Cour de révision, 19 juin 2023, a. A. c/ c. C. épouse D. et j. D.

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Abstract🔗

Bail – Obligation d'entretien du bailleur – Indemnité d'occupation – Procédure abusive

Résumé🔗

En premier lieu, qu'aux termes des deux dispositions susvisées, l'obligation d'entretenir la chose en état de servir à l'usage pour laquelle elle a été louée et d'en faire jouir le preneur pendant la durée du bail s'impose au bailleur par la nature même du contrat, de sorte qu'il lui appartient d'être attentif quant à la nécessité des travaux à effectuer. L'arrêt ajoute que le bail était, en outre, spécialement régi par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 dite « loi sur le secteur protégé » et par l'ordonnance n° 16.590 du 29 décembre 2004 portant application de la loi modificatrice n° 1.291 du 21 décembre 2004, et reproduit intégralement la description minutieuse des exigences posées par ces textes en matière de bon état et de protection du local contre les eaux de ruissellement et les remontées d'eaux, de matériaux de construction, canalisations et revêtements du local qui ne doivent présenter aucun risque manifeste pour la santé et la sécurité physique des locataires, ou de dispositifs d'ouverture et de ventilation du local devant permettre un renouvellement de l'air adapté aux besoins d'une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements. Ainsi, les obligations légales rappelées et les manquements constatés tant à la suite des interventions des professionnels opérées de janvier 2010 à juillet 2015, par les deux rapports de la direction de l'action sanitaire étaient suffisamment clairs et explicites pour que, non saisie par ailleurs d'une demande en ce sens, la Cour d'appel ait eu à préciser les travaux qui s'imposaient pour rendre habitable un local dont elle avait constaté les raisons concrètes pour lesquelles il ne l'était pas. En second lieu, aucun texte ou principe jurisprudentiel ne subordonnant la mise en œuvre par le bailleur des travaux nécessaires à l'exécution de ses obligations d'entretien de la chose louée et de jouissance paisible du preneur à une mise en demeure formaliste et préalable, la connaissance qu'avait M. A. de la situation était suffisante, et résultait en l'espèce des constatations selon lesquelles Mme C. avait dès 2010 dénoncé auprès de lui des fuites et infiltrations d'eaux, suivies d'autres protestations entre avril et mai 2011, puis en avril 2013, janvier 2015, juillet 2015, avril 2016, avril et août 2019, lesquelles avaient nécessité l'intervention de plusieurs professionnels, la Cour d'appel relevant « la quasi-indifférence » à laquelle les locataires s'étaient heurtés de la part du bailleur. Par ces motifs, qui mettent en évidence les manquements du bailleur à ses obligations, l'arrêt est légalement justifié.

La Cour d'appel, ayant relevé que le conseil des époux D. avait, par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 avril 2020, demandé à M. A. de prendre contact avec lui pour organiser la reprise de possession du local et la restitution dont s'agit, la Cour d'appel a pu juger qu'aucun manquement n'était imputable aux consorts D., et dire en conséquence qu'aucune indemnité d'occupation n'était due à ce titre. Le moyen est sans portée.

Pour condamner M. A. à verser aux époux D. la somme de 5.000 euros pour procédure abusive, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, les frais que ceux-ci ont dû engager pour faire valoir leurs droits dans une procédure abusivement diligentée à leur encontre par leur ancien bailleur, lequel, en outre, les a assignés le 23 avril 2020, alors que l'arrêté ministériel portant interdiction d'utiliser le local à des fins autres qu'une cave lui avait été notifié le 11 avril précédent, et que, dans ce contexte, l'assignation délivrée aux locataires aux fins de faire constater la clause résolutoire du bail pour non-paiement des loyers depuis le 1er novembre 2019 manifeste la mauvaise foi du bailleur et revêt un caractère abusif. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser des circonstances ayant fait dégénérer en abus le droit d'agir en justice, l'arrêt n'a pas donné de base légale à sa décision.


Pourvoi N° 2023-09 en session civile

COUR DE RÉVISION

ARRÊT DU 19 JUIN 2023

En la cause de :

  • a. A. , né le jma à Monaco, de nationalité monégasque, retraité, demeurant x1à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Roland TAMISIER, avocat au Barreau de Nice ;

DEMANDEUR EN RÉVISION,

d'une part,

Contre :

  • c. C. épouse D., née le jma à Nice (France), de nationalité française, employée de banque, demeurant x2 à Monaco ;

  • j. D., agent de police, demeurant à Monaco, x2 ;

Ayant tous deux élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Grégory PIERRE, avocat au Barreau de Paris ;

DÉFENDEURS EN RÉVISION,

d'autre part,

Visa🔗

LA COUR DE RÉVISION,

VU :

  • l'arrêt rendu le 8 novembre 2022 par la Cour d'appel, statuant en matière civile, signifié le 14 décembre 2022 ;

  • la déclaration de pourvoi souscrite au Greffe général, le 10 janvier 2023, par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de a. A. ;

  • la requête déposée le 8 février 2023 au Greffe général, par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de a. A. , accompagnée de 22 pièces, signifiée le même jour ;

  • la contre-requête déposée le 23 février 2023 au Greffe général, par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de c. C. épouse D. et j. D., accompagnée de 9 pièces, signifiée le même jour ;

  • les conclusions du Ministère public en date du 3 mars 2023 ;

  • le certificat de clôture établi le 8 mars 2023 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

Ensemble le dossier de la procédure,

À l'audience du 14 juin 2023 sur le rapport de Monsieur Jean-Pierre GRIDEL, Conseiller,

Après avoir entendu les conseils des parties ;

Ouï le Ministère public ;

Motifs🔗

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par contrat sexennal en date du 13 février 2009, renouvelable par tacite reconduction, la B., aux droits de laquelle se trouve M. a. A. depuis 2010, a donné à bail à Mme c. C. un appartement de deux pièces à usage d'habitation situés x3 à Monaco ; que cette dernière, de janvier 2010 à juillet 2015, a déclaré de manière récurrente des sinistres relatifs à des fuites et infiltrations d'eau et à des canalisations bouchées affectant les lieux loués, ceux-ci étant occupés aussi, depuis leur mariage en 2015, par son époux j. D. et leur enfant ; qu'ultérieurement, suite à des demandes formulées en août 2015 puis avril 2016 auprès de la Direction de l'action sanitaire, deux rapports, datés des 20 avril 2016 et 9 août 2019, ont constaté que le local pris à bail résultait du regroupement de plusieurs caves aménagées en logement situé en sous-sol, requérait divers travaux car ne permettant pas le renouvellement de l'air, n'offrait pas d'éclairage naturel à ses occupants, était insusceptible d'être loué pour habitation, et inapte en l'état à garantir la sécurité et la salubrité des personnes compte tenu, en outre, de la présence d'un regard d'égout à même le sol de la cuisine et à l'origine de diffusion d'odeurs et bactéries inhérentes aux eaux usées, le second rapport reprenant les termes du premier et ajoutant la présence de moisissures sur le mur du « dressing » et sur le plancher ; que par lettre du 5 novembre 2019, Mme C. épouse D. a informé le bailleur qu'elle-même, son époux et leur fille ne pouvaient plus habiter l'appartement depuis plusieurs mois et qu'ils cessaient donc le paiement des loyers, M. A. la mettant alors en demeure de s'acquitter du loyer de novembre 2019, la somme étant déposée par les occupants à la Caisse des dépôts et consignations ; que par exploit du 23 avril 2020, M. A. a fait assigner les époux D. aux fins de résiliation du bail, d'expulsion et de paiement d'une somme de 9.875 euros, à parfaire, outre le versement d'une indemnité d'occupation du jour de la résiliation du bail jusqu'à celui de la remise des clefs ; que par jugement du 24 juin 2021, le Tribunal de première instance a constaté l'impropriété du local à sa destination d'habitat, ainsi que les manquements de M. A. à entretenir la chose en état de servir à l'usage pour lequel elle avait été louée et à assurer aux locataires une jouissance paisible des lieux ; qu'en conséquence le Tribunal a accueilli l'exception d'inexécution soulevée par les époux D., prononcé la résiliation du bail aux torts exclusifs du bailleur à compter du 11 avril 2020, date de la notification à celui-ci d'un arrêté ministériel du 3 avril 2020 ayant finalement déclaré le local impropre par nature et interdit à l'habitation, l'a débouté de sa réclamation d'une indemnité d'occupation, a constaté que sa demande d'expulsion des preneurs était devenue sans objet, puis l'a condamné à leur payer la somme de 65.000 euros au titre du trouble de jouissance, et de 5.000 euros pour procédure abusive ; que sur appel de M. A., la Cour d'appel, le 8 novembre 2022, a rendu un arrêt confirmatif, ajoutant, par infirmation partielle, une condamnation de Monsieur A. à payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral, et de 2.251 euros pour la perte de biens mobiliers ; que M. A. s'est pourvu en révision ;

  • Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. A. reproche à l'arrêt, d'une part, de prononcer la résiliation du bail à ses torts exclusifs, au motif que ce dernier n'aurait pas réalisé de travaux, « sans préciser en quoi la réalisation de travaux aurait pu donner au local un caractère habitable, violant ainsi les dispositions de l'article 1559 du Code civil », et, d'autre part, de retenir sa « responsabilité dans les désordres affectant le local, en résiliant le bail à ses torts exclusifs, et en le condamnant à verser 65.000 euros, au titre du préjudice de jouissance, alors qu'il ne ressort d'aucun élément du dossier que les époux D. aient mis Monsieur A. en demeure de réaliser des travaux, la Cour d'appel a violé les articles 1559 et 1560 du Code civil » ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'aux termes des deux dispositions susvisées, l'obligation d'entretenir la chose en état de servir à l'usage pour laquelle elle a été louée et d'en faire jouir le preneur pendant la durée du bail s'impose au bailleur par la nature même du contrat, de sorte qu'il lui appartient d'être attentif quant à la nécessité des travaux à effectuer ; que l'arrêt ajoute que le bail était, en outre, spécialement régi par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 dite « loi sur le secteur protégé » et par l'ordonnance n° 16.590 du 29 décembre 2004 portant application de la loi modificatrice n° 1.291 du 21 décembre 2004, et reproduit intégralement la description minutieuse des exigences posées par ces textes en matière de bon état et de protection du local contre les eaux de ruissellement et les remontées d'eaux, de matériaux de construction, canalisations et revêtements du local qui ne doivent présenter aucun risque manifeste pour la santé et la sécurité physique des locataires, ou de dispositifs d'ouverture et de ventilation du local devant permettre un renouvellement de l'air adapté aux besoins d'une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements ; qu'ainsi, les obligations légales rappelées et les manquements constatés tant à la suite des interventions des professionnels opérées de janvier 2010 à juillet 2015, par les deux rapports de la direction de l'action sanitaire étaient suffisamment clairs et explicites pour que, non saisie par ailleurs d'une demande en ce sens, la Cour d'appel ait eu à préciser les travaux qui s'imposaient pour rendre habitable un local dont elle avait constaté les raisons concrètes pour lesquelles il ne l'était pas ;

Et attendu, en second lieu, qu'aucun texte ou principe jurisprudentiel ne subordonnant la mise en œuvre par le bailleur des travaux nécessaires à l'exécution de ses obligations d'entretien de la chose louée et de jouissance paisible du preneur à une mise en demeure formaliste et préalable, la connaissance qu'avait M. A. de la situation était suffisante, et résultait en l'espèce des constatations selon lesquelles Mme C. avait dès 2010 dénoncé auprès de lui des fuites et infiltrations d'eaux, suivies d'autres protestations entre avril et mai 2011, puis en avril 2013, janvier 2015, juillet 2015, avril 2016, avril et août 2019, lesquelles avaient nécessité l'intervention de plusieurs professionnels, la Cour d'appel relevant « la quasi-indifférence » à laquelle les locataires s'étaient heurtés de la part du bailleur ;

Que par ces motifs, qui mettent en évidence les manquements du bailleur à ses obligations l'arrêt est légalement justifié ;

  • Sur le troisième moyen :

Attendu que M. A. fait aussi grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'une indemnité d'occupation, pour la période ayant couru du 11 avril 2020, date de la fin du bail jusqu'au 23 juin 2020, jour de la remise des clefs, alors, selon le moyen, que ce manquement lui cause nécessairement un préjudice, la Cour d'appel ayant ainsi violé les dispositions de l'article 24 de la Constitution ainsi que celles de l'article 1229 du Code civil ;

Mais attendu que la Cour d'appel, ayant relevé que le conseil des époux D. avait, par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 avril 2020, demandé à M. A. de prendre contact avec lui pour organiser la reprise de possession du local et la restitution dont s'agit, la Cour d'appel a pu juger qu'aucun manquement n'était imputable aux consorts D., et dire en conséquence qu'aucune indemnité d'occupation n'était due à ce titre ; que le moyen est sans portée ;

  • Mais sur le deuxième moyen :

Vu les articles 1229 et 1230 du Code civil ;

Attendu que, pour condamner M. A. à verser aux époux D. la somme de 5.000 euros pour procédure abusive, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, les frais que ceux-ci ont dû engager pour faire valoir leurs droits dans une procédure abusivement diligentée à leur encontre par leur ancien bailleur, lequel, en outre, les a assignés le 23 avril 2020, alors que l'arrêté ministériel portant interdiction d'utiliser le local à des fins autres qu'une cave lui avait été notifié le 11 avril précédent, et que, dans ce contexte, l'assignation délivrée aux locataires aux fins de faire constater la clause résolutoire du bail pour non-paiement des loyers depuis le 1er novembre 2019 manifeste la mauvaise foi du bailleur et revêt un caractère abusif ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser des circonstances ayant fait dégénérer en abus le droit d'agir en justice, l'arrêt n'a pas donné de base légale à sa décision ;

  • Sur la demande des époux D. de voir M. a. A. leur payer la somme de 3.000 euros chacun à titre de dommages-intérêts pour pourvoi abusif, sur le fondement de l'article 459-4 alinéa 2 du Code de procédure civile :

Attendu que la cassation prononcée rend cette demande sans objet ;

  • Sur la demande des époux D. de voir M. a. A. leur payer la somme de 4.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens, visés à l'article 238-1 du Code de procédure civile :

Attendu qu'eu égard aux circonstances de la cause, il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Casse et annule l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Monaco le 8 novembre 2022, mais seulement en ce qu'il a condamné M. A. à verser aux époux D. la somme de 5.000 euros pour procédure abusive,

Rejette la demande en dommages-intérêts présentée par les époux D. à l'encontre de M. A. pour pourvoi abusif,

Rejette la demande des époux D. sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile,

Et vu l'article 457-1 du Code de procédure civile, la cassation n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dit n'y avoir lieu à renvoyer l'affaire,

Condamne les époux D. aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que les dépens distraits seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé le dix-neuf juin deux mille vingt-trois, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Messieurs Laurent LE MESLE, Président, Jean-Pierre GRIDEL, Conseiller, rapporteur, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et François-Xavier LUCAS, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence du Ministère public, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

Le Greffier en Chef, Le Président.

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