Cour supérieure d'arbitrage, 11 janvier 1978, Personnel c/ Direction Société anonyme monégasque Printania

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Abstract🔗

« Le criminel tient le civil en état »

Application du principe à la Cour supérieure d'arbitrage (non).

Sentence arbitrale

Modification par une convention collective (oui). Modification par des accords verbaux réitérés auxquels auraient participé les délégués du personnel (non).

Résumé🔗

Le principe selon lequel « le criminel tient le civil en état » n'est pas applicable en raison du caractère particulier du droit social, au niveau de la solution d'un conflit collectif du travail, par rapport au droit civil.

Une sentence arbitrale non frappée de recours a la même force exécutoire qu'une convention collective ; elle peut être abandonnée ou modifiée par une convention collective légalement intervenue, mais non par des accords verbaux, même répétés, concernant plusieurs catégories de salariés et auxquels auraient participé des délégués du personnel.


Motifs🔗

La Cour supérieure d'arbitrage,

Vu la sentence arbitrale en date du 12 décembre 1977, relative au conflit opposant la Direction de la Société Anonyme Monégasque Printania au personnel de cet établissement, sentence rendue par MM. R. B., commerçant, L. C., contrôleur général des dépenses, et A. M., premier clerc de notaire, arbitres désignés par l'arrêté ministériel n° 77-260 du 23 juin 1977 ;

Vu le procès-verbal de non-conciliation du 17 mai 1977 définissant, par la demande de la direction, l'objet du conflit : « Consécration par une sentence arbitrale du régime en vigueur des salaires, primes et avantages du personnel de la S.A.M. Printania, compte tenu de la grille des salaires par catégorie, tel qu'il est appliqué dans les contrats individuels, et ce sans autre référence que les dispositions de l'arrêté ministériel n° 63-131 du 21 mai 1963, et compte tenu des circonstances économiques et concurrentielles » ;

Vu la requête formant recours contre la sentence, déposée le 19 décembre 1977 par la direction, ayant Me J.-C. Marquet comme avocat-défenseur, tendant à l'annulation de ladite sentence sur un moyen unique présenté en trois branches, en ce que les arbitres n'auraient pas tranché les objets du litige à la fois d'ordre juridique et économique dont ils étaient saisis par le procès-verbal de non-conciliation et les conclusions ultérieures des parties, se bornant, après avoir constaté l'existence de la sentence arbitrale du 13 novembre 1968, à déléguer leurs pouvoirs juridictionnels et d'interprétation au service de l'Inspection du travail, non seulement pour l'avenir mais encore pour le passé, alors que :

1re branche :

les arbitres avaient l'obligation de vider le procès-verbal de non-conciliation caractérisant le conflit collectif dans le contexte social et économique de 1977, imprévisibles en 1968, et de répondre aux demandes concordantes les invitant à statuer en équité, violant ainsi la loi n° 473 dans son ensemble et l'article 199 du Code de procédure civile.

2e branche :

ils n'ont pas précisé à quoi s'appliquait la force obligatoire de la sentence de 1968, qui ne pouvait avoir d'effet perpétuel, mais ont, au seul motif de l'absence de convention collective postérieure, tenu pour nulle et fautive l'évolution des salaires depuis 1973, cependant intervenue hors de toute clandestinité ni contestation des délégués du personnel présents à ces accords, sans pourtant relever une infraction à la réglementation d'ordre public de la loi n° 739 et de l'arrêté ministériel du 21 mars 1963,

violant ainsi les articles 964, 989 et 990 du Code civil (sur la preuve des obligations), la loi n° 416 du 7 juin 1945 (sur les conventions collectives), les articles 1 et 2 de la loi n° 459 (sur les délégués du personnel) ;

3e branche :

ils n'ont explicité leur décision que par des motifs insuffisants, obscurs ou ambigus, équipollents à un défaut de motifs, ne permettant pas à la Cour supérieure d'arbitrage d'exercer son contrôle sur le caractère équitable des grilles de salaires depuis 1973 et de la grille devant prendre effet du jour du dépôt de la requête,

violant ainsi les articles 199 du Code de procédure civile, 14 de la loi n° 473 et 4 du Code civil ;

Vu le mémoire en réponse déposé le 27 décembre 1977 par le personnel, défendeur, représenté par M. C. S., concluant au rejet du recours et à la confirmation de la sentence, les arbitres ayant correctement appliqué la loi en statuant conformément aux règles de Droit sur un conflit d'ordre juridique incontesté, même si ses conséquences ont une incidence économique, leur décision étant brièvement mais complètement et clairement motivée par sa référence à la force exécutoire de la sentence de 1968 à laquelle il n'avait pas été substitué, légalement, de dispositions nouvelles ;

Vu la loi n° 473 du 4 mars 1948, modifiée par les lois n° 603 du 2 juin 1955 et n° 816 du 24 janvier 1967, ainsi que l'Ordonnance Souveraine n° 3916 du 12 décembre 1967 ;

Considérant que nonobstant l'existence d'une information pénale en cours, les arbitres ont valablement statué dans le délai qui leur était imposé, en raison du caractère particulier du droit social, au niveau de la solution d'un conflit collectif du travail, par rapport au droit civil ;

Sur les trois branches du moyen unique, prises en leur ensemble :

Considérant que le conflit présentait un double caractère mais, ainsi que le précise le procès-verbal de non-conciliation, qu'il était principalement d'ordre juridique, appelant une décision en droit ; que son aspect économique, permettant le recours à l'équité, n'était que subsidiaire et ne pouvait être examiné qu'en second lieu et pour autant que la solution du conflit juridique, portant sur l'exécution d'une sentence arbitrale, en aurait ouvert la possibilité en tenant pour annulée la sentence du 13 novembre 1968 ;

Considérant que l'argument essentiel de la direction, implicitement mais nécessairement inclus dans sa demande de consécration de la situation actuelle, réside dans la novation qu'auraient apportée aux dispositions de la sentence de 1968, particulièrement à la référence aux salaires de la Compagnie Française d'Ameublement et de Nouveautés Printania de Menton, les élévations successives de salaires intervenues à Monaco depuis 1973 sans maintenir cette référence ;

Mais considérant qu'une sentence arbitrale non frappée de recours a la même force exécutoire qu'une convention collective : qu'elle aurait pu être abandonnée ou modifiée par une convention collective légalement intervenue, mais non par des accords verbaux, même répétés, concernant plusieurs catégories de salariés et auxquels auraient participé des délégués du personnel ;

Qu'en constatant que les conditions légales de validité imposées par les articles 4 et 6 de la loi n° 416 du 7 juin 1945 n'avaient pas été remplies, les arbitres ont exactement retenu que les modifications de salaires successives n'avaient pas le caractère de conventions collectives ;

Considérant d'ailleurs que la Direction en demandant de « consacrer le régime en vigueur des salaires, primes et avantages... tel qu'il est appliqué dans les contrats individuels », reconnaissait elle-même que les fixations nouvelles de salaires, de caractère individuel et bien que nombreuses et répétées, ne pouvaient aucunement correspondre à une convention collective ;

Considérant qu'en l'absence de novation au régime institué par la sentence arbitrale de 1968, les arbitres ont valablement retenu que cette dernière avait conservé sa force exécutoire et ne pouvant dès lors aborder l'examen du litige en équité sur des bases différentes, ils ont statué sur la totalité du conflit dont ils étaient saisis ;

Qu'en ordonnant la reprise à effet de la sentence de 1968 à compter du jour où elle avait cessé d'être respectée, ils ont légalement justifié leur décision ; qu'ils n'ont, par ailleurs, pas délégué leurs pouvoirs à l'Inspecteur du travail, seulement qualifié par la sentence pour fournir aux parties les indications nécessaires sur les salaires servant de référence ;

Considérant que le rattachement, sous le n° 5 du dispositif de la sentence de 1968, aux salaires pratiqués à Nice, pour autant que ceux de Menton se révèleraient inférieurs, n'était que l'application rappelée de la loi n° 739 et de l'arrêté ministériel du 21 mai 1963 ; que les arbitres n'avaient pas à rechercher d'éventuelle inobservation de ces dispositions, du moment où ils ordonnaient la reprise à effet complète de la sentence ;

Considérant enfin que par des motifs assez brefs, mais clairs, complets et non équivoques, les arbitres ont suffisamment soutenu leur décision dans la limite du litige qui leur était soumis et sans statuer de façon générale ou réglementaire ;

Qu'ils n'ont, en conséquence, violé aucune des dispositions légales visées aux trois branches du moyen unique et que le recours doit être rejeté ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

Déclare le pourvoi recevable en la forme, le rejette quant au fond ;

Composition🔗

MM. J. de Monseignat, prés. ; Y. Merqui, rapp. ; Me Marquet, av.

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