Cour de révision, 9 octobre 2018, La Société Anonyme Monégasque CFM INDOSUEZ WEALTH, anciennement dénommée CRÉDIT FONCIER DE MONACO c/ Monsieur c. TZ.

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Abstract🔗

Pourvoi en révision - Griefs - Moyens non fondés - Sous couvert - Juges du fond - Appréciations souveraines

Résumé🔗

Sous couvert des griefs non fondés de contradiction de motifs, dénaturation, défaut de base légale, vice de la motivation et violation de la loi, le pourvoi ne tend, en ses cinq moyens, qu'à remettre en cause devant la Cour de révision les appréciations souveraines des juges du fond ; les moyens doivent être rejetés.


Motifs🔗

Pourvoi N° 2018-22 en session Civile

COUR DE REVISION

ARRÊT DU 9 OCTOBRE 2018

En la cause de :

- La Société Anonyme Monégasque CFM INDOSUEZ WEALTH, anciennement dénommée CREDIT FONCIER DE MONACO, dont le siège social est sis, 11 boulevard Albert 1er à MONACO, agissant poursuites et diligences de son Président administrateur délégué en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

DEMANDERESSE EN REVISION,

d'une part,

Contre :

- Monsieur c. TZ., né le 11 septembre 1940 à Koridini (Domrena) Grèce, de nationalité grecque, domicilié X1à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

DÉFENDEUR EN REVISION,

d'autre part,

LA COUR DE REVISION,

VU :

- l'arrêt rendu le 5 décembre 2017 par la Cour d'appel, signifié le 23 janvier 2018, statuant en matière civile ;

- la déclaration de pourvoi souscrite au greffe général, le 19 février 2018, par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, au nom de la SAM CFM INDOSUEZ WEALTH ;

- la requête déposée le 20 mars 2018 au greffe général, par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, au nom de la SAM CFM INDOSUEZ WEALTH, accompagnée de 39 pièces, signifiée le même jour ;

- la contre-requête déposée le 19 avril 2018 au greffe général, par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de M. c. TZ. accompagnée de 26 pièces, signifiée le même jour ;

- les conclusions du Ministère Public en date du 20 avril 2018 ;

- le certificat de clôture établi le 30 avril 2018 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

- la réplique déposée le 22 mai 2018 au greffe général, par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, au nom de la SAM CFM INDOSUEZ WEALTH, accompagnée de 5 pièces, signifiée le même jour ;

- la duplique déposée le 21 juin 2018 au greffe général, par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de M. c. TZ. signifiée le même jour ;

Ensemble le dossier de la procédure,

A l'audience du 5 octobre 2018 sur le rapport de Monsieur Serge PETIT, conseiller,

Après avoir entendu les conseils des parties ;

Ouï Monsieur le Procureur général ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. c.TZ. client du CRÉDIT FONCIER de MONACO, devenu CFM INDOSUEZ WEALTH (CFM), a demandé à son banquier de procéder à la vente de titres à cessibilité restreinte ; que leur cession était assortie de diverses conditions, dont une période de détention obligatoire de ces valeurs mobilières et de formalités de levée de restriction ; que le 8 janvier 2013, il adressait au CFM un ordre de vendre le maximum d'actions sur un jour de bourse par lots de 10.000 actions à un prix non inférieur de 0,70 cents et réitérait cet ordre le 10 janvier 2013 ; que la vente a eu lieu le 11 janvier 2013 ; que reprochant à la banque d'avoir exécuté tardivement son ordre de vente, M. TZ. a saisi le Tribunal de première instance d'une action en responsabilité à l'encontre du CFM ; que par jugement du 28 janvier 2016, le tribunal, après avoir rejeté la demande de communication de pièces formée par le demandeur, a déclaré le CFM contractuellement responsable du préjudice subi par M. TZ. l'a condamné à lui payer à titre de dommages-intérêts la contrevaleur en euros de la somme de 500.000 USD et a rejeté le surplus des prétentions des parties ; que le CFM a interjeté appel du jugement ; que par arrêt du 5 décembre 2017 la cour d'appel a débouté le CFM INDOSUEZ WEALTH de son exception d'irrecevabilité et confirmé le jugement du 28 janvier 2016 et a dit que ces intérêts au taux légal courront à compter du jugement ; qu'elle a débouté M. TZ.de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif et condamné le CFM aux dépens d'appel ;

Sur les cinq moyens réunis

Attendu que le CFM fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ainsi statué, alors selon le premier moyen d'une part, « que la motivation adoptée par les juges du fond ne peut pas procéder d'une contradiction de motifs ; que la cour d'appel a énoncé que le 10 janvier 2013 M TZ. avait donné au CFM un ordre formel, clair, précis et dépourvu d'ambiguïté de vendre immédiatement à cette date toutes les actions au prix du marché avec un prix plancher de 0,70 USD par action alors qu'elle ne pouvait pas retenir, sans se contredire, que l'ordre devait être exécuté le 10 janvier 2013 tout en relevant que M. TZ. avait spécifié qu'il pouvait être renouvelé le lendemain ; que c'est donc en contradiction totale avec ses propres constatations que la cour d'appel a retenu une faute de la banque pour exécution tardive de son obligation, violant par là même l'article 199, 4° du Code de procédure civile, la contradiction de motifs emportant défaut de motifs » ; alors, selon le moyen de deuxième part, « que les juges ne peuvent dénaturer les écrits clairs et précis qui leur sont soumis ; que la cour d'appel a énoncé que le 10 janvier 2013 M. TZ. avait donné au CFM un ordre formel, clair, précis et dépourvu d'ambiguïté de vendre immédiatement à cette date toutes les actions au prix du marché avec un prix plancher de 0,70 USD par action, alors qu'elle ne pouvait pas retenir, sans se contredire, que l'ordre devait être exécuté le 10 janvier 2013 tout en relevant que M. TZ .avait spécifié qu'il pouvait être renouvelé le lendemain ; qu'ainsi, si l'exécution de l'ordre devait intervenir au plus vite, la date du 10 janvier 2013 n'était pas une date impérative, d'autant que M. TZ. a donné instruction de renouveler l'ordre le lendemain le cas échéant ; que la cour d'appel ne pouvait donc pas retenir qu'il existait une date impérative à laquelle l'ordre devait être exécuté et que cette date était le 10 janvier 2013 ; qu'en conséquence pour retenir que M. TZ. aurait demandé le 10 janvier 2013 l'exécution immédiate de son ordre, la cour d'appel a dénaturé un écrit clair et précis, violant par là même l'article 1188 du Code civil » ; alors selon le premier moyen, de troisième part, « que la responsabilité contractuelle organisée par l'article 1002 du Code civil impose l'existence d'une faute, d'un dommage, mais encore d'un lien de causalité ; qu'il n'est pas démontré qu'un dommage a pu résulter d'une prétendue exécution tardive de l'ordre le 11 janvier au lieu du 10 janvier 2013 ; que la cour d'appel ne pouvait donc pas retenir, sans violer l'article 1002 du Code civil, une exécution tardive de l'obligation et l'existence d'un dommage, la caractérisation d'un lien de causalité entre les deux s'en trouvant absente ; qu'en conséquence, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'une au moins des conditions indispensables à la mise en jeu de la responsabilité contractuelle telle qu'organisée par l'article 1002 du Code civil et ainsi privé sa décision de base légale » ;

Attendu que le CFM fait ensuite grief à l'arrêt attaqué d'avoir refusé de l'exonérer de sa responsabilité aux motifs qu'il n'aurait pas justifié de circonstances particulières qui l'auraient empêché de faire diligence à la date du 10 janvier 2013, au moins pour partie des actions, puisque M. TZ. avait accepté de prolonger l'opération le lendemain en cas de liquidité insuffisante alors, selon le deuxième moyen, de première part, « que l'obligation qui pèse sur le banquier est consacrée en tant que simple obligation de moyens par ses propres constatations, que la cour d'appel a caractérisé l'existence de circonstances particulières justifiant l'exécution de l'ordre le lendemain, en sorte qu'elle s'est nécessairement contredite en opposant au CFM INDOSUEZ WEALTH qu'il ne justifiait pas que la vente était assortie de circonstances particulières rendant impossible le traitement immédiat des instructions données et a violé par là même l'article 199, 4° du Code de procédure civile par contradiction de motifs emportant défaut de motifs engendrant une violation des articles L 533-18 du Code monétaire et financier et 1002 du Code civil ensemble » ; alors, selon le deuxième moyen de deuxième part « que la cour d'appel doit exposer les motifs permettant à la Cour de révision d'opérer un contrôle de la motivation, c'est-à-dire la mettre en mesure d'apprécier si la loi a été correctement appliquée ; que la cour d'appel, qui a pourtant relevé que la liquidité du titre était une condition préalable et nécessaire à la vente, a omis de constater que M. TZ. n'était nullement dupe des difficultés inhérentes à l'opération, puisqu'il s'était notamment exclamé, lors de sa conversation téléphonique avec son conseiller du 8 janvier 2013 : »Ce n'est pas l'action TOTAL« ; que M TZ. a donc reconnu la complexité de l'opération, l'inscrivant précisément et de lui-même dans un particularisme ; que la cour d'appel pour écarter l'existence de circonstances particulières a insuffisamment motivé sa décision la privant de base légale au regard de l'article 1002 du Code civil » ; alors selon le deuxième moyen de troisième part, enfin, « que la faute du créancier de l'obligation justifie l'exonération, à tout le moins partielle, de la responsabilité du débiteur ; que la cour d'appel a relevé que M TZ. avait donné instruction de »vendre le maximum d'actions sur un jour de bourse, en les regroupant toujours par lots de 10.000 actions«, soit dans une contrainte précise, de sorte qu'il a été démontré qu'il savait pertinemment qu'il serait particulièrement difficile que la vente puisse être réalisée sur une seule journée ; que la cour d'appel a elle-même admis que la vente des actions par lots de 10.000 titres rendait plus difficile la réalisation en une seule fois à un instant T ; qu'en conséquence de ses propres constatations, il appartenait à la cour de rechercher si l'exigence de M. TZ. d'une vente en bloc a généré une contrainte telle que la banque n'a pas eu d'autre solution que de vendre le lendemain, lorsque la liquidité du titre le permettait, en sorte que M. TZ. a directement concouru à la perte de chance retenue ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si la succession d'ordres reçus, pour le même titre, coup sur coup, avec la demande constante d'une vente par bloc des titres et ce, nonobstant la connaissance par M. TZ. des difficultés liées à la nécessaire liquidité du titre, ne constituait pas une attitude fautive de sa part de nature à exonérer au moins partiellement la banque de sa responsabilité, la cour d'appel a violé l'article 1004 du Code civil » ;

Attendu que le CFM fait encore grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement l'ayant condamné à indemniser M. TZ. aux motifs qu'ayant donné instruction le 10 janvier 2013 « de vendre le maximum d'actions sur un jour de bourse en les groupant toujours par lots de 10.000 actions au cours du marché sans toutefois descendre en dessous de 0,70 USD par action » ; le CFM aurait manqué à son obligation de diligences en vendant les titres le 11 janvier 2013 ; alors, selon le troisième moyen, de première part, « que l'article 989 du Code civil dispose que le contrat tient lieu de loi entre les parties ; qu'en l'espèce, en considération de la sphère contractuelle, la banque a exactement satisfait à ses obligations en parvenant à vendre les titres sur une seule journée à un prix supérieur au prix plancher fixé par son client ; qu'il ne pouvait dès lors pas être reproché une mauvaise exécution du contrat au CFM, sauf à extrapoler la volonté exprimée par M. TZ. aux termes de son ordre du 10 janvier 2013, en violation de l'article 989 du Code civil consacrant la force obligatoire du contrat, par une dénaturation de ses termes clairs et précis » ; alors, selon le troisième moyen, de deuxième part, « que si le contrôle de l'application de la loi se fait d'après les constatations de fait souveraines de l'arrêt, l'absence ou l'imprécision - volontaire ou non de ces constatations place la Cour de révision dans l'impossibilité d'exercer ce contrôle ; qu'en l'espèce, si la cour d'appel a rappelé que l'obligation de la banque était de vendre au-dessus d'un prix plancher, pour autant elle n'a à aucun moment, précisé à quel prix les titres ont finalement été vendus pour retenir toutefois l'existence du non-respect de l'obligation de diligence en raison d'une vente intervenue le 11 janvier et non le 10 janvier ; qu'en omettant de constater que l'ensemble des titres a été vendu sur une seule journée pour un montant net, après commissions de 2.016.7881 06 USD, soit à raison d'un cours de 1,313 USD l'action, la cour d'appel empêche de vérifier si l'article 1002 du Code civil a correctement été appliqué, la responsabilité contractuelle impliquant entre autres un dommage ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision, la privant de base légale en violation de l'article 1002 du Code civil » ;

Attendu que le CFM INDOSUEZ WEALTH fait encore grief à l'arrêt attaqué, d'avoir retenu que le CFM a manqué à son obligation contractuelle de diligence, au motif d'une exécution tardive d'un ordre de bourse, alors, selon le quatrième moyen « que, selon un principe constant du droit nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, tandis que l'article 989 du Code civil qui prescrit une exécution de bonne foi du contrat interdisait de retenir l'existence d'une mauvaise exécution d'un contrat au bénéfice d'une personne disposant d'informations privilégiées, délit sanctionné par l'article L 465-1 du Code monétaire et financier » ;

Attendu que le CFM INDOSUEZ WEALTH fait enfin grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer des dommages et intérêts à M. TZ. aux motifs que l'article 1004 du Code civil énonce que les dommages-intérêts dus au créancier sont, en général du montant de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé ; « que M. TZ. souhaitait vendre la totalité de ses actions sur la seule journée du 10 janvier 2013  » ; alors selon le cinquième moyen, « qu'il appartenait à la cour d'appel de s'en tenir à la stricte sphère contractuelle pour apprécier le dommage et retenir que M. TZ. n'avait en réalité subi aucun préjudice en regard de la manière dont l'ordre a été exécuté ; qu'il a été démontré qu'en application de l'article 989 du Code civil, l'ordre donné fixe les conditions contractuelles strictes de son exécution et que celles-ci forment ainsi la loi des parties ; que dans le même temps, l'article L 533-18 du Code monétaire et financier précise que si le client donne une instruction spécifique, l'ordre doit être exécuté en suivant cette instruction ; qu'en l'espèce, il n'est pas sérieusement contestable que selon les contraintes existantes, le meilleur résultat possible a été obtenu et l'ordre a été exécuté dans le strict respect des instructions de M. TZ. puisque toutes les actions ont été vendues sur une seule journée pour un prix moyen de 1,313 USD donc largement supérieur au prix plancher de 0,70 USD fixé ; que de la motivation adoptée par la cour d'appel, il s'évince qu'à supposer que la banque a tardivement exécuté l'ordre, il n'en demeure pas moins que M. TZ. ayant exigé que la vente intervienne sur la base d'un prix plancher de 0,70 USD par action, du moment que nonobstant les contraintes imposées à la banque dans l'exécution de l'ordre, la vente s'est réalisée à un cours moyen supérieur au prix plancher de près du double, à savoir 1,313 euro, la cour se devait de considérer qu'il n'a subi aucun préjudice ; qu'en ne tirant pas de ses propres constatations les exactes conséquences juridiques à savoir l'absence d'un dommage pour écarter la responsabilité contractuelle de la banque, la cour d'appel a violé ensemble les articles L 533-18 du Code monétaire et financier, 989, 1002 et 1004 du Code civil par refus d'application » ;

Mais attendu que, sous couvert des griefs non fondés de contradiction de motifs, dénaturation, défaut de base légale, vice de la motivation et violation de la loi, le pourvoi ne tend, en ses cinq moyens, qu'à remettre en cause devant la Cour de révision les appréciations souveraines des juges du fond ; que les moyens doivent être rejetés ;

Sur la demande de dommages et intérêts

Attendu que M. TZ. sollicite la condamnation du CFM INDOSUEZ WEALTH au paiement de la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Attendu qu'il y a lieu, eu égard aux circonstances de l'espèce, de rejeter la demande ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

  • Rejette le pourvoi ;

  • Rejette la demande de dommages et intérêts de M. c.TZ. ;

  • Condamne le CFM INDOSUEZ WEALTH aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Frank MICHEL, avocat défenseur, sous sa due affirmation.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé le neuf octobre deux mille dix-huit, par la Cour de révision de la Principauté de Monaco, composée de Messieurs François-Xavier LUCAS, faisant fonction de Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Serge PETIT, conseiller, rapporteur et Laurent LE MESLE, conseiller, en présence du Ministère Public, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

Le Greffier en Chef, Le Président,

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