Cour de révision, 9 octobre 2018, Monsieur s. IY. c/ la société anonyme monégasque dénommée BANK JULIUS BAER (Monaco) SAM

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Abstract🔗

Banque - Obligations - Investisseur - Manquements - Responsabilité (non) - Pourvoi en révision - Moyen nouveau - Irrecevabilité - Manque en fait

Résumé🔗

Après avoir relevé que l'existence, la nature et l'étendue des manquements reprochés à la banque devaient s'apprécier au regard des engagements qu'elle avait souscrits et des obligations qui en découlaient, c'est sans encourir les reproches visés au moyen que la cour d'appel, après avoir constaté que la banque avait agi comme simple dépositaire des actifs de son client et suffisamment caractérisé la qualité d'investisseur averti de celui-ci, a considéré qu'il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir prodigué d'office ses conseils pour la gestion du portefeuille de M. IY. qui avait indiqué l'avoir confiée à un tiers, et avoir ainsi manqué à ses obligations.

La cour d'appel ayant constaté, par un motif non critiqué, que M. IY. avait expressément choisi de demander à la banque de conserver la correspondance qui lui était destinée et décidé de valider a posteriori les relevés de situation de ses actifs, le moyen qui est pour partie irrecevable, comme nouveau et mélangé de fait, manque en fait pour le surplus.

L'arrêt ayant souverainement constaté qu'il n'était pas établi que la banque ait su que la situation de l'emprunteur était irrémédiablement compromise, et ce dernier n'ayant pas invoqué un manquement de la banque à son devoir de mise en garde mais un défaut de loyauté, c'est sans encourir les reproches susvisés que la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à des recherches qui ne lui étaient pas demandées, a retenu que la responsabilité de la banque n'était pas engagée en raison des crédits octroyés ;D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches.


Motifs🔗

Pourvoi N° 2018-39 en session Civile

COUR DE REVISION

ARRÊT DU 9 OCTOBRE 2018

En la cause de :

- Monsieur s. IY., demeurant et domicilié X1Istanbul (TURQUIE) ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, substituée par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la même cour et ayant pour avocat plaidant Maître Jean-Jacques GATINEAU, avocat aux conseils ;

DEMANDEUR EN REVISION,

d'une part,

Contre :

- La société anonyme monégasque dénommée BANK JULIUS BAER (Monaco) SAM, venant aux droits de ING Bank (Monaco) SAM, dont le siège social était 1, avenue des Citronniers à MONACO et actuellement 12, boulevard des Moulins / 13, avenue de Grande-Bretagne à MONACO, prise en la personne de son administrateur délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

DÉFENDERESSE EN REVISION,

d'autre part,

LA COUR DE REVISION,

VU :

- l'arrêt rendu le 13 février 2018 par la Cour d'appel, statuant en matière civile ;

- la déclaration de pourvoi souscrite au greffe général, le 25 avril 2018, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de M. s. IY.;

- la requête déposée le 23 mai 2018 au greffe général, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de M. s. IY. accompagnée de 40 pièces, signifiée le même jour ;

- la contre-requête déposée le 21 juin 2018 au greffe général, par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de la SAM BANK JULIUS BAER (MONACO), accompagnée de 28 pièces, signifiée le même jour ;

- les conclusions du Ministère Public en date du 22 juin 2018 ;

- le certificat de clôture établi le 4 juillet 2018 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

Ensemble le dossier de la procédure,

A l'audience du 4 juin 2018 sur le rapport de Monsieur Laurent LE MESLE, Conseiller,

Après avoir entendu les conseils des parties ;

Ouï Monsieur le Procureur général ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu, selon l'arrêt critiqué, que M. s. IY. a ouvert le 29 août 2005 un compte courant, auquel était adossé un compte titre, à ING Bank Monaco aux droits de laquelle vient la Société Anonyme Monégasque dénommée BANK JULIUS BAER (Monaco) et qu'il a, le 8 septembre suivant, souscrit une « procuration limitée en vue de la gestion par tiers gestionnaire externe à Monaco » s'inscrivant dans le prolongement d'un mandat de gestion donné à ING BANK Switzerland ; que la banque monégasque a par ailleurs consenti à son client quatre ouvertures de crédit les 28 juillet 2006, 11 octobre 2006, 17 juillet 2007 et 31 août 2008 pour un montant total de près de 7 millions de dollars US ; que les opérations conduites par, ou au nom de, M. IY. ont généré des pertes ; que M. IY. a recherché la responsabilité de la banque ; que par jugement du 20 septembre 2016, confirmé par l'arrêt en date du 13 février 2018, le tribunal a débouté M. IY.de l'ensemble de ses demandes ;

Sur le moyen unique pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches

Attendu que M. IY. fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement de première instance l'ayant débouté de l'intégralité de ses prétentions, de faire droit à la demande en paiement de la banque et de le condamner au paiement des intérêts au taux légal et aux dépens ;

Alors selon le moyen, première part : « Que l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier français prévoit dans sa version applicable au litige que les prestataires de service d'investissement sont tenus de s'enquérir de la situation financière de leurs clients, de leur expérience en matière d'investissement et de leurs objectifs en ce qui concerne les services demandés et de communiquer d'une manière appropriée les informations utiles dans le cadre des négociations avec leur client ; que ces obligations d'information s'appliquent même en l'absence de mandat de gestion de la banque, et quelles que soient ses relations contractuelles avec son client ; qu'en l'espèce M. IY. reprochait à la SAM BANK JULIUS BAER de ne pas avoir satisfait aux obligations résultant de cet article ; qu'en écartant tout manquement contractuel de la banque au prétexte que son obligation de conseil et de prudence ne pouvait aller au-delà de la surveillance du fonctionnement des comptes de son client, dans les affaires duquel elle n'avait pas à s'immiscer et qu'elle n'avait pas à lui prodiguer d'office des conseils sur la gestion de son portefeuille dont il avait confié la gestion à un tiers, la cour d'appel a violé l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier français applicable aux banques monégasques par la convention franco-monégasque sur le contrôle des changes du 14 avril 1945, ensemble l'article 1002 du Code civil » ;

Alors selon le moyen, de deuxième part : « Que, quelles que soient leurs relations contractuelles, la banque, même non titulaire d'un mandat de gestion de portefeuille, a le devoir d'informer son client, dès l'origine des relations contractuelles, des risques encourus dans les opérations spéculatives, hors le cas où celui-ci en a connaissance ; qu'en l'espèce M. IY .reprochait à la SAM BANK JULIUS BAER de ne pas avoir rempli cette obligation d'information ; qu'écartant tout manquement contractuel de la SAM Bank Julius Baer au prétexte que son obligation de conseil et de prudence ne pouvait aller au-delà de la surveillance du fonctionnement des comptes de son client, dans les affaires duquel elle n'avait pas à s'immiscer et qu'elle n'avait pas à lui prodiguer d'office des conseils sur la gestion de son portefeuille dont il avait confié la gestion à un tiers, la cour d'appel a violé l'article 1002 du Code civil » ;

Et alors enfin : « Que les juges du fond doivent relever les circonstances de fait, tenant notamment à la profession du client ou à son expérience en matière d'investissement, permettant de le qualifier d'investisseur averti ; qu'en se bornant à relever que la banque avait pu estimer sur la base de la fiche de renseignements communiquée et du questionnaire d'investissement régularisé, que M. IY. présentait le profil d'un investisseur averti, la cour d'appel, qui n'a pas suffisamment caractérisé en quoi ce dernier avait la qualité d'investisseur averti, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1002 du Code civil » ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que l'existence, la nature et l'étendue des manquements reprochés à la banque devaient s'apprécier au regard des engagements qu'elle avait souscrits et des obligations qui en découlaient, c'est sans encourir les reproches visés au moyen que la cour d'appel, après avoir constaté que la banque avait agi comme simple dépositaire des actifs de son client et suffisamment caractérisé la qualité d'investisseur averti de celui-ci, a considéré qu'il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir prodigué d'office ses conseils pour la gestion du portefeuille de M. IY. qui avait indiqué l'avoir confiée à un tiers, et avoir ainsi manqué à ses obligations ;

Sur le moyen unique pris en ses première et cinquième branches

Attendu que M. IY. fait le même grief à l'arrêt,

Alors selon le moyen, de première part : « Que l'article 10 de la loi du 9 juillet 1997 relative à la gestion de portefeuilles et aux activités boursières assimilées, modifiée par la loi n° 1.241 du 3 juillet 2001, puis par l'article 27 de la loi n° 1338 du 7 septembre 2007, fait obligation aux établissements de crédit dépositaires des fonds ou titres confiés en gestion à des sociétés tierces agréées, non seulement d'assurer la tenue des comptes et de comptabiliser les interventions sur les divers marchés autorisés, mais aussi de ne pas accepter de dépôt ou de retrait de fonds ou de titres à l'initiative de la société agréée » sauf procuration spéciale établie par le client par écrit et renouvelable pour chaque opération ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté par motifs propres et adoptés que la SAM BANK JULIUS BAER était dépositaire des fonds de M. IY. confiés en gestion à la ING BANK Switzerland et que les différentes opérations avaient été effectuées sur son compte ; qu'en écartant toute responsabilité contractuelle de la SAM BANK JULIUS BAER au prétexte qu'elle n'était pas soumise dans ses relations avec M. IY.aux dispositions de la loi n° 1194 de la loi du 9 juillet 1997 ni aux lois ultérieures venant la modifier, et qu'agissant comme simple dépositaire des actifs de son client, son obligation était limitée à la tenue de son compte et à la comptabilisation des opérations, lorsque la SAM JULIUS BAER devait en outre justifier qu'elle disposait, pour chaque dépôt ou retrait de fonds ou de titres effectués sur le compte de son client par la société gestionnaire, d'une procuration spéciale établie par le client par écrit et renouvelable pour chaque opération, la cour d'appel a violé l'article 10 de la loi n° 1194 du 9 juillet 1997 relative à la gestion de portefeuilles et aux activités boursières assimilées, modifiée par la loi n° 1241 du 3 juillet 2001 et l'article 27 de la loi n° 1138 du 7 septembre 2007 sur les activités financières, ensemble l'article 1002 du Code civil « ;

Et alors selon le moyen, de seconde part : » Que pour satisfaire à son obligation générale d'information, la banque doit adresser à son client des relevés de compte selon la périodicité prévue dans les conditions générales d'ouverture de compte ; qu'en l'espèce, l'article 6 des conditions générales d'ouverture de compte signées le 29 août 2005 entre les parties prévoyait que la banque devait adresser à son client le relevé de son compte selon une périodicité trimestrielle ; que M. IY. reprochait à la SAM BANK JULIUS BAER de ne pas avoir satisfait à son obligation d'information faute de l'avoir informé de la dégradation de son compte par l'envoi de relevés de compte, ajoutant que les quatre relevés de situation patrimoniale signés par lui ne constituaient pas des relevés de compte mais de simples photographies instantanées de ses actifs ; qu'en énonçant que l'obligation d'information de la banque était satisfaite par le seul envoi de ces quatre relevés de situation patrimoniale, la cour d'appel a violé l'article 1002 du Code civil « ;

Mais attendu que la cour d'appel ayant constaté, par un motif non critiqué, que M. IY. avait expressément choisi de demander à la banque de conserver la correspondance qui lui était destinée et décidé de valider a posteriori les relevés de situation de ses actifs, le moyen qui est pour partie irrecevable, comme nouveau et mélangé de fait, manque en fait pour le surplus ;

Sur le moyen pris en ses trois dernières branches

Attendu que M. IY. fait encore le même grief à l'arrêt :

alors selon le moyen, de première part : » Que la banque est tenue envers un emprunteur non averti d'une obligation de mise en garde lors de la conclusion du contrat à raison des capacités financières de celui-ci et des risques d'endettement nés de l'octroi des prêts, qu'en l'espèce, M. IY. reprochait à la SAM BANK JULIUS BAER de lui avoir proposé quatre conventions d'ouverture de crédit les 28 juillet 2006, 11 octobre 2006, 17 juillet 2007 et 31 août 2008 pour des montants s'élevant respectivement à 1.000.000 USD, 1.300.000 USD, 1.850.000 USD et 2.500.OOO USD sans vérifier qu'il avait les ressources nécessaires pour les rembourser, alors qu'il était un client non professionnel et non averti et que ces prêts allaient au-delà de ses capacités de remboursement avérées ; qu'en écartant toute responsabilité de la banque en raison de l'octroi des crédits successifs sans rechercher si M. IY. était un emprunteur non averti, et dans l'affirmative, si la SAM BANK JULIUS BAER avait satisfait à son obligation de mise en garde à raison des capacités financières de l'emprunteur et des risques de l'endettement nés de l'octroi des prêts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1002 du Code civil « ;

Alors, selon le moyen, de deuxième part : » Que la banque est tenue envers un emprunteur non averti d'une obligation de mise en garde à raison des capacités financières de celui-ci et des risques d'endettement nés de l'octroi des prêts ; que c'est au moment de la conclusion des contrats de prêt que la banque doit apprécier les capacités financières de l'emprunteur et les risques d'endettement nés de l'octroi des prêts ; qu'en écartant toute responsabilité de la banque en raison de l'octroi des crédits successifs contractés les 28 juillet 2006, 11 octobre 2006, 17 juillet 2007 et 31 août 2008 au prétexte que leur souscription avait permis à M. IY. d'augmenter ses actifs et de s'inscrire dans une dynamique spéculative, la cour d'appel qui a tenu compte d'éléments postérieurs à l'octroi des prêts litigieux, a violé l'article 1002 du Code civil « ;

Et alors enfin : » Que commet une faute engageant sa responsabilité contractuelle la banque qui octroie ou maintient un crédit alors qu'elle sait que la situation de l'emprunteur est irrémédiablement compromise ; qu'en écartant toute responsabilité de la banque au prétexte qu'il n'était pas établi qu'elle avait eu connaissance, préalablement à l'octroi des crédits, que la situation de l'emprunteur était irrémédiablement compromise, après avoir pourtant constaté, par motifs propres et adoptés, qu'à la date du 29 avril 2008 la banque avait établi une déclaration d'actif mentionnant que le passif de M. IY. s'élevait à 2.397.487 dollars et que, dès l'année 2008, elle avait alerté M. IY. sur la situation préoccupante de son compte, ce dont il résultait qu'elle avait connaissance de sa situation irrémédiablement compromise lorsqu'elle lui avait de nouveau octroyé un crédit de 2.500.000 dollars le 31 août 2008, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations, en violation de l'article 1002 du Code civil " ;

Mais attendu que, l'arrêt ayant souverainement constaté qu'il n'était pas établi que la banque ait su que la situation de l'emprunteur était irrémédiablement compromise, et ce dernier n'ayant pas invoqué un manquement de la banque à son devoir de mise en garde mais un défaut de loyauté, c'est sans encourir les reproches susvisés que la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à des recherches qui ne lui étaient pas demandées, a retenu que la responsabilité de la banque n'était pas engagée en raison des crédits octroyés ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur la demande de dommages-intérêts formée par la banque

Attendu que la Société anonyme monégasque (SAM) BANK JULIUS BAER demande la condamnation de M. IY.au paiement de la somme de 50.000 € en réparation de son préjudice ;

Mais attendu qu'au vu des circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

  • Rejette le pourvoi ;

  • Rejette la demande de dommages et intérêts de la SAM BANK JULIUS BAER ;

  • Condamne M. s. IY. aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur sous sa due affirmation.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé le neuf octobre deux mille dix-huit, par la Cour de révision de la Principauté de Monaco, composée de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Messieurs Serge PETIT, Conseiller et Laurent LE MESLE, Conseiller, rapporteur en présence du Ministère Public, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

Le Greffier en Chef, Le Premier Président,

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