Tribunal correctionnel, 25 mars 1997, B. c/ Cts F.

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Abstract🔗

Procédure pénale

Oralité des débats (CPP, art. 389)

- Conclusions écrites non prescrites

Citation directe

- Nullité : invoquée à l'audience, avant toute défense au fond (CPP, art. 369, dernier al.)

Conclusions écrites avant les débats indifférentes

Dommages-intérêts : consécutifs à la nullité de la citation (CPP, art. 391, al. 2)

Diffamation

- Citation directe non conforme à l'article 63-7° de l'ordonnance du 3 juin 1910 sur la liberté de la presse

Résumé🔗

Aucune disposition du Code de procédure pénale ne prévoit ou n'organise le dépôt de conclusions écrites devant le tribunal correctionnel ; la procédure suivie devant cette juridiction est en effet soumise à la règle de l'oralité des débats, lesquels ne peuvent avoir lieu qu'à l'audience fixée pour l'évocation de l'affaire, conformément à l'article 389 du Code de procédure pénale.

La circonstance que des conclusions écrites aient pu être déposées antérieurement à cette date, est indifférente et ne saurait figer la chronologie des moyens évoqués devant la juridiction. Pour l'appréciation desdits moyens, devant intervenir en considération de la règle posée par l'article 369 dernier alinéa du Code de procédure pénale selon laquelle « les nullités de l'exploit sont couvertes si elles ne sont pas proposées avant toute défense au fond », seule doit être prise en compte la libre discussion des parties à l'audience.

En l'espèce, le conseil des prévenus, ayant expressément, lors des débats, invoqué en premier lieu le moyen tiré de la nullité de la citation directe, avant d'exposer les autres moyens contenus dans ses conclusions pour la défense des prévenus, la partie civile poursuivante ne saurait être suivie en sa prétention visant à faire juger que les nullités de l'exploit seraient couvertes faute d'avoir été proposées avant toute défense au fond ; en revanche les prévenus apparaissent recevables à soulever la nullité de l'exploit de citation directe.

Sur ce point, il y a lieu de constater que la citation délivrée par la partie civile, tant dans ses motifs que dans son dispositif, ne précise ni ne qualifie les faits délictueux que cette partie entend faire apprécier par le tribunal ; que la citation se borne d'abord à viser le texte de l'article 31 de l'ordonnance du 3 juin 1910 relatif à la diffamation qui définit celle-ci en général, sans citer notamment l'article 34 de ladite ordonnance relatif au délit de diffamation commise envers les particuliers, que la citation évoque ensuite l'article 307 du Code pénal relatif à la dénonciation calomnieuse, sans davantage énoncer les faits imputés aux prévenus de ce chef.

Ainsi conçue, cette citation ne satisfait ni aux dispositions de l'article 63-7° de l'ordonnance du 3 juin 1910 sur la liberté de la presse ni aux prescriptions de l'article 369-6° du Code de procédure pénale de sorte que la poursuite engagée par la partie civile doit être déclarée nulle.

Le tribunal tire de l'article 391, alinéa 2 sa compétence pour statuer sur la demande de dommages-intérêts présentée par les prévenus, dès lors que la nullité de la citation entraîne nécessairement l'irrecevabilité de l'action publique au sens de l'alinéa premier dudit article ; il n'est pas contestable que les personnes ayant été irrégulièrement attraites aux débats ont été contraintes d'exposer des frais pour assurer leur défense en justice ce qui les fonde à obtenir réparation de leur préjudice.


Motifs🔗

Le Tribunal

Attendu qu'aux termes de la citation susvisée du 11 novembre 1996 directement délivrée par I. B. aux époux F., la partie civile évoque une procédure d'information pour violences et voies de fait avec préméditation ayant abouti à un jugement de relaxe prononcé à son profit par ce tribunal le 11 mai 1993, devenu définitif à la suite d'un arrêt confirmatif, non frappé de pourvoi, de la Cour d'appel en date du 8 novembre 1993, et fait état des dispositions de l'article 31 de l'ordonnance du 3 juin 1910, relatif à la diffamation, ainsi que de l'article 307 du Code pénal, relatif au délit de dénonciation calomnieuse, pour solliciter du tribunal la condamnation de R. M. épouse F. et de R. F. à lui payer la somme de 300 000 francs à titres de dommages-intérêts par « application de la loi pénale », outre celle de 10 000 francs au titre de « frais irrépétibles » ;

Que cette partie civile a satisfait à la prescription édictée par l'article 77 du Code de procédure pénale après que la somme à consigner ait été arbitrée par le tribunal ;

Attendu qu'à l'audience du 4 février 1997 à laquelle la cause devait être évoquée, I. B. a sollicité et obtenu le renvoi de l'affaire au 11 mars 1997 pour lui permettre de répondre aux conclusions déposées par les prévenus le 4 février 1997, aux termes desquelles il est demandé au tribunal de déclarer l'action publique prescrite, subsidiairement d'entrer en voie de relaxe, plus subsidiairement encore de juger que la partie civile n'a subi aucun préjudice, enfin de la condamner à leur payer 150 000 francs de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Que des conclusions datées du 20 février 1997 ont été transmises au greffe du tribunal à cette date, par lesquelles I. B. déclare maintenir ses demandes et sollicite le bénéfice de son exploit de citation directe ;

Qu'à l'audience du 11 mars 1997 fixée pour les débats, les époux F. ont pris de nouvelles conclusions modificatives de leurs écrits antérieurs, en ce sens qu'ils demandent désormais au premier chef au tribunal de prononcer la nullité de la citation directe sur le fondement de l'article 369 du Code de procédure pénale et, à défaut, de leur allouer les demandes précédemment formulées ;

Que pour sa part, I. B., qui indique avoir eu connaissance de ces conclusions le 6 mars 1997, a également conclu sous la date du 10 mars 1997 pour contester le moyen de nullité soulevé - tardivement selon elle - par les prévenus ;

Que la partie civile fait valoir à cet égard que la citation critiquée mentionne expressément les dispositions de l'article 307 du Code pénal fondant la poursuite, que les prévenus ont d'ailleurs répondu à cette citation en invoquant la prescription du délit de dénonciation calomnieuse et ont pu utilement préparer leur défense, enfin, qu'à supposer qu'une nullité affecte l'exploit, elle serait couverte, par application du dernier alinéa de l'article 369 du Code de procédure pénale, du fait de la défense au fond d'ores et déjà mise en œuvre par les prévenus ;

Qu'elle demande au tribunal de déclarer la citation régulière, de juger que les époux F. ont eu parfaite connaissance des faits qui leur sont imputés et qu'ils y ont opposé une défense au fond par leurs conclusions du 4 février 1997 et de dire en conséquence que la nullité prétendue est désormais couverte ;

Que dans d'ultimes conclusions datées du 11 mars 1997, les époux F. sollicitent le bénéfice de leurs précédents écrits judiciaires ;

Sur quoi,

Attendu qu'aucune disposition du Code de procédure pénale ne prévoit ou n'organise le dépôt de conclusions écrites devant le tribunal correctionnel ;

Qu'il est constant en effet que la procédure suivie devant cette juridiction est soumise à la règle de l'oralité des débats, lesquels ne peuvent avoir lieu qu'à l'audience fixée pour l'évocation de l'affaire conformément à l'article 389 du Code de procédure pénale ;

Attendu, qu'en l'espèce, cette audience a été fixée au 11 mars 1997 ; qu'ainsi la circonstance que des conclusions écrites aient pu être déposées antérieurement à cette date est indifférente et ne saurait figer la chronologie des moyens évoqués devant la juridiction ;

Attendu que pour l'appréciation desdits moyens, devant intervenir en considération de la règle posée par l'article 369 dernier alinéa du Code de procédure pénale, seule doit être prise en compte la libre discussion des parties à l'audience ;

Attendu qu'en l'espèce, le conseil des prévenus, lors des débats, a expressément invoqué en premier lieu le moyen tiré de la nullité de la citation directe avant d'exposer les autres moyens contenus dans ses conclusions pour la défense des prévenus ;

Attendu en conséquence que la partie civile poursuivante ne saurait être suivie en sa prétention visant à faire juger que les nullités de l'exploit seraient couvertes faute d'avoir été proposées avant toute défense au fond ; qu'en revanche, les prévenus apparaissent recevables à soulever la nullité de l'exploit de citation directe ;

Attendu, sur ce point, qu'il y a lieu de constater que la citation délivrée par la partie civile, tant dans ses motifs que dans son dispositif, ne précise ni ne qualifie les faits délictueux que cette partie entend faire apprécier par le tribunal ; que la citation se borne d'abord à viser le texte de l'article 31 de l'ordonnance précitée qui définit la diffamation en général, sans citer notamment l'article 34 de ladite ordonnance relatif au délit de diffamation commise envers les particuliers ;

Que la citation évoque ensuite l'article 307 du Code pénal sans davantage énoncer les faits imputés aux prévenus de ce chef ;

Attendu qu'ainsi conçue, cette citation ne satisfait ni aux dispositions de l'article 63-7° de l'ordonnance du 3 juin 1910 sur la liberté de la presse ni aux prescriptions de l'article 369-6° du Code de procédure pénale ;

Attendu que par application de ces dispositions, la poursuite engagée par la partie civile I. B. doit être déclarée nulle ;

Attendu que le tribunal tire de l'article 391, alinéa 2, sa compétence pour statuer sur la demande de dommages-intérêts présentée par les prévenus, dès lors que la nullité de la citation entraîne nécessairement l'irrecevabilité de l'action publique au sens de l'alinéa premier dudit article ;

Attendu que les époux F. ayant été irrégulièrement attraits aux débats, il n'est pas contestable qu'ils ont été contraints d'exposer des frais pour assurer leur défense en justice ;

Qu'au regard de l'abus de procédure ainsi commis par I. B. et du préjudice qui en est nécessairement résulté pour ses adversaires, ceux-ci apparaissent fondés à obtenir, à titre de réparation, des dommages-intérêts que le tribunal est en mesure de fixer, compte tenu des éléments d'appréciation dont il dispose, à la somme de 5 000 francs ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

statuant contradictoirement,

Prononce avec toutes conséquences de droit la nullité de l'exploit de citation du 11 novembre 1996 servant de base à la poursuite directement engagée par la partie civile ;

Condamne I. B. à payer à R. et R. F. la somme de 5 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Composition🔗

M.M. Narmino, prés. ; Auter, subst. proc. gén. ; Mes Blot, Brugnetti, av. déf. ; Berdah et Gorra, av. bar. de Nice.

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