Cour de révision, 9 octobre 2023, M. e. A. c/ Société D.
Abstract🔗
Sociétés - SCI - Responsabilité personnelle du gérant (oui) - Fiscalité - Manquement aux obligations déclaratives - Contrat de domiciliation avec une société - Fonctions distinctes
Résumé🔗
La Cour d'appel ayant retenu que le défendeur avait accepté les fonctions de gérant de la société demanderesse consistant en l'administration de la société, lesquelles étaient totalement distinctes des obligations contractées par la société co-défenderesse au titre du contrat de domiciliation, qu'il lui appartenait de s'assurer du suivi et du traitement de la demande des services fiscaux français qui relevaient de ses pouvoirs de gestion et qu'il s'était expressément engagé auprès de l'administration fiscale à lui communiquer les renseignements réclamés. Elle en a justement déduit qu'il devait répondre envers la société demanderesse des conséquences du manquement de cette société à ses obligations déclaratives fiscales.
Pourvoi N° 2023-32 en session civile
COUR DE RÉVISION
ARRÊT DU 9 OCTOBRE 2023
En la cause de :
e. A., administrateur de société, demeurant x1, 98000 Monaco ;
La société D., dont le siège social est sis à Monaco, x2, représentée par son Président administrateur en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître François-Henri BRIARD, avocat aux Conseils ;
DEMANDEURS EN RÉVISION,
d'une part,
Contre :
La société civile immobilière de droit monégasque dénommée F, dont le siège social est x3, « x4» à Monaco, prise en la personne de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Jérôme BARZUN, avocat au barreau de Paris ;
DÉFENDERESSE EN RÉVISION,
d'autre part,
Visa🔗
LA COUR DE RÉVISION,
VU :
l'arrêt rendu le 11 avril 2023 par la Cour d'appel, statuant en matière civile, signifié le 20 avril 2023 ;
la déclaration de pourvoi souscrite au Greffe général, le 20 avril 2023, par Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, au nom de e. A. et de la société D. ;
la requête déposée le 15 mai 2023 au Greffe général, par Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, au nom de e. A. et de la société D., accompagnée de 11 pièces, signifiée le même jour ;
la contre-requête déposée le 14 juin 2023 au Greffe général, par Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, au nom de la F, accompagnée de 4 pièces, signifiée le même jour ;
les conclusions du Ministère public en date du 21 juin 2023 ;
le certificat de clôture établi le 26 juin 2023 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;
Ensemble le dossier de la procédure,
À l'audience du 4 octobre 2023 sur le rapport de Monsieur François-Xavier LUCAS, Conseiller,
Après avoir entendu les conseils des parties ;
Ouï le Ministère public ;
Motifs🔗
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la F a été mise en demeure par l'administration fiscale française de communiquer, par application de l'article 990 E 3 d) du Code général des impôts, différents renseignements se rapportant à une villa située à Antibes dont cette société est propriétaire ; que, par courrier du 5 novembre 2014, son gérant, M. e. A, s'est engagé pour le compte de la F à procéder à cette communication ; que faute d'avoir reçu les renseignements et justificatifs demandés, l'administration fiscale a procédé à deux mises en demeure les 24 avril 2015 et 9 juillet 2015 puis a émis à l'encontre de la F un avis de mise en recouvrement ; que le Tribunal de grande instance de Grasse a chiffré à 187.200 euros le montant de la somme due par la F au titre de la taxe prévue par l'article 990 D du Code général des impôts ; que, par arrêt du 11 avril 2023, la Cour d'appel a confirmé le jugement de Tribunal de première instance ayant condamné M. A., pour manquement à ses obligations, à payer à la F à titre de dommages et intérêts la somme de 187.200 euros en réparation de son préjudice matériel et de 10.000 euros en réparation de son préjudice « accessoire » et ayant débouté la F de ses demandes formées contre la SAM D. avec laquelle cette société avait conclu un contrat de domiciliation ; que M. A. et la SAM D. ont déclaré se pourvoir contre cet arrêt ;
Sur l'unique moyen de révision pris en ses cinq branches :
Attendu que M. A. et la SAM D. font grief à l'arrêt de statuer ainsi, 1°) Alors, premièrement, « qu'en jugeant que M. A. était tenu de renseigner les services fiscaux français au titre du d) du 3° de l'article 990 E du Code général des impôts français quant à la situation de la F, dont il était le gérant, cependant qu'il n'avait été désigné en cette qualité que dans le cadre d'une fiducie dont les modalités avaient été précisées par un contrat de domiciliation conclu le 16 août 2013 entre cette société et la société D., dont il est le président et l'administrateur délégué, la cour d'appel a violé l'article 989 du Code civil » ; 2°) Alors, deuxièmement, « que les statuts de la F fixent les obligations du gérant en précisant qu'il "représente la société auprès de tous les établissements bancaires, sans limitation de pouvoir", qu' "il fait le dépôt de toutes sommes, valeurs et titres, de quelque nature qu'ils soient", "reçoit tous les dividendes et arrérages sur ces valeurs, les transfère et les aliène", "donne toutes décharges y relatives", « prend en location tout compartiment de coffre et peut en retirer le contenu", mais qu'il "ne peut pas sous sa responsabilité personnelle constituer tout mandataire pour un ou plusieurs objets déterminés" ; qu'en jugeant néanmoins que M. A. était tenu de renseigner l'administration fiscale française en sa qualité de gérant de la F cependant que de telles prérogatives n'étaient pas prévues par les statuts de la société, la cour d'appel les a dénaturés et a violé ainsi l'article 989 du Code civil » ; 3°) Alors, troisièmement, « que les juges du fond ne peuvent dénaturer les clauses claires et précises des conventions qui leur sont soumises ; qu'en jugeant que M. A. était tenu de renseigner les services fiscaux français au titre du d) du 3° de l'article 990 E du Code général des impôts français quant à la situation de la SCI F. dont il était gérant cependant que, par contrat du 12 novembre 2013, la F, représentée par M. G., et la société H.avaient conclu une convention aux termes de laquelle cette dernière s'engageait à effectuer, pour le compte de la F, toutes les démarches relatives à ses impôts, la cour d'appel l'a dénaturée et a violé ainsi l'article 989 du Code civil » ; 4°) Alors, quatrièmement, « qu'en se prévalant d'un courrier adressé par M. A. à l'administration fiscale française le 5 novembre 2014 indiquant qu'il s'engageait à transmettre les renseignements sollicités au titre du d) du 3° de l'article 990 E du Code général des impôts cependant que cet engagement répondait seulement aux prescriptions de la loi française et n'avait aucune valeur contractuelle, ce dont il devait se déduire qu'il n'était pas tenu d'une "obligation de résultat de communication" (arrêt, p. 16), cette démarche demeurant à la charge de la société H.en application du contrat conclu avec la SCI F. le 12 novembre 2013, qui prévoyait la gestion des "impôts" de cette dernière, la cour d'appel a encore méconnu l'article 989 du Code civil » ; 5°) Alors, cinquièmement, « que les juges du fond ne peuvent dénaturer les éléments clairs et précis qui leur sont soumis ; qu'en jugeant qu'il appartenait à M. A., "pour satisfaire à son obligation de résultat de communication, de s'assurer du suivi et du traitement de la demande des services fiscaux français qui relèvent de ses pouvoirs de gestion", étant observé qu'il "ne pouvait ignorer ses responsabilités de gérant de société dans la mesure où il est également Président administrateur délégué de la société D." cependant qu'il résultait d'un courriel du 20 juillet 2015 que cette dernière société avait informé la société H.de la nécessité de transmettre les informations sollicitées par l'administration fiscale et que, par un courriel du même jour, la société H. avait répondu que les démarches en cause avaient été effectuées, ce dont il se déduisait que M. A. pouvait légitimement croire que les renseignements en cause avaient été transmis aux services fiscaux, la cour d'appel a dénaturé ces deux courriels du 20 juillet 2015 émanant respectivement de Mme B et de M. I., en méconnaissance de l'interdiction de dénaturer les écrits qui lui sont soumis ».
Mais attendu que la Cour d'appel ayant retenu que M. A. avait accepté les fonctions de gérant de la F consistant en l'administration de la société, lesquelles étaient totalement distinctes des obligations contractées par la société D. au titre du contrat de domiciliation, qu'il lui appartenait de s'assurer du suivi et du traitement de la demande des services fiscaux français qui relevaient de ses pouvoirs de gestion et qu'il s'était expressément engagé auprès de l'administration fiscale à lui communiquer les renseignements réclamés en application de l'exonération visée au d) du 3° de l'article 990 E du Code général des impôts français, c'est sans encourir le grief de dénaturation allégué qu'elle en a déduit qu'il devait répondre envers la F des conséquences du manquement de cette société à ses obligations déclaratives ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur les demandes formées par la F :
La F sollicite la condamnation de M. A. et de la société D. au paiement de l'amende civile prévue par l'article 459-4 du Code de procédure civile ;
Elle sollicite également leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 7.000 euros en application de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Attendu que l'équité commande de rejeter la demande de condamnation à l'amende civile et aux dommages et intérêts pour procédure abusive et d'accueillir celle fondée sur l'article 238-1 du Code de procédure civile, mais seulement à hauteur de 5.000 euros ;
Sur les demandes formées par M. A. et la société D. :
M. A. et la société D. sollicitant la condamnation de la F à leur payer chacun la somme de 5.000 euros en application de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que M. A. et la société D. qui succombent, ne peuvent se voir allouer aucune somme sur le fondement de ce texte ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
Rejette le pourvoi,
Condamne solidairement M. e. A. et la société D. à payer la somme de 5.000 euros à la F sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile,
Déboute M. e. A. et la société D. de leur demande formée sur le fondement de ce texte,
Déboute la F de sa demande de condamnation de M. e. A. et de la société D. au paiement de l'amende civile et de dommages et intérêts,
Condamne M. e. A. et la société D. aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que les dépens distraits seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé et prononcé le neuf octobre deux mille vingt-trois, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Messieurs François-Xavier LUCAS, Conseiller, rapporteur, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et Jacques RAYBAUD, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence du Ministère public, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.
Le Greffier en Chef, Le Premier Président.