Tribunal correctionnel, 1 février 2011, Ministère public c/ f. CO

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Garde à vue - Droit au silence - Mandat d'arrêt décerné par le Procureur Général - Convention européenne

Résumé🔗

Le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence est reconnu par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme et de manière constante par la jurisprudence. L'effectivité de ces droits implique que le gardé à vue, lorsqu'il n'a pas sollicité l'assistance d'un avocat ou n'a pu en bénéficier, soit avisé par les enquêteurs du droit de ne faire aucune déclaration. À défaut, la nullité des procès-verbaux d'audition doit être constatée.

L'absence d'indépendance statutaire ou procédurale du Procureur Général n'interdit pas la délivrance par le Procureur Général d'un mandat d'arrêt.

(À rapprocher des décisions rendues par ce Tribunal les 11 janvier 2011 et 29 mars 2011).


Motifs🔗

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2011/000152

JUGEMENT DU 1er FÉVRIER 2011

___________________

En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;

Contre les nommés :

1 - f. CO., né le 17 mars 1986 à NICE (06), de Louis et de Pascale MA., de nationalité française, électricien, demeurant X à BREIL SUR ROYA (06540) ;

Prévenu de :

- OUTRAGE À AGENTS DE LA FORCE PUBLIQUE

- VIOLENCES OU VOIES DE FAIT SUR AGENTS DE LA FORCE PUBLIQUE

2 - r. CO., né le 14 novembre 1989 à NICE (06), de Louis de Pascale MA., de nationalité française, employé de mairie, demeurant X à BREIL SUR ROYA (06540) ;

Prévenu de :

VIOLENCES OU VOIES DE FAIT SUR AGENTS DE LA FORCE PUBLIQUE

- présents aux débats, DÉTENUS (mandats d'arrêt du 31 janvier 2011), tous deux assistés de Maître Sarah FILIPPI, avocat-stagiaire, commis d'office, et plaidant par ledit avocat-stagiaire ;

LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience de ce jour ;

Vu la procédure enregistrée au Parquet Général sous le numéro 2011/000152 ;

Vu les procès-verbaux d'interrogatoire de flagrant délit dressés le 31 janvier 2011 ;

Ouï Maître Sarah FILIPPI, avocat-stagiaire pour les prévenus, laquelle soulève in limine litis des exceptions de nullité ;

Ouï le Ministère Public en réponse sur les exceptions soulevées ;

Le Tribunal décide de joindre l'incident au fond ;

Ouï les prévenus, en leurs réponses, lesquels déclarent accepter d'être jugés immédiatement et renoncer à la faculté conférée par l'article 400 du Code de procédure pénale ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Sarah FILIPPI, avocat-stagiaire pour les prévenus, en ses moyens de défense et plaidoiries ;

Ouï les prévenus, en dernier, en leurs moyens de défense ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Messieurs f. CO. et r. CO. comparaissent devant le Tribunal correctionnel, selon la procédure de flagrant délit, sous les préventions :

1 - Monsieur f. CO.

« D'avoir à MONACO, le 30 janvier 2011, en tout cas depuis » temps non couvert par la prescription,

« - outragé par paroles, t. CA. et s. » ME., agents de la Force Publique dans l'exercice de « leurs fonctions, en leur disant notamment :

» « fils de pute - je vais niquer ta mère - je vais te retrouver à » MONACO ou à NICE «. » Je t'encule bâtard de flic - je vais « niquer ta mère - je te retrouve à la sortie du commissariat et » je te mettrai un petit coup de schlass par derrière «,

» DÉLIT prévu et réprimé par les articles 164 et 165 du Code pénal ;

« Dans les mêmes circonstances de lieu et de temps,

» - de s'être livré à des violences et voies de fait à l'encontre « des agents de police t. CA. et s. » ME., dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de « leurs fonctions,

» DÉLIT prévu et réprimé par les articles 165 et 167 du Code pénal «.

2 - Monsieur r. CO.

» De s'être à MONACO, le 30 janvier 2011, en tout cas « depuis temps non couvert par la prescription,

» - livré à des violences et voies de fait à l'encontre des agents « de police t. CA. et s. ME., » dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs « fonctions,

» DÉLIT prévu et réprimé par les articles 165 et 167 du Code pénal «.

Le 30 janvier 2011 aux alentours de 20 heures 30, les policiers intervenaient suite à une rixe opposant des supporters de l'AS Monaco à ceux de l'Olympique de Marseille devant le » Gerhard's Café ".

Une fois le calme revenu, ils constataient que deux individus, ultérieurement identifiés comme étant Messieurs f. et r. CO., recommençaient à se battre. Tentant de les séparer, ils devaient affronter leur agressivité commune ce qui les contraignait à faire usage de la force pour les interpeller.

À l'occasion de cette opération de police, l'agent s. ME. réussissait à esquiver un coup de poing de Monsieur f. CO. qui parvenait ensuite à lui infliger un coup de pied au tibia.

L'agent t. CA. recevait un coup au visage porté par Monsieur r. CO..

Tous les deux étaient copieusement insultés par les récalcitrants dont ils essuyaient également les crachats.

Les mis en cause se trouvaient en état d'ivresse : 0,90 milligramme par litre d'air expiré pour Monsieur f. CO., 0,70 milligramme par litre d'air expiré pour Monsieur r. CO.

Sur la procédure,

Le conseil des prévenus soutient que la procédure serait entachée de nullité, pour violation des articles 5 et 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, dès lors que les prévenus ont été entendus en garde à vue sans que leur soit préalablement notifiée la possibilité qu'ils avaient de ne pas répondre aux questions des enquêteurs, puis ont été maintenus en détention en vertu de mandat d'arrêt délivrés par le Procureur Général, qui ne bénéficiait pas, pour ce faire, des qualités d'indépendance requise par ladite convention.

S'agissant des auditions, il est acquis lorsque le droit au procès équitable reconnu par l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme recouvre de manière inextricable, selon une jurisprudence ancienne et constante de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence, afin de protéger l'accusé contre une coercition abusive de la part des autorités.

Pour que ces droits aient un caractère effectif, il est essentiel que la personne soit informée par les enquêteurs de son droit de se taire avant tout interrogatoire, lorsqu'elle n'a pas sollicité l'assistance d'un avocat au cours de sa garde à vue ou n'a pas encore eu la possibilité de s'entretenir avec lui. A défaut, toute déclaration de sa part susceptible de contribuer à son incrimination, voire d'aggraver sa situation pénale, doit être annulée.

En l'espèce, Messieurs f. et r. CO. n'ont pas souhaité être assistés d'un avocat au cours de leur garde à vue.

Pendant leur rétention, ils ont été entendus sans être préalablement informés de leur droit de se taire ce qui les a conduit à reconnaître tout ou partie des faits poursuivis. En conséquence, la nullité de leurs procès-verbaux d'audition devra être constatée.

En ce qui concerne les mandats d'arrêt délivrés par le Procureur Général, le Tribunal observe que l'absence d'indépendance statutaire ou procédurale de ce magistrat n'interdit pas, en soi, au regard de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, qu'il puisse ordonner une mesure de privation de liberté. Par suite, l'exception de nullité, fondée sur ce seul moyen, sera écartée.

Sur le fond,

Monsieur f. CO. a reconnu à l'audience avoir insulté les agents de police t. CA. et s. ME.

S'agissant des violences sur agents de la force publique, les contestations des prévenus se heurtent aux déclarations précises et concordantes des fonctionnaires de police.

Celles-ci, au demeurant, apparaissent particulièrement mesurées ce qui en renforce la crédibilité. Ainsi, seul Monsieur f. CO. se trouve mis en cause pour les coups reçus par l'agent s. ME. et seul Monsieur r. CO. se voit imputer l'agression subi par l'agent t. CA. La culpabilité des intéressés sera donc retenue de ces seuls chefs.

Le Tribunal observe que Messieurs f. et r. CO. ont déjà été condamnés à de multiples reprises pour des faits de violences. Quatre condamnations figurent sur le casier judiciaire français du premier, trois sur celui du second.

Compte tenu de la gravité objective des faits au regard de la qualité d'agent de police des victimes et des éléments de personnalité défavorables ci-dessus rapportés, une peine

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,

Constate la nullité des procès-verbaux d'audition des prévenus enregistrés au cours de leur garde à vue ;

Rejette l'exception de nullité relative aux mandats d'arrêt délivrés par le Procureur Général ;

Déclare les prévenus coupables des faits qui leurs sont reprochés sauf en ce qui concerne les violences ou voies de fait reprochées à Monsieur f. CO. au préjudice de Monsieur t. CA. et Monsieur r. CO. au préjudice de Monsieur s. ME. ;

En répression, faisant application des articles 164, 165 et 167 du Code pénal,

Les condamnes, chacun, à la peine de QUINZE JOURS D'EMPRISONNEMENT ;

Les condamne, en outre, solidairement aux frais.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal de Première Instance, au Palais de Justice, à Monaco, le premier février deux mille onze, par Monsieur Marcel TASTEVIN, Vice-Président, Madame Emmanuelle CASINI-BACHELET, Juge, Madame Sophie LEONARDI-FLEURICHAMP, Juge, en présence de Monsieur Jean-Jacques IGNACIO, Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Greffier.-

Note🔗

NOTE : la procédure de garde à vue a été réformée par la loi n° 1.399 du 25 juin 2013. L'article 60-9 du Code de procédure pénale impose désormais la notification au gardé à vue du droit de n'effectuer aucune déclaration. Cette décision demeure cependant d'actualité pour les gardes à vue antérieure et est compatible avec la Convention européenne des droits de l'Homme telle qu'interprétée notamment par la Cour de cassation française qui s'attache à vérifier si la personne a pu rencontrer un avocat et si le Tribunal a fondé sa condamnation exclusivement sur les déclarations effectuées en garde à vue pour décider s'il y a ou non-lieu à annulation en l'absence de notification du droit de se taire.

Cette loi nouvelle a maintenu la possibilité pour le Procureur Général de décerner mandat d'arrêt contre le prévenu en cas de délit flagrant (article 399 du Code de procédure pénale). Ce texte a cependant prévu, afin de se conformer aux exigences européennes, que le prévenu devait être présenté au Tribunal dans un délai de deux jours francs.

  • Consulter le PDF