parties civiles, en date du 27 mai 2014 ;

Vu les conclusions de Maître Alexis MARQUET, avocat défenseur pour l'établissement public L, partie intervenante forcée, en date du 27 mai 2014 ;

Vu les conclusions de Maître Christophe SOSSO, avocat défenseur pour la société anonyme K, partie intervenante forcée, en date du 27 mai 2014 ;

Ouï M. l. GU., administrateur délégué de la S. A. M. O, prévenue, en ses réponses ;

Ouï MM. h. BA., n. BE. et n. DE., parties civiles, en leurs demandes et déclarations et Mmes n. GU. et v. SA. épouse BO., parties civiles, en leurs déclarations ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Sarah FILIPPI, avocat, substituant Maître Jean-Pierre LICARI, avocat défenseur pour n. GU. et v. SA. épouse BO., parties civiles, en leurs demandes et déclarations ;

Ouï Maître Alexis MARQUET, avocat défenseur pour l'établissement public L, partie intervenante forcée, en ses demandes, plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Christophe SOSSO, avocat défenseur pour la S. A. K, partie intervenante forcée et volontaire, en ses demandes, plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Olivier MARQUET, avocat défenseur pour la prévenue, en ses moyens de défense et plaidoiries ;

Ouï M. l. GU., administrateur délégué de la S. A. M. O, prévenue, en dernier, en ses moyens de défense ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Société Anonyme Monégasque dénommée O est poursuivie correctionnellement sous la prévention :

« D'avoir à MONACO, le 27 juin 2013, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription,

par maladresse, imprudence, négligence, inattention ou inobservation des règlements, involontairement causé des blessures à des membres du personnel de l'établissement public L dont m-a. AR., h. BA., l. PO., n. GU., c. OR., r. VI., v. MA SO., s. CO., n. GO., j-m. RO., n. BE., n. DE., b. KH., b. SE., e. BO., n. GA., y. GU., v BO., p. CA. et r. BR. en l'espèce d'une part, en provoquant lors d'une opération de nettoyage et de curage d'égout et de bacs siphoïdes sur ce site, leur intoxication par du monoxyde de carbone présent dans les gaz d'échappement rejetés par l'un de ses camions stationnés, moteur tournant, à proximité de grilles de ventilation, et d'autre part, en ne mesurant pas et en ne prévenant pas préalablement les risques de ce type d'intervention notamment en ayant omis de mettre en place un plan de prévention desdits risques, une formation du personnel aux mesures d'hygiène et de sécurité et des fiches d'intervention décrivant lesdits risques et les mesures à prendre pour les prévenir,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 250, 251 du Code pénal » ;

À l'audience h. BA., n. BE., n. DE., n. GU. et v. SA. épouse BO., se sont constitués parties civiles et ont demandé au Tribunal de déclarer la prévenue responsable de l'accident survenu le 27 juin 2013 et de la condamner à leur payer :

M. h. BA. : la somme de 6.000 euros à titre de dommages-intérêts,

M. n. BE. : la somme de 6.000 euros à titre de dommages-intérêts,

M. n. DE. : la somme de 1 euro symbolique à titre de dommages-intérêts,

Mmes n. GU. et v. SA. épouse BO. ont sollicité par l'intermédiaire de leur conseil une mesure d'expertise aux fins de déterminer le préjudice qu'elles estiment avoir subi outre une provision de 1.500 euros chacune.

L'établissement public L a sollicité sa mise hors de cause.

La société anonyme K, par l'intermédiaire de son conseil, a déclaré à l'audience intervenir volontairement s'agissant des autres victimes.

Elle a demandé également de lui donner acte de ses réserves sur les conséquences dommageables de l'accident et d'ordonner le renvoi de l'affaire sur intérêts civils.

SUR CE,

Le 27 juin 2013 une vingtaine d'employés travaillant au service de radiothérapie l'établissement public L ou à proximité ont été victimes d'une intoxication au monoxyde de carbone nécessitant des placements sous oxygénothérapie et un placement en caisson hyperbare pour une femme enceinte.

Aucune expertise judiciaire n'a été réalisée. Il résulte cependant des témoignages recueillis et de l'expertise réalisée par la SAM O que cette intoxication est la conséquence probable de l'entrée de gaz d'échappements, dont le monoxyde de carbone, dégagés par un véhicule de la SAM O chargé de nettoyer des bacs siphoïdes ce matin du 21 juin, mission réalisée en faisant tourner le moteur à un régime élevé, qui était positionné quelques mètres sous une bouche d'entrée d'air neuf d'un débit de 4906 m3/h desservant le service confiné de radiothérapie.

Il convient néanmoins de constater qu'il résulte de l'enquête que cette société, et une autre société avant elle, a toujours procédé ainsi depuis plusieurs années sans qu'une intoxication soit intervenue précédemment. De même les employés de la société, présents sur les lieux n'ont visiblement pas été intoxiqués alors pourtant que l'évacuation des gaz d'échappement se fait sous le véhicule. Enfin, le plan de prévention établi par l'établissement public L postérieurement aux faits ne prévoit pas la coupure de la bouche d'air le véhicule étant jugé « suffisamment éloigné des prises d'air neuf par l'établissement public L ». Aussi, si l'une des causes est donc connue, la conjonction exacte des causes ayant entraîné cette intoxication reste néanmoins indéterminée.

Il convient également de relever qu'il n'existe pas de réglementation particulière pour l'action réalisée par la société O, les seuls procédés particuliers relevant d'une activité en milieu confiné ce qui n'est nullement le cas en l'espèce. Il est par contre avéré que le véhicule utilisé est parfaitement conforme à la réglementation en la matière tout comme la technique utilisée.

Les témoignages et documents recueillis permettent également de noter que la société est intervenue à la demande de l'établissement public L et que le véhicule en cause s'est placé à cet endroit, qui se situe sur la voirie et non dans l'hôpital, sur un emplacement réservé notamment à cet effet, par le personnel technique de l'établissement public L qui vient au début et à la fin de l'intervention. Par ailleurs rien ne permet d'accréditer que la société O ait été au courant de l'existence de cette bouche d'air neuf, masquée par une grille, et de son débit, qui donne plusieurs mètres au dessus, sur la rue.

Enfin la régulation de cette bouche d'air neuf relève des seuls services techniques de l'établissement public L qui connaissaient le lieu et les dates d'intervention du véhicule, et il n'existait pas de plan de prévention des risques, qui incombait non à la SAM O mais à l'établissement public L s'agissant d'interventions sur son site et déléguées.

Dès lors, outre l'incertitude quant au lien de causalité, aucune réglementation n'imposait les éléments listés par la prévention (plan de prévention, fiches d'intervention..) et il n'est démontré aucune faute d'imprudence ou de négligence de la SAM O.

Elle sera donc relaxée des faits reprochés.

Consécutivement à cette relaxe les demandes des parties civiles, recevables, seront rejetées.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

statuant contradictoirement,

Relaxe la SAM O des fins de la poursuite sans peine ni dépens ;

Déboute les parties civiles de leurs demandes ;

Laisse les frais à la charge du Trésor.

Composition🔗

Ainsi jugé après débats du vingt sept mai deux mille quatorze en audience publique tenue devant le Tribunal correctionnel composé par Monsieur Cyril BOUSSERON, Premier Juge, Monsieur Florestan BELLINZONA, Premier Juge, Mademoiselle Cyrielle COLLE, Juge, le Ministère Public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du dix juin deux mille quatorze, par Monsieur Cyril BOUSSERON, en présence de Monsieur Jean-Jacques IGNACIO, Substitut du Procureur Général, assistés de Monsieur Thierry DALMASSO, Greffier.

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