Cour supérieure d'arbitrage, 11 juillet 1988, Syndicat des employés de bureau c/ Chambre immobilière monégasque
Abstract🔗
Convention collective
Différend portant sur une négociation tendant à l'élaboration d'une convention collective. Caractère de conflit collectif (oui). Compétence des arbitres. Étendue de cette compétence : absence de limites légales.
Résumé🔗
Un différend survenu à l'occasion de l'élaboration d'une convention collective entre deux parties représentatives de syndicats d'employeurs et de salariés, quelle que soit l'étendue de leur désaccord, et alors même qu'il n'existe pas entre elles de convention collective spécifique régissant leurs rapports, constitue par son objet et l'intérêt collectif qu'il présente pour ces parties un conflit collectif du travail justiciable comme tel de la procédure de conciliation et d'arbitrage instituée par la loi n° 473 modifiée du 4 mars 1948.
C'est donc à bon droit que les arbitres se sont déclarés compétents en relevant expressément dans les motifs de leur sentence qu'ils ne se reconnaissaient pas le pouvoir de se substituer aux parties pour rédiger une convention collective ni leur imposer une sentence en tenant lieu.
Cependant, il appartient aux arbitres statuant en équité et dont les pouvoirs ne sont pas limités par la loi, d'instruire le différend à l'effet d'en circonscrire les termes au contradictoire des parties et d'établir sur les points demeurés litigieux un règlement équitable des conditions de travail dans le respect des droits mutuels des parties en vue de maintenir entre elles, au voeu de la loi, un climat de collaboration.
Aussi tout en se déclarant compétents mais en renvoyant les parties à négocier et à conclure une convention collective les arbitres ont méconnu les limites de leur compétence et violé ainsi les articles 1 et 8 de la loi d'ordre public n° 473 du 4 mars 1948.
Motifs🔗
La Cour supérieure d'arbitrage,
Vu la sentence arbitrale en date du 9 juin 1988 relative au conflit opposant le Syndicat des employés de bureau à la Chambre immobilière monégasque (Syndicat patronal monégasque des agents immobiliers) sur le différend ainsi précisé :
« Les points sur lesquels, au cours des négociations intervenues dans le secteur professionnel des agences immobilières en vue de l'élaboration d'une convention collective, les parties n'ont pu arriver à un accord, ainsi qu'il résulte des procès-verbaux de la Commission paritaire, établis par l'inspecteur du travail » ;
Vu le procès-verbal de non-conciliation dressé le 15 janvier 1988,
Vu la requête formant recours contre ladite sentence déposée le 17 juin 1988 par Monsieur J. B. mandaté par la Chambre immobilière monégasque, ladite requête tendant à ce qu'il plaise à la Cour annuler la sentence attaquée et ce pour incompétence du collège arbitral par violation :
de l'article 5 du Code civil : en ce que, en retenant sa compétence pour connaître d'une situation ayant trait à l'élaboration d'une convention collective, il a enfreint l'interdiction faite aux juges de prononcer par voie de disposition générale et de règlement sur les causes qui leur sont soumises ;
par fausse application : de la loi n° 473 modifiée du 4 mars 1948 relative à la conciliation et à l'arbitrage des conflits collectifs du travail et spécialement ses articles 1 et 8 et de l'article 963 du Code civil : en ce que la procédure prévue par la loi n° 473 ne saurait s'appliquer à l'établissement d'une convention collective hors le consentement des parties, que le défaut d'accord au terme de discussions exploratoires ne peut être assimilé à un conflit collectif, qu'au surplus n'étaient pas réunies les conditions nécessaires à la validité de toute convention et que l'absence de référence conventionnelle antérieure excluait toute compétence des arbitres en la matière ;
des dispositions de l'article 12 de la loi n° 416 modifiée du 7 juin 1945 sur les conventions collectives de travail : en ce que le législateur, s'il a souhaité le développement des relations contractuelles de travail, n'a prescrit à cette fin que la constitution de commissions paritaires mixtes en vue de la conclusion de conventions collectives et d'une éventuelle consultation du Conseil économique mais n'a pas prévu de moyens coercitifs pour y parvenir et encore moins la saisine d'une juridiction ;
Vu le mémoire en réponse signé par Monsieur A. F., secrétaire général du Syndicat des employés de bureau, tendant à ce qu'il plaise à la Cour rejeter le pourvoi ;
Vu les pièces jointes à la requête formant recours ;
Ouï Monsieur Jean-Philippe Huertas, président, en son rapport ;
Ouï Monsieur B., au nom de la Chambre immobilière monégasque et Monsieur S. pour le Syndicat des employés de bureau ;
Ouï Monsieur le Procureur général, s'en étant rapporté à la justice ;
Vu la loi n° 473 modifiée du 4 mars 1948 et l'ordonnance souveraine n° 3916 du 12 décembre 1967 ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen d'incompétence pris en ses trois branches :
Considérant que le pourvoi fait grief aux arbitres d'avoir, à tort, retenu leur compétence alors que :
le non-aboutissement de négociations en vue de l'élaboration d'une convention collective ne pouvait constituer un conflit collectif du travail entre des parties qui n'étaient pas liées par une convention collective antérieure et n'étaient parvenues sur aucun point à un accord librement et valablement souscrit ;
une convention collective étant d'essence purement contractuelle, ils n'avaient pas le pouvoir de se substituer aux parties pour procéder à son établissement ;
Mais considérant que le différend survenu à l'occasion de l'élaboration d'une convention collective entre deux parties représentatives de collectivités organisées et reconnues d'employeurs et de salariés, quelle que soit l'étendue de leur désaccord et alors même qu'il n'existait pas entre elles de convention collective spécifique régissant leurs rapports, constitue incontestablement, par son objet et l'intérêt collectif qu'il présente pour ces parties, un conflit collectif du travail justiciable comme tel de la procédure de conciliation et d'arbitrage instituée par la loi n° 473 modifiée du 4 mars 1948 ;
Considérant, d'autre part, sur le second grief, que les arbitres ont expressément relevé dans les motifs de la sentence qu'ils ne se reconnaissaient pas le pouvoir de se substituer aux parties pour rédiger une convention collective ni leur imposer une sentence en tenant lieu ; que dès lors le moyen manque en fait ;
Considérant qu'il suit que les arbitres, sans violer pour les motifs invoqués aucune des dispositions visées aux moyens, se sont à bon droit déclarés compétents ;
Sur le moyen relevé d'office, et par motifs substitués, de la violation des articles 1 et 8 de la loi n° 473 modifiée du 4 mars 1948 :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 416 modifiée du 7 juin 1945 les conventions collectives de travail sont des contrats qui fixent les engagements pris par chacune des parties envers l'autre ; qu'ainsi elles impliquent pour leur conclusion un accord de volonté des deux contractants et que si, à défaut d'entente, le ministre d'État ou son représentant a qualité, en application de l'article 12 de la loi, pour intervenir aux fins d'aider à la solution du différend, il ne saurait se substituer aux parties pour l'établissement de la convention débattue ; que celles-ci peuvent recourir à l'arbitrage alors même que la procédure prévue par l'article 12 n'aurait pas été épuisée ;
Considérant en effet que la loi n° 473 précitée a entendu, dans l'intérêt de la paix sociale, soumettre obligatoirement à la procédure de conciliation et d'arbitrage qu'elle a instaurée tous les conflits collectifs du travail sans exception dès lors qu'ils ne peuvent être résolus soit amiablement soit par application des conventions collectives ; que le présent conflit, intervenu entre un syndicat patronal et un syndicat de salariés à l'occasion de négociations destinées à l'élaboration d'une convention collective, et dont le caractère de conflit collectif a ci-avant été reconnu, ne pouvait être résolu par la procédure de l'article 12 de la loi n° 416 ;
Considérant qu'il appartenait en conséquence aux arbitres, statuant en équité et dont les pouvoirs ne sont pas limités par la loi, d'instruire le différend à l'effet d'en circonscrire les termes au contradictoire des parties et d'établir sur les points demeurés litigieux un règlement équitable des conditions de travail dans le respect des droits mutuels des parties en vue de maintenir enter elles, au vœu de la loi, un climat de collaboration ;
Considérant, dès lors, que tout en se déclarant compétents mais en renvoyant les parties à négocier et à conclure une convention collective les arbitres ont méconnu les limites de leur compétence et violé ainsi les articles 1 et 8 de la loi d'ordre public n° 473 du 4 mars 1948 ;
Qu'il y a lieu de prononcer l'annulation de la sentence arbitrale mais seulement en ce qui concerne les numéros 2 et 3 de son dispositif et de renvoyer les parties à poursuivre l'arbitrage ouvert par arrêté ministériel n° 88-146 du 15 mars 1988 et prorogé par arrêté n° 88-263 du 24 mai suivant, ce en vertu des dispositions de l'article 13, avant-dernier alinéa, de la loi n° 473 ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
Sur le moyen soulevé d'office,
Casse et annule la sentence arbitrale du 9 juin 1988 mais seulement en ce qui concerne les numéros 2 et 3 de son dispositif ;
Renvoie les parties devant les arbitres pour être statué sur le fond ;
Composition🔗
MM. Huertas, prés. et rap. ; B. et S. représentant ces deux syndicats) ;