Tribunal correctionnel, 10 mai 2011, Ministère public c/ g. RI

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Abstract🔗

Escroquerie au jugement - Élément constitutif

Résumé🔗

La production devant une juridiction civile d'une pièce même accompagnée d'allégations inexactes ne permet pas de caractériser le délit d'escroquerie (au jugement) dès lors que cette pièce n'a nullement été déterminante et n'a pas participé à l'analyse de la cause.


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2008/002158

INF. J. I. B30/08

JUGEMENT DU 10 MAI 2011

___________________

En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;

Contre le nommé :

- g. RI., né le 12 janvier 1942 à ARSITA (Province de X - Italie), de Nicola et de Michelina MA., de nationalité italienne, retraité, demeurant X à X (Italie) ;

Prévenu de :

ESCROQUERIE

- présent aux débats, assisté de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

En présence de :

- Monsieur m. BO., né le 14 août 1961 à NUORO (Italie), de nationalité italienne, ingénieur, demeurant X (Province de Cagliari - Italie), constitué partie civile, assisté de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 12 avril 2011 ;

Vu l'ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi devant le Tribunal correctionnel de Monsieur le magistrat instructeur en date du 26 octobre 2010 ;

Vu l'arrêt contradictoirement rendu par la Chambre du Conseil de la Cour d'appel, statuant comme juridiction d'instruction, en date du 6 décembre 2010 ;

Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 23 décembre 2010 ;

Ouï le prévenu en ses réponses et, ce, avec l'assistance de Madame Lesley COSTA-DELFINO, demeurant Stade Louis II, Entrée E, 13 avenue des Castelans à MONACO, faisant fonction d'interprète en langue italienne, serment préalablement prêté ;

Ouï Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur pour Monsieur m. BO., partie civile, en ses demandes et déclarations ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur pour le prévenu, en ses plaidoiries et mémoire en défense en date du 6 avril 2011 par lesquels il sollicite la relaxe pure et simple de son client ;

Ouï le prévenu, en dernier, en ses moyens de défense ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Aux termes d'une ordonnance de Monsieur le magistrat instructeur en date du 26 octobre 2010, Monsieur g. RI. a été renvoyé par devant le Tribunal correctionnel, sous la prévention :

« D'avoir à Monaco, courant 2003 à 2007, en tout cas sur le » territoire national et depuis temps non couvert par la « prescription, par l'emploi de manœuvres frauduleuses » pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un « pouvoir ou d'un crédit imaginaire », ou pour faire naître « l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident » ou de tout autre évènement chimérique,

« – fait remettre ou délivrer par les juridictions civiles » monégasques, un écrit contenant obligation ou décharge, « en l'espèce notamment, un jugement en date du 27 avril 2006 rendu par le Tribunal de première instance de la » Principauté de Monaco et par ces moyens, escroqué la totalité ou partie de la fortune de m. BO.,

« En l'espèce :

» – en produisant sciemment en justice, un document intitulé « Déclaration d'identité de l'ayant droit économique » désignant RI. g. comme ayant « droit économique du compte n° 19482 ESTATELAND Ltd ouvert à la Banque du Gothard de Monaco (D7),

» - puis en s'y référant sciemment à plusieurs reprises dans « ses conclusions, et en écrivant que ledit compte a été » ouvert le 9 décembre 1998 alors que ledit compte n'a « jamais été ouvert dans les livres de la Banque du Gothard » de Monaco,

« lesquelles manœuvres étaient destinées à établir que RI. g. est l'ayant droit économique de la société ESTATELAND Ltd et donc qu'il est bien fondé » dans ses prétentions soumises aux juridictions « monégasques,

» DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 27 et 330 du Code pénal «.

À l'audience Monsieur m. BO. s'est constitué partie civile et a fait demander par l'intermédiaire de son conseil la condamnation du prévenu à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'il a subi.

Sur l'action publique,

Confronté à un contrôle fiscal au cours des années 1994-1996, Monsieur g. RI., sur les conseils d'un Cabinet spécialisé, a créé avec son épouse une société OLVETTO de droit irlandais auquel il a apporté plusieurs immeubles.

Le 9 décembre 1998, il a cédé les actions de cette société à une société ESTATELAND sise aux Bahamas dont son gendre, Monsieur m. BO., était l'administrateur désigné.

Celui-ci a ouvert le même jour un compte Bagaglio à la Banque du Gothard de Monaco, sur lequel plusieurs dépôts d'un montant total d'environ 1.300.000 euros ont été effectués en 1999.

Le 12 décembre 2001, Monsieur m. BO. a ouvert un deuxième compte baptisé La Maddalena dans le même établissement et y a fait transférer l'intégralité de ces capitaux.

Après avoir soutenu qu'il en était le véritable propriétaire et que son gendre, simple prête-nom, refusait désormais de les lui restituer en raison des difficultés conjugales qui l'opposaient à sa fille, Monsieur g. RI. a obtenu l'autorisation de faire pratiquer une saisie-arrêt des avoirs que l'intéressé détenait à la Banque du Gothard.

Monsieur m. BO. a vainement tenté d'obtenir la nullité et la mainlevée de la mesure par voie de référé.

Assigné en validation, il a été condamné à payer 1.276.574,44 euros en principal au prévenu, selon jugement du Tribunal de première instance rendu le 27 avril 2006.

Plus de deux ans après, Monsieur m. BO. a déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du Juge d'instruction pour escroquerie au jugement et usage de faux témoignages. Il reprochait à Monsieur g. RI., notamment, d'avoir produit un faux qui avait servi de fondement à sa condamnation, à savoir un formulaire émanant de la Banque du Gothard et le désignant comme ayant droit économique de la société ESTATELAND, ce qui lui avait permis de revendiquer frauduleusement cette qualité à la date du 9 décembre 1998.

Par arrêt du 6 décembre 2010, Monsieur g. RI. a été renvoyé pour ces seuls faits devant le Tribunal correctionnel.

Le mis en cause a toujours prétendu qu'il ignorait tout de l'existence de cette pièce et des moyens qu'elle avait permis de développer devant le Tribunal de première instance puis devant la Cour d'appel, désormais saisie du litige.

Selon lui, ces procédures avaient été menées sous la direction de ses conseils suisses et monégasques qui l'en informaient de manière très générale, sans lui soumettre au préalable et de manière précise les pièces et arguments dont ils entendaient se prévaloir.

SUR CE,

L'information a permis d'établir que la pièce litigieuse était parfaitement authentique. Il s'agissait d'un formulaire intitulé » Déclaration d'identité de l'ayant droit économique «, qui faisait partie d'un dossier à compléter en vue de l'ouverture d'un compte bancaire auprès de la Banque du Gothard à Monaco. Il avait été renseigné puis signé au cours du dernier trimestre 2002 par le nouvel administrateur de la société ESTATELAND, Monsieur d. CO., lequel avait été désigné en cette qualité le 14 août 2002 suite à la démission de Monsieur m. BO. Le compte n'avait en définitive pu être ouvert en raison du refus opposé par la banque.

Le Tribunal observe que cette pièce ne comportait aucune date et n'était pas considérée comme essentielle par les conseils de Monsieur g. RI. puisqu'elle n'a été évoquée ni dans la requête initiale aux fins d'indisponibilité temporaire du 21 octobre 2002, ni dans l'acte de saisie-arrêt et assignation en validation de la mesure du 4 novembre 2002. Elle n'a été produite qu'ultérieurement, lors de l'instance en référé puis dans le cadre de l'instance au fond, au soutien des écritures du prévenu qui affirmaient : » Monsieur RI. est l'ayant droit économique de la société Estateland comme le démontre la déclaration faite le 9 décembre 1998 lors de l'ouverture d'une compte n° 19482 au nom de la société Estateland auprès de la Banque du Gothard ".

Cette présentation erronée du document desservait en réalité la cause de Monsieur g. RI.. Celui-ci s'appuyait en effet sur la circonstance que, le 14 août 2002, son gendre avait transféré le totalité des capitaux du compte La Maddalena vers le compte de la société ESTATELAND puis cédé à son profit l'ensemble de ses actions dans ladite société et démissionné de sa fonction d'administrateur, pour tenter de démontrer que Monsieur m. BO. avait bien accepté de lui restituer les fonds à cette date.

C'est ce raisonnement qu'a partiellement adopté le Tribunal de Première Instance dans son jugement du 27 avril 2006.

La décision a ainsi considéré que ces différents actes constituaient des commencements de preuve par écrit rendant admissible la preuve testimoniale relative à la propriété des capitaux. Mais la juridiction s'est ensuite fondée sur les divers témoignages produits par Monsieur g. RI. pour faire droit à ses demandes.

L'incidente relative à la pièce litigieuse, qui figure dans les motifs et énonce que le document établit la qualité d'ayant droit économique de Monsieur g. RI. à l'égard de la société ESTATELAND, à une date d'ailleurs non précisée, ne participe en rien à la logique de cette analyse. Faute d'avoir été déterminante, d'une quelconque manière, pour la condamnation de Monsieur m. BO., la production de cet élément de preuve, fût-elle accompagnée d'allégations inexactes, ne permet donc pas de caractériser le délit d'escroquerie poursuivi.

Sur l'action civile,

En l'état de la relaxe de Monsieur g. RI. il y a lieu de débouter Monsieur m. BO. de sa constitution de partie civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,

Sur l'action publique,

Relaxe Monsieur g. RI. des fins de la poursuite sans peine ni dépens ;

Sur l'action civile,

Accueille Monsieur m. BO. en sa constitution de partie civile mais l'en déboute au fond ;

Laisse les frais à la charge du Trésor.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal de Première Instance, au Palais de Justice, à Monaco, le dix mai deux mille onze, par Monsieur Marcel TASTEVIN, Vice-Président, Monsieur Florestan BELLINZONA, Juge, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Juge, en présence de Monsieur Michaël BONNET, Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Greffier.

Note🔗

Confirmé par arrêt de la Cour d'appel du 9 janvier 2012 qui a en outre précisé que la simple erreur dans la présentation du document litigieux dans les conclusions devant la juridiction n'établissait pas la volonté de tromper le Tribunal.

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