Tribunal correctionnel, 4 février 1997, Ministère public c/ B., épouse D. C.

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Abstract🔗

Dénonciation calomnieuse

Preuve de l'inexactitude des faits dénoncés

- Classement sans suite insuffisant

Plainte susceptible d'entraîner des poursuites pénales

Résumé🔗

En l'état des dispositions de l'article 307 du Code pénal, la décision du Parquet général par laquelle il s'est abstenu d'engager des poursuites pénales à l'encontre d'une personne objet d'une plainte, du chef de coups et blessures volontaires, est insuffisante à caractériser la fausseté des faits dénoncés par la plaignante ; il s'ensuit qu'il y a lieu d'apprécier lesdits faits, avant de statuer sur le délit de dénonciation calomnieuse reproché à la prévenue.

En dénonçant des faits qu'elle savait inexacts, dès lors qu'elle n'a pas fait l'objet de la part de la personne dénoncée de prétendues violences volontaires, la plaignante apparaît avoir agi de mauvaise foi et s'est rendue coupable du délit de dénonciation calomnieuse, en exposant la personne visée par sa plainte, à des poursuites pénales.


Motifs🔗

Le Tribunal

Attendu qu'aux termes d'une ordonnance de M. le magistrat instructeur, en date du 18 septembre 1996, P. B. épouse De C. a été renvoyée par devant le Tribunal correctionnel, sous la prévention :

« D'avoir à Monaco, le 23 septembre 1991, fait une dénonciation calomnieuse contre M. L. aux officiers de police judiciaire de la Sûreté publique de Monaco,

en l'espèce en dénonçant mensongèrement celle-ci comme étant l'auteur de coups et violences commis sur sa personne,

Faits prévus et réprimés par l'article 307 du Code pénal » ;

Attendu qu'à l'audience M. L. s'est régulièrement constituée partie civile et a demandé au Tribunal par l'intermédiaire de son conseil Maître Lions, avocat, que la prévenue soit condamnée à lui payer la somme de 200 000 francs à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondues ;

Qu'elle a confirmé sa demande en cours de délibéré ;

Attendu que cette constitution de partie civile est régulière en la forme et qu'il y a lieu de l'accueillir ;

  • Sur l'action publique :

Attendu qu'il résulte de l'enquête, de l'information et des débats qu'à la suite d'une altercation survenue le 23 septembre 1991 vers 10 heures sur les lieux de son travail, P. B. épouse De C., après avoir alerté les services de police, a déposé plainte contre M. L., dirigeante de la société auprès de laquelle elle était employée depuis dix ans, pour coups et violences sur sa personne ayant entraîné dix jours d'hospitalisation et une incapacité temporaire de travail de trente jours ;

Qu'au vu de l'enquête à laquelle il a été procédé consécutivement à cette plainte, le procureur général a notifié à P. B. épouse De C. le 13 novembre 1991 sa décision de classement sans suite de cette affaire dans les termes ci-après :

« ... En l'état du dossier, je n'entends pas prendre l'initiative des poursuites pénales ; (P. De C.) peut se constituer partie civile avec le ministère d'avocat devant le juge d'instruction pour qu'une suite pénale soit donnée à sa plainte... »

M. L., estimant avoir fait l'objet d'une dénonciation calomnieuse, a déposé plainte contre P. B. épouse De C. pour ce motif auprès du magistrat instructeur le 2 juillet 1993, en se constituant partie civile ;

À l'issue de l'information, le juge d'instruction, après avoir énoncé dans son ordonnance du 18 septembre 1996 que la décision de classement sans suite prise par le Parquet général n'a pas eu pour effet d'établir irrévocablement la fausseté des violences alléguées, s'est fondée toutefois sur le témoignage de l'employée T. M. pour retenir qu'aucun coup n'aurait été porté à P. B. épouse De C. le 23 septembre 1991, ce qui caractériserait la fausseté des violences alléguées ; P. B. épouse De C. a en conséquence été renvoyée devant la juridiction de jugement ;

Attendu, sur ce, qu'en l'état des dispositions de l'article 307 du Code pénal, la décision du Parquet général par laquelle il s'est abstenu d'engager des poursuites pénales à l'encontre de M. L. du chef de coups et blessures volontaires est insuffisante à caractériser la fausseté des faits dénoncés par P. B. épouse De C. ; qu'il s'ensuit qu'il y a lieu d'apprécier lesdits faits avant de statuer sur le délit de dénonciation calomnieuse reproché à la prévenue ;

Attendu que les faits survenus le 23 septembre 1991 ont consisté, selon P. B. épouse De C., en des actes de violence commis sur sa personne par M. L. qui lui aurait porté un violent coup de poing à l'oreille droite, la faisant de ce fait chuter sur un trépied qu'elle aurait heurté violemment de son oreille gauche avant de perdre connaissance ;

Que pour sa part, M. L. a dénié ces allégations, en expliquant avoir répliqué à des propos diffamatoires de P. B. épouse De C. en la saisissant de ses deux mains au niveau des épaules ; qu'elle affirme que P. B. épouse De C. s'est alors dégagée et après avoir reculé de sa propre initiative, s'est laissée tomber en arrière de tout son poids sur le sol ;

Attendu que l'information a révélé qu'une employée a été témoin direct des faits dénoncés ; qu'ainsi, T. M. a déclaré avoir vu d'abord M. L. saisir P. B. épouse De C. aux épaules et la secouer, puis celle-ci se libérer, reculer de quelques pas et se laisser volontairement tomber en arrière en disant « je m'évanouis » ; que ce témoin a ultérieurement confirmé que M. L. n'avait porté aucun coup ni n'avait poussé P. B. épouse De C., laquelle a pris soin d'éviter de heurter une petite table en reculant avant de se jeter en arrière sur le sol en disant « ça y est, c'est fait » ;

Que par ailleurs, le brigadier chef M. qui est intervenu sur les lieux peu après les faits, a remarqué que P. B. épouse De C. qui l'interpellait en sortant du commerce, ne présentait aucune trace de coup visible bien que lui ayant demandé de constater la marque de coups qu'elle prétendait avoir reçus sur sa cuisse gauche ;

Attendu qu'au regard de ces circonstances et malgré les certificats médicaux produits à la procédure - dont les termes ne permettent pas de caractériser la constatation de blessures en relation certaine avec l'altercation -, il est acquis à la conviction du Tribunal que les faits, tels que dénoncés par P. B. épouse De C., ne reflètent pas la réalité ; qu'ils doivent dès lors être déclarés faux, le Tribunal relevant dans les déclarations de la prévenue des contradictions, variations ou incohérences accréditant l'idée d'une mise en scène de sa part ; qu'ainsi, elle n'a à aucun moment fait état, dans sa relation des faits, de coups portés à sa cuisse - seul le fonctionnaire de police M. l'ayant entendue se plaindre, gestes à l'appui, de traces de coups sur sa cuisse gauche - mais a produit aux débats des photographies révélant des hématomes visibles sur sa cuisse droite et sur un bras ; que par ailleurs, elle a déclaré avoir « vomi du sang » après s'être précipitée dehors pour appeler l'agent au secours, ce que le brigadier chef M. n'a pas constaté ;

Attendu qu'en dénonçant des faits qu'elle savait inexacts, dès lors qu'elle n'a pas fait l'objet de la part de M. L. du coup de poing dont elle prétend avoir été victime, P. B. épouse De C. apparaît avoir agi de mauvaise foi et s'est rendue coupable du délit de dénonciation calomnieuse en exposant M. L. à des poursuites pénales ;

Qu'il y a lieu dès lors de lui faire application de la loi pénale, en tenant compte, cependant, des circonstances atténuantes existant en la cause ;

  • Sur l'action civile :

Attendu que M. L., régulièrement constituée partie civile au cours de l'information, a fait plaider que les agissements de P. B. épouse De C. ont eu de graves conséquences, en particulier sur le plan pécuniaire ; qu'elle mentionne à cet égard la décision du Tribunal du Travail intervenue le 10 décembre 1992 ayant retenu que l'employeur ne rapportait pas la preuve de la faute grave invoquée au soutien du licenciement (la plainte infondée pour coups et blessures) pour octroyer plus de 98 000 francs d'indemnités et dommages-intérêts à P. B. épouse De C. ;

Que M. L. poursuit en conséquence la condamnation de P. B. épouse De C. à lui payer la somme de 200 000 francs à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues ;

Attendu qu'il n'est pas contestable que les agissements dont la prévenue a été reconnue coupable ont occasionné à la partie civile un préjudice matériel et moral ;

Qu'en ce qui concerne le préjudice matériel, il est constant que M. L. s'est trouvée contrainte d'engager des frais pour faire valoir ses droits dans la présente procédure, tout en consacrant du temps au long de l'information pour la mise en œuvre et l'aboutissement de sa plainte avec constitution de partie civile ;

Que sur le plan moral, M. L. apparaît avoir été injustement dénoncée, ce qui n'a pu que la discréditer auprès de ses autres employées ; qu'elle a dû subir en outre une décision défavorable de la juridiction du travail, alors qu'elle pourrait aujourd'hui se prévaloir de motifs valables de licenciement et invoquer la faute grave de son ancienne salariée ;

Attendu qu'au regard de ces circonstances, le Tribunal estime disposer des éléments suffisants d'appréciation pour évaluer à 50 000 francs le montant des dommages-intérêts auxquels P. B. épouse De C. doit être condamnée en réparation du préjudice occasionné à M. L. ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal

statuant contradictoirement,

  • Sur l'action publique :

Déclare P. B. épouse De C. coupable du délit qui lui est reproché ;

En répression, faisant application des articles 307 et 392 du Code pénal,

La condamne à la peine de cinq mille francs d'amende ;

  • Sur l'action civile :

Accueille M. L. en son action civile ;

Déclare P. B. épouse De C. responsable du préjudice occasionné à la partie civile et tenue de le réparer ;

La condamne à payer à M. L. la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Condamne, en outre, P. B. épouse De C. aux frais ;

Fixe au minimum la durée de la contrainte par corps ;

Composition🔗

M.M. Narmino, prés. ; Auter, subst. proc. gén. ; Me Licari, av.

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