Cour de révision, 19 février 2018, Monsieur j. AL. c/ le Ministère public

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Abstract🔗

Commission rogatoire internationale - Communication de pièces - Saisie des comptes - Mainlevée

Résumé🔗

Si, en principe, il n'y a pas lieu à restitution lorsque celle-ci est de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité et à la sauvegarde des droits des parties, une exigence de célérité s'impose, d'autant plus fortement s'agissant d'un tiers à la procédure que ce dernier, auquel aucune infraction n'est reprochée, ne peut avoir accès à la procédure ; que, dès lors, une diligence particulière est nécessaire quant à la poursuite de la procédure, notamment en ce qui concerne les vérifications qui doivent être faites dans un délai raisonnable ; que cette exigence de célérité fait défaut en l'espèce, la saisie des comptes et avoirs de M. AL. étant effective depuis le mois de mars 2016 ; qu'en conséquence, il convient d'accueillir la demande de main levée de saisie des comptes et avoirs de M. AL.

Déclare M. j. AL. recevable à déférer l'ordonnance du juge d'instruction en date du 16 décembre 2016.

Déclare non fondée la demande de communication de pièces formées par M. AL.

Infirme l'ordonnance entreprise ;

Ordonne la mainlevée de la saisie des comptes et avoirs détenus par M. AL. dans les livres de la banque CFM INDOSUEZ WEALTH MANAGEMENT placés sous la main de justice en exécution de la commission rogatoire délivrée dans l'information ouverte contre X. du chef de blanchiment du produit d'une infraction.


Motifs🔗

Pourvoi N° 2017-18 en session

Après cassation

COUR DE REVISION

ARRET DU 19 FÉVRIER 2018

En la cause de :

- j. AL., né le 1er octobre 1955 à Caracas (Vénézuela), de nationalité vénézuélienne, domicilié avenue X1 Caracas, Vénézuéla ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco substituée et plaidant par Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat près la même Cour ;

DEFERANT suivant requête en date du 23 décembre 2016 une ordonnance de refus de mainlevée de séquestre rendue par juge d'instruction le 16 décembre 2016 ;

Dans l'information suivie contre :

X

Du chef de :

BLANCHIMENT DU PRODUIT D'UNE INFRACTION

En présence du :

MINISTERE PUBLIC,

LA COUR DE REVISION,

VU :

- l'arrêt de la Cour de révision du 4 juillet 2017, cassant et annulant en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la Chambre du conseil de la Cour d'appel le 13 février 2017 renvoyant l'affaire à la prochaine session de la Cour de révision, autrement composée ;

- les conclusions additionnelles déposées le 11 janvier 2018 au greffe général, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de M. j. AL., signifiées le même jour ;

- le certificat de clôture établi le 31 janvier 2018 par le Greffier en Chef, attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

Ensemble le dossier de la procédure,

A l'audience du 14 février 2018, sur le rapport de M. Jean-François RENUCCI, Vice-Président,

Après avoir entendu les conseils des parties ;

Ouï le Ministère Public ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu, selon la décision critiquée et les éléments du dossier, que par requête du 7 décembre 2016, fondée sur l'article 105 du Code de procédure pénale, M. j. AL., « bénéficiaire économique effectif des avoirs financiers détenus dans le capital de la société BRONSTON ENTREPRISES INC » a demandé au juge d'instruction « la mainlevée des comptes bancaires détenus dans les livres de la banque CFM INDOSUEZ WEALTH MANAGEMENT », placés sous la main de la justice en exécution d'une commission rogatoire délivrée dans une information ouverte contre X. du chef de blanchiment du produit d'une infraction ; que par ordonnance du 16 décembre 2016, le magistrat instructeur a rejeté cette demande ; que, sur appel relevé par M. AL., la chambre du conseil de la cour d'appel, par arrêt du 13 février 2017, a déclaré sa demande irrecevable et dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de réformation ; que M. AL. ayant formé un pourvoi contre cet arrêt, la Cour de révision, au visa de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 105 du Code de procédure pénale, a, par arrêt du 4 juillet 2017, cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt critiqué jugeant qu'en statuant ainsi, alors que le respect des droits de la défense exigeait qu'il fût statué sur la demande, expressément formulée par M. AL. de communication des documents sur le fondement desquels avait été décidé le gel de ses avoirs en Principauté de Monaco et ce, indépendamment de la demande relative à la nullité des actes d'information, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Attendu que, par conclusions additionnelles déposées et signifiées le 11 janvier 2018 par Maître PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, M. AL. demande à la Cour de révision, au visa de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du principe du contradictoire et du respect des droits de la défense, et de l'article 105 du Code de procédure pénale, de le déclarer recevable à déférer l'ordonnance du juge d'instruction du 16 décembre 2016, réformer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, juger qu'il n'est pas justifié du bien-fondé du refus de communication des documents sur le fondement desquels a été décidé le gel de ses avoirs, juger qu'un tel refus de communication opposé par le ministère public et le juge d'instruction a porté atteinte à ses droits de la défense et aux règles du procès équitable, en tout état de cause juger qu'il n'a commis aucune infraction et qu'aucune infraction n'apparaît pouvoir lui être reprochée, en conséquence ordonner la mainlevée de la saisie de ses comptes et avoirs ordonnée en exécution de la commission rogatoire internationale et enfin, subsidiairement, ordonner la communication des documents sur le fondement desquels a été décidé le gel de ses avoirs ;

Attendu que M. AL. soutient à l'appui de ses demandes que le refus de communication de la procédure est injustifié et constitue une violation de l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en particulier des principes de l'égalité des armes et du contradictoire ainsi que du droit d'accès au dossier pénal ; que la possibilité pour toute personne de réclamer la restitution d'un objet placé sous la main de la justice implique qu'elle puisse avoir connaissance des éléments de la procédure ; que le refus de communication des pièces de la procédure porte atteinte à ses droits de la défense et plus généralement à son droit à un procès équitable et, en conséquence, sa demande de mainlevée de la saisie de ses comptes bancaires et de ses avoirs doit être accueillie ; que cette mainlevée s'impose également du fait de son absence d'implication dans une quelconque infraction, d'autant plus que le juge d'instruction a disposé du temps nécessaire pour procéder à toutes investigations utiles ;

Attendu qu'à l'audience, le Procureur général, à titre principal, s'en rapporte et, à titre subsidiaire, indique qu'il convient de limiter une éventuelle communication des pièces à celles qui ont un rapport direct avec la mesure de séquestre ;

SUR CE,

1°) Attendu que la requête a été régulièrement formée dans les conditions de forme et de fond prévues par le Code de procédure pénale ; que M. AL. est recevable à déférer l'ordonnance du juge d'instruction en date du 16 décembre 2016 ;

2°) Attendu que l'article 105, alinéa 1er, du Code de procédure pénale dispose que l'inculpé, la partie civile ou toute autre personne qui prétend avoir un droit sur un objet placé sous la main de la justice peut, jusqu'à la clôture de l'information, en réclamer la restitution au juge d'instruction ; que M. AL., qui n'est ni inculpé ni partie civile, mais dont le blocage des comptes bancaires en exécution de la commission rogatoire fait grief, apparaît comme étant cette « autre personne » au sens de cette disposition ; qu'il peut donc demander la mainlevée de la mesure, ce qui implique, a priori, que des éléments de la procédure, du moins ceux ayant un rapport direct avec la mesure de séquestre, puissent être portés à sa connaissance ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 105, alinéa 6, du Code de procédure pénale, un tiers ne saurait prétendre que la procédure soit mise à sa disposition ; que M. AL., qui n'est ni inculpé ni partie civile, est un tiers à la procédure ; que cette restriction, qui est une ingérence dans son droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est admissible dès lors que, comme dans tout droit conditionnel, l'ingérence est prévue par un texte, poursuit un but légitime et répond à un rapport de proportionnalité ; que l'ingérence dans les droits de M. AL. est prévue par un texte, l'article 105 alinéa 6 du Code de procédure pénale, et poursuit des buts légitimes de prévention et de répression des infractions pénales, de bonne administration de la justice avec des impératifs de célérité et d'efficacité tout en protégeant le secret de l'enquête et les droits d'autrui ; qu'il existe, en outre, un rapport de proportionnalité entre l'ingérence dans les droits garantis de M. AL. et les buts légitimes poursuivis, dès lors que la mesure prise à son encontre ménage un juste équilibre entre les différents intérêts en présence ; qu'en effet, la saisine de ses comptes et avoirs sans qu'il puisse avoir accès aux pièces de la procédure ne constitue pas une atteinte disproportionnée à son droit à un procès équitable compte tenu des intérêts en cause, du caractère temporaire de la mesure et de la nécessité de procéder à certaines vérifications ; que, par conséquent, le refus de communication de pièces opposé par le ministère public et le juge d'instruction n'a pas porté atteinte aux règles du procès équitable ; que la demande de communication de pièces de M. AL. n'est pas fondée ;

3°) Attendu que l'article 105, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, instituant en faveur de tout tiers qui prétend avoir un droit sur un objet placé sous la main de la justice, une procédure lui permettant d'en réclamer la restitution, ne l'autorise pas à faire juger, à cette occasion, la régularité des actes de procédure, fût-ce de ceux en vertu desquels le placement sous la main de la justice a été opéré ;

4°) Et attendu, enfin, que l'ordonnance du juge d'instruction relève que si M. AL. n'a pas été inculpé dans le cadre de la présente affaire, il n'en demeure pas moins que des vérifications sont en cours afin de déterminer l'origine exacte des fonds ainsi placés sous la main de la justice et correspondent au solde créditeur du compte bancaire n° 0540300 ouvert dans les livres de la banque CFM INDOSUEZ WEALTH MANAGEMENT au nom de la société BRONSTON ENTERPRISES INC, que les éléments recueillis concernant le fonctionnement de ce compte bancaire ont justifié un signalement de la cellule SICFIN au procureur général, que les fonds rapatriés sur ce compte auraient préalablement transité sur les compte de sociétés off-shore, ce qui ne permettrait pas de s'assurer de la licéité de leur provenance ni de leur justification économique, qu'en l'état des investigations et dans l'attente de pouvoir recueillir l'ensemble des éléments pertinents permettant d'apprécier l'origine précise des fonds litigieux, il apparaît que la conservation sous séquestre des fonds ainsi bloqués est nécessaire à la manifestation de la vérité et à la sauvegarde des droits des parties ; qu'au surplus, les pièces ainsi communiquées ne peuvent suffire à établir l'absence de toute implication de M. AL. dans le cadre des infractions faisant l'objet de la présente information judiciaire et que celle-ci ne saurait être déduite de façon définitive en raison de l'absence actuelle de poursuites diligentées à son encontre sur le territoire monégasque, que les investigations doivent donc pouvoir se poursuivre afin d'établir l'origine des fonds litigieux et de vérifier l'ensemble des pièces justificatives s'y rapportant, que ces investigations nécessitent la conservation des fonds susceptibles d'être en lien avec les infractions poursuivies et ce d'autant que leur remise pourrait entraîner leur rapatriement sur d'autres comptes non situés en Principauté, et enfin que dans ces conditions et sans préjuger de l'implication ou de l'absence d'implication de M. AL., la présente demande apparaît précoce, voire prématurée, compte tenu des vérifications à accomplir, aussi bien en Principauté qu'à l'étranger ;

Mais attendu que si, en principe, il n'y a pas lieu à restitution lorsque celle-ci est de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité et à la sauvegarde des droits des parties, une exigence de célérité s'impose, d'autant plus fortement s'agissant d'un tiers à la procédure que ce dernier, auquel aucune infraction n'est reprochée, ne peut avoir accès à la procédure ; que, dès lors, une diligence particulière est nécessaire quant à la poursuite de la procédure, notamment en ce qui concerne les vérifications qui doivent être faites dans un délai raisonnable ; que cette exigence de célérité fait défaut en l'espèce, la saisie des comptes et avoirs de M. AL. étant effective depuis le mois de mars 2016 ; qu'en conséquence, il convient d'accueillir la demande de main levée de saisie des comptes et avoirs de M. AL. ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

  • Déclare M. j. AL. recevable à déférer l'ordonnance du juge d'instruction en date du 16 décembre 2016 ;

  • Déclare non fondée la demande de communication de pièces formées par M. AL. ;

Infirme l'ordonnance entreprise ;

  • Ordonne la mainlevée de la saisie des comptes et avoirs détenus par M. AL. dans les livres de la banque CFM INDOSUEZ WEALTH MANAGEMENT placés sous la main de justice en exécution de la commission rogatoire délivrée dans l'information ouverte contre X. du chef de blanchiment du produit d'une infraction ;

  • Laisse les dépens à la charge du Trésor.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé le dix-neuf février deux mille dix-huit, par la Cour de révision de la Principauté de Monaco, composée de Messieurs Jean-François RENUCCI, Président, rapporteur, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, François CACHELOT, et Serge PETIT, conseillers, en présence du Ministère Public, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

Le Greffier en Chef adjoint, le Président,

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