Tribunal correctionnel, 14 octobre 2008, M. A. et A. F. R. c/ Ministère Public

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Abstract🔗

Procédure pénale

Instruction - Procès-verbal de première comparution - Nullité : pour non respect de l'article 165 CPP (le juge d'instruction ayant procédé à un interrogatoire sur le fond) - Effets limités à certains actes

Exercice d'une activité financière sans autorisation administrative

Délit prévu par la loi n° 1.194 du 9 juillet 1997 relative à la gestion de portefeuilles et aux activités boursières assimilées - Achats et reventes de devises constituant des instruments financiers au sens de l'article 1er de la loi précitée

Recel d'escroquerie

Compétence de la juridiction pénale monégasque en application de l'article 21 du CPP dès lors qu'un acte caractérisant un des éléments constitutifs de l'infraction a été accompli sur le territoire de Monaco

Résumé🔗

Sur la nullité des procès-verbaux de première comparution de Messieurs M. V. W. et M. G., co-prévenus pendant la procédure d'information, pour non respect de l'article 166 du Code de procédure pénale.

En application de l'article 166 du Code de procédure pénale le juge d'instruction, à l'occasion de la première comparution de l'inculpé, doit se borner à recevoir les déclarations du mis en cause après l'avoir averti qu'il est libre de ne pas en faire. Il ne peut, en aucun cas, l'interroger au fond sur les faits dont il est saisi.

Cette interdiction constitue une disposition substantielle au sens de l'article 207 du Code de procédure pénale, car elle vise à garantir les droits de la défense de l'inculpé qui comparaît alors sans avocat. Sa violation entache donc de nullité le procès-verbal de première comparution ainsi que tous les actes dont il a été le support nécessaire.

En l'espèce, les procès-verbaux d'interrogatoire de première comparution de Messieurs M. V. W. et M. G. apparaissent particulièrement longs puisque les déclarations représentent, pour chacun, 6 pages dactylographiées.

Leur lecture montre qu'elles sont constituées de paragraphes distincts simplement juxtaposés, sans continuité ni enchaînement logique les uns par rapport aux autres. Manifestement, chacun d'eux a été précédé d'une question du magistrat instructeur dont la retranscription n'a pas été effectuée, tant cette présentation se révèle incompatible avec la simple retranscription d'un discours librement prononcé. En outre, le procès-verbal de première comparution de Messieurs M. V. W. laisse clairement apparaître que les déclarations de l'inculpé font suite à la présentation de scellés par le juge d'instruction, ce qui en contredit le caractère spontané.

La nullité des procès-verbaux qu'il convient ainsi de prononcer, ne saurait s'étendre à l'ensemble de la procédure ultérieure. Ses effets seront limités aux actes dont ils ont constitué le support nécessaire. Il s'agit, en l'occurrence, des auditions ultérieures des intéressés.

Sur l'incompétence du Tribunal pour statuer sur le recel reproché aux prévenus

Le conseil des prévenus soutient que le Tribunal serait incompétent pour connaître des infractions de recels reprochées à Messieurs M. A. et A. F. R. dès lors que ceux-ci n'auraient jamais détenu les fonds prétendument recelés à Monaco, car ces derniers étaient directement versés par les victimes sur un compte de la Société R. & P. ouvert dans une banque suisse.

Cette analyse ne saurait être retenue dès lors qu'en application de l'article 21 du Code de procédure pénale, est réputé avoir été commis sur le territoire de la Principauté tout crime ou délit dont un acte caractérisant un des éléments constitutifs de l'infraction y aura été accompli.

Or le délit de recel ne peut être constitué que si la chose détenue provient d'un crime ou d'un délit, ce qui apparaît bien être le cas en l'espèce puisque les escroqueries dont provenaient les fonds recelés par les prévenus ont été commises à Monaco par Monsieur M. G., qui a été définitivement condamné pour ces faits par arrêt de la Cour d'appel de Monaco du 4 décembre 2006.

En conséquence, l'exception d'incompétence soulevée devra être rejetée.

Sur l'exercice d'une activité financière sans autorisation

Après avoir vainement tenté d'ouvrir en Principauté un bureau de représentation de la société suisse de gestion financière R. & P. A. G. dont ils étaient les associés, Messieurs M. A. et A. F. R. ont constitué avec Monsieur M. G., en début d'année 1998, une société R. & P. Ltd dont le siège fut fixé à NASSAU, aux Bahamas.

Aux termes même de la plaquette de présentation diffusée aux clients potentiels, cette société proposait principalement des investissements sur le marché international des devises, dit « Forex », et une activité de conseils pour toutes opérations boursières.

Instruits du refus opposé à la société R. & P. AG d'exercer en Principauté, Messieurs M. A. et A. F. R. se sont frauduleusement assurés du concours du Cabinet conseil de Monsieur F.C. qui a mis, à la disposition de la société R. & P. Ltd, des locaux loués à son nom ainsi que des contrats d'électricité, de fax, et d'abonnement à un service financier direct, dont il était le seul titulaire.

Fort de cette simple domiciliation et en l'absence de toute autorisation administrative, Monsieur M. G. a réussi à collecter sur un compte bancaire ouvert en Suisse, auprès de plusieurs investisseurs, des fonds que Messieurs M. A. et A. F. R. plaçaient ensuite sur le Forex depuis NASSAU.

À ses côtés Monsieur M. V. W., ancien salarié de R & P. SA clandestinement employé à Monaco, devait également prospecter la clientèle locale. En réalité, il finissait de gérer les contrats à terme d'une centaine de clients de la S.A. M., une société suisse qui appartenait aussi à Messieurs M. A. et A. F. R. mis n'avait plus aucune activité dans ce pays.

Pour solliciter leur relaxe de ce chef d'infraction, Messieurs M. A. et A. F. R. prétendent que les activités d'achats et de vente de devises auxquelles se livrait la société R. & P. Ltd ne relevaient pas du domaine de la loi n° 1.194 du 9 juillet 1997 relative à la gestion de portefeuilles et aux activités boursières assimilées de sorte que l'agrément exigé par ce texte ne leur était pas nécessaire.

Cette analyse ne saurait être admise puisqu'il ressort des déclarations faites par Monsieur M. V. W., dans le cadre de l'enquête préliminaire, que R. & P. Ltd achetait et revendait des contrats portant sur les devises et qui luimême, dans le cadre de la gestion des clients de la société M., gérait des positions à terme sur des contrats de sucre.

Les relevés d'opérations versés aux débats par les victimes de R. & P. Ltd, de même que les documents de présentation de cette société figurant à la procédure, confirment d'ailleurs que les achats de devises pouvaient s'effectuer au comptant mais également à terme.

Or, les contrats à terme, qu'ils portent sur du sucre ou des devises, constituent des instruments financiers au sens de l'article 1er de la loi susvisée.

L'activité du conseil, la gestion et les transmissions d'ordres les concernant nécessitait donc bien l'agrément préalable du Ministre d'État. Faute d'en disposer, la culpabilité de Messieurs M. A. et A. F. R. apparaît incontestable.

Sur le recel d'escroqueries

Monsieur M. G. a été définitivement condamné pour escroqueries par arrêt de la Cour d'appel du 4 décembre 2006, dans le cadre de sa participation à l'activité de R. & P. Ltd.

Messieurs M. A. et A. F. R., ses associés à parts égales au sein de l'entreprise, ne pouvaient ignorer le caractère mensonger des publicités et des contrats diffusés aux clients potentiels. Ces documents mentionnaient en effet l'existence d'une filiale (version française) ou d'un bureau de représentation (version anglaise) en Suisse ainsi que d'un bureau de représentation à Monaco, alors qu'il a été établi par l'information que le bureau suisse n'avait aucune existence réelle et que l'entité monégasque, dépourvue de tout agrément et donc libre de tout contrôle, ne pouvait offrir la garantie que laissait supposer son implantation en Principauté.

Les prévenus ont ainsi sciemment reçu des fonds qu'ils savaient provenir des escroqueries commise à Monaco par Monsieur M. G. et consommé, ce faisant, le délit de recel qui leur est reproché.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Jugeant correctionnellement,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu le jugement rendu par défaut par le Tribunal de céans en date du 21 mars 2006, signifié à Parquet le 24 avril 2006 et l'arrêt rendu par défaut par la Cour d'appel en date du 4 décembre 2006, signifié à Parquet le 12 décembre 2006 ;

Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Marie-Thérèse Escaut-Marquet, huissier, en date du 31 juillet 2008 et tendant à ce qu'il soit statué sur l'opposition formée par les prévenus ;

Vu le courrier de Maître Jean-Charles Gardetto, avocatdéfenseur, en date du 20 avril 2007 indiquant que Messieurs M. A. et A. F. R. déclarent former opposition à l'encontre du jugement de défaut susvisé ;

Ouï les prévenus, en leurs réponses, et ce, avec l'assistance de Mademoiselle L. C., demeurant ... à MONACO, faisant fonction d'interprète en langue anglaise, serment préalablement prêté ;

Ouï Maître Christine Pasquier-Ciulla, avocat-défenseur pour Mesdames E. B. et H. H. épouse H., parties civiles, en en ses demandes, fins et conclusions en date du 16 septembre 2008 ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Thomas Giaccardi, avocat-défenseur pour les prévenus, en ses moyens de défense, plaidoiries et conclusions en date du 16 septembre 2008 par lesquels il sollicite de voir déclarer recevable l'opposition formée par ses clients, et à titre principal, de voir prononcer la nullité de la procédure, et à titre subsidiaire, de voir ordonner la relaxe des prévenus ;

Ouï les prévenus, en dernier, en leurs moyens de défense ;

Selon jugement rendu par défaut par le Tribunal correctionnel, le 21 mars 2006, signifié à Parquet le 24 avril 2006, Messieurs M. A. et A. F. R. ont été condamnés, sur l'action publique, chacun à la peine de quinze mois d'emprisonnement et trente mille euros d'amende, pour exercice d'une activité de gestion de portefeuilles et des activités boursières assimilées sans autorisation, infraction ci-dessous développée :

« D'avoir sur le territoire de la Principauté de Monaco, courant 1998 et 1999, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, effectué sous les noms de M. I. A. G., de R. & P. A. G., société de droit suisse, de R. & P. Ltd, société de droit des Bahamas, une activité de gestion de portefeuille et des activités boursières assimilées, sans avoir sollicité et obtenu d'autorisation préalable,

Délit prévu et réprimé par les articles 1 à 30 de la loi n° 1.194 du 9 juillet 1997 »,

Et, sur l'action civile, a condamné solidairement Messieurs M. A. et A. F. R. et leur co-prévenus Messieurs M. G. et F. C. à payer à Madame E. B. la contre-valeur en euros de la somme de 37 850 francs suisses et à Madame H. H. épouse H. la somme de 255 645,94 euros correspondant à la contre-valeur de 500 000 deutsch marks, et ce, à titre de dommagesintérêts ;

Selon arrêt rendu par défaut le 4 décembre 2006, signifié à Parquet le 12 décembre 2006, la Cour d'appel de Monaco a réformé partiellement le jugement du Tribunal correctionnel en date du 21 mars 2006, déclaré Messieurs M. A. et A. F. R. coupables du délit de recel d'escroqueries, confirmé le jugement sur le surplus de la prévention, réformé sur la répression et les a condamnés chacun à la peine de vingt mois d'emprisonnement et à trente mille euros d'amende avec mandat d'arrêt décerné à leur encontre, pour l'infraction ci-dessous développée :

« D'avoir, sur le territoire de la Principauté de Monaco et à l'étranger, courant 1998 et 1999, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, recelé des fonds obtenus à l'aide d'escroqueries commises au préjudice de Mmes B. et H. épouse H., MM. D., F. et S.,

Délit prévu et réprimé par les articles 330 et 339 du Code pénal » ;

À l'audience du 16 septembre 2008 Mesdames E. B. et H. H. épouse H se sont constituées parties civiles et ont fait déposer par leur conseil Maître Christine Pasquier-Ciulla, avocat-défenseur, des conclusions tendant à voir condamner les prévenus à une peine du chef des faits qui leur sont reprochés par la prévention et au paiement solidaire des sommes de :

– 37 850 francs suisses, outre intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 1999, outre 15 000 euros à titre de dommages-intérêts, pour Madame E. B.,

– 500 000 deutsch marks, outre intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 1999, outre 30 000 euros à titre de dommages-intérêts, pour Madame H. H. épouse H ;

Sur la nullité des procès-verbaux de première comparution de Messieurs M. V. W. et M. G., co-prévenus pendant la procédure d'information, pour non respect de l'article 166 du Code de procédure pénale :

En application de l'article 166 du Code de procédure pénale le juge d'instruction, à l'occasion de la première comparution de l'inculpé, doit se borner à recevoir les déclarations du mis en cause après l'avoir averti qu'il est libre de ne pas en faire. Il ne peut, en aucun cas, l'interroger au fond sur les faits dont il est saisi.

Cette interdiction constitue une disposition substantielle au sens de l'article 207 du Code de procédure pénale, car elle vise à garantir les droits de la défense de l'inculpé qui comparaît alors sans avocat. Sa violation entache donc de nullité le procès-verbal de première comparution ainsi que tous les actes dont il a été le support nécessaire.

En l'espèce, les procès-verbaux d'interrogatoire de première comparution de Monsieur M. V. W. et M. G. apparaissent particulièrement longs puisque les déclarations représentent, pour chacun, 6 pages dactylographiées.

Leur lecture montre qu'elles sont constituées de paragraphes distincts simplement juxtaposés, sans continuité ni enchaînement logique les uns par rapport aux autres. Manifestement, chacun d'eux a été précédé d'une question du magistrat instructeur dont la retranscription n'a pas été effectuée, tant cette présentation se révèle incompatible avec la simple retranscription d'un discours librement prononcé. En outre, le procès-verbal de première comparution de Monsieur M. V. W. laisse clairement apparaître que les déclarations de l'inculpé font suite à la présentation de scellés par le juge d'instruction, ce qui en contredit le caractère spontané.

La nullité des procès-verbaux qu'il convient ainsi de prononcer, ne saurait s'étendre à l'ensemble de la procédure ultérieure. Ses effets seront limités aux actes dont ils ont constitué le support nécessaire. Il s'agit, en l'occurrence, des auditions ultérieures des intéressés.

Sur la nullité des actes d'inculpation, de l'ordonnance de renvoi et de la citation à comparaître :

Pour justifier ces demandes de nullité, le conseil des prévenus soutient que le magistrat instructeur n'a pas entrepris toutes les recherches utiles pour connaître l'adresse des intéressés, notamment en ne diffusant pas à l'échelle internationale le mandat d'arrêt qu'il avait délivré à leur encontre, ce qui ne leur a pas permis d'être informés des faits qui leur étaient reprochés, de se défendre depuis le début de la procédure, d'éviter le dépérissement des preuves induit par la longueur excessive de l'information et de se voir valablement notifier leur inculpation ainsi que les actes subséquents de la procédure, tels l'ordonnance de renvoi ou la citation à comparaître.

Le Tribunal relève toutefois que le dossier d'information ne contenait aucun élément relatif à l'adresse personnelle des prévenus puisque seuls y figuraient l'adresse de la boîte postale prétendument attribuée à leur société aux Bahamas et une adresse éventuelle communiquée par une partie civile, au sujet de laquelle Messieurs M. A. et A. F. R. ont concédé à l'audience qu'ils ne pouvaient justifier y avoir résidé à un moment quelconque.

Dans ces conditions, constatant que les intéressés ne demeuraient pas en Principauté et qu'il existait à leur encontre des indices graves d'avoir commis des délits prévus d'une peine privative de liberté, le Juge d'instruction a valablement décerné, en application de l'article 162 du Code de procédure pénale, des mandats d'arrêt dont aucune disposition légale n'imposait la diffusion au niveau international.

Enfin les prévenus ont bénéficié, en raison de leur absence lors des précédentes condamnations, du droit de former opposition et d'obtenir ainsi que leur cause soit à nouveau entendue équitablement puis jugée, de sorte que l'atteinte alléguée aux dispositions de l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques de New York ainsi qu'à l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme n'apparaît nullement caractérisée en l'espèce.

Sur l'incompétence du Tribunal pour statuer sur le recel reproché aux prévenus :

Le conseil des prévenus soutient que le Tribunal serait incompétent pour connaître des infractions de recels reprochées à Messieurs M. A. et A. F. R. dès lors que ceux-ci n'auraient jamais détenu les fonds prétendument recelés à Monaco, car ces derniers étaient directement versés par les victimes sur un compte de la société R. & P. ouvert dans une banque suisse.

Cette analyse ne saurait être retenue dès lors qu'en application de l'article 21 du Code de procédure pénale, est réputé avoir été commis sur le territoire de la Principauté tout crime ou délit dont un acte caractérisant un des éléments constitutifs de l'infraction y aura été accompli.

Or le délit de recel ne peut être constitué que si la chose détenue provient d'un crime ou d'un délit, ce qui apparaît bien être le cas en l'espèce puisque les escroqueries dont provenaient les fonds recelés par les prévenus ont été commises à Monaco par Monsieur M. G., qui a été définitivement condamné pour ces faits par arrêt de la Cour d'appel de Monaco du 4 décembre 2006.

En conséquence, l'exception d'incompétence soulevée devra être rejetée.

Sur le fond :

Initialement poursuivis pour quatre infractions Messieurs M. A. et A. F. R. ont été condamnés par ce Tribunal, le 21 mars 2006, uniquement pour avoir commis le délit d'exercice d'une activité financière sans autorisation.

Ce jugement a été infirmé par arrêt de la Cour d'appel du 4 décembre 2006 qui a confirmé la culpabilité de ce chef, mais a également retenu à l'encontre des prévenus le délit de recel d'escroqueries.

L'opposition formée par Messieurs M. A. et A. F. R. à ces deux décisions ne pouvant remettre en cause les relaxes qui leur sont désormais acquises pour les autres infractions, le Tribunal se bornera à statuer sur les deux délits précités.

Sur l'exercice d'une activité financière sans autorisation :

Après avoir vainement tenté d'ouvrir en Principauté un bureau de représentation de la société suisse de gestion financière R. & P. A. G. dont ils étaient les associés, Messieurs M. A. et A. F. R. ont constitué avec Monsieur M. G., en début d'année 1998, une société R. & P. Ltd dont le siège fut fixé à Nassau, aux Bahamas.

Aux termes même de la plaquette de présentation diffusée aux clients potentiels, cette société proposait principalement des investissements sur le marché international des devises, dit « Forex », et une activité de conseils pour toutes opérations boursières.

Instruits du refus opposé à la société R. & P. A. G. d'exercer en Principauté, Messieurs M. A. et A. F. R. se sont frauduleusement assurés du concours du Cabinet conseil de Monsieur F. C. qui a mis, à la disposition de la société R. & P. Ltd, des locaux loués à son nom ainsi que des contrats d'électricité, de fax, et d'abonnement à un service financier direct, dont il était le seul titulaire.

Fort de cette simple domiciliation et en l'absence de toute autorisation administrative, Monsieur M. G. a réussi à collecter sur un compte bancaire ouvert en Suisse, auprès de plusieurs investisseurs, des fonds que Messieurs M. A. et A. F. R. plaçaient ensuite sur le Forex depuis Nassau.

À ses côtés Monsieur M. V. W., ancien salarié de R. & P. S. A. clandestinement employé à Monaco, devait également prospecter la clientèle locale. En réalité, il finissait de gérer les contrats à terme d'une centaine de clients de la S. A. M., une société suisse qui appartenait aussi à Messieurs M. A. et A. F. R. mais n'avait plus aucune activité dans ce pays.

Pour solliciter leur relaxe de ce chef d'infraction, Messieurs M. A. et A. F. R. prétendent que les activités d'achats et de vente de devises auxquelles se livrait la société R. & P. Ltd ne relevaient pas du domaine de la loi 1.194 du 9 juillet 1997 relative à la gestion de portefeuilles et aux activités boursières assimilées de sorte que l'agrément exigé par ce texte ne leur était pas nécessaire.

Cette analyse ne saurait être admise puisqu'il ressort des déclarations faites par Monsieur M. V. W., dans le cadre de l'enquête préliminaire, que R. & P. Ltd achetait et revendait des contrats portant sur les devises et que lui-même, dans le cadre de la gestion des clients de la société M, gérait des positions à terme sur des contrats de sucre.

Les relevés d'opérations versés aux débats par les victimes de R. & P. Ltd, de même que le document de présentation de cette société figurant à la procédure, confirment d'ailleurs que les achats de devises pouvaient s'effectuer au comptant mais également à terme.

Or les contrats à terme, qu'ils portent sur du sucre ou des devises, constituent des instruments financiers au sens de l'article 1er de la loi susvisée.

L'activité du conseil, la gestion et les transmissions d'ordres les concernant nécessitait donc bien l'agrément préalable du Ministère d'État. Faute d'en disposer, la culpabilité de Messieurs M. A. et A. F. R. apparaît incontestable.

Sur le recel d'escroqueries :

Monsieur M. G. a été définitivement condamné pour escroqueries par arrêt de la Cour d'appel du 4 décembre 2006, dans le cadre de sa participation à l'activité de R. & P. Ltd.

Messieurs M. A. et A. F. R., ses associés à parts égales au sein de l'entreprise, ne pouvaient ignorer le caractère mensonger des publicités et des contrats diffusés aux clients potentiels. Ces documents mentionnaient en effet l'existence d'une filiale (version française) ou d'un bureau de représentation (version anglaise) en Suisse ainsi que d'un bureau de représentation à Monaco, alors qu'il a été établi par l'information que le bureau suisse n'avait aucune existence réelle et que l'entité monégasque, dépourvue de tout agrément et donc libre de tout contrôle, ne pouvait offrir la garantie que laissait supposer son implantation en Principauté.

Les prévenus ont ainsi sciemment reçu des fonds qu'ils savaient provenir des escroqueries commises à Monaco par Monsieur M. G. et consommé, ce faisant, le délit de recel qui leur est reproché.

Sur la peine :

Compte tenu de la gravité des délits commis au regard du mode opératoire adopté et de l'importance du préjudice financier causé aux victimes, une peine de 15 mois d'emprisonnement ferme sera prononcée à l'encontre de chacun des prévenus. Des mandats d'arrêt seront également décernés, en l'absence de toute garantie de représentation des intéressés en Principauté.

Sur l'action civile :

L'exercice de l'activité de la société R. & P. Ltd en Principauté et sans agrément, ainsi que les recels par Messieurs M. A. et A. F. R., des fonds provenant des escroqueries commises par Monsieur M. G., ont directement causé préjudice à Mesdames B et H, qui avaient respectivement confié 108 350 francs suisses et 981 000 deutsch marks à l'entreprise.

Compte tenu de la restitution partielle, en janvier 1999, de fonds initialement investis par les victimes, il convient de leur allouer, en réparation de leur préjudice, les soldes restant dus avec intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 1999 soit respectivement l'équivalent en euros de 37 850 francs suisses et 255 645,94 euros.

Mesdames B. et H. ont par ailleurs exposé des frais pour assurer la défense de leurs droits en justice. Compte tenu de l'importance, de la complexité et de la longueur de la procédure, chacune d'elle se verra allouée, à ce titre, une indemnité supplémentaire de 5 000 euros.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant contradictoirement,

Accueille Messieurs M. A. et A. F. R. en leur opposition, régulière en la forme ;

Et jugeant à nouveau,

Sur l'action publique,

Rejette les exceptions de nullité soulevées, hormis celles qui concernent les procès-verbaux de première comparution de Messieurs M. V. W. et M. G. ;

Prononce la nullité de ces procès-verbaux ainsi que des procès-verbaux d'audition ultérieurs de Messieurs M. V. W. et M. G. ;

Déclare Messieurs M. A. et A. F. R. coupables des délits d'exercice d'une activité financière sans autorisation et de recel d'escroqueries ;

En répression, faisant application des articles 1 à 30 de la loi n° 1194 du 9 juillet 1997, 330 et 339 du Code pénal, ainsi que de l'article 395 du Code de procédure pénale,

Les condamne chacun à la peine de quinze mois d'emprisonnement ;

Décerne mandat d'arrêt à leur encontre ;

Sur l'action civile,

Accueille Mesdames E. B. et H. H. épouse H. en leur constitution de partie civile ;

Les déclarants fondées en leur demande, condamne solidairement Messieurs M. A. et A. F. R. à leur payer les sommes respectives de 37 850 francs suisses et 255 645,94 euros à titre de dommages-intérêts ;

Condamne sous la même solidarité Messieurs M. A. et A. F. R. à payer à chacune de ces parties civiles une indemnité supplémentaire de 5 000 euros ;

Condamne, en outre, Messieurs M. A. et A. F. R. aux frais qui comprendront les droits prévus par l'article 63 de l'ordonnance souveraine n° 15.173 du 8 janvier 2002, avec distraction au profit de Maître Christine Pasquier-Ciulla, avocatdéfenseur, dont la présence est reconnue effective et nécessaire aux débats ;

Fixe au minimum la durée de la contrainte par corps ;

Composition🔗

M. Tastevin, v.-prés. ; M. Hars, subst. proc. gén. ; Mes Giaccardi, av. déf.

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