Tribunal correctionnel, 10 juin 2014, Ministère public c/ g. HO.

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Abstract🔗

Banqueroute frauduleuse – Éléments constitutifs

Le prévenu, associé gérant d'une société, doit être déclaré coupable de banqueroute frauduleuse. Il a confondu les patrimoines des sociétés, dont il était actionnaire en tout ou partie, faisant financer par une société le développement d'autres en dehors de l'objet social de la première et en lui faisant supporter leurs passifs, la circonstance que ces sommes aient été inscrites en fin d'année aux bilans n'enlevant que le caractère opaque du montage mais nullement son caractère illégal.

Activité commerciale – Exercice par une société ayant son siège en France

Le prévenu doit être condamné du chef d'exercice d'activités commerciales sans autorisation et de façon non conforme à l'objet social. Pour contourner la liquidation d'une société, il a, sans avoir obtenu d'autorisations, utilisé une société étrangère en la faisant domicilier à Monaco pour permettre des transferts de fonds et utilisé une structure juridique dont ce n'était pas l'objet social afin de continuer son activité.


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2013/000268

2013/002292

2013/001031

JUGEMENT DU 10 JUIN 2014

________________

En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;

Contre le nommé :

  • - g. HO., né le 15 septembre 1965 à KLAGENFURT (Autriche), de Johann et d'Erika BA., de nationalité autrichienne, organisateur d'événements sportifs, demeurant X, X à MONACO (98000) ;

Prévenu de :

  • NON REMISE DES COMPTES

  • EXERCICES D'UNE ACTIVITÉ COMMERCIALE OU PROFESSIONNELLE SANS AUTORISATION

  • BANQUEROUTE SIMPLE, BANQUEROUTE FRAUDULEUSE

- PRÉSENT aux débats, assisté de Maître Yann LAJOUX, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;

En présence de :

  • - Monsieur c D, syndic de la liquidation des biens de la SARL U, dont le siège social était sis 11 bis rue Princesse Antoinette à MONACO (98000), en qualité de représentant de la masse des créanciers, constitué partie civile, comparaissant en personne ;

LE TRIBUNAL,

jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 27 mai 2014 ;

Vu les procédures enregistrées au Parquet Général sous les numéros 2013/000268, 2013/002292 et 2013/001031 ;

Vu les citations signifiées, suivant exploits, enregistrés, de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 29 avril 2014 ;

Vu les conclusions de M. c D, ès qualités, partie civile, en date du 27 mai 2014 ;

Ouï le prévenu en ses réponses et ce, avec l'assistance de Madame j H., demeurant X à CAP D'AIL (06320), faisant fonction d'interprète en langue anglaise, serment préalablement prêté ;

Ouï M. c D, ès qualités, partie civile, en ses demandes et déclarations ;

Ouï M. s I, cité en qualité de témoin, serment préalablement prêté ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Yann LAJOUX, avocat pour le prévenu, en ses moyens de défense et plaidoiries ;

Ouï le prévenu, en dernier, en ses moyens de défense ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que g. HO. est poursuivi correctionnellement sous les préventions :

Procédure n° 2013/000268

« D'avoir à MONACO, courant 2012, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription,

- en sa qualité de gérant associé de la SARL V, omis de transmettre au service du Répertoire du Commerce et de l'Industrie les documents suivants relatifs à l'exercice 2011 : le bilan, le compte des pertes et profits, ainsi qu'une attestation signé par lui-même et visée par un membre de l'Ordre des Experts-Comptables agréés portant sur les comptes annuels sur l'activité de la société et le respect des dispositions légales et statutaires,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 51-7, 51-9 et 51-13 du Code de Commerce, les articles 4 et 5 de l'ordonnance n° 993 du 16 février 2007 portant application de la loi n° 1331 du 8 janvier 2007 et article 26 chiffre 4 du Code Pénal

Procédure n° 2013/002292

« D'avoir à MONACO, courant 2013, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription,

- exercé une activité commerciale ou professionnelle en Principauté de Monaco sans obtention préalable d'une autorisation administrative du Ministère d'État, en l'espèce, en organisant un événement sportif dénommé « SPARTAN RACE » par l'intermédiaire d'une société dénommée SPCGE n'ayant aucune existence légale en Principauté de Monaco et mensongèrement domiciliée au 18 rue Grimaldi à Monaco,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 1, 5, 7 et 12 de la loi n° 1144 du 26 juillet 1991, l'article 26 du Code Pénal ;

D'avoir à MONACO, courant 2013, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription,

- en qualité de gérant de la SARL U MONACO exercé par cette société une activité commerciale ou professionnelle dont l'objet n'est pas conforme à l'objet social autorisé ou déployée hors des limites de celui-ci, en l'espèce en organisant un événement sportif dénommé « SPARTAN RACE » par l'intermédiaire de la société SARL U MONACO,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 1, 4, 5 et 13 et 27 de la loi n° 1144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques et l'article 26 du Code Pénal» ;

Procédure n° 2013/001031

« D'avoir à MONACO, courant 2011 et 2012, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription,

- étant dirigeant de droit de la SARL U, se trouvant en état de cessation des payements, de mauvaise foi et sans excuse légitime, omis de faire au greffe général, dans les 15 jours, la déclaration de la cessation des payements de ladite société,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 327 et 328 alinéa 1 du Code Pénal ;

D'avoir à MONACO, courant 2011 et 2012, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription,

- étant dirigeant de droit de la SARL U, laquelle se trouvait en état de cessation des payements, détourné ou dissimulé, de mauvaise foi, une partie de l'actif de ladite société, en l'espèce :

1) en réalisant des virements frauduleux, sans justifications économiques, du compte de cette société vers les comptes d'autres sociétés dans lesquelles il possède des intérêts personnels dont :

- les virements au bénéfice de la société U MONACO de :

  • 140.487,23 euros entre le 1er janvier 2011 et le 31 janvier 2011,

  • 138.298,14 euros entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2013,

- les virements au bénéfice de la société W SPAIN de :

  • 317.179,21 euros entre le 1er janvier 2011 et le 31 janvier 2011,

  • 328.833,84 euros entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2013,

- les virements au bénéfice de la société V de :

  • 8.751,09 euros entre le 1er janvier 2011 et le 31 janvier 2011,

  • 8.751,09 euros entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2013,

- les virements au bénéfice de la société W FRANCE de :

  • 65.231,93 euros entre le 1er janvier 2011 et le 31 janvier 2011,

- les virements au bénéfice de la société W US de :

  • 43.014,18 euros entre le 1er janvier 2011 et le 31 janvier 2011,

  • 156.362,74 euros entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2013,

- les virements au bénéfice de la société U LUXEMBOURG de :

  • 40.000 euros entre le 1er janvier 2011 et le 31 janvier 2011,

  • 58.259,67 euros entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2013,

2) en provisionnant lors de l'arrêté des comptes de 2011 et de 2012, les sommes de 614.227,44 euros et 696.159,24 euros en dépréciation d`actif, lesquelles correspondaient au montant des avances de trésorerie consenties par la SARL U aux autres sociétés de g. HO.,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 327 et 328 alinéa 1 du Code Pénal ; »

À l'audience M. c D, ès qualités de syndic de la liquidation des biens de la SARL U et de représentant de la masse des créanciers, s'est constitué partie civile et a sollicité la condamnation du prévenu à payer à la cessation des paiements de la SARL U la somme de 830.290,75 euros ;

SUR CE,

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient d'ordonner la jonction des procédures n° 2013/000268, 2013/002292 et 2013/001031 connexes faisant l'objet des préventions susvisées pour qu'il y soit statué par un seul et même jugement.

À la suite d'un courrier du 25 janvier 2013 d'un salarié exposant l'absence de versement de salaire depuis plusieurs mois le président du tribunal a désigné un mandataire afin d'apprécier la situation de la société SARL U.

Consécutivement à son rapport le tribunal de première instance a prononcé le 14 mars 2013 la cessation des paiements de la société et a fixé provisoirement sa date au 31 octobre 2012 et a par le même jugement prononcé la liquidation des biens de la société.

Il résulte de ces éléments ainsi que du rapport du syndic du 14 mars 2013 et des éléments comptables que les salariés n'ont pas été payés pour une partie d'entre eux à compter de septembre 2012 alors notamment que les capitaux propres étaient déjà négatifs à 1.931.360 euros au 31 décembre 2011 et que le bilan au 31 décembre 2011 relevait une perte de 1.573.863 euros, l'activité n'étant maintenue que par l'augmentation des dettes des tiers.

Dès lors la société était en cessation des paiements depuis de nombreux mois et à tout le moins depuis le mois de septembre 2012.

Pour autant g. HO., associé gérant de la société, parfaitement au courant de la situation et des montages entre sociétés lui appartenant en tout ou partie, n'a pas procédé dans les 15 jours au greffe général à la déclaration de cessation des paiements. Il sera donc déclaré coupable de l'infraction de banqueroute simple.

S'agissant de l'infraction de banqueroute frauduleuse si les sommes mentionnées à la prévention sont des résultats comptables, éventuellement reportés d'année en année, et non pas des virements et que le provisionnement comptable n'est pas en soi un abandon de créances, l'infraction est néanmoins constituée.

Il résulte en effet des bilans que la société a consenti de facto des avances à différentes sociétés soit au 31 décembre 2012 138.298,14 euros à la SARL U MONACO, 8.751,09 euros à la SARL V, 328.833,84 euros à la SARL W SPAIN, 153.362,74 euros à la société W US et 58.259,67 euros à la société U Luxembourg.

Il résulte des déclarations du prévenu confirmée par l'audition du témoin, expert comptable et commissaire aux comptes, et des pièces qu'il a remises au tribunal, qu'il avait mis en place un système de centralisation de la trésorerie de ces différentes sociétés « affiliées » au niveau de la SARL U système mis en place aux fins « d'optimisation » dans « une phase de développement du groupe » et qui n'a échoué selon lui qu'en raison des difficultés des sociétés affiliées aujourd'hui quasiment toutes en faillite.

Cependant les sociétés précitées n'étaient nullement affiliées et aucun groupe au sens juridique n'existait. Les seuls liens juridiques étaient en réalité des contrats de prestations de services qui ne justifiaient aucunement ces flux les sociétés étrangères devant au contraire verser des commissions au titre des licences.

Dès lors le prévenu a confondu les patrimoines des sociétés, dont il était actionnaire en tout ou partie, faisant financer par la SARL U le développement des sociétés étrangères en dehors de l'objet social de la société et en lui faisant supporter leurs passifs, la circonstance que ces sommes ait été inscrites en fin d'année aux bilans n'enlevant que le caractère opaque du montage mais nullement son caractère illégal.

Il sera donc déclaré coupable de banqueroute frauduleuse.

Il en sera de même de l'infraction de non remise des comptes relatifs à l'exercice 2011 de la SARL V dont il était l'associé gérant au moment des faits, démontrée par l'enquête et reconnue.

Il en également de même s'agissant de l'exercice des activités commerciales sans autorisation et de façon non conforme à l'objet social courant 2013 puisqu'il résulte du site internet de l'organisation de la Spartan Race en France, des deux contrats successifs signés avec la société exploitant le circuit Paul Ricard où l'événement a eu lieu et des mouvements de fonds constatés que ces deux sociétés ont organisé l'événement la SPCGE, société luxembourgeoise, en se faisant passer pour une société monégasque et la SARL U MONACO en dehors de son objet social limité à l'organisation et la promotion du TRISTAR 111. Les explications données et les informations recueillies dans le dossier de banqueroute démontrent en fait que pour contourner la liquidation de la société U intervenue début 2013, dont l'objet social était plus large, et de la société W France, lieu de réalisation de l'événement, le prévenu a, sans avoir obtenu les autorisations, qu'il ne demandera que plus tard et qui seront refusées, utilisé une société étrangère en la faisant domicilier à Monaco pour permettre les transferts de fonds et utilisé la structure U MONACO dont ce n'était pas l'objet social afin de, malgré tout, continuer son activité.

Au regard de ces nombreuses infractions démontrant une volonté persistante de s'affranchir des règles de fonctionnement des sociétés mais aussi de la passivité plus que surprenante de l'expert comptable s'agissant de la banqueroute frauduleuse, facilitant la commission de celle-ci, g. HO. sera condamné à la peine de 6 mois d'emprisonnement assortie du sursis et à une amende de 1.000 euros.

La constitution de partie civile de c D es-qualité de syndic de la liquidation des biens de la SARL U et représentant de la masse des créanciers est recevable.

Le détournement d'actifs retenu précédemment s'élève à la somme de 552.345,63 euros. Les sommes réclamées au titre des contrats de prêt ne sont par contre pas visées par la prévention et ne peuvent donc être réclamées dans ce cadre tout comme la production au passif par le bailleur des loyers des locaux partagés avec la SARL U MONACO qui, si elle correspond à l'utilisation par cette société des locaux postérieurement à la liquidation, doit amener à un rejet par le syndic.

Par contre l'absence de déclaration de cessation des paiements a eu pour effet d'aggraver le passif de la SARL U et notamment l'aggravation des créances salariales sur la totalité des avances accordées par la CGCS (remontant à septembre 2013 date ici retenue de la cessation des paiements) soit la somme de 130.353,52 euros.

g. HO. sera donc condamné à payer la somme de 682.699,15 euros à titre de dommages et intérêts.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

statuant contradictoirement,

Ordonne la jonction des procédures n° 2013/000268, 2013/002292 et 2013/001031.

Sur l'action publique,

Déclare g. HO. coupable des délits qui lui sont reprochés ;

En répression, faisant application des articles visés par les préventions ainsi que de l'article 393 du Code pénal,

Condamne g. HO. à la peine de SIX MOIS D'EMPRISONNEMENT AVEC SURSIS, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal ayant été adressé au condamné, ainsi qu'à celle de MILLE EUROS D'AMENDE ;

Sur l'action civile,

Reçoit M. c D, ès qualités de syndic de la liquidation des biens de la SARL U et de représentant de la masse des créanciers, en sa constitution de partie civile ;

Le déclarant partiellement fondé en sa demande, condamne g. HO. à lui payer la somme de 682.699,15 euros à titre de dommages et intérêts ;

Condamne, en outre, g. HO. aux frais.

Composition🔗

Ainsi jugé après débats du vingt sept mai deux mille quatorze en audience publique tenue devant le Tribunal correctionnel composé par Monsieur Cyril BOUSSERON, Premier Juge, Monsieur Florestan BELLINZONA, Premier Juge, Mademoiselle Cyrielle COLLE, Juge, le Ministère Public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du dix juin deux mille quatorze, par Monsieur Cyril BOUSSERON, en présence de Monsieur Jean-Jacques IGNACIO, Substitut du Procureur Général, assistés de Monsieur Thierry DALMASSO, Greffier.

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