Tribunal correctionnel, 11 février 1997, Ministère public, D. c/ G.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Abandon de famille

Compétence : Tribunal correctionnel de Monaco

- Si la victime demeure à Monaco : article 296, dernier alinéa, du Code pénal

Si l'auteur demeure à Monaco : article 21 du Code de procédure pénale

Résumé🔗

Si le dernier alinéa de l'article 296 du Code pénal institue au profit de la victime d'un abandon de famille, demeurant en Principauté, une règle de compétence particulière au regard du droit commun lui permettant de saisir la juridiction de son lieu de résidence ou de domicile, cette règle de prorogation de compétence - inopérante en l'espèce puisque la victime est domiciliée en France - ne fait pas pour autant disparaître le principe édicté par l'article 21 du Code de procédure pénale, réservant aux tribunaux monégasques la connaissance des infractions commises sur le territoire de la Principauté.

L'un des éléments constitutifs du délit complexe d'abandon de famille étant caractérisé par l'abstention volontaire résultant du défaut de paiement, pendant plus de deux mois, du débiteur de la pension, une telle abstention se trouve nécessairement localisée à Monaco, dès lors qu'il est établi que celui-ci y a son domicile et le centre de ses affaires, durant la période visée par la prévention.


Motifs🔗

Le Tribunal

Attendu que G. G. est poursuivi correctionnellement sous la prévention :

D'être à Monaco, depuis juin 1994 jusqu'au 26 février 1996, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, en méconnaissance du jugement du Tribunal de première instance de Monaco en date du 7 novembre 1991 l'ayant condamné à payer à J. D. la somme de 12 000 francs à titre de pension alimentaire et celle de 8 000 francs à titre de part contributive à l'entretien et l'éducation des deux enfants, soit 4 000 francs par enfant, volontairement demeuré plus de deux mois sans acquitter le montant intégral de ces pensions,

Délit prévu et réprimé par l'article 296 du Code pénal " ;

Attendu qu'à l'audience du premier appel de la cause, J. D. s'est régulièrement constituée partie civile et, relevant que G. G., déjà condamné pour des faits similaires par le Tribunal correctionnel de Monaco, persiste à mépriser les décisions de justice monégasque en réglant des montants inférieurs à ceux dont il est tenu, demande la condamnation du prévenu à lui payer 40 000 francs à titre de dommages-intérêts outre la somme de 10 000 francs par application de l'article 475, alinéa 1 du Code de procédure pénale.

Que ces demandes ont été réitérées par la partie-civile selon conclusions du 3 décembre 1996 ;

Attendu que, pour sa part, G. G. conclut à l'incompétence de ce Tribunal au profit du Tribunal correctionnel de Grasse et, subsidiairement, sollicite qu'il soit sursis au prononcé du jugement jusqu'à la décision à intervenir du magistrat du Tribunal de grande instance de Grasse qu'il a saisi d'une demande en diminution de la pension alimentaire versée à son ex-épouse ;

Qu'au soutien de ses prétentions, G. G. fait valoir que l'article 296 du Code pénal institue une compétence spéciale, dérogatoire au droit commun, qui permet au Tribunal de connaître du délit d'abandon de famille lorsque le bénéficiaire de la pension a sa résidence ou son domicile à Monaco ; qu'il observe, en l'espèce, que la partie civile est domiciliée en France ;

Qu'en ce qui concerne la compétence qui pourrait résulter de l'article 21 du Code de procédure pénale, G. G. prétend être lui-même domicilié en France à Saint-Martin-du-Var ainsi que l'établiraient les pièces qu'il produit aux débats ; qu'il en déduit qu'il ne saurait avoir commis le délit poursuivi sur le territoire monégasque ; qu'enfin, il invoque le privilège de juridiction édicté au profit des Français par les articles 14 et 15 du Code civil français ;

Sur l'action publique :

Attendu, ainsi que le Tribunal a été conduit à l'énoncer dans son précédent jugement du 25 octobre 1994 ayant opposé les mêmes parties et que la Cour d'appel l'a également jugé, que si le dernier alinéa de l'article 296 du Code pénal institue au profit de la victime demeurant en Principauté une règle de compétence particulière au regard du droit commun lui permettant de saisir la juridiction de son lieu de résidence ou de domicile, cette règle de prorogation de compétence ne fait pas pour autant disparaître le principe édicté par l'article 21 du Code de procédure pénale réservant aux tribunaux monégasques la connaissance des infractions commises sur le territoire de la Principauté ;

Attendu, alors que les articles 14 et 15 du Code civil français n'ont vocation à s'appliquer qu'en matière civile et son dès lors inopérants en la cause, qu'il appartient au Tribunal de rechercher si G. G. a commis à Monaco le délit d'abandon de famille qui lui est reproché ;

Attendu que l'un des éléments constitutifs du délit complexe d'abandon de famille est caractérisé par l'abstention volontaire résultant du défaut de paiement du débiteur de la pension ;

Qu'une telle abstention sera nécessairement localisée à Monaco si le débiteur y a son domicile et le centre de ses affaires ;

Attendu à cet égard qu'il résulte du rapport d'enquête du 13 janvier 1997 soumis au contradictoire des parties que G. G. est établi en Principauté depuis 1970, avec une interruption de 1981 à 1984 ; qu'il a en particulier obtenu depuis cette date des titres de séjour régulièrement renouvelés ;

Qu'il est remarquable de constater qu'il a encore entrepris, au mois de juin ou juillet 1996, des démarches en vue d'être autorisé à continuer à séjourner à Monaco, en affirmant nécessairement y habiter de façon permanente tandis qu'il a déclaré sa villa de Saint-Martin-du-Var comme résidence secondaire ; qu'il a par ailleurs obtenu, après l'enquête d'usage, une nouvelle carte de séjour de résident ordinaire valable du 24 juillet 1996 au 27 juin 1999 ;

Qu'il n'est pas contesté par ailleurs que ses affaires commerciales sont installées à Monaco ;

Attendu qu'il résulte de ces éléments que durant la période visée par la prévention G. G. était bien domicilié à Monaco, en sorte que l'abstention volontaire ci-dessus évoquée s'est nécessairement réalisée à Monaco ;

Qu'il est constant en effet que G. G. s'est contenté au cours de cette période d'adresser à son ex-épouse la somme mensuelle de 15 000 francs de juin 1994 à décembre 1995, puis a réduit unilatéralement sa contribution à la somme de 7 000 francs pour les mois de janvier et février 1996, le Tribunal observant que le juge aux affaires matrimoniales du tribunal de grande instance de Grasse, dans une décision récente rendue le 24 octobre 1996 a maintenu l'essentiel de la pension revenant à la partie civile (10 000 francs par mois) sans se prononcer, faute d'être saisi sur ce point, sur la part contributive de l'enfant encore mineur ;

Attendu que ce faisant, G. G., qui n'établit pas au regard en particulier des pièces produites et des motifs retenus par le magistrat du Tribunal de grande instance de Grasse dans sa décision - que le défaut de paiement intégral de la pension ne serait pas volontaire de sa part, apparaît s'être rendu coupable du délit retenu à son encontre ;

Attendu qu'il y a donc lieu de lui faire application de la loi pénale en tenant compte, toutefois, des circonstances atténuantes existant en la cause et de ce qu'il est en mesure de bénéficier du sursis simple ;

Sur l'action civile :

Attendu que la partie civile apparaît recevable et fondée à obtenir réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la privation de sommes dont elle était en droit de disposer aux dates prévues par la décision de justice ;

Qu'au regard des éléments suffisants d'appréciation dont le Tribunal dispose à cet égard, il y a lieu d'indemniser ce préjudice par l'allocation de dommages-intérêts devant être fixés à la somme de 20 000 francs ;

Cour d'appel correctionnelle

Audience du 26 mai 1997

La Cour statue sur les appels interjetés les 20 et 21 février 1997 par G. G. et le Ministère public, d'un jugement du Tribunal correctionnel du 11 février 1997 qui a condamné G. G. à la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis pour abandon de famille.

Les faits et la procédure, peuvent être ainsi résumés :

Par jugement du Tribunal de première instance du 7 novembre 1991, G. G. a été condamné à payer à J. D. la somme de 12 000 francs à titre de pension alimentaire et celle de 8 000 francs au titre de sa part contributive à l'entretien et l'éducation des deux enfants, D. né le 5 septembre 1977 et J. né le 10 décembre 1979.

Par plainte en date du 26 février 1996, Mme D. faisait valoir que malgré un jugement du Tribunal correctionnel du 25 octobre 1994 ayant condamné son ex-mari à 5 000 francs d'amende pour abandon de famille, ce dernier n'avait pas changé d'attitude, effectuant des paiements irréguliers et incomplets de telle sorte qu'il lui devait la somme de 272 000 francs.

Entendu le 18 mars 1996, G. G. déclarant résider au [adresse], reconnaissait devoir à Mme D. :

- pour novembre 1991 à avril 1994 127 000 F

- pour mai à décembre 1996 40 000 F

- pour 1995 60 000 F

- pour janvier à mars 1996 27 000 F

------

F

- solde jugement de divorce 25 000 F

- dommages-intérêts 20 000 F

------

soit au total............................................. 299 000 F

G. G. indiquait que son fils D. était devenu majeur le 5 septembre 1995.

Poursuivi du chef d'abandon de famille pour la période allant de juin 1994 au 26 février 1995, G. G. concluait à l'incompétence du Tribunal correctionnel et sollicitait à titre subsidiaire qu'il soit sursis à statuer jusqu'à la décision du juge des affaires familiales du tribunal de Grasse saisi d'une demande en diminution de la pension alimentaire.

Par jugement du 11 février 1997, le Tribunal correctionnel s'est déclaré compétent et a condamné G. G. à la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis et alloué à Mme D., partie civile, la somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts.

l'audience du 28 avril 1997, le Ministère public a requis la confirmation du jugement entrepris en soulignant que le prévenu était domicilié à Monaco où se trouvait le centre de ses affaires, celui-ci étant commerçant, et que par conséquent un élément constitutif de l'infraction au moins avait été réalisé en Principauté.

Le prévenu a, quant à lui, fait plaider que les juridictions monégasques étaient incompétentes, son ex-épouse et lui-même étant domiciliés en France et la pension alimentaire étant portable : en définitive, selon ce dernier, le délit a été commis en France et non à Monaco.

Enfin, G. G. précise qu'il ne peut plus payer.

Sur ce,

Sur l'exception d'incompétence :

Considérant que lors de son audition du 18 mars 1996 par les services de police, G. G. a déclaré être domicilié à [adresse] ;

Considérant, par ailleurs, que cette même adresse figure sur les relevés de compte fournis par ce dernier pour justifier ses paiements à son ex-épouse ;

Qu'à sa demande, il a obtenu une carte de résident ordinaire valable du 24 juillet 1996 au 27 juin 1999 ;

Considérant que G. G. ne conteste pas devoir à son ex-épouse la somme de 299 000 francs correspondant à des non-paiements de pension alimentaire et de sa part contributive à l'entretien de ses enfants pour la période allant de novembre 1991 à mars 1996 ;

Considérant que l'abstention volontaire de paiement, qui constitue l'un des éléments du délit d'abandon de famille au sens de l'article 21 in fine du Code de procédure pénale, a donc été accomplie en Principauté ;

Considérant que les dispositions de l'article 296 in fine du Code pénal qui donnent compétence à la juridiction de la résidence ou du domicile du crédirentier ne concernent pas le créancier domicilié à l'étranger, étant observé au surplus que cette attribution de compétence ne présente pas un caractère exclusif, les règles édictées par les articles 21 et suivants du Code de procédure pénale demeurant applicables ;

Sur le fond :

Considérant que G. G. ne peut valablement prétendre avoir été dans l'impossibilité de faire face à ses obligations alors que le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Grasse, saisi d'une demande de réduction de la pension alimentaire de 12 000 francs à 3 000 francs, a fixé par ordonnance du 24 octobre 1996 ledit montant à la somme de 10 000 francs, rejetant en cette occasion la plupart des arguments de M. G. et constatant que ce dernier était propriétaire, par le biais de la SCI Sri Lanka de deux appartements situés [adresse] ;

Considérant qu'il apparaît que la situation financière de G. G. n'est pas aussi obérée qu'il le prétend, et même s'il a interjeté appel de cette ordonnance du 24 octobre 1996 ;

Que dans ces conditions, en condamnant le susnommé à la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis, les premiers juges ont fait une exacte appréciation des faits de la cause, étant observé que G. G. a déjà été condamné pour des faits similaires le 25 octobre 1994 par le Tribunal correctionnel de Monaco ;

Qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions :PAR CES MOTIFS

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco, statuant en matière correctionnelle,

- confirme le jugement du 11 février 1997 en toutes ses dispositions.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal, statuant contradictoirement,

Se déclarant compétent,

- Sur l'action publique :

Déclare G. G. coupable du délit d'abandon de famille qui lui est reproché ;

En répression, faisant application des articles 296, 392 et 393 du Code pénal et 21 du Code de procédure pénale,

Le condamne à la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal ayant été adressé au condamné ;

- Sur l'action civile,

Reçoit J. D. en sa constitution de partie civile ;

La déclarant partiellement fondée en sa demande, condamne G. G. à lui payer la somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Condamne, en outre, G. G. aux frais qui comprendront les droits prévus par l'article 63 de l'ordonnance souveraine n° 8361 du 29 juillet 1985 avec distraction au profit de Maître Blot, avocat-défenseur, dont la présence est reconnue effective et nécessaire aux débats ;

Fixe au minimum la durée de la contrainte par corps ;

Composition🔗

MM. Narmino, prés. ; Baudoin subst. proc. gén. ; Mes Blot, av. déf. ; Musara, av. ; Carlotti-Vangioni, av. bar. de Nice

MM. Sacotte, prem. prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Me Vezzani, av.

Note🔗

NOTE : Ce jugement a été confirmé par arrêt de la Cour d'appel correctionnelle du 26 mai 1997, ci-dessous publié.

  • Consulter le PDF