Cour de révision, 11 novembre 2021, Ministère public c/ a. R.

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Abstract🔗

Banqueroute - Constat de la cessation des paiements - Ouverture d'une procédure collective requise (non) - Prescription triennale - Preuve de la cessation des paiements (non) - Consistance de l'actif disponible inconnue

Banqueroute (non) - Rétention de mauvaise foi des livres comptables (non) - Pièces comptables détenues par l'expert-comptable non auditionné

Résumé🔗

La constatation de la cessation des paiements permet de caractériser le délit de banqueroute, même si l'état de cessation des paiements n'a pas été constaté par l'ouverture d'une procédure collective. Toutefois, la prescription court à compter du jour où le délit a été commis. Par conséquent, les faits reprochés antérieurs de plus de trois ans au premier acte d'enquête ne pouvaient justifier une condamnation.

Dans la mesure où la consistance de l'actif disponible n'est pas établie, il n'est pas possible de caractériser l'état de cessation des paiements de la société débitrice.

Dans la mesure où les pièces comptables de la société débitrice étaient détenues par l'expert-comptable, non auditionné, le défaut de remise de mauvaise foi des livres comptables n'est pas caractérisé.


Motifs🔗

Hors Session pénale

LA COUR DE RÉVISION,

Pourvoi N° 2021-44

En la cause du :

- MINISTÈRE PUBLIC, DEMANDEUR EN RÉVISION,

d'une part,

Contre :

- a. R. en sa qualité de gérant de la SARL GLOBAL INTERNATIONAL TRADING, né le 21 mai 1963 à ROCOURT (Belgique), de nationalité italienne, demeurant à SAINT PAUL DE VENCE (06570) ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, près la Cour d'appel de Monaco et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

DÉFENDEUR EN RÉVISION,

En présence de la partie civile :

- Bettina RAGAZZONI, en sa qualité de syndic à la liquidation des biens de la S.A.R.L. GLOBAL INTERNATIONAL TRADING, désignée par jugement du Tribunal de première instance en date du 16 avril 2015, bénéficiaire de l'assistance judiciaire par décision du 13 février 2020 portant le numéro 260 BAJ 20 ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, près la Cour d'appel de Monaco et ayant pour avocat plaidant Maître Clyde BILLAUD, avocat, en cette même Cour ;

d'autre part,

Statuant hors session et uniquement sur pièces, en application des dispositions de l'article 489 du Code de procédure pénale ;

VU :

- l'arrêt de la Cour d'appel statuant en matière correctionnelle, en date du 19 avril 2021 ;

- la déclaration de pourvoi souscrite au greffe général, le 26 avril 2021, par Madame le Procureur général ;

- la requête en révision déposée le 11 mai 2021 au greffe général, par Madame le Procureur général, accompagnée de 6 pièces, signifiée le même jour ;

- la contre-requête déposée le 25 mai 2021 au greffe général, par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de a. R. en sa qualité de gérant de la SARL GLOBAL INTERNATIONAL TRADING, accompagnée de 15 pièces, signifiée le même jour ;

- la contre-requête déposée le 26 mai 2021 au greffe général, par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de Bettina RAGAZZONI, en sa qualité de syndic à la liquidations des biens de la SARL GLOBAL INTERNATIONAL TRADING, signifiée le même jour ;

- le certificat de clôture établi le 15 juin 2021 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

Ensemble le dossier de la procédure,

À l'audience du 13 octobre 2021, sur le rapport de Monsieur François-Xavier LUCAS, Conseiller ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu, selon l'arrêt attaqué que, par jugement du 16 avril 2015, le Tribunal de première instance a constaté l'état de cessation des paiements de la SARL GLOBAL INTERNATIONAL TRADING (la société), en a fixé provisoirement la date au 12 mars 2014, a prononcé la liquidation des biens de cette société et désigné Madame Bettina RAGAZZONI en qualité de syndic ; que Monsieur a. R. gérant associé de la société a été poursuivi du chef de banqueroute simple pour, entre le 1er janvier 2013 et courant 2019, n'avoir pas tenu de comptabilité et n'avoir pas déclaré la cessation des paiements dans les délais, et du chef de banqueroute frauduleuse pour avoir, entre le 1er janvier 2013 et courant 2019, soustrait les livres de la personne morale ; que, par jugement du 16 juin 2020, le Tribunal correctionnel a relaxé M. R. des faits de banqueroute simple antérieurs au 4 octobre 2014 et des faits de banqueroute frauduleuse, le déclarant coupable des faits de banqueroute simple pour omission de déclaration de la cessation des paiements pour la période allant de janvier 2015 au 16 avril 2015 et pour tenue irrégulière de la comptabilité de la société du 4 octobre 2014 au 16 avril 2015 ; qu'en répression, le tribunal l'a condamné à une peine de 2.500 euros d'amende ; que, pour relaxer M. R. des faits de banqueroute simple antérieurs au 4 octobre 2014, le Tribunal correctionnel a considéré que le premier acte d'enquête est la demande d'entraide adressée, le 4 octobre 2017, par le procureur général au procureur de la République de Nice lui demandant de vérifier l'état civil de M. R. et de procéder à son audition ; que le délit de banqueroute se prescrivant par trois ans, le tribunal a retenu que les faits antérieurs au 4 octobre 2014 étaient prescrits et ne pouvaient être reprochés au prévenu ; que sur le délit de banqueroute frauduleuse, le tribunal, pour relaxer M. R. des faits qui lui étaient reprochés, a jugé qu'il n'était pas établi que la non-remise au syndic par le prévenu de la comptabilité de la société aurait été faite de mauvaise foi ; que le procureur général ayant interjeté appel de ce jugement, par arrêt du 19 avril 2021, la Cour d'appel l'a confirmé en toutes ses dispositions ; que le procureur général s'est pourvu en révision contre cette décision ;

Sur le premier moyen pris en ses trois branches

Attendu que le procureur général fait grief à l'arrêt d'avoir jugé prescrits les faits de banqueroute simple antérieurs au 4 octobre 2014 et d'avoir relaxé le prévenu alors, selon le moyen, d'une part, « qu'en statuant sans dire en quoi la demande du ministère public de voir appliqués à la banqueroute les principes déjà dégagés par le juge (jurisdictio) concernant un régime particulier du point de départ reconnu à d'autres infractions, en tout cas s'appliquant à l'abus de confiance et à la banqueroute et d'en tirer les conséquences sur la période au cours de laquelle les faits pouvaient être reprochés et poursuivis, soit en l'espèce sur une période équivalente à la période de cessation des paiements, soit une période maximale de 3 années précédant la date du jugement, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision » et alors, d'autre part, « qu'en statuant sans dire en quoi la demande du ministère public de reconnaître que la banqueroute pouvait, dans certaines conditions, présenter le caractère d'une infraction occulte ou clandestine nécessitant de déplacer le point de départ du délai de prescription, et d'en tirer les conséquences sur la période au cours de laquelle les faits pouvaient être reprochés et poursuivis, soit en l'espèce sur une période maximale de 3 années précédant la date du jugement civil, n'était pas fondée et pertinente, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision » et alors, enfin, « qu'en statuant sans dire en quoi les prescriptions de l'article 427 du Code de commerce sont inopérantes pour dire que le point de départ de la prescription pour les faits commis avant le jugement d'ouverture est fixé au jour de ce jugement et d'en tirer les conséquences sur la période au cours de laquelle les faits pouvaient être reprochés et poursuivis, soit en l'espèce sur une période de 3 années précédant la date du jugement, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 6 de la CEDH et des articles 11, 13 du Code de procédure pénale, 328, 328-1 du Code pénal, 408, 414, 427 du Code de commerce et des principes généraux du droit ».

Mais attendu qu'il résulte des articles 600 et 605 du Code de commerce qu'une condamnation pour banqueroute peut être prononcée dès que le débiteur a cessé ses paiements même si la cessation des paiements n'a pas été constatée par un jugement d'ouverture d'une procédure collective ; que selon l'article 13 du Code de procédure pénale, la prescription court à compter du jour où le délit a été commis ; qu'il en va différemment lorsqu'un texte prévoit un point de départ différent du délai de prescription, ce qui n'est pas le cas en matière de banqueroute ;

Qu'ayant relevé que le premier acte d'enquête, effectué dans le cadre d'une demande d'entraide internationale par le procureur général, avait été adressé le 4 octobre 2017 au procureur de la République de Nice aux fins de vérifier l'état civil de M. R. et de procéder à son audition, la Cour d'appel a exactement déduit des dispositions précitées, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que les faits reprochés au prévenu ne pouvaient être antérieurs au 4 octobre 2014 ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen de révision

Attendu que le procureur général fait grief à l'arrêt d'avoir relaxé le prévenu des faits de banqueroute simple antérieurs au 4 octobre 2014 au motif que les éléments du dossier de la procédure et rappelés dans l'acte de poursuite ne caractérisaient pas, au 31 décembre 2012, un état de cessation des paiements, alors, selon le moyen, « qu'il ressort de la procédure les créances exigibles suivantes :

1.  une émission de chèques sans provision sur le compte ouvert à la SMC n° 0495913725604200 les 14 octobre 2013 et 12 novembre 2013 ;

2.  l'absence de règlement des factures de la société Manifattura IGEA spa à compter du 25 juin 2013 ;

3.   un compte ouvert à la banque SA BNP PARIBAS sous n° 09172 100267/71 débiteur au 7 juin 2013 pour un montant de 98.443,90 € ;

4.  des cotisations dues à AG2R RETRAITE ARCCO 2e, 3e, 4e trimestre 2013 et er trimestre 2014 (mise en demeure adressée le 16 septembre 2014) ;

5.  la société GBS Sports Ltd - défaut de règlement d'une lettre de change présentée au 30 juillet 2014 ;

6.  une mise en demeure de la banque SMC en date du 24 février 2014 de régler la somme de 99.772,47 € ;

7.  une mise en demeure de la banque SMC du 25 mars 2014 de régler la somme de 50.449,12 € au titre du prêt débiteur ;

8.  un compte ouvert à la banque SMC sous n° 04959137256 débiteur au 31 mai 2014 pour un montant de 107 345,46 € ;

9.  une émission de chèques sans provision sur le compte ouvert à la BPCA n° 096015607908 et n° 006460021777607 les 30 octobre 2013 et 14 mars 2014 et courant mars 2014 ; qu'il est rappelé le défaut de déclaration de TVA depuis janvier 2013 (créance produite par les services fiscaux pour un montant de 10 661 €) ;

10.  que ces éléments combinés à un état des créances arrêté à la somme de 644 806,09 €, démontrent une impossibilité pour la société de faire face par son actif immédiatement disponible à son passif exigible, et non pas exigé, dès le 1er janvier 2013, et en tout cas nécessairement à la date du 12 mars 2014, telle que fixée par le juge civil ; qu'en statuant ainsi la cour n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 6 de la CEDH, 13 du Code de procédure pénale, 328, 328-1 du Code pénal, 408, 414, 427 du Code de commerce et des principes généraux du droit » ;

Mais attendu qu'est en état de cessation des paiements le débiteur dont l'actif disponible ne lui permet pas de faire face à son passif exigible ; qu'une telle impossibilité ne peut être établie qu'en précisant la consistance de l'actif disponible ; que la Cour d'appel, qui a constaté que la preuve n'était pas rapportée d'une telle impossibilité, faute de trouver établi le montant de l'actif disponible, ne pouvait qu'en déduire qu'un état de cessation des paiements au 1er janvier 2013 n'était pas caractérisé ;

Sur le troisième moyen de révision

Attendu que le procureur général fait grief à l'arrêt d'avoir relaxé le prévenu des faits de banqueroute frauduleuse par soustraction de pièces comptables alors, selon le moyen, « qu'en statuant sans dire en quoi la demande du ministère public, tendant à juger que le délit de banqueroute frauduleuse par soustraction de mauvaise foi des livres de la personne morale est caractérisé en tous les éléments de l'infraction, par la seule constatation du défaut par le dirigeant, placé en liquidation, de remise au syndic des documents qu'il est réputé détenir au siège social, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 4-2, 328 du Code pénal, 414, 421, 460, 530 du Code de commerce » ;

Mais attendu qu'ayant retenu que les pièces comptables de la société se trouvaient entre les mains de son expert-comptable et que celui-ci n'avait pas été auditionné par les enquêteurs de police, c'est sans encourir les griefs du moyen que la Cour d'appel en a déduit qu'aucun élément ne permettait d'établir que la non remise des livres comptables de la personne morale a été faite de mauvaise foi ; que le moyen n'est, dès lors, pas fondé ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Rejette le pourvoi,

Laisse les frais à la charge du trésor ;

Composition🔗

Ainsi jugé et rendu le onze novembre deux mille vingt et un, par la Cour de révision de la Principauté de Monaco, composée de Messieurs François-Xavier LUCAS, faisant fonction de Président, rapporteur, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Jean-Pierre GRIDEL, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, et François CACHELOT, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

Et Monsieur François-Xavier LUCAS, faisant fonction de Président, a signé avec Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

Le Greffier en Chef, Le Président.

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