Tribunal correctionnel, 27 septembre 2011, Ministère public c/ SAM RJ Richelmi SA, J. A., SAS Entrepose Échafaudages, R. B., SARL 2P2M et Pat. M.

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Abstract🔗

Action civile - Blessures involontaires - Préjudice des proches de la victime - Préjudice indirect non réparable - Exécution provisoire des dispositions civiles

Résumé🔗

Si le préjudice des proches de la victime de blessures involontaires gravement blessée (enfants, parents ou conjoint) est réel, il s'agit d'un préjudice indirectement lié aux infractions poursuivies qui n'entre pas dans le domaine de l'action civile tel que délimité par l'article 2 du Code de procédure pénale.

Il ne peut être ordonné l'exécution provisoire des dispositions civiles d'un jugement correctionnel, à défaut de disposition législative prévoyant cette possibilité.


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2010/000396

INF. J. I. B4/10

JUGEMENT DU 27 SEPTEMBRE 2011

__________________

En la cause du MINISTÈRE PUBLIC,

Contre les nommés :

1) La société anonyme monégasque R. J. RICHELMI S. A., entreprise générale de bâtiment et de travaux publics, sise 27 boulevard des Moulins à MONACO, prise en la personne de son administrateur délégué en exercice Monsieur P. F., demeurant en cette qualité audit siège représenté par Monsieur P. B., ès qualités de directeur salarié, présent aux débats ;

- assisté de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

2) J. A., né le 14 avril 1954 à ROBA DE MOURO (Portugal), de Manuel et de Constance DO., de nationalité portugaise, chef de chantier, demeurant X à NICE (06100) ;

- présent aux débats, assisté de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par Maître Pierre CORNUT-GENTILLE, avocat au barreau de Paris ;

3) La société par action simplifiée S. A. S. ENTREPOSE ECHAFAUDAGES, dont le siège social se trouve 165 boulevard de Valmy - 92707 COLOMBES CEDEX, prise en la personne de son directeur général en exercice Madame A-M L. née T., demeurant en cette qualité audit siège, représentée par Monsieur E. D., ès qualités de chef d'agence, présent aux débats ;

- assisté de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

4) R. B., né le 9 juin 1976 à VILLECRESNES (94), de Patrice et d'Annick D., de nationalité française, technico-commercial, demeurant X à SAINT-LAURENT-DU-VAR (06700) ;

- présent aux débats, assisté de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

5) La société à responsabilité limitée S. A. R. L. 2P2M, dont le siège est chemin Père Goiran - Cedex 132 à ROQUEFORT-LES-PINS (06330), prise en la personne de son gérant en exercice Monsieur Pas. M., demeurant en cette qualité audit siège, présent aux débats ;

- assisté de Maître Pascal Alexis LUCIANI, avocat au barreau de Grasse et plaidant par ledit avocat ;

6) Pat. M., né le 9 juin 1967 à NICE (06), de Félix et d'Henriette MOUGINS, de nationalité française, chef de chantier, demeurant « X », bâtiment 1, X à MOUGINS (06250) ;

- présent aux débats, assisté de Maître Pascal Alexis LUCIANI, avocat au barreau de Grasse et plaidant par ledit avocat ;

Prévenus de :

BLESSURES INVOLONTAIRES

En présence de :

- Monsieur J. F. G., né le 26 septembre 1970 à GU. (Portugal), de nationalité portugaise, boiseur, et Madame M. DE L. R. DA C., son épouse, demeurant tous deux « X », X à BEAUSOLEIL (06240), constitués parties civiles, présents aux débats, assistés de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par Maître Nicolas MATTEI, avocat au barreau de Nice ;

- Monsieur N. DA S. R., né le 14 décembre 1988 à GU. (Portugal), de nationalité portugaise, et ses parents Monsieur et Madame A. L. R., demeurant ensemble « X », X à BEAUSOLEIL (06240), constitués parties civiles, présents aux débats, assistés de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par Maître Nicolas MATTEI, avocat au barreau de Nice ;

- Monsieur J. A. G. D., né le 15 décembre 1977 à CALDELAS GU. (Portugal), de nationalité portugaise, boiseur, bénéficiaire de l'assistance judiciaire selon décision n° 164 BAJ 10 du 21 janvier 2011, et son épouse Madame L. A. G. D., demeurant tous deux X à BEAUSOLEIL (06240), constitués parties civiles, présents aux débats, assistés de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par Maître Olivier MARQUET, avocat en cette même Cour ;

- F. E. A. D., née le 15 août 2002 à CREIXOMIL GU. (Portugal), de nationalité portugaise, et J. L. A. D., né le 23 août 2008 à MONACO, de nationalité portugaise, mineurs, demeurant tous deux chez leurs parents X à BEAUSOLEIL (06240) constitués parties civiles, absents, représentés par leurs parents Monsieur J. A. G. D. et Madame L. A. G. D. ;

- La société anonyme MONEGASQUE D'INTERVENTIONS, en abrégé M. I., dont le siège social est sis 20 avenue de Fontvieille à MONACO, prise en la personne de son Président délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège, partie intervenante forcée en sa qualité d'employeur, absente, représentée par Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

- La société anonyme de droit français dénommée GENERALI FRANCE ASSURANCES, dont le siège social est 7 boulevard Haussmann - 75456 PARIS, prise en la personne de son représentant en Principauté de Monaco, son courtier Monsieur T. F., exerçant sous l'enseigne FOUGUES ASSURANCES AGENCY, immeuble « Soleil d'Or », 20 boulevard Rainier III à MONACO, partie intervenante forcée en sa qualité d'assureur-loi de l'employeur, absente, représentée par Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

LE TRIBUNAL,

Jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 4 juillet 2011 ;

Vu l'ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel de Monsieur le Magistrat instructeur en date du 19 avril 2011 ;

Vu les citations signifiées, suivant exploits, enregistrés, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 19 mai 2011 ;

Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 24 juin 2011 à la requête de Monsieur J. A. G. D. ;

Vu l'acte d'assignation suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 29 juin 2011 à la requête de Messieurs N. DA S. R. et J. F. G., parties civiles, pour mise en cause de la S. A. M. dénommée M. I. et de la S. A. GENERALI FRANCE ASSURANCES ;

Vu les conclusions aux fins de relaxe de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur pour la S. A. M. R. J. RICHELMI et Monsieur J. A., en date du 4 juillet 2011 ;

Vu les conclusions aux fins de relaxe de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur pour la société S. A. S. ENTREPOSE ECHAFAUDAGES et Monsieur R. B., en date 4 juillet 2011 ;

Vu les conclusions aux fins de nullité de Maître Pascal Alexis LUCIANI, avocat pour la S. A. R. L. 2P2M et Monsieur Pat. M., déposées à l'audience du 4 juillet 2011 ;

Vu les conclusions de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur pour Monsieur N. DA S. R., Monsieur et Madame A. L. R. ses parents, Monsieur J. F. G. et Madame M. DE L. R. DA C. son épouse, parties civiles, en date du 4 juillet 2011 ;

Vu les conclusions de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur pour Monsieur J. A. G. D., Madame Lucia Augusta DU., et leurs enfants F. E. A. D. et J. L. A. D., parties civiles, en date du 4 juillet 2011 ;

Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur pour la S. A. M. M. I. et la compagnie GENERALI ASSURANCES, parties intervenantes forcées en leur qualité respective d'employeur et d'assureur-loi de l'employeur, en date du 4 juillet 2011 ;

Ouï Maître Pascal Alexis LUCIANI, avocat au barreau de Grasse pour la société S. A. R. L. 2P2M et pour Monsieur Pat. M., lequel soulève in limine litis des exceptions de nullité ;

Ouï le Ministère Public en réponse qui demande de joindre l'incident au fond ;

Le Président, après avoir pris l'avis de ses assesseurs, décide de joindre l'incident au fond ;

Ouï les prévenus en leurs réponses ;

Ouï Monsieur N. DA S. R., partie civile, en ses déclarations ;

Ouï Monsieur J. F. G., partie civile, en ses déclarations, et ce, avec l'assistance de Mademoiselle Sylvie DA SILVA ALVES, faisant fonction d'interprète en langue portugaise, serment préalablement prêté ;

Ouï Monsieur J. A. G. D., partie civile, en ses déclarations et ce, avec l'assistance de Mademoiselle Sylvie DA SILVA ALVES, faisant fonction d'interprète en langue portugaise, serment préalablement prêté ;

Ouï Monsieur Jean-Paul BOUSQUET, né le 31 mai 1944 à ALGER (Algérie), expert, entendu en ses déclarations recueillies à titre de simple renseignement, en vertu du pouvoir discrétionnaire du Président prévu par les articles 301 alinéa 2 et 389 du Code de procédure pénale ;

Ouï Maître Patricia REY, avocat-défenseur pour la S. A. M. M. I. et la compagnie GENERALI ASSURANCES IARD, parties intervenantes forcées en leur qualité respective d'employeur et d'assureur-loi de l'employeur, en ses demandes et déclarations ;

Ouï Maître Olivier MARQUET, avocat pour Monsieur J. A. G. D., Madame Lucia Augusta DU. et leurs enfants F. E. A. D. et J. L. A. D., parties civiles, en ses demandes et déclarations ;

Ouï Maître Nicolas MATTEI, avocat au barreau de Nice, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à plaider pour Monsieur N. DA S. R. et ses parents, Monsieur et Madame A. L. R., Monsieur J. F. G. et Madame M. DE L. R. DA C., son épouse, parties civiles, en ses demandes et déclarations ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Georges BLOT, avocat-défenseur pour la S. A. M. R. J. RICHELMI, en ses moyens de défense et plaidoiries ;

Ouï Maître Pierre CORNUT-GENTILLE, avocat au barreau de Paris, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à plaider pour Monsieur J. A., en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels il sollicite la relaxe de son client ;

Ouï Maître Pascal Alexis LUCIANI, avocat au barreau de Grasse, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à plaider pour la S. A. R. L. 2P2M et pour Monsieur Pat. M., en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels il sollicite la relaxe de ses clients ;

Ouï Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur pour la société S. A. S. ENTREPOSE ECHAFAUDAGES et Monsieur R. B., en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels il sollicite la relaxe de ses clients ;

Ouï les prévenus en dernier, en leurs moyens de défense ;

Après en avoir délibéré, conformément à la loi ;

Aux termes d'une ordonnance de Monsieur le Magistrat instructeur en date du 19 avril 2011, la S.A.M. R.J. RICHELMI, Monsieur J.A., la S.A.S. ENTREPOSE ECHAFAUDAGES, Monsieur R.B., la S.A.R.L. 2P2M et Monsieur Pat. M. ont été renvoyés par devant le Tribunal correctionnel, sous la même prévention :

« D'avoir à MONACO, le 19 février 2010, en tout cas depuis » temps non couvert par la prescription,

« - par maladresse, imprudence, négligence, inattention ou » inobservation des règlements, involontairement causé des « blessures à N. DA S. R., José » FE. GO. et José Antonio « GU. DU.,

» DÉLIT prévu et réprimé par les articles 4-1 à 4-4, 29-1 à « 29-8, 250, 251 et 252 du Code pénal, 2, 5, 9, 10, 16, 17, 208 » et 215 de l'arrêté ministériel n° 66-009 du 4 janvier 1966, 3 « et 4 de l'arrêté ministériel n° 63-284 du 21 novembre 1963, » 1 et 2 de l'arrêté ministériel n° 56-231 du 12 novembre « 1956 ».

À l'audience Monsieur N. DA S. R., ses parents Monsieur et Madame A. L. R., Monsieur J.F.G. et son épouse Madame M. DE L. R. DA C. se sont constitués parties civiles et ont fait déposer par leur conseil des conclusions tendant à voir :

  • retenir les prévenus dans les liens de la prévention et obtenir leur condamnation solidaire à leur payer :

  • à Monsieur N. DA S. R. la somme de 15.000 euros à titre de provision à valoir sur ses préjudices tous postes confondus,

  • à Monsieur J.F.G. la somme de 10.000 euros à titre de provision à valoir sur ses préjudices tous postes confondus,

  • donner acte aux époux LO. RO., parents de N. DA S. R. et Madame M. DE L. R. DA C., épouse de Monsieur J.F.G., de leurs réserves,

  • ordonner une expertise médicale avec mission habituelle en pareille matière pour N. DA S. R. et J.F.G.,

  • renvoyer à une audience sur intérêts civils afin de liquider les préjudices subis par eux,

  • condamner solidairement les prévenus au paiement de la somme de 3.000 euros à titre de

dommages-intérêts,

  • réserver leurs droits à liquidation de leurs préjudices,

  • ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

À l'audience Monsieur J. A. G. D., Madame Lucia Augusta DU. et leurs enfants F. E. A. D. et J. L. A. D. se sont constitués parties civiles et ont fait déposer par leur conseil des conclusions tendant à voir :

  • retenir les prévenus dans les liens de la prévention et obtenir leur condamnation solidaire à leur payer à :

  • Madame Lucia Augusta DU. la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice,

  • F. E. A. D. la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice,

  • J. L. A. D. la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice.

  • ordonner avant dire droit une expertise médicale pour Monsieur J. A. G. D. aux fins d'évaluer l'entier préjudice qu'il a subi et condamner, in solidum, les prévenus à lui payer la somme provisionnelle de 50.000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice,

  • déclarer le jugement à intervenir commun et contradictoire à la société GENERALI ASSURANCES IARD, assureur-loi de l'employeur,

  • et ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel ni caution.

À l'audience la société anonyme MONEGASQUE D'INTERVENTIONS et la société anonyme GENERALI FRANCE ASSURANCES, parties intervenantes forcées en leur qualité respective d'employeur et d'assureur-loi de l'employeur des parties civiles, ont fait déposer par leur conseil des conclusions tendant à voir :

  • déclarer les prévenus responsables de l'accident survenu le 19 février 2010,

  • condamner solidairement les prévenus à rembourser en payant à la société anonyme GENERALI France ASSURANCES les sommes dont elle a fait l'avance, évaluées au 31 mai 2011 :

  • pour Monsieur J.F.G. la somme de 34.779,19 euros,

  • pour Monsieur N. DA S. R. la somme de 68.809,47 euros,

  • pour Monsieur J. A. G. D. la somme de 107.580,99 euros,

  • réserver à la société anonyme MONEGASQUE D'INTERVENTIONS et la société anonyme GENERALI FRANCE ASSURANCES leur recours pour toute autre somme qu'elles seront amenées à débourser au titre de l'accident du travail dont s'agit.

Sur l'action publique,

Le 19 février 2010 à 10 h 30, trois ouvriers intérimaires mis à la disposition de la société R.J. RICHELMI et affectés au chantier de rénovation de l'Hôtel Hermitage chutaient du niveau 0 au niveau - 2 dans une cage d'ascenseur vide de toute machinerie, dont ils devaient agrandir les ouvertures donnant sur les différents niveaux.

Pour ce faire, ils travaillaient sur une plateforme d'un mètre de large avançant d'un mètre en porte à faux au-dessus du vide et maintenue à l'autre extrémité par deux platines, chacune ancrée au sol par trois chevilles, au droit de ces ouvertures.

Les blessures s'avéraient importantes :

  • Monsieur J.F.G. subissait un traumatisme du bassin avec fracture du cotyle droit, un traumatisme du coude droit avec avulsion osseuse de l'humérus, un traumatisme thoraco-abdominal avec fracture de la 11e côte droite (I.T.T. 45 jours puis I.T.P. 45 jours),

  • Monsieur N. DA S. R. souffrait d'un traumatisme crânien avec multiples fractures, d'une rupture du tendon extenseur du deuxième doigt de la main droite et d'une hémorragie sous conjonctivale de l'œil droit (une semaine de coma, I.T.T. 90 jours),

  • Monsieur J. A. G. D., enfin, était atteint d'une fracture du foie justifiant d'une intervention chirurgicale en urgence, d'une fracture de trois côtes à l'origine d'un hémothorax traité par drainage thoracique, d'une fracture de l'avant-bras droit traitée chirurgicalement ainsi que d'une fracture du sternum.

Une information judiciaire était immédiatement ouverte. Le magistrat instructeur se transportait sur les lieux accompagné d'un expert qui procédait à des constatations, prélèvements et test de résistance des chevilles puis déposait son rapport le 19 mai 2010.

S'agissant des différents acteurs du chantier, il apparaissait que la S.B.M. avait confié la reprise de la cage d'ascenseur à la société R.J. RICHELMI, laquelle avait sollicité l'entreprise ENTREPOSE ECHAFAUDAGES pour la réalisation des plates formes nécessaires.

Celle-ci en avait sous-traité la pose à la société 2P2M. C'était en définitive Monsieur Pat. M., salarié de cette entreprise, qui en avait assuré l'arrimage au sol à l'aide de chevilles produites par la société HILTI.

Sur la nullité du rapport d'expertise,

Le conseil de la société 2P2M soutient que le rapport d'expertise est entaché de nullité dès lors que l'expert avait outrepassé sa mission en procédant à un nettoyage du sol sur lequel était fixé la plateforme litigieuse. Cette modification des lieux lui aurait ainsi interdit d'effectuer des tests comparatifs probants d'arrachage des chevilles, selon que leurs préconisations de poses définies par la société HILTI ont été respectées ou pas.

Cette exception devra de toute évidence être écartée dès lors qu'il résulte de la simple lecture du procès-verbal de transport du 6 avril 2010 dressé par le Juge d'instruction que le nettoyage « par aspiration de la couche épaisse de poussière » qui recouvrait le sol du niveau 0 a bien été ordonné par ce magistrat, qui a assisté aux opérations.

S'agissant des autres critiques relatives aux tests réalisés par l'expert, elles relèvent de l'examen au fond de l'affaire et n'affectent en rien la régularité de la procédure.

Sur le fond

La chute de la plateforme dans la cage d'ascenseur a été consécutive à un arrachement des chevilles qui maintenaient au sol ses deux platines de fixation.

Une expertise confiée au C.E.B.T.P. a permis d'établir, à partir de plusieurs prélèvements opérés par carottage, que la qualité du béton dans lequel ces chevilles avaient été implantées n'était pas en cause. Ses caractéristiques mécaniques s'avéraient suffisantes pour reprendre, a minima, les efforts de tractions tels que prévus par la société HILTI.

L'expert a ainsi pu vérifier, qu'en moyenne, une traction supérieure à une tonne par cheville était nécessaire pour provoquer son arrachement.

En revanche, il a été observé que les chevilles qui maintenaient la plateforme en cause avaient été posées dans le mépris le plus total des règles qui auraient dû être suivies, ces règles se trouvant d'ailleurs explicitement et clairement rappelées sur leur boîte d'origine retrouvée sur le chantier.

Ainsi ces chevilles, d'une longueur de 30 mm, devaient être entièrement introduites dans un trou probablement percé dans le sol, une collerette permettant toutefois de les maintenir à l'arase de l'orifice ; l'olive centrale que chacune d'elle comportait devait être percutée à l'aide d'un outil spécial permettant son refoulement sur une longueur maximale de 18 mm, afin d'écarter et de maintenir fortement les ailettes distales de la cheville contre les parois du trou et d'assurer ainsi sa résistance à l'arrachement ; ce n'était qu'à partir de cet instant que la platine pouvait être mise en place et vissée par un boulon dont l'accroche minimale à respecter ne pouvait être inférieure à 12 mm.

En l'espèce, les chevilles avaient été introduites non pas directement dans le sol mais à travers les platines d'une épaisseur de 8,7 mm, de sorte que dans le meilleur des cas, leur longueur d'enfoncement ne pouvait excéder 21,3 mm.

Les irrégularités de la surface d'accueil de ces platines laissaient de surcroît subsister, entre leur surface inférieure et le sol, des écarts proches de 20 mm.

En définitive la longueur de pénétration réelle des chevilles ne pouvait qu'être dérisoire.

Par ailleurs, les ogives centrales avaient été refoulées à l'aide d'un simple boulon qui, dépourvu de limitateur de course, les avait systématiquement expulsées de la cheville.

Les conséquences de ces négligences, aggravées par un vissage imparfait des boulons, sont apparues dès le simple examen visuel des chevilles en cause.

Sur l'une des platines, une cheville ne présentait aucune expansion de ses ailettes et deux boulons sur trois n'avaient pas été complètement vissés puisqu'il subsistait encore 5 mm de pas de vis sur l'un, 10 mm sur l'autre.

Au niveau de la deuxième platine, deux boulons avaient également été insuffisamment vissés avec des longueurs de filtrage subsistantes de 4 et 9 mm.

Au moment de l'accident, les ailettes qui avaient connu une expansion sont demeurées intactes et rectilignes ou se sont pliées dans le même sens, lorsqu'elles ne se sont pas brisées à leur base. L'absence d'ogive centrale n'avait évidemment pas permis de rigidifier le cône qu'elles formaient et, par là même, de conférer à la cheville la résistance à l'arrachement qu'elle devait normalement présenter.

Les tests opérés dans le cadre de l'expertise ont d'ailleurs montré que si cette résistance était supérieure à une tonne avec une cheville convenablement posée, cette valeur pouvant chuter à 42,5 voire à 37,5 kg lorsque l'olive avait été entièrement expulsée.

Encore s'agissait-il de chevilles introduites dans leur orifice directement ou à travers d'une platine, mais sur un sol régulier et avec un boulon parfaitement vissé. Dès lors que tel n'était même pas le cas en l'espèce, la résistance des chevilles litigieuses, s'avérait nécessairement moindre.

La parfaite désinvolture avec laquelle l'ancrage de la plateforme du niveau 0 a été réalisé n'a, au demeurant, pas épargné les niveaux supérieurs.

Au niveau 1, un boulon de platine insuffisamment vissé a encore été découvert et deux étages plus haut, l'expert a pu en ôter un à la main, qui tournait librement dans son logement sur une cheville dépourvue de toute ailette d'expansion.

Une photographie du niveau 2 montre également une platine posée sur des gravats qui en soulèvent tout un côté de plusieurs millimètres, réduisant d'autant la pénétration de la cheville implantée à cet endroit après son passage à travers la platine.

Le premier responsable de ces manquements graves à l'origine de l'accident du 19 février 2010 est bien évidemment Monsieur Pat. M.. En arrimant de la sorte des plateformes avançant au-dessus du vide, il a fait preuve d'une inconséquence totale et mis en péril la vie des victimes qui, en définitive, ont été très sérieusement blessées. À son encontre, une peine de quinze mois d'emprisonnement avec sursis, assortie d'une amende de deux mille euros sera prononcée.

Monsieur R.B., salarié de la société ENTREPOSE ECHAFAUDAGES et titulaire d'une délégation de pouvoir de son employeur, devra également être retenu dans les liens de la prévention.

D'après ses propres déclarations, il a expliqué au monteur les plans de montage de plateformes, assisté à la première implantation puis vérifié le système d'ancrage des autres plateformes. Il a prétendu, à cette occasion, avoir vérifié si la platine était bien plaquée au sol et les boulons correctement vissés.

De toute évidence, ses contrôles sont demeurés très superficiels, s'ils ont vraiment eu lieu, compte tenu des manquements qu'un simple examen visuel suffisait à détecter.

Une peine de quinze mois d'emprisonnement avec sursis, outre une amende de deux mille euros, sera également prononcée à son encontre.

Monsieur J.A., chef de chantier expérimenté de la société R.J. RICHELMI, ne devait pour sa part demander aux ouvriers placés sous sa responsabilité de travailler sur les plateformes qui venaient d'être posées sans se préoccuper, un tant soit peu, de la qualité du travail réalisé.

Là encore, une simple inspection lui aurait permis de constater que certains boulons étaient insuffisamment vissés, que les platines avaient été posées à même les gravats… .

La responsabilité pénale du prévenu apparaît toutefois moindre que celle des intervenants précédents.

En conséquence, une peine de trois mois d'emprisonnement avec sursis lui sera infligée.

S'agissant des personnes morales, il est clair que la société 2P2M s'est affranchie des règles de l'art dans l'exécution de ses obligations contractuelles et a ainsi créé la situation de danger qui a conduit à l'accident.

La société ENTREPOSE ECHAFAUDAGES a laissé subsister le risque à cause d'un contrôle totalement inefficace des activités de son sous-traitant.

La société R.J. RICHELMI, enfin, ne pouvait valablement se considérer comme libérée de toute obligation de sécurité envers les salariés mis à sa disposition au seul motif qu'elle avait fait appel à un professionnel pour la conception et la pose de la plateforme en cause.

Les fautes de montage étaient apparentes et ne nécessitaient pas de compétence particulière pour être détectées.

En conséquence, chacune d'elles sera condamnée au paiement d'une amende de dix mille euros.

Sur l'action civile,

En raison des fautes qui leurs sont respectivement imputées, les prévenus seront solidairement tenus d'indemniser l'intégralité des préjudices causés aux victimes.

Compte tenu de la gravité des blessures constatées, chacune d'elle fera l'objet d'une expertise médicale et bénéficiera d'ores et déjà d'une provision à valoir sur son indemnisation future.

Les éléments médicaux figurant au dossier justifient ainsi l'allocation des sommes suivantes :

  • 15.000 euros pour Monsieur J.F.G.,

  • 10.000 euros pour Monsieur N. DA S. R.,

  • 20.000 euros pour Monsieur J. A. G. D..

L'entourage familial des parties civiles, qu'il s'agisse des enfants, des parents ou du conjoint, a bien entendu été affectivement atteint par la survenance de l'accident et les graves traumatismes corporels ainsi occasionnés.

Il s'agit toutefois d'un préjudice indirectement lié aux infractions poursuivies, qui n'entre donc pas dans le domaine de l'action civile tel que défini par l'article 2 du Code de procédure pénale.

En conséquence, les demandes de ce chef devront être écartées.

La société anonyme de droit français dénommée GENERALI FRANCE ASSURANCES, en revanche, est fondée à solliciter le remboursement des débours qu'elle a déjà exposés au profit des différentes victimes en sa qualité d'assureur-loi, sans préjudice de ses dépenses à venir.

Aux termes des décomptes versés aux débats et non contestés par les prévenus, cela représente une somme totale de 211.169,65 euros.

L'exécution provisoire du jugement concernant ces dispositions ne sera pas ordonnée, aucune disposition législative n'accordant ce pouvoir au Tribunal.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,

Rejette les exceptions de nullité soulevées ;

Sur l'action publique,

Déclare la société anonyme monégasque R.J. RICHELMI S.A., Monsieur J.A., la société par action simplifiée S.A.S. ENTREPOSE ECHAFAUDAGES, Monsieur R.B., la société à responsabilité limitée S.A.R.L. 2P2M et Monsieur Pat. M. coupables des délits qui leur sont respectivement reprochés ;

En répression, faisant application des articles visés par la prévention, ainsi que de l'article 393 du Code pénal,

Condamne :

  • la société anonyme monégasque R.J. RICHELMI S.A. à la peine de DIX MILLE EUROS D'AMENDE ;

  • Monsieur J.A. à la peine de TROIS MOIS D'EMPRISONNEMENT AVEC SURSIS, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal n'ayant pu être adressé au condamné, absent lors du prononcé de la décision ;

  • la société par action simplifiée S.A.S. ENTREPOSE ECHAFAUDAGES à la peine de DIX MILLE EUROS D'AMENDE ;

  • Monsieur R.B. à la peine de QUINZE MOIS D'EMPRISONNEMENT AVEC SURSIS et DEUX MILLE EUROS D'AMENDE, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal ayant été adressé au condamné ;

  • la société à responsabilité limitée S.A.R.L. 2P2M à la peine de DIX MILLE EUROS D'AMENDE ;

  • Monsieur Pat. M. à la peine de QUINZE MOIS D'EMPRISONNEMENT AVEC SURSIS et DEUX MILLE EUROS D'AMENDE, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal n'ayant pu être adressé au condamné, absent lors du prononcé de la décision ;

Sur l'action civile,

Reçoit Monsieur J.F.G. et son épouse Madame M. DE L. R. DA C., Monsieur N. DA S. R. et ses parents Monsieur et Madame A. L. R., Monsieur J. A. G. D., Madame L. A. G. D., son épouse et leurs enfants F. E. A. D. et J. L. A. D., mineurs, en leur constitution de partie civile ;

Déclare la société anonyme monégasque R.J. RICHELMI S.A., Monsieur J.A., la société par action simplifiée S.A.S. ENTREPOSE ECHAFAUDAGES, Monsieur R.B., la société à responsabilité limitée S.A.R.L. 2P2M et Monsieur Pat. M. responsables de l'accident survenu le 19 février 2010 et tenus de réparer les conséquences dommageables qui en sont résultées tant pour Messieurs J.F.G., N. DA S. R. et J. A. G. D., que pour la société anonyme MONEGASQUE D'INTERVENTIONS et la société anonyme de droit français GENERALI FRANCE ASSURANCES, parties intervenantes forcées en leur qualité respective d'employeur et d'assureur-loi de l'employeur des parties civiles ;

Avant dire droit au fond sur le préjudice des parties civiles,

Ordonne une expertise médicale et désigne à cet effet le docteur J. PA, demeurant […] à NICE (06000), lequel, serment préalablement prêté aux formes de droit, et pouvant se faire assister de tous sapiteurs de son choix aura pour mission :

1°) d'examiner Messieurs J.F.G., N. DA S. R. et J. A. G. D., de décrire les lésions imputées à l'accident dont ils ont été victimes le 19 février 2010 ; d'indiquer, après s'être fait communiquer tous documents relatifs aux examens, soins et interventions dont les victimes ont été l'objet, leur évolution et les traitements appliqués ; de préciser si ces lésions sont bien en relation directe et certaine avec ces faits, en tenant compte éventuellement d'un état pathologique antérieur et d'événements postérieurs à cet accident ;

2°) de déterminer la durée de l'incapacité temporaire en indiquant si elle a été totale ;

3°) de dégager, en les spécifiant, les éléments propres à justifier une indemnisation au titre de la douleur, éventuellement du préjudice esthétique et du préjudice d'agrément ;

4°) de dire si, du fait des lésions constatées, il existe une atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions et, dans l'affirmative après avoir précisé les éléments, chiffrer le taux de l'incapacité permanente partielle qui en résulte ;

5°) de dire si l'état des victimes est susceptible de modifications en aggravation ou amélioration ; dans l'affirmative, fournir au Tribunal toutes précisions utiles sur cette évolution, son degré de probabilité et, dans le cas où un nouvel examen lui apparaîtrait nécessaire, d'indiquer le délai dans lequel il devra y être procédé ;

Commet Madame Stéphanie VIKSTRÖM, Juge, à l'effet de suivre les opérations d'expertise ;

Dit que celles-ci obéira en vertu du 2e alinéa de l'article 15 du Code de procédure pénale, modifié par la loi n° 1.088 du 21 novembre 1985, aux règles édictées par les articles 344 à 368 du Code de procédure civile ;

Dit qu'en cas d'empêchement du Magistrat commis, il sera procédé à son remplacement par simple ordonnance ;

Impartit à l'expert ainsi commis un délai de cinq jours pour le refus ou l'acceptation de sa mission, ledit délai courant à compter de la réception par lui de la copie de la présente décision qui lui sera adressée par le greffe général ;

Dit qu'en cas d'acceptation de sa mission, ce même expert déposera au greffe un rapport écrit de ces opérations dans les deux mois du début de celles-ci ;

Déclare que les parties civiles seront tenues de verser à l'expert une provision à titre d'avance ;

Condamne, d'ores et déjà, solidairement la société anonyme monégasque R.J. RICHELMI S.A., Monsieur J.A., la société par action simplifiée S.A.S. ENTREPOSE ECHAFAUDAGES, Monsieur R.B., la société à responsabilité limitée S.A.R.L. 2P2M et Monsieur Pat. M. à verser les indemnités provisionnelles suivantes :

  • 15.000 euros à Monsieur J.F.G.,

  • 10.000 euros à Monsieur N. DA S. R.,

  • 20.000 euros à Monsieur J. A. G. D.,

à valoir sur le montant de leur préjudice et à l'effet de leur permettre de faire l'avance des frais d'expertise ;

Déclare la S.A. MONEGASQUE D'INTERVENTIONS et la S.A. GENERALI FRANCE ASSURANCES, recevables en leur intervention et leur donne acte de leurs réserves pour tous débours supplémentaires ;

Condamne solidairement la société anonyme monégasque R.J. RICHELMI S.A., Monsieur J.A., la société par action simplifiée S.A.S. ENTREPOSE ECHAFAUDAGES, Monsieur R.B., la société à responsabilité limitée S.A.R.L. 2P2M et Monsieur Pat. M. à payer à la S.A. GENERALI FRANCE ASSURANCES la somme de 211.169,65 euros ;

Déboute Madame M. DE L. R. DA C., épouse de Monsieur J.F.G., Monsieur et Madame A. L. R., parents de Monsieur N. DA S. R., Madame L. A. G. D., épouse de Monsieur J. A. G. D. et leurs enfants F. E. A. D. et J. L. A. D., mineurs, de leur demande respective ;

Rejette la demande d'exécution provisoire de la décision ;

Condamne, en outre, sous la même solidarité la société anonyme monégasque R.J. RICHELMI S.A., Monsieur J.A., la société par action simplifiée S.A.S. ENTREPOSE ECHAFAUDAGES, Monsieur R.B., la société à responsabilité limitée S.A.R.L. 2P2M et Monsieur Pat. M. aux frais qui comprendront les droits prévus par l'article 63 de l'ordonnance souveraine n° 15.173 du 8 janvier 2002, avec distraction au profit de Maîtres Christophe SOSSO et Patricia REY, avocats-défenseurs, dont la présence est reconnue effective et nécessaire aux débats et en ce qui concerne Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, dit que l'administration en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement, s'agissant d'une condamnation prononcée contre les adversaires d'un assisté judiciaire ;

Fixe au minimum la durée de la contrainte par corps.

Composition🔗

Ainsi jugé après débats du quatre juillet deux mille onze en audience publique tenus devant le Tribunal correctionnel, composé par Monsieur Marcel TASTEVIN, Vice-Président, Monsieur Florestan BELLINZONA, Juge, Madame Patricia HOARAU, Juge, le Ministère Public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du vingt-sept septembre deux mille onze, par Monsieur Marcel TASTEVIN, Vice-Président, en présence de Monsieur Michaël BONNET, Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Greffier.

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