Tribunal correctionnel, 3 juin 2014, V.TE. DI-CR. divorcée GA. c/ C.PE. épouse BA.
Abstract🔗
Dénonciation calomnieuse – Éléments constitutifs – Intention (non)
Résumé🔗
Le délit de dénonciation calomnieuse est constitué par la dénonciation spontanée aux officiers de justice ou de police ou à toute autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente de faits faux, ou dénaturés de manière à leur donner une qualification pénale qu'ils n'avaient pas, dont le caractère faux ou dénaturé est connu du dénonciateur au moment de la dénonciation. En l'espèce, la prévenue a déposé plainte spontanément contre inconnu, mais en désignant précisément une personne, pour des faits de faux. Cette personne a été relaxée définitivement de ces faits. Si une partie des faits dénoncés a été dénaturée, les fausses signatures dénoncées ont bien été réalisées et elles donnaient aux documents la nature de faux matériels susceptibles, en tant que tels, d'une qualification pénale de faux. Les faits dénoncés relevant d'une qualification pénale lors de la plainte et la prévenue ne pouvant avoir conscience de ce que la dénaturation partielle et l'analyse des juridictions leur ôteraient la qualification pénale, elle doit être relaxée.
Motifs🔗
TRIBUNAL CORRECTIONNEL
2014/000157
JUGEMENT DU 3 JUIN 2014
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En la cause de la nommée :
- V.TE. DI-CR. divorcée GA., née le 24 mars 1975 à AMBILLY (74), de nationalité française, demeurant 1X à NICE (06300) ;
- partie civile poursuivante, ABSENTE aux débats, représentée par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat défenseur près la Cour d'Appel, chez lequel elle a fait élection de domicile, plaidant par Maître Sandrine SETTON, avocat au barreau de Nice ;
CONTRE :
- C.PE. épouse BA., née le 5 juin 1957 à MENTON (06), de nationalité monégasque, fonctionnaire demeurant 2X à MONACO (98000) ;
- ABSENTE aux débats, représentée par Maître Didier ESCAUT, avocat défenseur près la Cour d'Appel, plaidant par Maître Luc BROSSOLLET, avocat au barreau de Paris ;
Poursuivie pour :
DÉNONCIATION CALOMNIEUSE
En présence du MINISTÈRE PUBLIC ;
LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 20 mai 2014 ;
Vu la citation directe délivrée directement à la requête de V.TE. DI-CR. divorcée GA., partie civile poursuivante, suivant exploit de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 21 janvier 2014 ;
Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat défenseur pour C.PE. épouse BA., en date du 16 mai 2014 ;
Ouï Maître Luc BROSSOLLET, avocat au barreau de Paris, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à plaider pour C.PE. épouse BA. qui soulève in limine litis une exception d'irrecevabilité ;
Ouï Maître Sandrine SETTON, avocat au barreau de Nice, régulièrement autorisée par Monsieur le Président à plaider pour V.TE. DI-CR. divorcée GA., partie civile poursuivante, en ses observations ;
Ouï le Ministère public en réponse ;
Ouï Monsieur le Président qui, après avoir pris l'avis de ses assesseurs, décide de joindre l'incident au fond ;
Ouï Maître Sandrine SETTON, avocat pour V.TE. DI-CR. divorcée GA., partie civile poursuivante, en ses demandes et déclarations ;
Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Luc BROSSOLLET, avocat pour C.PE. épouse BA., en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels il sollicite la relaxe de sa cliente ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
C.PE. épouse BA. sollicite du Tribunal l'autorisation de se faire représenter par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, plaidant par Maître Luc BROSSOLLET, avocat. La présence de cette prévenue n'étant pas indispensable à l'instruction de l'affaire à l'audience, il y a lieu de faire droit à cette demande et de statuer contradictoirement à son égard, conformément à l'article 377 du Code de procédure pénale.
Sur l'irrecevabilité des poursuites :
Le conseil de la prévenue fait valoir l'irrecevabilité des poursuites au motif que la Cour d'Appel aurait jugé par arrêt du 15 décembre 1987 que l'exercice de l'action publique pour dénonciation calomnieuse appartenait exclusivement au ministère public.
Il convient de relever cependant que l'arrêt de la Cour d'appel précité n'a nullement jugé ce point la cour ayant déclaré l'appel irrecevable pour ne pas avoir été formé dans les 5 jours. La phrase citée est en réalité tirée des moyens de l'appel résumant l'ordonnance du juge d'instruction.
Au demeurant l'article 75 du Code de procédure pénale dispose que la personne lésée par un délit ou une contravention peut en citer directement l'auteur devant le tribunal correctionnel et ce sans restriction quant au délit de dénonciation calomnieuse.
Dès lors les poursuites engagées par la citation directe de la partie civile, qui indique avoir été lésée par l'infraction alléguée, sont recevables.
Sur le fond :
Selon la jurisprudence le délit de dénonciation calomnieuse prévu par l'article 307 du Code pénal est constitué par la dénonciation spontanée aux officiers de justice ou de police ou à toute autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente de faits faux, ou dénaturés de manière à leur donner une qualification pénale qu'ils n'avaient pas, dont le caractère faux ou dénaturé est connu du dénonciateur au moment de la dénonciation.
En l'espèce la prévenue est venue déposer plainte spontanément à la sûreté publique le 18 février 2010 contre inconnu, mais en désignant précisément v. TE DI-CR. divorcée GA., pour des faits de faux, ce qu'elle a confirmé dans son audition du 4 mars 2010.
À l'issue de l'enquête v. TE DI-CR. divorcée GA. a été relaxée de ces faits par le tribunal correctionnel le 11 janvier 2011, décision confirmée par la Cour d'appel le 11 avril 2011 aux motifs de l'existence, partielle, et la reconnaissance, de signatures BA. réalisées par v. TE DI-CR. divorcée GA. mais de l'absence d'intention, ayant agi dans l'intérêt de l'entreprise et avec l'accord tacite de la gérante de droit, C.PE. épouse BA., et de l'absence de préjudice.
Il résulte d'ailleurs de la comparaison de la plainte du 18 février 2010 avec les motifs de la décision de la Cour d'appel ainsi qu'avec les pièces de la procédure concernée que la déclaration selon laquelle v. TE DI-CR. divorcée GA. a procédé à l'ouverture de lignes téléphoniques professionnelles auprès de SFR sans [l']en informer est manifestement contredite par la présentation à l'employée de SFR, qui a été entendue et a remis des pièces, de la copie de la pièce d'identité de C.PE. épouse BA. et d'un chèque annulé à son nom, dont elle n'a jamais prétendue avoir été dépossédée.
La présentation réalisée dans la plainte selon laquelle V.TE. DI-CR. divorcée GA. ne devait s'occuper que du côté opérationnel du café du cirque est également contredite par la pratique mise en place et démontrée dans la procédure de transmission directe entre elle et le cabinet comptable, la signature, reconnue ensuite par C.PE. épouse BA., de chéquiers en blanc pour régler les dépenses et plus généralement par le fonctionnement de la structure (bons de commande, de livraisons nécessairement signés par elle).
De même, à l'instar de la Cour d'appel il convient de relever que sur les trente documents correspondant aux demandes d'embauche versées à l'appui de la plainte l'une d'elle était postérieure au départ de V.TE. DI-CR. divorcée GA., d'autres étaient communiquées plusieurs fois et certaines étaient signées non « BA. » mais « GA. » nom d'épouse de V.TE. DI-CR. divorcée GA..
Cependant il est démontré, et reconnu, que V.TE. DI-CR. divorcée GA. a bien signé 16 demandes d'embauche du nom de « BA. » et a signé un document d'ouverture de lignes téléphoniques du nom de « BA. ».
Aussi, si une partie des faits dénoncés a été dénaturée, des fausses signatures dénoncées ont bien été réalisées.
Or, celles-ci donnaient à ces documents la nature de faux matériels susceptibles, en tant que tels, d'une qualification pénale de faux.
Si le raisonnement du tribunal correctionnel sur l'intention, et de la Cour d'appel sur l'intention et l'absence de préjudice, ont ôté à ces faits leur caractère pénal ce n'est qu'après un débat juridique discuté par le ministère public, qui avait poursuivi et avait fait appel de la décision de relaxe, et d'une appréciation in concreto et particulière des notions de conscience de nuire et d'écrit destiné ou apte à servir la preuve d'un droit de l'article 90 du code pénal.
Dès lors, les faits dénoncés relevant d'une qualification pénale lors de la plainte et C.PE. épouse BA. ne pouvant avoir conscience de ce que la dénaturation partielle et l'analyse des juridictions leur ôteraient la qualification pénale, elle doit être relaxée des faits reprochés.
Subséquemment, faute d'allégation d'une faute distincte de la faute pénale, la demande de dommages et intérêts sera rejetée.
Il n'est pas démontré de témérité ou d'abus dans le droit de citer directement devant le tribunal correctionnel dans la mesure où les motifs des décisions de relaxe et la dénaturation réalisée lors de la plainte pouvaient accréditer l'existence d'une dénonciation calomnieuse. La demande de dommages et intérêts de la prévenue sera donc rejetée.
Conformément à l'article 397 alinéa 2 du Code de procédure pénale V.TE. DI-CR. divorcée GA. sera condamnée aux frais.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
statuant contradictoirement, conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale,
Rejette l'exception d'irrecevabilité des poursuites.
Relaxe C.PE. épouse BA. des fins de la poursuite sans peine ni dépens ;
Déboute V.TE. DI-CR. divorcée GA. de sa demande de dommages et intérêts ;
Déboute C.PE. épouse BA. de sa demande de dommages et intérêts ;
Condamne V.TE. DI-CR. divorcée GA. aux frais, qui comprendront les droits prévus par l'article 63 de l'ordonnance souveraine n° 15.173 du 8 janvier 2002, avec distraction au profit de Maître Didier ESCAUT, avocat défenseur, dont la présence est reconnue effective et nécessaire aux débats.
Composition🔗
Ainsi jugé après débats du vingt mai deux mille quatorze en audience publique tenue devant le Tribunal correctionnel composé par Monsieur Cyril BOUSSERON, Premier Juge, Madame Emmanuelle CASINI-BACHELET, Juge, Mademoiselle Cyrielle COLLE, Juge, le Ministère Public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du trois juin deux mille quatorze, par Monsieur Cyril BOUSSERON, en présence de Madame Aline BROUSSE, Magistrat référendaire faisant fonction de Substitut du Procureur Général, Chevalier de l'ordre de Saint-Charles, assistés de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier stagiaire.-