Cour de révision, 17 juin 2024, La société civile d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé (SCA) dénommée A. c/ Maître D., m.

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Abstract🔗

Société immobilière – Liquidation – Refus d'instrumenter – Devoir de prudence

Résumé🔗

Les m. s. étant tenus d'assurer l'efficacité des actes qu'ils passent, ils sont tenus de garantir ce résultat aux parties qu'ils assistent, ce qui crée à leur charge un devoir de prudence qu'ils peuvent invoquer pour refuser d'instrumenter s'il existe un doute relativement à l'efficacité de l'acte qu'il s'agit de passer. Ayant relevé d'une part qu'il existait un conflit aigu entre associés, qui était propre à faire craindre des recours de la part de ceux qui n'avaient pas participé à l'assemblée ayant voté la dissolution et la désignation des liquidateurs, et d'autre part que les statuts ne précisaient pas clairement les pouvoirs des liquidateurs au regard de la clause limitative des pouvoirs des dirigeants sociaux qu'ils comportaient en subordonnant la vente d'un appartement appartenant à la société à la condition que la totalité des propriétaires de parts relatives à cet appartement donnent leur accord à la vente, la Cour d'appel a pu en déduire que cette incertitude était susceptible de nourrir un débat juridique non manifestement dépourvu de sérieux, étant observé à cet égard que le tribunal de première instance avait quant à lui considéré dans son jugement du 8 novembre 2018 que rien n'indiquait que dans le cadre de la dissolution amiable, l'article 56 des statuts ne serait pas applicable. Il importe peu à cet égard que ce jugement ait été par la suite réformé, le simple fait que les premiers juges aient ainsi statué suffisant à confirmer l'existence d'une difficulté relativement à l'appréciation des pouvoirs des liquidateurs. Si la Cour d'appel a, pour trancher le litige, appliqué la règle selon laquelle l'article 16 constituerait une disposition spéciale dérogeant à la règle générale de l'article 56, c'est après avoir mentionné que le conflit entre les deux textes n'avait pas été réglé par les statuts, preuve que la solution ne ressortait pas de l'évidence. En l'état d'éléments raisonnablement susceptibles d'interprétation, en l'absence de précédents jurisprudentiels éclairants, la Cour d'appel a pu, sans violer les textes précités, considérer que le devoir de prudence du m. devait s'exercer pleinement et que D n'avait commis aucune faute en refusant d'instrumenter.


Pourvoi N° 2024-32 en session civile

COUR DE RÉVISION

ARRÊT DU 17 JUIN 2024

En la cause de :

  • La société civile d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé (SCA) dénommée A., société de droit français en liquidation, dont le siège social est fixé au x1 à Beausoleil, 06240, agissant poursuite et diligences de ses co-liquidateurs amiables, f. B. et a. C., domiciliés et demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué par Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la même Cour d'appel et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

DEMANDERESSE EN RÉVISION,

d'une part,

Contre :

  • Maître D., m. à Monaco, y demeurant en cette qualité, x2 ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

DÉFENDEUR EN RÉVISION,

d'autre part,

Visa🔗

LA COUR DE RÉVISION,

VU :

  • l'arrêt rendu le 9 janvier 2024 par la Cour d'appel, statuant en matière civile, signifié le 17 janvier 2024 ;

  • la déclaration de pourvoi souscrite au Greffe général, le 15 février 2024, par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la SCA A. ;

  • la requête déposée le 15 mars 2024 au Greffe général, par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la SCA A., accompagnée de 12 pièces, signifiée le même jour ;

  • la contre-requête déposée le 15 avril 2024 au Greffe général, par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de Maître D., accompagnée de 14 pièces, signifiée le même jour ;

  • les conclusions du Ministère public en date du 17 avril 2024 ;

  • le certificat de clôture établi le 3 mai 2024 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

Ensemble le dossier de la procédure,

À l'audience du 12 juin 2024 sur le rapport de Monsieur François-Xavier LUCAS, Conseiller,

Après avoir entendu les conseils des parties ;

Ouï le Ministère public ;

Motifs🔗

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la SCA A. est une société d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé, propriétaire notamment de seize appartements en Principauté de Monaco ; que, le 21 juillet 2016, l'assemblée de cette société a voté sa dissolution anticipée et la désignation de deux co-liquidateurs qui ont contacté Maître D., m. en Principauté de Monaco, pour qu'il procède à la vente des appartements appartenant à la société dissoute ; que, par courrier en date du 13 décembre 2016, ce m. a indiqué qu'il ne procéderait aux actes de vente que « quand ils seront régularisés avec l'intervention de tous les associés titulaires de toutes les semaines de jouissance du 1er janvier au 31 décembre » ; que la SCA A. a assigné D. devant le Tribunal de première instance aux fins de voir dire qu'il sera tenu de procéder à la vente des biens immobiliers sous la seule signature conjointe des deux co-liquidateurs ; qu'ayant été déboutée par le tribunal, la SCA A. a obtenu satisfaction devant la Cour d'appel qui, par arrêt en date du 14 janvier 2020, a infirmé le jugement et dit que D. sera tenu de procéder à la vente des biens immobiliers de la SCA A. sous la seule signature des liquidateurs ; que la SCA A. a fait assigner D. devant le Tribunal de première instance en sollicitant sa condamnation au paiement de différentes sommes à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1229 du Code civil au motif qu'il a commis une faute en refusant de prêter son concours pour passer les ventes par le biais des liquidateurs alors que les statuts de la société le prévoyaient, que l'assemblée générale des associés l'avait confirmé et qu'en qualité de professionnel du droit, il ne pouvait ignorer que les liquidateurs nommés par les associés disposaient de tous les pouvoirs nécessaires pour la signature des actes de vente ; que, par jugement en date du 26 janvier 2023, le Tribunal de première instance a débouté la SCA A. de l'ensemble de ses demandes, décision qui a été confirmée en toutes ses dispositions par arrêt de la Cour d'appel du 9 janvier 2024 ; que la SCA A. a formé un pourvoi en révision contre cet arrêt ;

  • Sur les deux moyens réunis :

Attendu que la SCA A. fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande de condamnation de D. au titre de sa responsabilité civile délictuelle, alors, d'une part, « qu'il résulte de l'article 3 de l'Ordonnance du 4 mars 1886 sur le notariat que D. a l'obligation de prêter son ministère lorsqu'il en est requis, sauf exceptions limitativement énoncées par la loi ; qu'au cas d'espèce, D. savait pertinemment que l'acte dont les liquidateurs de la SCA A. demandaient la rédaction n'était pas prohibé par les lois, que les personnes qui se sont présentées devant lui pour contracter, à savoir les co-liquidateurs de la SCA A. en liquidation, représentants légaux de cette société, ont justifié de leur qualité et de leur capacité à agir, ayant du reste été expressément autorisés par l'assemblée générale des associés en date du 21 juillet 2016 à vendre, sous leur signature conjointe, les biens de la société au prix et selon les modalités fixées par ladite assemblée générale, que le montant des droits d'enregistrement serait consigné d'avance ; qu'à l'évidence le m. ne pouvait se prévaloir d'aucune des exceptions limitativement énumérées dans le texte de l'ordonnance susvisée pour refuser de passer l'acte de vente sur réquisition de la SCA A. en liquidation ; que, dès lors, le refus injustifié de D. de prêter son ministère à la SCA A. en liquidation pour procéder à la vente de ses biens est constitutif d'une faute ; que par voie de conséquence, en soutenant, dans l'arrêt attaqué, qu'il ne peut être valablement reproché aucune faute à D. pour avoir refusé d'instrumenter comme il l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 3 de l'ordonnance du 4 mars 1886 sur le notariat par refus de l'appliquer » ; alors, d'autre part, « que le devoir de prudence du m. lié à l'existence dans les statuts de la société de règles concurrentes en matière de vente d'immeuble, notamment celles énoncées aux articles 56 et 16 des statuts, invoqué par la cour dans l'arrêt déféré, ne saurait être considéré comme une exception pouvant faire échec à l'application des dispositions de l'article 3 de l'ordonnance du 4 mars 1886 sur le notariat ; que la prétendue contradiction entre les dispositions des articles 56 et 16 des statuts, retenue par la cour pour justifier le refus de D. d'instrumenter, est purement artificielle, les articles 56 et 16 étant exclusifs l'un de l'autre ; que l'article 56 s'applique lorsque la société est en activité tandis que l'article 16 des statuts s'applique exclusivement lorsque la société est en liquidation ; que la difficulté relative à la contradiction supposée entre ces deux textes, invoquée par la Cour d'appel dans la décision attaquée pour justifier le refus d'instrumenter du m., a déjà été définitivement tranchée par la même cour dans un arrêt antérieur en date du 14 janvier 2020 ; qu'ainsi la Cour d'appel a défini le champ d'application de chacun de ces deux articles qui s'appliquent à des situations différentes ; que la cour a, par voie de conséquence, infirmé le jugement de première instance en date du 8 novembre 2018, qui se trouve ainsi privé de toute autorité juridique ; que cependant, la Cour d'appel, faisant fi de sa propre jurisprudence ci-dessus rappelée a estimé qu'il ne peut être reproché aucune faute à D. pour avoir refusé d'instrumenter comme il l'a fait ; que ce faisant, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale » ; alors, de troisième part, « que le litige antérieur entre les associés de la SCA A. en liquidation, invoqué par la cour d'appel dans l'arrêt attaqué, ne saurait justifier le refus de D. de prêter son ministère à la SCA A. pour la vente de ses appartements ; que les désaccords antérieurs ayant existé entre les associés minoritaires et majoritaires de la SCA A. n'exonèrent pas le m. de son obligation de prêter son ministère à ladite société pour formaliser la vente de ses appartements, et ce dans la mesure où des accords transactionnels entre associés ont abouti à la mise en liquidation amiable de la société et mis un terme définitif à ces dissensions ; qu'à ce propos, lors de l'assemblée générale du 21 juillet 2016, ont été votées à l'unanimité des membres présents et représentés, représentant 94,1% du capital, la dissolution de la société, la désignation de co-liquidateurs et l'autorisation qui leur a été donnée de procéder à la vente de tous les appartements de la société sous leur signature conjointe ; que ces décisions, souverainement adoptées par l'assemblée générale des associés et devenues la loi des parties, démontrent, si besoin, qu'il n'y avait plus aucun litige entre associés ni aucun doute sur la préservation des droits des associés propriétaires au moment où les co-liquidateurs de la SCA A. ont demandé à D. de passer la vente des appartements de la société ; que D., professionnel du droit, ne peut ignorer ni le sens ni la portée des décisions prises par les associés lors de l'assemblée générale susvisée, ni que lesdites décisions lui sont opposables ; que néanmoins la cour a estimé qu'il ne pouvait être reproché aucune faute au m. pour avoir refusé d'instrumenter comme il l'a fait, en considération d'un prétendu litige aigu existant entre associés et d'un doute sur la sauvegarde des droits des tiers ; que ce faisant, la cour a privé sa décision de base légale » ; et alors, enfin, « que le m. doit évidemment répondre des conséquences de ses fautes lorsque celles-ci ont causé des préjudices à autrui ; qu'en l'espèce la SCA A. en liquidation a amplement démontré dans ses conclusions prises devant la cour d'appel que le refus injustifié du m. d'instrumenter constituait une faute au sens de l'article 1229 du Code civil ; que D., professionnel du droit, ne pouvait pas ignorer que les liquidateurs ont tous pouvoirs en vertu de la loi pour réaliser l'actif d'une société en liquidation ; que les statuts de la société, reprenant les dispositions légales, disposent en leur article 16 qui s'applique en cas de dissolution-liquidation de la société, que les liquidateurs auront les pouvoirs les plus étendus pour vendre de gré à gré ou aux enchères, aux prix, charges et conditions qu'ils jugeront avantageux, les biens de la société ; qu'au surplus, les pouvoirs des liquidateurs pour procéder à la vente, sous leur signature conjointe, des biens de la société ont été encadrés par l'assemblée générale des associés en date du 21 juillet 2016, les associés ayant fixé le prix et les modalités de la vente ; que les co-liquidateurs ont ainsi été expressément autorisés à vendre les biens de la société sous leur seule signature conjointe par décision des associés qui s'impose à la SCA A., aux associés et au m. chargé de passer les ventes des biens de la société, D. en l'occurrence ; que de ce qui précède, la faute du m. a été indiscutablement établie, ouvrant droit à réparation à la SCA A. en liquidation pour préjudices subis ; que par suite, en estimant qu'il ne peut être valablement reproché une faute à D. pour avoir refusé d'instrumenter comme il l'a fait, la Cour d'appel a, par l'arrêt attaqué, violé l'article 1229 du Code civil par refus de l'appliquer » ;

Mais attendu que les m. s. étant tenus d'assurer l'efficacité des actes qu'ils passent, ils sont tenus de garantir ce résultat aux parties qu'ils assistent, ce qui crée à leur charge un devoir de prudence qu'ils peuvent invoquer pour refuser d'instrumenter s'il existe un doute relativement à l'efficacité de l'acte qu'il s'agit de passer ; qu'ayant relevé d'une part qu'il existait un conflit aigu entre associés, qui était propre à faire craindre des recours de la part de ceux qui n'avaient pas participé à l'assemblée ayant voté la dissolution et la désignation des liquidateurs, et d'autre part que les statuts ne précisaient pas clairement les pouvoirs des liquidateurs au regard de la clause limitative des pouvoirs des dirigeants sociaux qu'ils comportaient en subordonnant la vente d'un appartement appartenant à la société à la condition que la totalité des propriétaires de parts relatives à cet appartement donnent leur accord à la vente, la Cour d'appel a pu en déduire que cette incertitude était susceptible de nourrir un débat juridique non manifestement dépourvu de sérieux, étant observé à cet égard que le tribunal de première instance avait quant à lui considéré dans son jugement du 8 novembre 2018 que rien n'indiquait que dans le cadre de la dissolution amiable, l'article 56 des statuts ne serait pas applicable ; qu'il importe peu à cet égard que ce jugement ait été par la suite réformé, le simple fait que les premiers juges aient ainsi statué suffisant à confirmer l'existence d'une difficulté relativement à l'appréciation des pouvoirs des liquidateurs ; que, si la Cour d'appel a, pour trancher le litige, appliqué la règle selon laquelle l'article 16 constituerait une disposition spéciale dérogeant à la règle générale de l'article 56, c'est après avoir mentionné que le conflit entre les deux textes n'avait pas été réglé par les statuts, preuve que la solution ne ressortait pas de l'évidence ; qu'en l'état d'éléments raisonnablement susceptibles d'interprétation, en l'absence de précédents jurisprudentiels éclairants, la Cour d'appel a pu, sans violer les textes précités, considérer que le devoir de prudence du m. devait s'exercer pleinement et que D. n'avait commis aucune faute en refusant d'instrumenter ; qu'il s'ensuit qu'aucun des griefs du moyen ne peut être accueilli ;

Sur les demandes au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile :

Attendu que la SCA A. sollicite la condamnation de D. au paiement d'une indemnité de 15.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que la SCA A. succombe en son pourvoi ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande ;

Attendu que D. demande la condamnation de la SCA A. au paiement d'une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que les circonstances de la cause n'impliquent pas de faire droit à cette demande ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Rejette le pourvoi,

Rejette les demandes sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile,

Condamne la SCA A. aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que les dépens distraits seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé le 17 JUIN 2024, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Messieurs Laurent LE MESLE, Président, François-Xavier LUCAS, Conseiller, rapporteur et Jacques RAYBAUD, Conseiller, en présence du Ministère public, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef.

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