Cour de révision, 8 avril 2021, Madame c. C. c/ La SAM A

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Abstract🔗

Insuffisance professionnelle – Caractérisation (oui) – Appréciation souveraine du juge du fond

Résumé🔗

Par une décision motivée, la Cour d'appel, qui n'a pas tranché une contestation relative à la modification unilatérale du contrat de travail, et qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées et procédé aux recherches prétendument omises, sans être tenue de répondre à une simple argumentation, ayant apprécié souverainement tous les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a caractérisé l'insuffisance professionnelle de Madame C.


Motifs🔗

COUR DE RÉVISION

ARRÊT DU 8 AVRIL 2021

En la cause de :

  • - Madame c. C., professeur, domiciliée X1 à MONACO (98000) ;

Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n°X, par décision du Bureau du 7 février 2019

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

DEMANDERESSE EN RÉVISION,

d'une part,

Contre :

  • - La Société Anonyme Monégasque dénommée A, dont le siège est X2 à Monaco, prise en la personne de son Président Administrateur Délégué en exercice, domicilié ès qualités audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Sophie MARQUET, avocat près la même Cour ;

DÉFENDERESSE EN RÉVISION,

d'autre part,

LA COUR DE RÉVISION,

Statuant hors session et uniquement sur pièces, en application des dispositions des articles 439 à 459-7 du Code de procédure civile et l'article 14 de la loi n° 1.375 du 16 décembre 2010 modifiant la loi n° 446 du 16 mai 1946, portant création d'un Tribunal du travail ;

VU :

  • - l'arrêt rendu par la Cour d'appel, statuant sur appel d'un jugement du Tribunal du travail, en date du 14 juillet 2020, signifié le 15 septembre 2020 ;

  • - la déclaration de pourvoi souscrite au greffe général, le 14 octobre 2020, par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, au nom de c. C.;

  • - la requête en révision déposée le 12 novembre 2020 au greffe général, par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, au nom de c. C. accompagnée de 33 pièces, signifiée le même jour ;

  • - la contre-requête déposée le 7 décembre 2020 au greffe général, par Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SAM A, accompagnée de 106 pièces, signifiée le même jour ;

  • - les conclusions du Ministère Public en date du 10 décembre 2020 ;

  • - le certificat de clôture établi le 11 janvier 2021 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

Ensemble le dossier de la procédure,

À l'audience du 11 mars 2021, sur le rapport de M. Serge PETIT, Conseiller,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Madame C. a été engagée par la SAM A en contrat à durée indéterminée à compter du 3 novembre 2003 en qualité de professeur ; qu'elle a ensuite été élue déléguée du personnel ; que suite à un entretien d'évaluation, elle a reçu par courrier du 19 juin 2015 une convocation de l'inspecteur du travail devant la commission de licenciement qui, le 3 juillet 2015 a refusé son licenciement ; qu'elle a ensuite été licenciée pour insuffisance professionnelle par courrier recommandé du 4 septembre 2015 ; que Madame C. a saisi le Tribunal du travail en conciliation, sans succès ; que par jugement du 27 septembre 2018 le Tribunal du travail a dit que son licenciement reposait sur une cause valable et ne revêtait pas un caractère abusif ; qu'elle a relevé appel de cette décision ; que par arrêt du 14 octobre 2020 la Cour d'appel a confirmé le jugement ; qu'elle a formé un pourvoi contre cette décision ;

  • Sur le premier moyen en sept branches :

Attendu que Madame C. fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le premier moyen, de première part « que constitue une modification unilatérale du contrat de travail la mise en place d'un nouveau statut d'enseignants-chercheurs obligeant ces derniers à atteindre un objectif de publication dans des revues scientifiques classées (étoilées) et diminuant en contrepartie leur charge horaire d'enseignant ; qu'en l'espèce la Cour d'appel a constaté, par motifs propres et adoptés, que les parties n'avaient signé aucun contrat de travail, qu'en 2013 la SAM A avait mis en place un nouveau statut des enseignants-chercheurs se traduisant par une nouvelle norme de publication de 2 étoiles sur 2 ans ou d'une étoile par an et par chercheur et par une charge horaire moins forte ; que Mme C. qui n'avait jamais publié dans des revues scientifiques classées avait été embauchée avec un nombre d'heures d'enseignement de 270 heures réduit à 240 heures à compter de l'année universitaire 2012/2013, puis à 196 heures, et qu'elle devait désormais atteindre le nombre de 2 publications sur 2 ans ; qu'en jugeant que ces nouvelles normes imposées par l'employeur constituaient un simple changement des conditions de travail et non une modification unilatérale du contrat de travail, la Cour d'appel a violé l'article 989 du Code civil, ensemble les articles 1 et 15 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 concernant le contrat de travail » ;

alors, de deuxième part « en tout état de cause, que l'insuffisance de résultats ne peut constituer une cause de licenciement que si elle procède d'une insuffisance professionnelle ou d'une faute du salarié ; qu'en jugeant en l'espèce que le fait pour Madame C. de ne pas avoir atteint ses objectifs de publication fixés au cours des années 2011 à 2015 constituait un motif valable de licenciement, sans rechercher si le non-respect des objectifs ne résultait pas d'une part, de la maladie de Madame C. qui avait été placée en congé de maladie du 10 septembre 2012 au 24 avril 2013 et d'autre part, de l'augmentation du nombre d'étudiants en Master de luxe, passé de 18 à 100 de 2006 à 2014/2015, ce qui avait considérablement alourdi sa charge de travail de suivi et de correction de leurs mémoires, la Cour d'appel à privé sa décision de base légale au regard des articles 1 et 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 concernant le contrat de travail et au regard de l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 » ;

alors, de troisième part « que l'insuffisance professionnelle ne présente aucun caractère fautif ; qu'en jugeant que le licenciement de Mme C. prononcé pour insuffisances professionnelles, était notamment caractérisé par son refus de se présenter à un rendez-vous fixé avec son responsable de programme, par des retards injustifiés, par des pauses anormalement longues, par son absence injustifiée à une réunion de formation et à une réunion de travail et par son refus de se remettre en question, lorsque ces faits constitutifs de fautes ne pouvaient justifier son licenciement pour insuffisance professionnelle, la Cour d'appel a violé les articles 1 et 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 concernant le contrat de travail et l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 » ;

alors, de quatrième part « que les juges doivent examiner tous les éléments de preuve fournis par les parties au soutien de leur prétention ; qu'en retenant que l'employeur affirmait sans être contesté que Mme C. n'avait produit que 2 contributions pédagogiques en 12 ans de fonction, sans examiner les éléments de preuve contraire fournis par Madame C. et notamment son évaluation professionnelle de 2013 dans laquelle elle faisait état de ses 11 publications pour la seule année 2012, virgule la Cour d'appel a violé l'article 199 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6 & 1 un de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme » ;

alors, de cinquième part « que les juges doivent examiner tous les éléments de preuve fournis par les parties au soutien de leur prétention ; qu'en l'espèce Mme C. avait invoqué et produit aux débats de multiples attestations d'anciens professeurs de la SAM A, des évaluations et des attestations de ses étudiants, ainsi que des lettres de recommandation louant ses qualités professionnelles et faisant état de la satisfaction donnée à ses étudiants tout au long de sa période de travail ; qu'en se bornant à affirmer que son licenciement pour insuffisance professionnelle était caractérisé par des manquements dans sa pratique professionnelle d'enseignante, non contredits par les différents témoignages, évaluations d'étudiants et lettre de recommandation produits par Mme C. sans à aucun moment analyser ces éléments de preuves, la Cour d'appel a violé l'article 199 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme » ;

alors, de sixième part « que les jugements doivent être motivés et le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motif ; qu'en l'espèce la Cour d'appel a estimé que le licenciement pour insuffisances professionnelles de Mme C.était caractérisé par des manquements dans sa pratique professionnelle, des étudiants s'étant plaint d'avoir reçu tardivement ses cours et la plateforme de cours n'ayant pas été correctement utilisée ; qu'en statuant ainsi sans répondre aux conclusions de Mme C. faisant valoir que la mise en ligne des supports de cours n'était pas obligatoire et qu'en tout état de cause, elle mettait en ligne tous ses supports de cours au fur et à mesure des cours donnés et les supprimait à la fin de chaque cours lorsque les étudiants les avaient téléchargés (cf. conclusions d'appel du 5 décembre 2019 page 69), la Cour d'appel a privé sa décision de motif en violation de l'article 199 du Code de procédure civile » ;

alors, de septième part « en tout état de cause que l'insuffisance doit reposer sur des faits précis, objectifs et matériellement vérifiables et non sur une appréciation purement subjective de l'employeur ; qu'en se fondant sur la propre évaluation de l'employeur du 23 septembre 2014 reprochant vaguement à Mme C.« un manque de lucidité et de réalisme sur le niveau et la qualité des contributions et de l'implication au sein de la SAM A » et sur la propre lettre de l'employeur du 18 décembre 2013 lui reprochant des «remontées négatives » de ses étudiants sur le contenu et l'organisation de cours et sur le « manque de structure et de rigueur » dans ses cours, pour dire son licenciement pour insuffisances professionnelles justifié, la Cour d'appel qui s'est fondée sur les appréciations vagues et purement subjectives de l'employeur et non sur des éléments précis, objectifs et matériellement vérifiables, a violé les articles 1 et 6 de la loi n° 729 du 16 mars 963 concernant le contrat de travail et l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 » ;

Mais attendu que par une décision motivée, la Cour d'appel, qui n'a pas tranché une contestation relative à la modification unilatérale du contrat de travail, et qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées et procédé aux recherches prétendument omises, sans être tenue de répondre à une simple argumentation, ayant apprécié souverainement tous les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a caractérisé l'insuffisance professionnelle de Madame C.; que le moyen qui manque en fait en ses 4ème et 5ème branches, n'est fondé en aucune de ses autres branches ;

  • Sur le second moyen :

Attendu que Madame C. fait encore grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen d'une part « que le licenciement du salarié est abusif si l'employeur a invoqué un motif fallacieux dissimulant un autre motif ; qu'en l'espèce Mme C. soutenait que son licenciement pour insuffisances professionnelles était abusif comme fondé sur un motif fallacieux, le véritable motif de son licenciement étant les 2 procédures qu'elle avait intenté à l'encontre de son employeur en novembre 2014 devant le Tribunal de première instance et devant le Tribunal du travail, la première pour se voir reconnaître la paternité de la création du Master de Luxe et la seconde pour obtenir paiement de notes de frais, frais de transport, heures supplémentaires et appropriation illégitime de sa spécialisation luxe ; qu'en écartant tout caractère abusif au prétexte inopérant que les tribunaux l'avait déboutée de ses deux demandes, sans rechercher si la concomitance entre ces actions judiciaires menées contre son employeur en novembre 2014, et son licenciement pour insuffisance professionnelle initié dès juin 2015 et prononcé en septembre 2015 n'établissait pas le caractère fallacieux du motif invoqué, le licenciement n'étant qu'une mesure de rétorsion aux actions judiciaires menées, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars1963 concernant le contrat de travail » ;

alors, selon le moyen d'autre part « que le licenciement de l'ancien salarié protégé est abusif si, bien qu'intervenu à l'expiration du délai légal de protection du salarié, il est prononcé pour les mêmes motifs que ce qui avait été invoqué à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement adressée à la commission de licenciement pendant ce délai, et qui avait été refusée ; qu'en l'espèce, il ressort de l'arrêt que pendant la période de protection de Mme C. qui était déléguée du personnel, la SAM A avait saisi la Commission de licenciement pour qu'elle l'autorise à la licencier pour insuffisances professionnelles et que par décision du 3 juillet 2015, la Commission avait refusé d'autoriser ce licenciement ; qu'en jugeant que son licenciement prononcé le 4 septembre 2015 à l'issue de la période de protection, pour le même motif d'insuffisances professionnelles ne revêtait pas un caractère abusif, la Cour d'appel a violé l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 concernant le contrat de travail et l'article 16 de la loi n° 459 du 19 juillet 1947 portant modification du statut des délégués du personnel » ;

Mais attendu que par motifs propres et adoptés des premiers juges, la Cour d'appel a constaté qu'il n'y avait aucun lien de causalité entre le licenciement de Madame C. et les actions judiciaires qu'elle avait engagées, que non fondé en sa première branche, le moyen qui, en sa seconde branche est mélangé de fait et de droit et, à ce titre, irrecevable, doit être rejeté.

  • Sur la demande de dommages et intérêts de Madame C. :

Attendu que Madame C. demande la condamnation la SAM A à lui payer une indemnité de 5.000 € à titre de dommages et intérêts ;

Mais attendu que Madame C. succombe en son pourvoi, qu'il n'y a pas lieu d'accueillir sa demande ;

  • Sur la demande de la SAM A formée sur le fondement de l'article 459 4 du Code de procédure civile :

Attendu que la SAM A sollicite la condamnation de Madame C. au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 459-4 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'eu égard aux circonstances de la cause il n'y a pas lieu d'accueillir sa demande ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

- Rejette le pourvoi,

- Rejette la demande dommages et intérêts de Madame c. C.

- Rejette la demande formée par SAM A sur le fondement de l'article 459-4 du Code de procédure civile ;

- Condamne Madame c. C. aux dépens distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

- Ordonne que lesdits dépens seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Ainsi jugé et rendu le huit avril deux mille vingt et un, par la Cour de révision de la Principauté de Monaco, composée de Messieurs Jean-Pierre GRIDEL, faisant fonction de Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Serge PETIT, Conseiller, rapporteur, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Jacques RAYBAUD, Conseiller.

Et Monsieur Jean-Pierre GRIDEL, faisant fonction de Président, a signé avec Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

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