Cour de révision, 16 mars 2023, SARL A. A. et autres c/ C. C.

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Abstract🔗

Banque - Crédit - Devoir de mise en garde - Portée

Résumé🔗

L'assujettissement du banquier dispensateur de crédit au devoir de mise en garde suppose un risque d'endettement excessif, cumulativement à la qualité de profane du client. Aucun devoir de mise en garde n'est exigé du banquier lorsqu'à la date de la conclusion du contrat, le crédit était adapté aux capacités financières de l'emprunteur et au risque d'endettement né de l'octroi du prêt. Il en va de même en ce qui concerne les cautions considérées comme averties si elles disposent de la capacité d'apprécier les risques que leur engagement comporte, tant au regard de leur capacité financière que de celle du débiteur principal. En l'espèce, c'est en vain la banque fait valoir qu'elle n'aurait pas accordé un crédit à la SARL A. A. mais une facilité de caisse ne nécessitant pas de justification particulière quant aux besoins financés par la banque, dès lors qu'une facilité de caisse constitue une forme de crédit bancaire à court terme.

Si la banque a effectivement manqué à son obligation de fournir par écrit le montant clairement déterminé des intérêts applicables, il n'est pas pour autant démontré que celle-ci ait volontairement dissimulé le taux d'intérêt contractuel, ce manquement relevant manifestement d'une mauvaise rédaction des conditions tarifaires dûment communiquées aux cautions, étant précisé que la méconnaissance par les cautions des dispositions de l'article 1745 alinéa 3 du Code civil ne saurait valablement démontrer leur qualité de cautions non averties. En conséquence, l'analyse des relations contractuelles suivies entre les parties fait apparaître que tant la société emprunteuse que ses dirigeants cautions, ne peuvent être considérés comme profanes dans la mesure où, manifestement, ils disposaient de l'ensemble des éléments leur permettant de mesurer la portée de leurs engagements. Il s'ensuit que tant la SARL aa. que les cautions ne peuvent se prévaloir d'un manquement de la banque à son devoir de mise en garde et doivent être déboutés de l'ensemble des demandes en résultant.


Pourvoi N° 2022-13

en session civile après cassation

COUR DE RÉVISION

ARRÊT DU 16 MARS 2023

En la cause de :

  • La société à responsabilité limitée dénommée A. A. - en abrégé a. a., dont le siège social est sis à Monaco, « Le X1 », X2 agissant poursuites et diligences de ses cogérants associés en exercice, Madame r. B. née A. et Monsieur v. A. demeurant en cette qualité audit siège ;

  • r. B. née A., née le X à Cittanova (Italie), demeurant X3 à Monaco, en sa qualité de caution solidaire de la SARL a. a. ;

  • v. A., né le X à Nice, demeurant X4 à Cagnes sur Mer (06800) France, en sa qualité de caution solidaire de la SARL a. a. ;

Ayant tous trois élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substituée et plaidant par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la même Cour ;

APPELANTS,

d'une part,

Contre :

La C. C. - en abrégé c. c. - société anonyme coopérative de banque populaire à capital variable régie par les articles L.512-2 et suivants du Code monétaire et financier et l'ensemble des textes relatifs aux banques populaires et aux établissements de crédit, venant aux droits de la D. par les effets d'une fusion-absorption, dont le siège social est sis X5 à Nice (06200), prise en la personne de son Directeur Général en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉE,

d'autre part,

Visa🔗

LA COUR DE RÉVISION,

VU :

  • l'arrêt de la Cour de Révision du 13 juin 2022 ayant cassé et annulé, l'arrêt de la Cour d'appel du 23 novembre 2021 statuant en matière civile, mais seulement en ce qu'il a débouté la SARL a. a., Monsieur A. et Madame B. de leur demande visant à engager la responsabilité de la C. C. pour manquement à son obligation de mise en garde, et renvoyé l'affaire à la prochaine session de la Cour de Révision autrement composée ;

  • les conclusions additionnelles déposées le 28 juillet 2022 au Greffe général, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la société à responsabilité limitée dénommée A. A., v. A. et r. B. née A. accompagnée de 26 pièces, signifiées le même jour ;

  • les conclusions additionnelles déposées le 6 septembre 2022 au Greffe général, par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la C. C. accompagnée de 43 pièces, signifiées le même jour ;

  • le certificat de clôture établi le 12 septembre 2022 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

  • les conclusions après cassation du Ministère public en date du 21 septembre 2022 ;

Ensemble le dossier de la procédure,

À l'audience du 14 mars 2023 sur le rapport de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président,

Après avoir entendu les conseils des parties ;

Ouï le Ministère public ;

Motifs🔗

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu que la C. C., c. c. a consenti, le 13 janvier 2014, à la SARL A. A., a. a. une ouverture en compte courant professionnel garantie par la caution solidaire de Monsieur v. A. et de Madame r. B. née A. donnée le 21 juillet 2016, dans la limite d'une somme de 144.000 euros en principal, intérêts et pénalités ou intérêts de retard le cas échéant pour une durée de 120 mois ; que par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 9 novembre 2017, la C. C. a mis en demeure la société a. a. de lui rembourser les sommes dues avec copie du courrier adressée à chacune des cautions par lettre recommandée du même jour ;

Que le 24 janvier 2018, La SARL a. a. a proposé à l'établissement bancaire un plan d'amortissement pour apurer sa dette auquel la banque a consenti selon les conditions suivantes : un solde débiteur de 67.929,74 euros devant rester plafonné à la somme maximale de 70.000 euros jusqu'au 10 février 2018 et, à partir du 10 mars 2018, le décompte devant être créditeur et les échéances des prêts consentis payés à la bonne date de présentation ; que par un nouveau courrier en date du 14 mai 2018, la société a. a. a été mise en demeure d'avoir à ramener sous huitaine le solde de son compte dans la limite de l'autorisation maximale du découvert bancaire, soit 50.000 euros ; que le 18 juillet 2018, puis le 22 janvier 2019, la banque a adressé une mise en demeure de paiement à la société, le second courrier étant doublé d'une demande de paiement adressée à chacune des cautions ; que le 1er février 2019, Monsieur A. a fait savoir à la banque qu'il transmettait une proposition de règlement à laquelle il n'a pas donné suite ;

Que par acte du 21 mars 2019, la C. C. a fait assigner la société a. a. ainsi que Madame B. et Monsieur A. en leur qualité de cautions solidaires afin d'obtenir paiement de sa créance ;

Que par jugement du 15 octobre 2020, le Tribunal de première instance a :

  • constaté que les dispositions de l'article 1745 alinéa 3 du Code civil n'ont pas été respectées dans le contrat d'ouverture de compte courant professionnel conclu par l'entreprise a. a. le 13 janvier 2014 et par la C. C. et dit que le taux d'intérêt applicable au découvert en compte est le taux légal,

  • ordonné la réouverture des débats afin que la banque produise un décompte du solde du compte courant expurgé des intérêts au taux contractuel, faisant apparaître de façon détaillée les sommes dues en principal et au titre des intérêts au taux légal,

  • déclaré valable les actes de cautionnement souscrits par Madame B. et Monsieur A. au profit de la banque,

  • sursis à statuer sur les demandes en paiement formulées par les parties dans l'attente de la production par la banque du décompte précité,

  • débouté la société a. a., Monsieur A. et Madame B. de leur demande reconventionnelle et renvoyé l'affaire et les parties à une audience ultérieure ;

Attendu que sur appel de la SARL a. a., de Madame B. et Monsieur A. par arrêt du 23 novembre 2021, la Cour d'appel a confirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

Attendu que sur pourvoi formé par la SARL a. a., Madame B. et Monsieur A. la Cour de révision, par arrêt du 13 juin 2022, a cassé et annulé l'arrêt rendu par la Cour d'appel, mais seulement en ce qu'il a débouté la SARL a. a., Monsieur A. et Madame B. de leur demande visant à engager la responsabilité de la C. C. pour manquement à son obligation de mise en garde ; elle a renvoyé la cause et les parties à la prochaine session utile de la Cour de révision autrement composée ;

Attendu que la SARL a. a., Madame B. et Monsieur A. ont déposé des conclusions additionnelles le 28 juillet 2022 ;

qu'ils demandent à la Cour de renvoi de réformer le jugement entrepris en date du 15 octobre 2020 en ce qu'il les a déboutés de leur demande reconventionnelle et, statuant à nouveau, de :

  • débouter la C. C. de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

  • dire et juger que cette dernière a manqué à son obligation de mise en garde tant à l'égard de la SARL a. a. société emprunteuse, que de Madame B. et Monsieur A. ès-qualités de caution solidaire et, partant, qu'elle a engagé sa responsabilité civile contractuelle à l'égard de ces derniers,

  • dire et juger que le préjudice résultant du manquement de la C. C. à son obligation de mise en garde doit s'analyser en une perte de chance par les concluants de ne pas contracter,

  • qu'en conséquence, il y a lieu de condamner la C. C. à leur payer :

    • la somme de 35.774,99 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,

    • la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 238-1-1 du Code de procédure civile et de la condamner aux entiers dépens distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Attendu que la C. C., c. c. a déposé le 6 septembre 2022 des conclusions additionnelles aux termes desquelles elle demande à la cour de :

  • dire et juger que les références faites au droit français, à la jurisprudence française ou encore aux principes en droit français par la SARL a. a., Madame B. et Monsieur A. devront être écartées,

  • dire et juger que seul le droit positif monégasque a vocation à s'appliquer en l'espèce et régir les relations contractuelles entre la c. c. et la société emprunteur ainsi que ses cautions solidaires,

  • dire et juger que la c. c. n'a pas accordé un crédit à la SARL a. a. mais une facilité de caisse qui n'est pas une solution de financement,

  • dire et juger que la c. c. n'est pas débitrice d'un quelconque devoir de mise en garde eu égard, d'une part, au caractère averti de l'emprunteur et des deux cautions et, d'autre part, au caractère non excessif du « crédit octroyé », étant rappelé de surcroît qu'il s'agit d'une facilité de caisse,

  • dire et juger que les deux conditions cumulatives nécessaires à la mise en oeuvre de l'obligation de mise en garde ne sont pas réunies en l'espèce, et que, par voie de conséquence, il y a lieu de :

    • dire et juger que la responsabilité civile contractuelle de la c. c. ne saurait valablement être recherchée ni engagée de ce chef,

    • confirmer le jugement dont appel du 15 octobre 2020 en ce qu'il a débouté la société a. a., Monsieur A. et Madame B. de leur demande reconventionnelle,

    • condamner solidairement ces derniers au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Alexis MARQUET, avocat défenseur, sous sa due affirmation ;

SUR CE

Attendu que les relations contractuelles entre les parties, qu'il s'agisse de l'ouverture en compte courant professionnel consenti par la c. c. à la SARL a. a. ou des actes de cautionnement solidaire donnés par Monsieur A. et Madame B. ont été conclus sur territoire monégasque, au nom d'une société monégasque, auprès d'une banque dont la succursale est en Principauté de Monaco ; que c'est donc à juste titre que le Tribunal a fait application des règles de droit monégasques et plus spécifiquement des articles 1850 et suivants du Code civil ;

Attendu que l'assujettissement du banquier dispensateur de crédit au devoir de mise en garde suppose un risque d'endettement excessif, cumulativement à la qualité de profane du client et qu'aucun devoir de mise en garde n'est exigé du banquier lorsqu'à la date de la conclusion du contrat, le crédit était adapté aux capacités financières de l'emprunteur ainsi qu'au risque d'endettement né de l'octroi du prêt ; qu'il en va de même en ce qui concerne les cautions considérées comme averties si elles disposent de la capacité d'apprécier les risques que leur engagement comporte, tant au regard de leur capacité financière que de celle du débiteur principal ;

Attendu que c'est en vain la c. c. fait valoir qu'elle n'aurait pas accordé un crédit à la SARL a. a. mais une facilité de caisse ne nécessitant pas de justification particulière quant aux besoins financés par la banque, dès lors qu'une facilité de caisse constitue une forme de crédit bancaire à court terme ;

Mais attendu qu'en l'espèce, il résulte des pièces versées au débat que la société a. a., créée en 2012, dont l'activité principale est le transport de marchandises, a ouvert un compte professionnel le 13 janvier 2014 dans les livres de la c. c. laquelle ne lui a accordé à ce stade aucun découvert et aucun endettement supplémentaire ; qu'après deux années de relations contractuelles, le 26 juillet 2016, la banque a accordé à la société une facilité de caisse du fait de l'augmentation de son capital social de 130.000 euros, décidée par l'assemblée générale de cette société ; que c'est dans ces conditions que Monsieur A. et Madame B. qui sont tous deux les gérants de la société, se sont portés cautions solidaires de la facilité de caisse de 70.000 euros et de la facilité d'escompte de 50.000 euros, en précisant qu'ils déclaraient s'engager en pleine connaissance de la situation financière du débiteur principal ; que parallèlement à cette autorisation de découvert, la SARL a. a. a également conclu avec la banque douze leasings à hauteur de 330.000 euros en 2014 et un leasing à hauteur de 20.000 euros en 2015 pour acquérir un parc de véhicules destinés à l'exercice de son activité de transport, étant précisé que ces véhicules sont devenus sa pleine propriété et qu'elle disposait donc de liquidités suffisantes lui permettant d'y faire face ;

Et attendu qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, si la banque a effectivement manqué à son obligation de fournir par écrit le montant clairement déterminé des intérêts applicables, il n'est pas pour autant démontré que celle-ci ait volontairement dissimulé le taux d'intérêt contractuel, ce manquement relevant manifestement d'une mauvaise rédaction des conditions tarifaires dûment communiquées aux cautions, étant précisé que la méconnaissance par les cautions des dispositions de l'article 1745 alinéa 3 du Code civil ne saurait valablement démontrer leur qualité de cautions non averties ;

Attendu en conséquence que l'analyse des relations contractuelles suivies entre les parties fait apparaître que tant la société emprunteuse que ses dirigeants cautions, ne peuvent être considérés comme profanes dans la mesure où, manifestement, ils disposaient de l'ensemble des éléments leur permettant de mesurer la portée de leurs engagements ;

Qu'il s'ensuit que tant la SARL a. a. que les cautions ne peuvent se prévaloir d'un manquement de la banque à son devoir de mise en garde et doivent être déboutés de l'ensemble des demandes en résultant ;

Qu'il y a lieu de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Attendu qu'il convient de rejeter les demandes formulées par les parties sur le fondement de l'article 238-1-1 du Code procédure civile et de condamner la SARL a. a., Monsieur A. et Madame B. aux dépens d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Déboute la SARL a. a., Monsieur A. et Madame B. de l'ensemble de leurs demandes,

Déboute la c. c. de sa demande sur le fondement de l'article 232-1-1 du Code de procédure civile,

Condamne la SARL a. a., Monsieur A. et Madame B. aux dépens de l'entière procédure, avec distraction au profit de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que les dépens distraits seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé le seize mars deux mille vingt-trois, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, rapporteur, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Serge PETIT, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et Madame Martine VALDES-BOULOUQUE, Conseiller, en présence du Ministère public, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

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