Tribunal correctionnel, 28 juin 2011, Ministère public c/ j-m MO et b. ME épouse MO

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Abstract🔗

Escroquerie - Manœuvres frauduleuses - Simples mensonges - Utilisation de la fausse qualité d'avocat

Résumé🔗

Il est de jurisprudence constante que les simples mensonges ne suffisent pas à caractériser les manœuvres frauduleuses, élément constitutif du délit d'escroquerie dès lors qu'ils n'ont pas été accompagnés de circonstances de fait propres à en renforcer la crédibilité.

Un document adressé postérieurement à l'acte litigieux ne peut être considéré comme déterminant pour la remise des fonds ou la conclusion du contrat.

L'usage de la fausse qualité d'avocat doit être démontré. La seule confiance susceptible d'être accordée aux auxiliaires de justice ne peut être considérée comme déterminante d'un important investissement dans une entreprise et un secteur d'activité ignorés de leurs auteurs.


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2002/001164

INF. J. I. N32/02

JUGEMENT DU 28 JUIN 2011

___________________

En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;

Contre les nommés :

1 - j-m MO., né le 10 avril 1955 à ORAN (Algérie), de Léon et de Violette SO., de nationalité française, sans profession, demeurant X à SAINT TROPEZ (83990) ;

2 - b. ME. épouse MO., née le 11 novembre 1964 à ARHUS (Danemark), de Steffen et de Gurli TH., de nationalité danoise, avocat, demeurant X à SAINT TROPEZ (83990) ;

Prévenus de :

ESCROQUERIES

- présents aux débats, assistés de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel et Maître Gérard BAUDOUX, avocat au barreau de Nice et plaidant par lesdits avocats ;

En présence de :

- Monsieur n. HA. CH., né le 24 mars 1941, de nationalité danoise, retraité, demeurant « Y », X à MONACO,

- Madame i. SC. épouse NI., née le 15 février 1943 à COPENHAGUE (Danemark), retraitée, demeurant « Y », X à MONACO,

tous deux constitués parties civiles, ABSENTS, représentés par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par Maître Philippe DE GUBERNATIS, avocat au barreau de Paris ;

LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 3 mai 2011 ;

Vu l'ordonnance de non lieu rendue par Monsieur le Magistrat instructeur en date du 5 mars 2008 ;

Vu l'arrêt rendu par la Chambre du Conseil de la Cour d'appel, statuant comme juridiction d'instruction, en date du 4 décembre 2009, ayant renvoyé Monsieur j-m MO. et Madame b. ME. épouse MO. par-devant le Tribunal correctionnel ;

Vu l'arrêt rendu par la Cour de révision, en date du 20 mai 2010 ;

Vu les citations signifiées, suivant exploits, enregistrés, de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date des 20 et 22 juillet 2010 ;

Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur pour Monsieur n. HA. CH. et Madame i. SC. épouse NI., parties civiles, en date du 3 mai 2011 ;

Vu les conclusions aux fins de relaxe de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur pour Monsieur j-m MO. et Madame b. ME. épouse MO., en date du 3 mai 2011 ;

Ouï les prévenus en leurs réponses ;

Ouï Maître Philippe DE GUBERNATIS, avocat au barreau de Paris, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à plaider pour les parties civiles, en ses demandes et déclarations ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur pour les prévenus, en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels il sollicite la relaxe de ses clients ;

Ouï Maître Gérard BAUDOUX, avocat au barreau de Nice, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à assister les prévenus, en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels il sollicite la relaxe de ses clients ;

Ouï les prévenus, en dernier, en leurs moyens de défense ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Aux termes d'un arrêt rendu par la Chambre du Conseil de la Cour d'appel, statuant comme juridiction d'instruction, en date du 4 décembre 2009, Monsieur j-m MO. et Madame b. ME. épouse MO. ont été renvoyés par devant le Tribunal correctionnel, sous les préventions :

1 - Monsieur j-m MO.

« De s'être, à Monaco, courant 2000 et 2001, en tout cas depuis » temps non couvert par la prescription,

« - en faisant usage de manœuvres frauduleuses pour persuader » l'existence de fausses entreprises ou pour faire naître « l'espérance d'un succès, en l'espèce notamment, en faisant » croire à l'existence d'une situation exceptionnelle de la « société EVDC, en confortant la présentation de cette situation »par la référence au rapport élaboré en français par la société « PRICE WATERHOUSE COOPERS, sans avertir » préalablement des réserves que leur rédacteur avait émises, « notamment en ce que cette étude qui évaluait à 59 millions de francs la société EVDC correspondait à une prospection sans » lien avec la réalité de l'entreprise, fait remettre les :

« - 12 mai 2000, la somme de 3,8 millions de francs,

» - 2 octobre 2000, la somme de 2 millions de francs,

« - 12 novembre 2001, la somme de 1,5 million de francs,

» et d'avoir par ce moyen escroqué tout ou partie de la fortune « de p. CH. et d i. NI.,

» FAITS prévus et réprimés par l'article 330 du Code pénal «.

2 - Madame b. ME. épouse MO.

» De s'être, à Monaco, courant 2000 et 2001, en tout cas depuis « temps non couvert par la prescription,

» - en employant une fausse qualité (fausse qualité d'avocat) et « en faisant usage de manœuvres frauduleuses pour persuader » l'existence de fausses entreprises ou pour faire naître « l'espérance d'un succès, en l'espèce notamment, en faisant » croire à l'existence d'une situation exceptionnelle de la « société EVDC, en confortant la présentation de cette situation » par la référence au rapport élaboré en français par la société « PRICE WATERHOUSE COOPERS, sans avertir » préalablement des réserves que leur rédacteur avait émises, « notamment en ce que cette étude qui évaluait à 59 millions de » francs la société EVDC correspondait à une prospection sans « lien avec la réalité de l'entreprise, fait remettre les :

» - 12 mai 2000, la somme de 3,8 millions de francs,

« - 2 octobre 2000, la somme de 2 millions de francs,

» - 12 novembre 2001, la somme de 1,5 million de francs,

« et d'avoir par ce moyen escroqué tout ou partie de la fortune » de p. CH. et d i. NI.,

« FAITS prévus et réprimés par l'article 330 du Code pénal ».

À l'audience Monsieur n. HA. CH. et Madame i. SC. épouse NI. se sont constitués parties civiles et ont fait déposer par leur conseil des conclusions tendant à voir :

  • dire et juger coupables les prévenus des escroqueries commises à leur préjudice,

  • condamner conjointement et solidairement les prévenus à payer à Monsieur n. HA. CH. la somme de 1.200.000 euros et à Madame i. SC. épouse NI. la somme de 450.000 euros, et ce, à titre de dommages-intérêts.

Sur l'action publique,

Madame b. ME. épouse MO., avocate d'origine danoise, exerçait sa profession à Cannes lorsqu'elle a décidé de s'installer en Principauté avec son mari, en 1998.

Elle y a ouvert un « Cabinet Scandinave » puis a acquis avec son époux, en fin d'année, la société anonyme monégasque Établissements Vinicoles de la Condamine (E.V.D.C.), pour un prix de 274.408,23 euros. Cette société, spécialisée dans la distribution des vins et spiritueux, faisait alors l'objet d'une procédure de règlement judiciaire. Son capital comprenait 10.000 actions.

Le 12 mai 2000, Madame b. ME. épouse MO. a cédé à Monsieur n. HA. CH., un de ses clients du Cabinet Scandinave, 500 actions au prix de 579.306,27 euros.

Madame i. SC. épouse NI., sa compagne, en a acquis 500 de plus le 2 octobre 2001 pour 304.898,03 euros et, le 12 novembre 2001, Monsieur n. HA. CH. en a racheté 750 en versant cette fois-ci, 228.673,53 euros. Entretemps, Monsieur n. HA. CH. avait accepté d'apporter en compte courant, pour soutenir l'activité sociale, 762.245,09 euros.

Malgré cette injection de capital, doublée d'apports de fonds opérés par Madame b. ME. épouse MO. grâce à la vente de ses actions, l'état de cessation des paiements de la S.A.M., fixé provisoirement au 1er juin 2002, a été constaté par jugement du Tribunal de première instance du 11 juillet 2002.

Estimant avoir été victime d'une escroquerie de la part des époux MO. qui leur avaient fait miroiter des gains extraordinaires sans jamais leur révéler la situation réelle de l'entreprise, Monsieur n. HA. CH. et Madame i. SC. épouse NI. ont déposé plainte avec constitution de partie civile auprès du Premier Juge d'Instruction, le 12 juin 2002.

SUR CE,

Madame i. SC. épouse NI. et Monsieur n. HA. CH. ont expressément indiqué, dans leur plainte, qu'ils n'avaient « aucune expérience dans le commerce de vins et spiritueux » et que « c'est uniquement sur les affirmations des époux MO., et quelques coupures de presse que (lui) a donné Mme MO. (qu'ils ont) accepté d'investir dans la société E.V.D.C. ».

Ils ont ajouté qu'en s'appuyant sur un « rapport dithyrambique de PRICEWATERHOUSE COOPERS de septembre 2001 … les époux MO. n'ont pas eu de grandes difficultés pour (les) convaincre d'investir alors même (qu'ils ignoraient) toujours tout de la véritable situation de l'entreprise ».

Pour justifier leur manque de méfiance, ils ont avancé que Madame b. ME. épouse MO. ayant été l'avocate de Monsieur n. HA. CH. lors de son divorce, « il s'était instauré en plus de la relation de confiance entre un client et son avocat une véritable relation de quasi dépendance dans la mesure où, comme (ils ne parlaient) pas français, elle était pour (eux) un interlocuteur privilégié qui (les) guidait dans de nombreuses démarches ».

Il ressort clairement de cet écrit que les prévenus ne se sont livrés à aucune manœuvre frauduleuse au sens de l'article 330 du Code pénal. Il est en effet de jurisprudence constante que de simples mensonges ne suffisent pas à caractériser cet élément constitutif du délit, dès lors qu'ils n'ont pas été accompagnés de circonstances des faits propres à en renforcer la crédibilité.

En l'espèce, aucune comptabilité ni aucun bilan n'a jamais été communiqué aux victimes pour illustrer la bonne santé financière qui leur était vantée.

Devant le Juge d'instruction, Monsieur n. HA. CH. et Madame i. SC. épouse NI. ont prétendu qu'un rapport du Cabinet PRICEWATERHOUSE (PWH) lui avait été simplement montré en début d'année 2010. Or l'information a permis d'établir, au terme d'une perquisition des locaux de cet organisme sis à Sophia Antipolis et après audition d'un de ses associés, qu'un tel document n'avait pu exister puisque PWH n'avait été missionné qu'en juillet 2001, pour établir le rapport de septembre 2001 visé dans la plainte.

Ce rapport n'a été adressé à Monsieur n. HA. CH. que le 5 octobre 2001.

Il n'a donc pu se révéler déterminant dans le cadre des deux achats d'actions des 12 mai 2000 et 2 octobre 2000, qui lui sont antérieurs.

La situation économique difficile de la S.A.M. E.V.D.C. y était au demeurant parfaitement exposée. Il était ainsi indiqué que la trésorerie nette était passée de -35.000 euros à -291.990 euros entre le 31 décembre 1999 et le 31 décembre 2000, que les pertes s'établissaient à plus de 527.000 euros pour l'exercice 2000 et qu'il fallait s'attendre à un résultat similaire pour 2001.

Dans ces conditions, la valeur de marché de l'activité distribution de l'entreprise, fixée par le rapport à 7.470.000 euros au 31 décembre 2000, ne pouvait sérieusement faire illusion, d'autant que ce chiffre était précédé d'un avertissement explicite rappelant que cette évolution avait été établie sur la seule base de « l'information financière dont (disposait PWH) et selon les hypothèses de croissance émises par la Direction », ce qui était de nature à en relativiser grandement la portée.

La fausse qualité d'avocat dont aurait usé Madame b. ME. épouse MO. au sein du Cabinet Scandinave n'apparaît nullement dans les correspondances adressées par la prévenue à Monsieur n. HA. CH., à l'occasion des transactions commerciales intervenues dans le cadre de la présente affaire.

En tout état de cause, la seule confiance susceptible d'être accordée aux auxiliaires de justice ne peut être considérée avec raison comme ayant valablement pu avoir été la cause déterminante d'un investissement de plus de 1.800.000 euros, dans une entreprise et un secteur d'activité ignorés de leurs auteurs.

À défaut d'être caractérisées dans tous leurs éléments constitutifs, les infractions poursuivies ne se trouvent pas constituées. En conséquence, le Tribunal entrera en voie de relaxe.

Sur l'action civile,

Monsieur n. HA. CH. et Madame i. SC. épouse NI. reçus en leur constitution de partie civile, doivent être déboutés de leurs demandes au fond en l'état de la mesure de relaxe qui sera prononcée au bénéfice de Monsieur j-m MO. et Madame b. ME. épouse MO.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,

Sur l'action publique,

Relaxe Monsieur j-m MO. et Madame b. ME. épouse MO. des fins de la poursuite sans peine ni dépens ;

Sur l'action civile,

Reçoit Monsieur n. HA. CH. et Madame i. SC. épouse NI. en leur constitution de partie civile mais les déboute au fond ;

Laisse les frais à la charge du Trésor.

Composition🔗

Ainsi jugé après débats du trois mai deux mille onze en audience publique tenus devant le Tribunal correctionnel, composé par Monsieur Marcel TASTEVIN, Vice-Président, Monsieur Florestan BELLINZONA, Juge, Madame Patricia HOARAU, Juge, le Ministère Public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du vingt-huit juin deux mille onze, par Monsieur Marcel TASTEVIN, Vice-Président, en présence de Monsieur Michaël BONNET, Substitut du Procureur Général, assistés de Mademoiselle Sandra PISTONO, Greffière stagiaire.-

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