Tribunal correctionnel, 10 juin 2014, Ministère public c/ b. DA.

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Abstract🔗

Compétence pénale – Compétence territoriale – Abus de confiance – Faits commis à l'étranger (oui)

Résumé🔗

Poursuivi pour abus de confiance, le prévenu fait valoir l'incompétence territoriale des juridictions monégasques. L'article 9 du Code de procédure pénale ne peut ici trouver application dès lors que ni le prévenu ni sa fille, visée par la plainte mais non poursuivie, n'ont pas été trouvés en Principauté en possession d'objets acquis au moyen de l'infraction. L'article 21 du même Code prévoit qu'« est réputé avoir été commis sur le territoire de la Principauté tout crime ou délit dont un acte caractérisant un des éléments constitutifs de l'infraction y aura été accompli ». Les détournements ont été opérés sur un compte américain par un étranger domicilié aux États-Unis. Si le lieu de remise de l'objet du détournement peut constituer un critère de compétence s'agissant d'un élément constitutif de l'infraction, il convient de remarquer en l'espèce qu'a été réalisée à Monaco non la remise des fonds ensuite détournés partiellement mais celle de deux chèques permettant le transfert de ces fonds. Or, s'agissant de chèque, qui est un ordre donné à la banque du tiré de payer au bénéficiaire, la remise des fonds ne se fait juridiquement qu'au moment de l'encaissement et est donc réalisée en ce lieu d'encaissement. En l'espèce, le chèque a été encaissé aux États-Unis. Dès lors, le tribunal est territorialement incompétent.


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2012/000380

INF. J. I. CABI 12/06

JUGEMENT DU 10 JUIN 2014

__________________

En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;

Contre le nommé :

  • b. DA., né le 8 mars 1942 à BAR (Montenegro), de Jovan et de Maria JO., de nationalité américaine, retraité, demeurant X - NEW JERSEY - 07010 (États-Unis d'Amérique) ;

Prévenu de :

ABUS DE CONFIANCE

- ABSENT, représenté par Maître Yann LAJOUX, avocat défenseur près la Cour d'appel, chez lequel il doit être considéré comme ayan fait élection de domicile par application de l'article 377 du Code de procédure pénale, plaidant par ledit avocat-défenseur ;

En présence de :

  • Madame i. ZA., née le 5 janvier 1961 à ZEMUN (Belgrade), de nationalités italienne et serbe, sans profession, demeurant via X MILAN (Italie), constituée partie civile, bénéficiaire de l'assistance judiciaire selon décision du 29 septembre 2011 portant le numéro 48 BAJ 11, PRÉSENTE, assistée de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par Maître Charles LECUYER, avocat en cette même Cour ;

LE TRIBUNAL,

jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 3 juin 2014 ;

Vu la procédure enregistrée au Parquet Général sous le numéro 2012/000380 ;

Vu l'ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel du Magistrat instructeur en date du 3 février 2014 ;

Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 20 février 2014 ;

Ouï Maître Yann LAJOUX, avocat défenseur pour le prévenu, qui soulève in limine litis une exception d'incompétence rationae loci ;

Ouï Maître Charles LECUYER, en ses observations ;

Ouï le Ministère Public en réponse ;

Ouï Monsieur le Président qui, après avoir pris l'avis de ses assesseurs, décide de joindre l'incident au fond ;

Ouï i. ZA., partie civile, et ce, avec l'assistance de Madame m P, demeurant X 98000 MONACO, faisant fonction d'interprète en langue italienne, serment préalablement prêté, en ses déclarations ;

Ouï Maître Charles LECUYER, avocat pour la partie civile, en ses demandes ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Yann LAJOUX, avocat défenseur pour le prévenu, en ses moyens de défense, fins et conclusions en date du 3 juin 2014 ;

Après en avoir délibéré, conformément à la loi ;

Aux termes d'une ordonnance du Magistrat instructeur en date du 3 février 2014, b. DA. a été renvoyé par devant le Tribunal correctionnel, sous la prévention :

  • « D'avoir à Monaco, courant 2007 à 2010, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription,

  • - détourné ou dissipé au préjudice d i. ZA., des fonds, meubles, effets, deniers, marchandises, billets, promesses, quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge, qui ne lui avaient été remis qu'à titre de louage, de dépôt, de mandat, de nantissement, de prêt à usage ou pour un travail salarié ou non, à charge de les rendre ou représenter ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé, en l'espèce, en disposant à son insu et à des fin personnelles de la somme de 47.061,46 USD qui lui avait été remise dans le cadre d'un mandat aux fins d'investissement,

  • DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26 et 337 du Code pénal » ;

À l'audience, la partie civile, par l'intermédiaire de son conseil, a sollicité le rejet de l'exception soulevée ainsi que la condamnation du prévenu à lui verser la somme de 55.000 euros à titre de dommages et intérêts.

b. DA. sollicite du Tribunal l'autorisation de se faire représenter par Maître Yann LAJOUX. La présence de ce prévenu n'étant pas indispensable à l'instruction de l'affaire à l'audience, il y a lieu de faire droit à cette demande et de statuer contradictoirement à son égard, en conformité de l'article 377 du Code de procédure pénale.

Le 1er février 2012, i. ZA. déposait plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de t. DA. du chef d'abus de confiance. (D1)

Le 21 mars 2012, une information judiciaire était ouverte contre X de ce chef. (D31)

i. ZA. exposait qu'elle entretenait depuis des années avec b. DA. et sa fille, t., une relation très étroite. Originaire comme elle de Serbie-Monténégro, b. DA. était le témoin de son mariage célébré en 1993. i. ZA. le considérait ainsi comme un second père selon la coutume serbe du « pacte de kum » consacrant un lien de parrainage très fort. (D4, D5, D37 et D51)

i. ZA. déclarait avoir confié, courant 2007, la somme de 180 000 USD à t. DA., sur les conseils de son père. Cet argent, représentant un capital perçu après son divorce, devait selon elle être garanti. Toutefois, elle n'exigeait aucun écrit le confirmant. Elle ne se souciait pas non plus de la nature des placements à venir en invoquant la confiance aveugle qu'elle avait pour la famille DA.. Le mandat était donc purement verbal.

  • Elle avait ainsi remis à t. DA., à Monaco, deux chèques tirés sur son compte détenu à la SANPAOLO de Gênes à l'ordre de « T. D AMERITRADE / FBO A/c 873-624415 of t. DA. - the bank of New-York » :

  • - le premier d'un montant de 70.000 USD et daté du 16 janvier 2007 (D6)

  • - et le second d'un montant de 110.000 USD et daté du 3 juillet 2007 (D7).

Dès janvier 2008, i. ZA. demandait à t. DA. la restitution d'une somme de 60.000 USD. Elle était remboursée le 15 janvier 2008 par chèque bancaire tiré sur le compte T. D AMERITRADE. (D8)

i. ZA. affirmait que t. DA. avait pour mission d'investir pour son compte la somme restante de 120 000 USD à la faveur de son expérience professionnelle acquise au sein de la banque UBS à Monaco où elle était employée.

Elle ajoutait que, pendant près de quatre années, t. et b. DA. lui avaient communiqué, lors de conversations téléphoniques, des informations rassurantes sur la gestion de ses avoirs. Ainsi en novembre 2009, b. DA. l'avait rencontrée à New York et lui avait indiqué que les sommes investies depuis 2007 avaient généré un profit de 16.000 USD. Il l'avait alors incitée à laisser cette somme sur le compte de t. DA. jusqu'en août 2010 pour la faire fructifier.

Au mois d'août 2010, i. ZA. s'était rendue à Belgrade pour récupérer ses fonds mais, contre toute attente, t. et b. DA. avaient annulé leur rencontre.

Dès lors, par courriel du 7 septembre 2010 adressé à b. DA., i. ZA. avait insisté sur la nécessité pour elle d'être remboursée ; en effet, pour financer ses dépenses quotidiennes, elle avait dû emprunter de l'argent à de nombreuses personnes. (D9 et D9 bis).

b. DA. lui avait répondu par courriel du 9 septembre 2010 ne pas être en mesure de procéder au remboursement de l'intégralité des fonds en se retranchant derrière le contexte économique ; il lui était impossible d'accéder au compte sur lequel avait été placé son argent. Il l'avait néanmoins rassurée en lui affirmant que la situation financière était « ok ». Il avait au surplus précisé pouvoir effectuer un premier versement dès la fin du mois de septembre 2010. (D10 et D10 bis).

Pourtant, dès le 20 septembre 2010, dans un nouveau courriel, b. DA. l'avait informé que l'intégralité de ses avoirs avait été perdue en raison de mauvais choix de placements et de la crise boursière. Il précisait à cette occasion que sa fille t. n'avait été qu'un intermédiaire entre eux. (D1 et D11 bis)

C'est pourquoi le 26 janvier 2011, i. ZA. avait adressé à t. DA., par courrier recommandé avec accusé de réception, une mise en demeure de lui faire parvenir sous huitaine la somme de 120.000 USD. Celle-ci ayant refusé ledit courrier à deux reprises, i. ZA. avait recouru à une signification par voie d'huissier le 11 février 2011. (D12)

Finalement le 11 mars 2011, t. DA. répondait par l'intermédiaire de son conseil n'avoir rien à se reprocher dans la mesure où seul son père avait géré les fonds. t. DA. se prévalait d'une procuration donnée le 5 mai 2003 à son père aux termes de laquelle il était l'unique responsable des mouvements effectués sur un compte ouvert à son nom dans les livres de la banque TD Amertrade aux USA. (D18, D19-D27)

Le 14 mars 2011, le conseil italien d' i. ZA. adressait une nouvelle mise en demeure à t. DA.. (D39)

Le juge d'instruction considérait que contrairement aux premières déclarations d' i. ZA., les pièces versées au dossier et les différentes déclarations recueillies établissaient que cette dernière avait confié la somme de 180 000 USD non pas à t. DA. mais à son père. Celle-ci n'était donc pas chargée de leur gestion et n'avait servi que d'intermédiaire. En effet, le 15 janvier 2007, soit trois jours avant la remise du premier chèque de 70 000 USD, b. DA. envoyait un courriel univoque à i. ZA. lui précisant la marche à suivre pour lui transmettre cette somme. (D22-D29)

Puis, dans un courriel du 7 septembre 2010 adressé à b. DA., i. ZA. lui demandait de lui faire parvenir un chèque de 120 000 USD.

b. DA. lui avait transmis une attestation notariale en date du 21 septembre 2010 aux termes de laquelle il reconnaissait avoir reçu la somme de 120 000 USD à charge pour lui de l'investir. Les fonds étaient bloqués durant une période de trois ans sur un compte dédié enregistrant les pertes et les gains. (D20-D28)

t. DA. déclarait que, depuis de nombreuses années, elle laissait à la disposition de son père un compte ouvert à son nom dans les livres de la banque AMERITRADE aux États-Unis pour des raisons fiscales. Elle admettait avoir reçu à Monaco des mains d' i. ZA. des enveloppes dont elle ignorait initialement le contenu, à charge pour elle de les expédier ensuite à son père aux États-Unis. Elle ne s'était pas immiscée dans la gestion des fonds. (D38)

b. DA. confirmait avoir assumé seul la gestion des fonds déposés sur le compte AMERITRADE, société de courtage. Sa fille lui avait préalablement expédié à deux reprises une enveloppe contenant les deux chèques de 70 000 USD et 110 000 USD qu' i. ZA. lui avait donnés. Mais après plusieurs années de trading aventureuses, il avait perdu la mise initiale, les quelques titres restant étant sans valeur. Il produisait les relevés du compte dédié recensant les opérations d'achat et de vente réalisées. Il déclarait avoir acheté et vendu des actions de sociétés américaines au jour le jour en recueillant des conseils divers et variés. (D40 ; D41 ; D44 ; D49)

Il confirmait ses déclarations dans un mémoire. (D48)

Toutefois, entre le 10 avril 2007 et le 16 août 2010, 19 chèques avaient été tirés sur le compte AMERITRADE pour une somme de 47 061, 46 USD, sans justificatifs. Ces débits ne correspondaient pas aux opérations habituelles de trading réalisées par b. DA.. (D41-D53)

Ne pouvant alors revenir s'expliquer sur ces chèques, il adressait un courriel à la Direction de la Sûreté Publique pour reconnaître avoir « réglé certaines dépenses personnelles à l'aide de chèques tirés sur les fonds de Mme i. ZA. (…) pour un montant total de 47 000 USD. » Il se déclarait dans l'incapacité de procéder à son remboursement compte tenu d'une situation financière obérée. (D57-D59)

b. DA. était inculpé du chef d'abus de confiance. (D64)

Interrogé, il confirmait avoir reçu la somme de 180 000 USD d' i. ZA. pour réaliser des placements financiers dont la nature n'était pas spécifiée et laissée ainsi à son appréciation. Il avait perdu en deux ans la totalité des fonds, tout en admettant avoir retiré par chèques environ 47 000 USD « pour son propre profit » sans avoir obtenu préalablement l'accord d' i. ZA.. Les premiers chèques étaient émis dès le mois d'avril 2007, soit quelques mois seulement après leur crédit sur le compte AMERITRADE. (D64)

Par ordonnance du juge d'instruction du 3 février 2014 le prévenu était renvoyé devant le tribunal correctionnel uniquement pour ces derniers faits.

Le juge d'instruction relevait néanmoins que se posait la question de la compétence territoriale des juridictions pénales monégasques pour connaître de ce délit.

SUR CE,

Le prévenu fait valoir l'incompétence territoriale des juridictions monégasques.

Les dispositions dérogatoires de l'article 9 du Code de procédure pénale ne peuvent ici trouver application, dès lors que ni b. DA. ni sa fille t. DA., visée par la plainte mais non poursuivie, n'ont pas été trouvés en Principauté en possession d'objets acquis au moyen de l'infraction.

L'article 21 du même Code prévoit qu'« est réputé avoir été commis sur le territoire de la Principauté tout crime ou délit dont un acte caractérisant un des éléments constitutifs de l'infraction y aura été accompli ».

Les détournements ont été opérés sur un compte américain par un étranger domicilié aux Etats-Unis.

Si le lieu de remise de l'objet du détournement peut constituer un critère de compétence s'agissant d'un élément constitutif de l'infraction, il convient de remarquer en l'espèce qu'a été réalisée à Monaco non la remise des fonds ensuite détournés partiellement mais celle de deux chèques permettant le transfert de ces fonds. Or, s'agissant de chèque, qui est un ordre donné à la banque du tiré de payer au bénéficiaire, la remise des fonds ne se fait juridiquement qu'au moment de l'encaissement et est donc réalisée en ce lieu d'encaissement (voir notamment Crim 13 octobre 1999). En l'espèce, conformément aux mentions portées sur le chèque tiré sur une banque italienne au profit du compte ouvert dans la banque américaine AMERITRADE le chèque a été encaissé aux États-Unis.

Dès lors, le tribunal est incompétent territorialement sur l'action publique.

Les demandes d' i. ZA. sont en conséquence irrecevables.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

statuant contradictoirement conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale,

Se déclare incompétent territorialement ;

Déclare les demandes d' i. ZA. irrecevables.

Laisse les frais à la charge du Trésor.

Composition🔗

Ainsi jugé après débats du trois juin deux mille quatorze en audience publique tenue devant le Tribunal correctionnel composé par Monsieur Cyril BOUSSERON, Premier Juge, Madame Sophie LEONARDI, Juge, Monsieur Morgan RAYMOND, Juge, le Ministère Public dûment représenté, assistés de Madame Marina MILLIAND, Greffier stagiaire, et prononcé à l'audience publique du dix juin deux mille quatorze, par Monsieur Cyril BOUSSERON, en présence de Monsieur Jean-Jacques IGNACIO, Substitut du Procureur Général, assistés de Monsieur Thierry DALMASSO, Greffier.-

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