Cour de révision, 16 décembre 2022, La société anonyme A. c/ D.

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Abstract🔗

Contrat de travail - Maladie professionnelle - Présomption d'imputabilité au travail

Résumé🔗

La présomption d'imputabilité au travail d'une pathologie inscrite au tableau des maladies professionnelles ne peut bénéficier qu'au salarié dont l'exposition au risque défini par le tableau a été habituelle, en sorte que le caractère professionnel de la leucémie aiguë myéloblastique, inscrite au tableau n° 4 des maladies professionnelles, n'est subordonné qu'à une exposition directe pendant une durée de six mois au benzène et autres produits en renfermant, dont la charge de la preuve incombe au salarié.

La Cour d'appel, qui s'est bornée à énoncer que l'assureur ne démontre pas que le ravitaillement des bus s'effectue au gasoil, lui-même émetteur de particules toxiques et potentiellement cancérigène, sans rechercher en quoi le remplissage ponctuel du réservoir de l'autobus, avec un carburant, dont elle n'a pas précisé la nature, avait présenté un risque de caractère habituel lié au benzène, permettant à M. E. de bénéficier de la présomption d'imputabilité au travail de la pathologie dont il est décédé et alors que la société A. contestait l'exposition de M. E.au benzène dans le cadre de son activité de chauffeur de bus et faisait valoir que le carburant utilisé dans ces bus ne contenait pas de benzène au moment des faits puisqu'il s'agissait de gasoil et non d'essence, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2 de la loi n° 444 du 16 mai 1946 étendant aux maladies professionnelles la législation sur les accidents du travail et le tableau n° 4 des maladies professionnelles annexé à celle-ci.


Pourvoi N° 2022-49

Hors Session AT

COUR DE RÉVISION

ARRÊT DU 16 DECEMBRE 2022

En la cause de:

  • La société anonyme de droit français dénommée A. , dont le siège social est situé X1 à Nanterre (92727), agissant poursuites et diligences de son Président du Conseil d'Administration et Directeur Général en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, et représentée en Principauté de Monaco par la société anonyme monégasque B. dont le siège social se trouve X2 à Monaco, agissant poursuites et diligences de son Président Administrateur Délégué en exercice, Monsieur C. domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

DEMANDERESSE EN RÉVISION,

d'une part,

Contre :

  • D., née le 14 avril 1970 à Mahdia (Tunisie), de nationalité tunisienne, demeurant X3 à Nice (06000), agissant tant à titre personnel qu'ès-qualités de représentante légale de sa fille, E. née le 13 février 2006 à Nice ;

Bénéficiaire de plein droit de l'assistance judiciaire au titre de la législation sur les accidents du travail

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant comme avocat plaidant Maître Clyde BILLAUD, avocat près la même Cour d'appel ;

DÉFENDERESSE EN RÉVISION,

d'autre part,

Visa🔗

LA COUR DE RÉVISION,

Statuant hors session et uniquement sur pièces, en application des dispositions des articles 439 à 459-7 du Code de procédure civile, de l'article 22-4 de la loi n° 790 du 18 août 1965 modifiant et complétant la loi n° 636 du 11 janvier 1958 codifiant la législation sur la déclaration, la réparation et l'assurance des accidents du travail et des articles 458 et 459 du Code de procédure civile ;

VU:

  • l'arrêt rendu par la Cour d'appel, statuant sur appel d'un jugement statuant en matière d'accident du travail, en date du 31 mai 2022 ;

  • la déclaration de pourvoi souscrite au Greffe général, le 15 juillet 2022, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme de droit français dénommée A.;

  • la requête en révision déposée le 26 juillet 2022 au Greffe général, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme de droit français dénommée A. accompagnée de 22 pièces, signifiée le même jour ;

  • la contre-requête déposée le 16 août 2022 au Greffe général, par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de D. accompagnée de 8 pièces, signifiée le même jour ;

  • la réplique déposée le 22 août 2022 au Greffe général, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme de droit français dénommée A. signifiée le même jour ;

  • les conclusions du Ministère public en date du 19 août 2022 ;

  • le certificat de clôture établi le 12 septembre 2022 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

Ensemble le dossier de la procédure,

À l'audience du 17 novembre 2022, sur le rapport de M. Serge PETIT, Conseiller,

Motifs🔗

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les pièces de la procédure que E. ayant exercé la profession de conducteur de bus pour le compte de la SAM F. Monaco, exploitant sous l'enseigne G. depuis le 18 décembre 2006, a effectué un service de nuit en qualité de conducteur de bus trois fois par semaine à partir de janvier 2010 ; que le 24 octobre 2016 lui a été diagnostiquée une leucémie aiguë myéloblastique, qu'il a été en arrêt de travail à compter du 24 octobre 2016 ; qu'il est décédé le 19 juin 2017 des suites de cette pathologie ; que le 14 juin 2018, Mme D. sa veuve, a saisi le juge chargé des accidents du travail afin de solliciter la requalification de la pathologie cancéreuse en maladie professionnelle, que la SA A. assureur-loi, a par lettre du 22 juin 2018 refusé la prise en charge, en raison de l'expiration du délai de déclaration de la maladie, que l'assureur-loi a maintenu, le 2 décembre 2019, son refus de prise en charge des conséquences pécuniaires de la maladie professionnelle, qu'une ordonnance de non conciliation a été rendue le 6 janvier 2020 par le juge chargé des accidents du travail ; que Mme D. agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure, E. a assigné le 18 décembre 2020 la SAM F. Monaco et la SA A. assureur-loi, devant le Tribunal de première instance aux fins de voir juger que la pathologie de son époux était une maladie professionnelle, telle que prévue au tableau n°4 des maladies professionnelles, et de dire que l'assureur-loi devra prendre en charge les conséquences de cette maladie ; que par jugement du 8 juillet 2021, le Tribunal de première instance a mis hors de cause la SAM F. Monaco, dit que la leucémie aiguë myéloblastique, qui a entraîné le décès de E. est une maladie professionnelle au sens de la loi n° 444 du 16 mai 1946 et a dit que son conjoint survivant et sa fille mineure devaient bénéficier des dispositions des articles 4-1 et suivants de la loi n°636 du 11 janvier 1958, dit que la société anonyme A. devait prendre en charge les prestations dues à E. avant son décès, en application de la loi n°636 du 11 janvier 1958 ; qu'il a renvoyé l'affaire devant le juge chargé des accidents du travail ; que par arrêt du 13 mai 2022, la Cour d'appel a confirmé ce jugement ;

Sur le moyen unique pris en ses quatre dernières branches :

Vu l'article 2 de la loi n° 444 du 16 mai 1946 étendant aux maladies professionnelles la législation sur les accidents du travail et le tableau n°4 des maladies professionnelles annexé à celle-ci ;

Attendu que pour dire que la pathologie ayant entrainé le décès de E. devait être considérée comme une maladie professionnelle et pour condamner la société A. à prendre en charge les conséquences pécuniaires de celle-ci, l'arrêt énonce que le tableau n°4 des maladies professionnelles annexé à la loi n° 444 du 16 mai 1946 mentionne expressément, au titre des travaux pouvant engendrer une leucémie aiguë myéloblastique, les opérations de préparation des carburants renfermant du benzène, transvasement et manipulation de ces carburants tout en prévoyant une durée d'exposition d'au moins six mois, qui était en l'espèce largement acquise ; qu'il est non moins constant que ce carburant très volatile peut être facilement inhalé et présente une odeur caractéristique que la veuve de la victime affirme avoir sentie lorsque Monsieur E. rentrait de son service de conducteur de bus, au cours duquel il remplissait le réservoir trois fois par semaine et trois semaines sur quatre, et ce, tant sur lui-même que sur ses vêtements, ainsi qu'il résulte des termes du procès-verbal du 27 novembre 2019 ; que l'article 2 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 édicte une présomption d'imputabilité au profit de la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle dès lors que le travail a joué un rôle causal dans la survenance des blessures ou de la maladie, ce qui est incontestablement le cas en l'espèce ; que si cette présomption d'imputabilité n'est pas irréfragable, l'assureur-loi ne rapporte cependant pas la preuve contraire requise pour établir que le travail n'a pas joué un rôle causal dans la survenance de la leucémie myéloblastique de M. E. ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la présomption d'imputabilité au travail d'une pathologie inscrite au tableau des maladies professionnelles ne peut bénéficier qu'au salarié dont l'exposition au risque défini par le tableau a été habituelle, en sorte que le caractère professionnel de la leucémie aiguë myéloblastique, inscrite au tableau n°4 des maladies professionnelles, n'est subordonné qu'à une exposition directe pendant une durée de six mois au benzène et autres produits en renfermant, dont la charge de la preuve incombe au salarié, la Cour d'appel, qui s'est bornée à énoncer que l'assureur ne démontre pas que le ravitaillement des bus s'effectue au gasoil, lui-même émetteur de particules toxiques et potentiellement cancérigène, sans rechercher en quoi le remplissage ponctuel du réservoir de l'autobus, avec un carburant, dont elle n'a pas précisé la nature, avait présenté un risque de caractère habituel lié au benzène, permettant à M. E. de bénéficier de la présomption d'imputabilité au travail de la pathologie dont il est décédé et alors que la société A. contestait l'exposition de M. E.au benzène dans le cadre de son activité de chauffeur de bus et faisait valoir que le carburant utilisé dans ces bus ne contenait pas de benzène au moment des faits puisqu'il s'agissait de gasoil et non d'essence, a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

Sur la demande formée par Mme D. sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile :

Attendu que Mme D. sollicite la condamnation de la société A. au paiement de la somme de 8.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens ;

Mais attendu que le pourvoi de la société A. étant accueilli, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Casse et annule l'arrêt rendu le 23 juin 2022,

Rejette la demande formée par Mme D. sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile,

Renvoie l'affaire à la session la plus proche de la Cour de révision, autrement composée,

Réserve les dépens ;

Composition🔗

Ainsi jugé et rendu le seize décembre deux mille vingt-deux, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Messieurs Jean-Pierre GRIDEL, faisant fonction de Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Serge PETIT, Conseiller, rapporteur, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et François CACHELOT, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

Et Monsieur Jean-Pierre GRIDEL, faisant fonction de Président, a signé avec Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

Le Greffier en Chef, Le Président.

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