Tribunal correctionnel, 21 mai 2013, Ministère public c/ La Société PO. KEWALRAM JEWELLERS

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Abstract🔗

Pouvoir d'annulation du Tribunal correctionnel - Arrêt de chambre du conseil instruction - Citation directe - Absence de nécessité d'une inculpation préalable - Responsabilité pénale des personnes morales - Abus de confiance - Requalification

Résumé🔗

Par arrêt du 12 mars 2012, la Cour d'appel a annulé le jugement du Tribunal correctionnel considérant qu'il n'entrait pas dans les pouvoirs de cette juridiction d'annuler l'arrêt de chambre du conseil et statuant à nouveau, en l'absence d'inculpation, a déclaré les poursuites irrecevables, renvoyant le ministère public à mieux se pourvoir.

La société prévenue soulève la nullité de la citation et l'irrecevabilité des poursuites au motif de son absence d'inculpation au cours de l'instruction.

Cependant, outre l'absence de fondement juridique de ces demandes, la citation actuelle et non réalisée après un renvoi par ordonnance du juge d'instruction mais par citation directe. Dès lors, si la recevabilité des pièces de la procédure d'instruction, sur le fondement de laquelle la Cour d'appel a considéré que les poursuites étaient irrecevables, peut être discutée dans la présente procédure sur citation directe, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, l'inculpation n'est pas un acte obligatoire dans cette procédure. L'exception est donc rejetée.

L'abus de confiance est une infraction instantanée. Il résulte de la plainte avec constitution de partie civile que, à supposer même que la preuve du contenu du contrat, qui incombe au plaignant, soit rapportée, le détournement constitutif d'abus de confiance a eu lieu avant l'introduction en droit monégasque de la responsabilité pénale des personnes morales par la loi du 25 juin 2008 publiée au Journal officiel du 4 juillet 2008. Dès lors, les poursuites de ce chef sont irrecevables.

En premier lieu, aucune requalification en recel ne peut par ailleurs juridiquement être ordonnée, à supposer que l'infraction soit constituée, en premier lieu car elle aurait eu lieu à DUBAI et non à MONACO, seul lieu visé par la poursuite. En second lieu car l'infraction nécessite pour être constituée, un fait principal punissable et enfin car une telle requalification, implique, s'agissant de faits non compris dans la poursuite, puisque constituant une infraction continue et hors MONACO, l'acceptation de la partie poursuivie d'être jugée de ce chef, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2008/001806

INF. J. I. B22/08

JUGEMENT DU 21 MAI 2013

___________________

En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;

Contre :

- La Société PO. KEWALRAM JEWELLERS, sise 3, 4, 5 & 6 Gold Corner Building, Gold Souk – P. O. Box 21468 Deira – DUBAÏ (Émirats Arabes Unis), prise en la personne de son représentant légal d. PO. ;

Prévenue de :

ABUS DE CONFIANCE

- ABSENTE, représentée par Maître Didier ESCAUT avocat-défenseur près la Cour d'appel chez lequel elle doit être considérée comme ayant fait élection de domicile par application de l'article 377 du code de procédure pénale, et plaidant par Maître Astrid GALY, avocat au barreau de Nice ;

En présence de :

- La Société Anonyme Monégasque RE. DIFFUSION, dont le siège est « Park Palace », X à MONACO, prise en la personne de son président délégué en exercice a. RE., constituée partie civile, ABSENTE, représentée par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience de ce jour ;

Vu l'ordonnance de non lieu du Magistrat instructeur en date du 11 mai 2010 ;

Vu l'arrêt rendu par la Chambre du conseil de la Cour d'appel statuant comme juridiction d'instruction en date du 27 octobre 2010, infirmant l'ordonnance de non lieu précitée et renvoyant la prévenue devant le Tribunal correctionnel ;

Vu le jugement de défaut rendu par le Tribunal de céans en date du 25 octobre 2011 annulant les dispositions de l'arrêt susvisé et renvoyant le Ministère public à mieux se pourvoir ;

Vu l'arrêt contradictoirement rendu par la Cour d'Appel en date du 12 mars 2012 annulant le jugement susvisé et renvoyant le Ministère public et la partie civile à mieux se pourvoir ;

Vu le jugement rendu par le Tribunal de Céans en date du 10 juillet 2012 ;

Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 12 décembre 2012 ;

Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat défenseur pour la Société PO. KEWALRAM JEWELLERS, en date du 26 avril 2013 ;

Ouï Maître Astrid GALY, avocat pour la prévenue, qui soulève in limine litis une exception de nullité ;

Ouï Maître Richard MULLOT, avocat défenseur pour la partie civile en ses observations ;

Ouï le Ministère Public en ses réponses ;

Le Tribunal décide de joindre l'incident au fond ;

Ouï Maître Richard MULLOT, avocat défenseur pour la partie civile, en ses demandes fins et conclusions en date des 4 mars et 29 avril 2013 ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Astrid GALLY, avocat au barreau de Nice, régulièrement autorisée par Monsieur le Président à assister la prévenue, en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels elle sollicite la relaxe de sa cliente ; ;

Après en avoir délibéré, conformément à la loi ;

La Société PO. KEWALRAM JEWELLERS est poursuivie correctionnellement sous la prévention :

« D'avoir à MONACO, depuis le 25 avril 2007, et depuis temps non prescrit, détourné ou dissipé au préjudice de la SAM RE. DIFFUSION, qui en était propriétaire, un lot de montres qui ne lui avait été remis qu'à titre de dépôt, à charge pour elle de les rendre ou de les représenter ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé,

» DÉLIT prévu et réprimé par l'article 337 du Code pénal «.

À l'audience la S.A.M. RE. DIFFUSION s'est constituée partie civile et a fait déposer des conclusions par son conseil tendant à voir condamner la prévenue à lui payer la somme de 430.000 euros à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondues, outre intérêts de droit au taux légal depuis la demande de restitution du 25 avril 2007, et jusqu'à parfait paiement, et le cas échéant, voir ordonner le renvoi de cette procédure pour que soit procédé à l'inculpation de la société PO. KEWALRAM JEWELLERS, et tous autres, du chef de recel et que soit ordonné, le cas échéant, un complément d'information de ce chef.

La société PO. KEWALRAM JEWELLERS sollicite du Tribunal l'autorisation de se faire représenter par Maître Didier ESCAUT avocat défenseur plaidant par Maître Astrid GALY, avocat ; que la présence de ce prévenu n'étant pas indispensable à l'instruction de l'affaire à l'audience, il y a lieu de faire droit à cette demande et de statuer contradictoirement à son égard, en conformité de l'article 377 du Code de procédure pénale.

I - Rappel des faits

Le 22 août 2008, la S.A.M. RE. DIFFUSION, représentée par son administrateur délégué a. RE., déposait plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de la Société PO. KEWALRAM JEWELLERS des chefs d'abus de confiance, escroquerie et recel.

Elle exposait avoir conclu au mois d'octobre 2004 avec cette société un accord de distribution aux termes duquel cette dernière s'engageait à distribuer et à promouvoir dans la ville de Dubaï 234 montres de luxe qui lui avaient été confiées sous le régime douanier de l'exportation temporaire.

Seules dix montres devaient être vendues et la S.A.M. RE. DIFFUSION ne parvenait pas à reprendre possession des autres articles et ce en dépit de multiples relances.

Le 6 novembre 2008, le Procureur général requérait l'ouverture d'une information judiciaire contre X des chefs d'escroquerie, d'abus de confiance et de recel.

Le 11 mai 2010, le magistrat Instructeur rendait une ordonnance de non-lieu conforme aux réquisitions du Ministère public, estimant que le litige opposant les parties revêtait un caractère commercial.

La partie civile interjetait appel de cette décision et dans un arrêt en date du 27 octobre 2010, la Chambre du Conseil de la Cour d'appel, statuant comme juridiction d'instruction, infirmait ladite ordonnance de non-lieu du Magistrat Instructeur, décidait qu'il résultait de l'information charges suffisantes contre la Société PO. KEWALRAM JEWELLERS représentée par d. PO. d'avoir à Monaco, depuis le 25 avril 2007 et depuis temps non prescrit, détourné ou dissipé au préjudice de la S.A.M. RE. DIFFUSION, qui en était propriétaire, un lot de montres qui ne lui avait été remis qu'à titre de dépôt, à charge pour elle de les rendre ou de les représenter ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé, et enfin ordonnait son renvoi devant le Tribunal correctionnel.

Par jugement du 25 octobre 2011 le tribunal correctionnel, en l'absence d'inculpation durant la phase d'instruction, annulait les dispositions de l'arrêt de la Chambre du Conseil en ce que la Société PO. KEWALRAM JEWELLERS représentée par d. PO., était renvoyée devant le Tribunal correctionnel pour avoir à Monaco, depuis le 25 avril 2007 et depuis temps non prescrit, détourné ou dissipé au préjudice de la S.A.M. RE. DIFFUSION, qui en était propriétaire, un lot de montres qui ne lui avait été remis qu'à titre de dépôt, à charge pour elle de les rendre ou de les représenter ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé et renvoyait le Ministère Public à mieux se pourvoir.

La Cour d'Appel, par arrêt du 12 mars 2012 annulait le jugement du tribunal correctionnel considérant qu'il n'entrait pas dans les pouvoirs du tribunal correctionnel d'annuler l'arrêt de la Chambre du conseil et, statuant à nouveau, en l'absence d'inculpation, déclarait les poursuites irrecevables, renvoyant le ministère public et la partie civile à mieux se pourvoir.

Le 4 avril 2012 le ministère public citait directement la Société PO. KEWALRAM JEWELLERS devant le tribunal correctionnel pour les faits ici reprochés.

Par jugement du 10 juillet 2012 le tribunal correctionnel ordonnait un complément d'enquête devant être effectué à la diligence du parquet aux fins de procéder à l'audition du représentant légal de la société et ordonnait sa recitation.

La » commission rogatoire internationale " du 24 juillet 2012 revenait le 21 novembre 2012 inexécutée par les autorités émiraties.

Il était procédé à une nouvelle citation de la société PO. KEWALRAM JEWELLERS qui constituait avocat.

II - sur la nullité de la citation et l'irrecevabilité des poursuites

Il est soulevé par la société prévenue la nullité de la citation et l'irrecevabilité des poursuites au motif de son absence d'inculpation au cours de l'instruction.

Cependant, outre l'absence de fondement juridique à ces demandes, la citation actuelle est non réalisée après un renvoi par ordonnance du juge d'instruction mais par citation directe. Dès lors, si la recevabilité des pièces de la procédure d'instruction, sur le fondement de laquelle la Cour d'Appel a considéré que les poursuites étaient irrecevables, peut être discutée dans la présente procédure sur citation directe, ce qui n'est pas fait en l'espèce, l'inculpation n'est pas un acte obligatoire de cette procédure. L'exception sera donc rejetée.

III - Sur l'action pénale

Il est reproché à la Société PO. KEWALRAM JEWELLERS, personne morale, d'avoir commis à Monaco, depuis le 25 avril 2007 et depuis temps non prescrit, un abus de confiance.

L'infraction d'abus de confiance est une infraction instantanée et le détournement est caractérisé selon la jurisprudence par la non-restitution de la chose remise à titre précaire mais aussi par la transgression de l'affectation de la chose. Ainsi est constitutif de l'abus de confiance l'usage abusif, le retard dans la restitution, le refus de restituer et l'impossibilité de restituer.

En l'espèce, il résulte de la propre plainte avec constitution de partie civile que celle-ci a mis en demeure la société prévenue de restituer les montres par LRAR du 25 avril 2007, confirmée par deux courriers électroniques du 4 octobre 2007 et 23 février 2008, en vain. Dès lors, à supposer que la preuve du contenu du contrat, qui incombe à celui qui a déposé la plainte, soit rapportée, le détournement constitutif de l'infraction d'abus de confiance aurait eu lieu dès réception de la LRAR du 25 avril 2007 et au plus tard après les deux courriels de fin 2007 début 2008.

Or, la responsabilité pénale des personnes n'a été introduite en droit monégasque que par la loi du 25 juin 2008 publiée au Journal Officiel du 4 juillet 2008.

Dès lors, faute de responsabilité pénale à l'époque des faits, les poursuites contre la Société PO. KEWALRAM JEWELLERS sont irrecevables.

Aucune requalification en recel ne peut par ailleurs juridiquement être ordonnée, à supposer l'infraction constituée, en premier lieu car une telle infraction aurait eu lieu sur le territoire de DUBAI et non à MONACO, seul lieu visé par la poursuite, en second lieu car elle nécessite un fait principal punissable et enfin car une telle requalification, implique, s'agissant de faits non compris dans la poursuite, puisque constituant une infraction continue et hors Monaco, l'acceptation de la partie poursuivie d'être jugée de ce chef, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

IV - Sur l'action civile

Les poursuites étant irrecevables la constitution de partie civile est irrecevable.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale,

Sur l'action publique

Rejette l'exception de nullité soulevée.

Déclare les poursuites engagées envers la Société PO. KEWALRAM JEWELLERS irrecevables ;

Sur l'action civile

Déclare la constitution de partie civile irrecevable.

Laisse les frais à la charge du Trésor.

Composition🔗

Ainsi jugé après débats du trente avril deux mille treize en audience publique tenue devant le Tribunal correctionnel, composé par Monsieur Cyril BOUSSERON, Premier Juge, Madame Sophie LEONARDI, Juge, Madame Aline BROUSSE, Magistrat référendaire, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, le Ministère Public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du vingt et un mai deux mille treize, par Monsieur Cyril BOUSSERON, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Magistrat référendaire faisant fonction de Substitut du Procureur Général, Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Christell BIANCHERI, Greffier.-

Jugement signé seulement par le Premier Juge Monsieur Cyril BOUSSERON et Madame Aline BROUSSE, Magistrat référendaire, en l'état de l'empêchement de signer de Madame Sophie LEONARDI, Juge, empêchée (article 94-2 de la loi n°783 du 15 juillet 1965 portant organisation judiciaire)

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