Tribunal correctionnel, 29 mai 2012, Ministère public c/ e. MO. et b. TI.

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Abstract🔗

Vente illégale de médicaments en gros par un pharmacien d'officine - Article 4 du protocole n° 7 de la Convention européenne - Non bis in idem -Cumul des sanctions disciplinaires et pénales

Résumé🔗

L'article 4 du protocole n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dispose que nul ne peut être poursuivi ou puni par les juridictions du même État en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif.

Le prévenu, pharmacien d'officine, qui a fait l'objet de poursuites disciplinaires de la part du Conseil de l'Ordre, ne peut arguer de la violation de ce principe au visa de cet article et d'une jurisprudence européenne.

En l'espèce, les poursuites disciplinaires engagées qui ont abouti à une suspension d'autorisation d'exercice ne peuvent être assimilées à une procédure à caractère pénal.

Par ailleurs, la loi interne et l'article 25 de la loi n° 1.029 du 16 juillet 1980 concernant l'exercice de la pharmacie prévoit que « l'action disciplinaire est exercée par le conseil de l'ordre, sans préjudice des poursuites que le ministère public ou des particuliers peuvent intenter devant les tribunaux pour la répression des infractions pénales ou la réparation civile de ces infractions ». L'exception est donc rejetée.


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2006/000166

INF. J. I. N48/06

JUGEMENT DU 29 MAI 2012

__________________

En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;

Contre les nommés :

1 - e. MO., né le 15 juillet 1962 à NANCY (54), de Claude et de Jeanine CADORE, de nationalité française, administrateur et directeur de société, demeurant « Y », X à MONACO ;

Prévenu de :

- COMPLICITÉ DE VENTE ILLÉGALE

DE MÉDICAMENTS EN GROS PAR UN PHARMACIEN D'OFFICINE

- OBSTACLE AU CONTRÔLE DES PHARMACIENS INSPECTEURS

- PRÉSENT aux débats, assisté de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'appel et de Maître Georges HOLLEAUX, avocat près la Cour d'appel de Paris et plaidant par lesdits avocat-défenseur et avocat ;

2 - b. TI., né le 10 avril 1968 à CHARLEVILLE MEZIERES (08), de Jean-Louis et de Mauricette RICHARD, de nationalité française, pharmacien, demeurant X à LA TURBIE (06320) ;

Prévenu de :

VENTE ILLÉGALE DE MÉDICAMENTS EN GROS PAR UN PHARMACIEN D'OFFICINE

- PRÉSENT aux débats, assisté de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 8 mai 2012 ;

Vu l'ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi devant le Tribunal correctionnel du Magistrat instructeur en date du 18 août 2011 ;

Vu les citations signifiées, suivant exploits, enregistrés, de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date des 23 et 24 janvier 2012 ;

Ouï Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur pour b. TI., lequel soulève in limine litis des exceptions de nullité ;

Ouï le Ministère Public en réponse ;

Ouï Monsieur le Président qui, après avoir pris l'avis de ses assesseurs, décide de joindre l'incident au fond ;

Ouï e. MO. et b. TI. en leurs réponses ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur pour b. TI., en ses moyens de défense, plaidoiries et conclusions en date du 8 mai 2012, par lesquels il sollicite la relaxe de son client ;

Ouï Maître Georges HOLLEAUX, avocat près la Cour d'appel de Paris, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à assister e. MO., en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels il sollicite la relaxe de son client ;

Ouï Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur pour e. MO., en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels il sollicite la relaxe de son client ;

Après en avoir délibéré, conformément à la loi ;

Aux termes d'une ordonnance du Magistrat instructeur en date du 18 août 2011, e. MO. et b. TI. ont été renvoyés par devant le Tribunal correctionnel, sous les préventions :

e. MO.

« D'avoir à Monaco, courant 2002 à 2006, en tous cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, en connaissance de cause, été complice du délit de vente illégale de médicaments en gros par un pharmacien d'officine commis par b. TI., d'une part en provoquant ce délit par dons, promesses, menaces, abus d'autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, en l'espèce en se concertant avec lui pour mettre en place un système frauduleux de rétrocessions de médicaments puis en lui passant commandes de médicaments et, d'autre part, en l'aidant et l'assistant dans la commission et la consommation du délit, en l'espèce en lui rachetant les produits pharmaceutiques ainsi commandés,

» DÉLIT prévu et réprimé par les articles 7 alinéa 2 et 27 de la loi n° 1.029 du 16 juillet 1980, et les articles 8, 28, 30 et 49 de la loi n° 1.254 du 12 juillet 2002 (renvoyant aux dispositions de l'arrêté ministériel n° 82-483 du 29 septembre 1982, voir notamment les articles 7, 19, 34 et 35) et les articles 41 et 42 du Code pénal ;

« D'avoir à Monaco, courant 2006, en tous cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, fait obstacle au contrôle des pharmaciens inspecteurs, en l'espèce en ne leur fournissant pas les documents requis malgré des demandes écrites réitérées,

» DÉLIT prévu et réprimé par les articles 35 et 65 de la loi n° 1.254 du 12 juillet 2002 «.

b. TI.

» D'avoir à Monaco, courant 2002 à 2006, en tous cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, exerçant l'activité de pharmacien d'officine, illégalement vendu des médicaments en gros notamment au Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen,

« DÉLIT prévu et réprimé par les articles 7 alinéa 2 et 27 de la loi n° 1.029 du 16 juillet 1980, et les articles 8, 28, 30 et 49 de la loi n° 1.254 du 12 juillet 2002 (renvoyant aux dispositions de l'arrêté ministériel n° 82-483 du 29 septembre 1982, voir notamment les articles 7, 19, 34 et 35) ».

Sur les faits,

Par acte authentique en date du 3 mars 2005, r. GI. veuve SA. a acquis auprès de b. TI. pour un prix de 900.000 euros l'officine de pharmacie exploitée au [adresse] à Monaco sous l'enseigne « Pharmacie… ».

Par lettre en date du 2 octobre 2005, r. GI. veuve SA. a signalé au Président du Conseil de l'Ordre des Pharmaciens avoir découvert que b. TI. s'était livré à de la « rétrocession » de produits pharmaceutiques au Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen dont le pharmacien responsable est le dénommé e. MO. et que ces agissements lui étaient préjudiciables car ils avaient influé sur la fixation du chiffre d'affaires de la pharmacie et du bénéfice tiré de son exploitation.

Parallèlement et pour ces mêmes motifs, r. GI. veuve SA. a déposé plainte auprès du Procureur Général contre b. TI. des chefs d'escroqueries, faux et usage de faux et d'exercice illégal d'activité commerciale.

L'enquête administrative alors menée a abouti à la suspension de l'autorisation d'exercer la pharmacie pour une durée d'un mois à l'encontre d'e. MO. et de 15 jours à l'encontre de b. TI.

Dans le cadre de cette procédure disciplinaire, les pharmaciens inspecteurs de la D.A.S.S. de Monaco et de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ont informé le Procureur Général qu'elles avaient été entravées dans l'exercice de leurs fonctions par e. MO., lequel n'avait donné aucune suite à leurs demandes réitérées de leur transmettre les factures relatives aux rétrocessions concernant les années 2003 à 2006.

Ainsi, b. TI. est renvoyé devant le Tribunal Correctionnel pour avoir exercé l'activité de pharmacien d'officine en vendant illégalement des médicaments en gros notamment au Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen, les faits de faux, usage de faux et d'escroquerie n'ayant pas été retenus par les juridictions répressives compétentes.

Quant à e. MO., il lui est reproché d'avoir été complice de ces faits mais également d'avait fait obstacle au contrôle des pharmaciens inspecteurs.

À l'audience, b. TI. a soulevé la nullité des poursuites engagées à son encontre au motif qu'il avait été déjà condamné pour les mêmes faits par l'instance disciplinaire. À titre subsidiaire, il a sollicité la relaxe eu égard à l'absence d'élément intentionnel.

e. MO. s'est rallié aux demandes et prétentions formées par b. TI. et a également contesté le délit d'entrave qui lui est en sus reproché.

Sur l'exception soulevée,

Les prévenus ont fondé cette exception sur l'article 4 du protocole n° 7 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui a été ratifiée par la Principauté de Monaco et sur la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, « S ZO. TO. contre la Russie » en date du 10 février 2009.

Il paraît néanmoins nécessaire de relever que dans le cas d'espèce évoqué par les prévenus, le requérant avait été sanctionné pour une infraction administrative à une peine de trois jours de détention administrative puis avait été postérieurement poursuivi pour les mêmes faits dans le cadre d'une procédure pénale.

Or, il n'est pas contestable que les poursuites disciplinaires engagées à l'encontre de b. TI. et e. MO. ne peuvent, contrairement à la procédure administrative russe évoquée ci-dessus, être assimilées à une procédure à caractère pénal, celles-ci ayant abouti à une suspension d'autorisation d'exercice.

Par ailleurs, il ressort de la loi interne et particulièrement de l'article 25 de la loi n° 1.029 concernant l'exercice de la pharmacie en date du 16 juillet 1980 que « l'action disciplinaire est exercée par le conseil de l'ordre, sans préjudice des poursuites que le ministère public ou des particuliers peuvent intenter devant les tribunaux pour la répression des infractions pénales ou la réparation civile de ces infractions ».

Par conséquent, le Tribunal rejette l'exception soulevée par b. TI. et e. MO.

Sur la vente illégale de médicaments en gros par un pharmacien d'officine,

Conformément à l'article 27 de la loi du 16 juillet 1980, les officines de pharmacie sont des établissements affectés à l'exécution des ordonnances magistrales, à la préparation des médicaments inscrits à la pharmacopée et à la vente au détail des médicaments et non à la distribution en gros qui est réservée, selon l'article 28 de la loi n° 1254 du 12 juillet 2002 sur le médicament témoin, soit aux fabricants soit aux grossistes répartiteurs soit aux divers distributeurs en gros.

b. TI. a reconnu avoir mis en place un système de rétrocession des médicaments avec le Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen et ce en obtenant de ses propres fournisseurs des livraisons répétées et en gros de produits pharmaceutiques dont il n'est pas contesté que certains étaient des médicaments, la majeure partie étant en définitive destinée aux établissements dont e. MO. était le pharmacien responsable.

Il est ainsi acquis que b. TI. a effectué des opérations de vente de médicaments en gros qui lui étaient interdites à e. MO., lequel, connaissant la qualité de pharmacien d'officine de b. TI., avait accepté des rétrocessions de la part de ce dernier, ce qu'il a par ailleurs reconnu au cours de la procédure.

Par conséquent, b. TI. et e. MO. seront condamnés respectivement pour des faits de vente illégale de médicaments en gros par un pharmacien d'officine et de complicité de ces faits, le caractère répandu de cette pratique dans la profession des pharmaciens ne faisant aucunement obstacle à la caractérisation de ces infractions.

Sur l'entrave du contrôle des pharmaciens inspecteurs,

Il est également reproché à e. MO. de ne pas avoir adressé aux pharmaciens inspecteurs en charge de l'enquête administrative des factures qu'elles avaient sollicitées à plusieurs reprises.

Néanmoins, les éléments soumis à l'appréciation du Tribunal permettent de considérer que certes e. MO. n'a pas répondu avec la plus grande des diligences aux demandes qui lui avaient été faites mais aucunement d'affirmer que e. MO. n'avait pas l'intention de transmettre ces documents aux autorités compétentes.

En effet, la découverte par lesdits pharmaciens inspecteurs lors de leur visite au Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen du 9 octobre 2006 des cartons d'archives correspondant aux nombreuses factures réclamées infructueusement démontre que e. MO. s'était employé à leur recherche et à leur compilation et dont l'accomplissement a pu nécessiter l'écoulement d'un certain délai avant leur envoi.

Par conséquent, e. MO. sera relaxé de ce chef.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,

Rejette les exceptions soulevées par b. TI. et e. MO. ;

Relaxe e. MO. du délit d'obstacle au contrôle des pharmaciens inspecteurs.

Déclare e. MO. et b. TI. coupables des autres faits qui leur sont respectivement reprochés ;

En répression, faisant application des articles visés par la prévention,

Les condamne chacun à la peine de DEUX MILLE EUROS D'AMENDE ;

Les condamne, en outre, solidairement aux frais.

Composition🔗

Ainsi jugé après débats du huit mai deux mille douze en audience publique tenus devant le Tribunal correctionnel, composé par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Premier Juge faisant fonction de Président, Madame Stéphanie VIKSTRÖM, Premier Juge, Madame Patricia HOARAU, Juge, le Ministère Public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du vingt-neuf mai deux mille douze, par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Premier Juge faisant fonction de Président, en présence de Monsieur Michaël BONNET, Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Greffier.-

Jugement signé seulement par le Premier Juge faisant fonction de Président Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE et Madame Patricia HOARAU, Juge, en l'état de l'empêchement de signer de Madame Stéphanie VIKSTRÖM, Juge (article 94-2 de la loi n° 783 du 15 juillet 1965 portant organisation judiciaire).-

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